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de la démonstration de la nature physico-chimique des actes élémentaires de l'organisme, c'est-à-dire des phénomènes intimes dont les éléments anatomiques sont le siège. Soit la fonction spéciale du globule rouge du sang; cet élément, comme l'a démontré Claude Bernard, se charge d'oxygène et en devient le véhicule, du poumon vers les tissus. Or, cette propriété du globule rouge ou hématie n'est autre chose que le résultat des propriétés chimiques d'une substance qui entre dans sa constitution, l'hémoglobine ou matière rouge du globule; cette matière colorante est avide d'oxygène et s'oxyde. Ainsi un phénomène physiologique, dit vital, paraît expliqué du moment qu'il est ramené à un acte physico-chimique. Ce qu'il y a de spécial, en effet, dans le globule sanguin, c'est la substance organique, l'hémoglobine, mais les propriétés de cette substance sont semblables à celles des corps inorganiques: c'est une affinité chimique et celle-ci s'exerce aussi bien dans l'organisme vivant qu'en dehors de lui, car le globule du sang défibriné conserve les mêmes propriétés; bien plus, l'hémoglobine, chimiquement isolée et en dissolution, présente la même avidité pour l'oxygène.

On pourrait multiplier les exemples. Le muscle produit des phénomènes de mouvement qui, comme ceux des machines inertes, sont soumis aux lois de la mécanique générale. L'appareil de la circulation présente des phénomènes qui relèvent des lois les plus simples de la mécanique. L'œil est un véritable appareil de dioptrique. La transformation de l'amidon en sucre, dans le tube digestif, est un simple fait chimique. Les Poissons électriques produisent de l'électricité qui ne diffère en rien de l'électricité d'une pile.

Les phénomènes de l'organisme vivant n'ont donc rien qui les distingue des phénomènes physiques ou chimiques en général, rien, si ce n'est les instruments qui les manifestent. Ce que les phénomènes vitaux offrent de particulier, ce ne sont ni les forces qu'ils mettent en jeu, ni les résultats qu'ils produisent, mais seulement la manière dont ils combinent ces forces. Il n'y a pas de phénomènes vitaux proprement dits, il y a des procédés vitaux.

Sans doute, les propriétés physico-chimiques des appareils et éléments n'entrent en exercice que dans certaines circonstances; mais il en est de même des propriétés des corps inorganiques; seulement les conditions qui mettent en jeu les propriétés des êtres organisés sont le plus souvent si complexes que, dans l'impossibilité de déterminer les causes des actions vitales, on a pu croire à leur spontanéité. Un examen exact montre ce qu'il faut voir au-dessous de cette prétendue spontanéité, surtout quand on étudie les formes élémentaires. Ainsi chez les êtres inférieurs, tels que les Infusoires, il n'y a pas d'indépendance réelle de l'organisme vis-à-vis du milieu cosmique. Ces êtres ne manifestent les propriétés vitales, souvent très actives, dont ils sont doués, que sous l'influence de l'humidité, de la

siologie cellulaire et de la physiologie générale. Ses recherches expérimentales ont porté sur toutes les parties de la physiologie; on peut citer parmi les plus célèbres celles sur la glycogénie, les liquides digestifs, la chaleur animale, les nerfs vaso-moteurs, le sang et l'asphyxie, les anesthésiques, le curare, etc.

lumière, de la chaleur extérieure ; dès qu'une ou plusieurs de ces conditions viennent à manquer, la manifestation vitale cesse, parce que les phénomènes physico-chimiques, qui la constituent en réalité, ne peuvent plus se produire. Si, chez les êtres supérieurs, la vie paraît moins dépendante des conditions physico-chimiques extérieures, c'est parce que ces êtres se trouvent dans un véritable milieu intérieur, grâce auquel ils sont d'une façon permanente dans les conditions d'humidité et de chaleur nécessaires à la manifestation des phénomènes physiologiques; c'est la fixité de ce milieu intérieur qui assure la vie libre, en apparence indépendante; mais on a prouvé que la fixité du milieu dépend elle-même du maintien de toutes les conditions nécessaires à la vie des éléments anatomiques. La vie n'est que le résultat des relations de l'organisme, quel qu'il soit, avec le milieu dans lequel il se trouve.

On peut donc dire avec Claude Bernard « qu'il n'y a, en réalité, qu'une physique, qu'une chimie et qu'une mécanique générales, dans lesquelles rentrent toutes les manifestations phénoménales de la nature, aussi bien celles des corps vivants que celles des corps bruts. Il n'apparaît pas, en un mot, dans l'être vivant, un seul phénomène qui ne retrouve ses lois en dehors de lui. De sorte qu'on pourrait dire que toutes les manifestations de la vie se composent de phénomènes empruntés, quant à leur nature, au monde cosmique extérieur, mais seulement manifestés sous des formes ou dans des arrangements particuliers à la matière organisée et à l'aide d'instruments physiologiques spéciaux 1».

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II. DISTINCTION DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE; DE LA PHYSIOLOGIE CELLULAIRE ET DE LA PHYSIOLOGIE SPÉCIALE.

D'après les considérations précédentes, et notamment d'après l'exemple choisi des fonctions du globule rouge du sang, on voit que la physiologie porte ses investigations jusque sur les actes. dont les éléments anatomiques eux-mêmes sont le siège. On a appelé et on appelle souvent encore cette physiologie, qui étudie les propriétés des éléments anatomiques et des tissus, physiologie générale, par opposition à la physiologie spéciale qui s'occupe des fonctions des

organes.

Il est très vrai que les éléments anatomiques, étant répandus dans tous les organes, sont quelque chose de très général; mais le mot général est pris ici dans le sens d'extension matérielle d'un objet. Il y a une autre acception du mot, dans laquelle celui-ci s'entend de la relation du particulier au général, c'est-à-dire d'une relation abstractive et non plus partitive. Ainsi, la «< chimie générale »> ne consiste pas dans l'étude des corps simples, dont l'extension matėrielle est universelle, opposée à celle des corps composés, mais

1. Rapport sur les progrès el la marche de la physiologie générale en France, Paris, 1867, p. 223.

constitue cette partie de la chimie qui traite « des lois supérieures régissant les actions moléculaires des corps les uns sur les autres, quels qu'ils soient, et les modes de composition qui en résultent pour chacun d'eux ». De même, la physiologie générale doit rechercher les lois supérieures qui s'appliquent aux diverses fonctions particulières, en quelque tissu ou organe que ces fonctions s'accomplissent. Comme toutes les lois naturelles, ces grandes lois de la physiologie consistent en des rapports établis entre plusieurs faits ou plusieurs ordres de faits. Ceux-ci peuvent être relatifs au fonctionnement des organes aussi bien qu'aux propriétés des cellules ou des tissus. La physiologie générale repose donc non moins sur les résultats de l'étude physiologique des organes que sur ceux de la physiologie des éléments cellulaires. Son œuvre est loin d'être terminée, parce que la physiologie elle-même est loin d'avoir complété les acquisitions indispensables pour l'édification de toutes ses lois. Dès maintenant, cependant, on peut en déterminer les grandes lignes, qui seraient les suivantes :

1° Conditions générales de la vie;

2o Mécanismes généraux et essentiels de la vie ;

3o Résultats généraux de la vie (production de mouvement ou kinogenèse, thermogenèse, électrogenèse, photogenèse);

4o Relations réciproques des mécanismes fonctionnels ou corrélations fonctionnelles des organes et des appareils;

5o Développement des diverses fonctions (physiogénie).

A quel point, dans un livre de physiologie, placer cette étude? La détermination des lois générales d'une catégorie donnée de phénomènes naturels est l'aboutissement et la conséquence ultime de l'observation répétée et variée de ces phénomènes. Puisqu'elle résulte de la connaissance et du rapprochement d'une foule de faits particuliers, il semble qu'il convient de la rejeter à la fin de la physiologie, lorsque toute celle-ci a été systématiquement exposée. Cette manière de voir, conforme à la logique, présente bien quelques inconvénients didactiques. L'étude des conditions de la vie, par exemple, est une étude préliminaire, faite surtout grâce à des observations sur les êtres unicellulaires ou sur des organismes très simples. L'étude des causes de la vie, des causes qui déterminent, en général, les fonctionnements cellulaires, a été faite de même en partie à l'aide de recherches sur les êtres inférieurs. Bref, il se trouve que la physiologie cellulaire est à la base pour ainsi dire de la physiologie générale. Ainsi l'on serait amené à exposer les principales données de celle-ci à la suite de celle-là, si l'on ne craignait légitimement d'en morceler l'étude. Car on

1. J.-P. Durand (de Gros): L'idée et le fait en biologie. Paris, 1896, p. 48. - Durand (de Gros), savant et philosophe français (1826-1903), auteur de remarquables ouvrages de philosophie scientifique, anthropologiste distingué et l'un des créateurs de l'hypnotisme.

serait toujours obligé de remettre l'exposé, par exemple, des corrrélations fonctionnelles entre les organes à la suite de la physiologie des divers organes qui peuvent entrer en rapport les uns avec les autres. De telle sorte qu'il nous paraît plus rationnel de traiter de la physiologie générale seulement après qu'il aura été traité de la physiologie cellulaire et de la physiologie spéciale, ces deux parties de la science présentant les faits desquels peuvent se tirer les lois générales des modes de fonctionnement des êtres vivants.

Qu'est-ce alors que la physiologie cellulaire? C'est la science des propriétés des éléments anatomiques; c'est ici l'application de la physiologie à ce qu'il y a de commun à l'universalité des êtres vivants. On pourrait par conséquent l'appeler physiologie comparative. La dénomination la plus exacte serait celle de physiologie cellulaire comparative. Il suffit de dire plus brièvement physiologie cellulaire.

La physiologie spéciale est celle qui étudie les fonctions des divers organes, c'est-à-dire des différents assemblages cellulaires; elle prend le nom de physiologie comparée quand elle poursuit cette étude dans les diverses espèces animales et végétales.

Avant les travaux de Claude Bernard, la physiologie spéciale était seule l'objet de recherches expérimentales méthodiques. Le De usu partium, de Galien', était encore et paraissait devoir rester l'objectif unique des investigateurs. De là l'emploi de la vivisection, consistant en ablations d'organes, en lésions de nerfs, etc., l'expérimentateur cherchant à conclure des troubles observés à la nature et à l'importance des fonctions de l'organe enlevé. On découvrait et on déterminait ainsi les mécanismes fonctionnels; par exemple, pour la respiration, on déterminait le rôle de la glotte, de la trachée, du poumon; mais tous ces organes ne sont que pour amener l'air au contact du sang, et le sang lui-même, à ce point de vue, n'est que pour amener l'oxygène au contact des tissus. Que le mécanisme respiratoire soit assuré par un poumon, par des branchies ou par des trachées, ce qui paraît indiquer la différence la plus profonde dans le mode de respiration, l'acte intime d'utilisation de l'oxygène par les éléments des tissus est cependant toujours le même. Sous la grande variété des mécanismes respiratoires, nous trouvons toujours les mêmes phénomènes élémentaires. Les mécanismes sont l'objet de la physiologie spéciale, presque exclusivement cultivée au commencement du xixe siècle; les phénomènes élémentaires, c'est-à-dire ceux qui se passent dans les éléments anatomiques des tissus, sont l'objet de la physiologie cellulaire. C'est un des plus

1. Galien, médecin de Pergame (128 ou 131-200 ou 202 ap. J.-C.); ses doctrines ont fait loi en anatomie et en physiologie jusqu'à l'époque de Harvey.

beaux titres de gloire de Claude Bernard que d'avoir créé cette physiologie cellulaire, base principale de la physiologie générale.

Mais qu'il s'agisse de physiologie générale ou de physiologie spéciale, c'est toujours à des phénomènes de nature physico-chimique ou même purement mécanique que l'on a affaire, comme on l'a vu plus haut.

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