Imágenes de páginas
PDF
EPUB

1o Centres respiratoires.

La première chose à faire est de déterminer l'existence, puis, si possible, la nature de ces centres; viendra alors la recherche de leur mode d'action.

A. Preuves de l'existence du centre respiratoire bulbaire. La notion de l'influence du bulbe sur la respiration est bien ancienne, puisqu'elle date de Galien, qui avait observé que la section de la moelle, entre la première et la deuxième vertèbre cervicale, supprime la vie avec la respiration. Mais, en fait, la démonstration de cette action bulbaire est due aux expériences de Legallois (1812).

Ces expériences ont consisté essentiellement en des sections de la moelle de bas en haut jusqu'au bulbe et, inversement, en l'extirpation du cerveau et du cervelet: la section de la moelle, à la hauteur de la septième vertèbre cervicale, supprime les mouvements des côtes et, à la hauteur de la quatrième, les mouvements du diaphragme, mais les mouvements respiratoires de la face sont conservés; — l'ablation du cerveau et du cervelet, jusqu'au noyau d'origine du nerf facial (nerf dilatateur des narines), laisse intacts tous les mouvements respiratoires; si la section porte entre le noyau du facial et celui du pneumogastrique, les mouvements respiratoires de la face sont supprimés, ceux du diaphragme persistent. Aussitôt qu'on enlève la portion de la moelle allongée avoisinant le trou occipital, tous les mouvements respiratoires sont abolis. - Toutes ces expériences étaient faites sur des animaux nouveau-nés, chats et lapins, qui supportent beaucoup mieux l'asphyxie que les adultes. - Legallois était donc bien en droit de conclure que la respiration dépend « d'un endroit assez circonscrit de la moelle allongée, lequel est situé à une petite distance du trou occipital et vers l'origine des nerfs de la huitième paire 2 (ou pneumogastriques) ». A ces expériences qui sont restées fondamentales, d'autres, depuis un siècle, sont venues s'ajouter. Citons-en les deux séries les plus importantes.

1. Par une hémisection de la moelle cervicale, un peu en arrière du bec du calamus scriptorius, on supprime la respiration thoracique et abdominale dans la moitié correspondante du corps (hémiplégie respiratoire

1. J.-J.-C. Legallois (17- [date de naissance inconnue] 1814), médecin et physiologiste français, célèbre par ses recherches sur les mouvements du cœur et sur le système nerveux. Ses principaux travaux se trouvent réunis en deux volumes, dont la lecture, facile et agréable, est encore pleine d'intérêt. Expériences sur le principe de la vie et Mémoires sur la chaleur animale et sur le sang, 2 vol. in-8, Paris, 1812.

2. On entendait à cette époque par huitième paire, d'après la nomenclature des nerfs craniens de Willis, le glosso-pharyngien, le pneumogastrique et le spinal réunis. Thomas W. Willis (1622-1675), célèbre anatomiste anglais.

de Schiff et surtout de son élève H. Girard, 1891). Cette expérience prouve bien que les muscles respirateurs, quand ils ne sont plus en communication avec le bulbe, cessent de fonctionner dans la respiration normale. Cette opération, suivie de l'opération similaire faite de l'autre côté, amène la cessation de la respiration.

2. On peut suspendre temporairement l'activité du centre respiratoire bulbaire, soit au moyen du refroidissement, par l'application de petits morceaux de glace et de sel (mélange réfrigérant) dans la région, soit au moyen de l'anesthésie locale, par l'application d'une solution de cocaïne (la cocaïne paralyse les cellules nerveuses); les mouvements respiratoires sont abolis aussi longtemps que dure le refroidissement ou l'anesthésie; bien entendu, si l'expérience est faite sur un animal à sang chaud, il faut pratiquer la respiration artificielle pour le maintenir en vie, jusqu'à ce que le bulbe se soit réchauffé ou que la cocaïne ait été éliminée.

Les centres respiratoires sont pairs et symétriques, comme le prouvent les expériences d'hémisection sous-bulbaire dont nous venons de parler. La symétrie des mouvements respiratoires des deux côtés de la face et du thorax est assurée par des connexions intrabulbaires entre les parties droite et gauche du centre bulbaire. Cependant l'autonomie des deux moitiés du centre est assez grande, puisque la section longitudinale du bulbe, pratiquée exactement sur la ligne médiane, ne supprime pas la coordination des mouvements respiratoires. Mais cette autonomie n'est pas absolue, comme le prouve l'expérience suivante :

Sur un animal (lapin) sur lequel on a pratiqué la section longitudinale du bulbe, on excite le bout central d'un pneumogastrique ; les mouvements respiratoires ne se modifient que du côté correspondant au nerf excité. Sur un animal normal, au contraire, l'excitation du même nerf modifie les mouvements respiratoires des deux côtés du corps.

1

Quelle est la situation exacte de ces centres? Flourens (1842) a prétendu les localiser dans le V de substance grise qui se trouve à l'angle inférieur du quatrième ventricule; la destruction de ce point limité, au moyen d'un emporte-pièce enfoncé dans le bulbe, n'abolirait pas seulement la fonction respiratoire, mais toutes les fonctions de la vie; de là l'expression de nœud vital employée par Flourens pour désigner ce point; il est vrai qu'il a lui-même varié d'opinion et qu'il a fini par ne plus considérer le résultat de son expérience que comme « une marque extérieure » du noeud vital. En somme, Flourens n'a ajouté aux faits découverts par Legallois qu'une expérience et la conception fausse du noeud vital. Plusieurs expérimentateurs ont, par la suite, cherché à déterminer avec pré

1. M.-J.-P. Flourens (1794-1867), physiologiste français, célèbre surtout par ses travaux sur la formation des os el par ses recherches sur le système nerveux.

cision le siège du centre respiratoire. Ce que l'on peut dire de plus. sûr, c'est qu'il occupe une position symétrique de chaque côté de la ligne médiane du bulbe, un peu au-dessous des noyaux d'origine des pneumogastriques, en dedans des racines des nerfs hypoglosses (Mislavsky, 1885).

B. Nature du centre respiratoire. Il faut le considérer comme un appareil nerveux qui envoie aux muscles respirateurs des excitations périodiques.

En effet, on peut isoler le bulbe en le séparant du cerveau, puis de la moelle au-dessous de la sixième vertèbre cervicale et sectionnant enfin les nerfs vagues: on voit que le diaphragme n'en continue pas moins ses mouvements réguliers (expérience de Rosenthal sur le lapin, 1865). De même, on peut sur une grenouille (expérience de Langendorff, 1887) enlever tout le cerveau, détruire la moelle à partir de l'atlas et enfin extirper les poumons et le cœur, de telle sorte que le bulbe soit entièrement soustrait à toutes les influences périphériques, on observe la persistance des mouvements réguliers de la bouche, des narines et des cordes vocales.

Inversement, quand la région respiratoire du bulbe, la zone de Legallois, est détruite (expérience de Flourens) ou que ses communications avec les différents centres des muscles respirateurs sont interrompues (expériences de Legallois vérifiées par tous les physiologistes), les mouvements nécessaires à la respiration normale ou bien ne peuvent plus se produire, comme on l'a vu, ou bien si, dans quelques conditions qui seront déterminées tout à l'heure, ils se produisent encore, ils sont, comme on le verra aussi, irréguliers et ne suffisent pas à entretenir la fonction.

On ne peut donc expliquer l'influence du bulbe sur la respiration, comme l'ont fait quelques physiologistes, par une action inhibitoire résultant du choc nerveux produit par la lésion mème du bulbe ou par la section sous-bulbaire et s'exerçant sur les noyaux d'origine des nerfs inspirateurs. Sans doute il est des piqûres bulbaires, pratiquées dans le voisinage du centre respiratoire, qui suspendent la

1. Physiologiste russe contemporain, professeur à l'Université de Kazan. Les expériences de Mislavsky ont été faites sur le chat. Chez le lapin, la marmotte, le spermophile, ce groupe de cellules déborde en dehors le noyau de l'hypoglosse (communication orale de Mislavsky). C'est ce qui explique le résultat en apparence contradictoire des recherches sur le lapin de Gad et Marinesco (1893) qui ont situé le centre respiratoire dans la formation réticulaire du bulbe, en dehors des racines des nerfs hypoglosses. Chez l'homme (d'après une communication orale de Mislavsky), la disposition serait plutôt celle que l'on trouve chez le chat.

[ocr errors]

J. Gad, physiologiste allemand contemporain, professeur à l'Université allemande de Prague. Marinesco, médecin roumain contemporain, professeur de neuropathologie à l'Université de Bucarest.

2. J. Rosenthal, physiologiste allemand contemporain, professeur à l'Université d'Erlangen.

respiration; mais cette inhibition est passagère. Au contraire, l'arrèt des mouvements respiratoires produit par l'ablation de la zone même de Legallois est définitif; d'autre part, la diminution des mouve ments respiratoires, consécutive au refroidissement du bulbe et leur cessation consécutive au mème refroidissement, quand il est plus intense, ou à la cocaïnisation locale, ne peuvent être dus qu'à la diminution ou à la

[graphic]

perte de l'activité d'un centre bulbaire; enfin, le fait de l'hémiplégie respiratoire permanente, consécutive à l'hémisection de la moelle cervicale supérieure, est une preuve directe et des plus fortes de la dépendance dans laquelle se trouvent vis-à-vis du bulbe les centres spinaux des muscles respirateurs.

Le centre respiratoire bulbaire nous apparaît conséquemment comme

Fig. 145.- Dissociation des mouvements expiratoires du thorax et de l'abdomen sous l'influence du chloral (V. Aducco). T, mouvements du thorax; A, mouvements de l'abdomen, sur un chien, après injection intraveineuse de 3 grammes d'hydrate de chloral.

Les lignes descendantes du tracé A correspondent à des expirations actives. Les légers mouvements du tracé T sont passifs.

un appareil nerveux autonome qui commande aux centres segmentaires des muscles respiratoires et assure leur synergie, de telle sorte que ces muscles n'agissent que pour autant que les connexions qui unissent leurs nerfs à cet appareil sont intactes. On verra plus loin quels sont les excitants qui mettent en jeu son activité.

Ce centre serait formé en réalité de deux parties, d'un centre inspirateur et d'un centre expirateur, fonctionnant alternativement et rythmiquement, puisque l'inspiration et l'expiration se font en vertu de coordinations propres. On a vu, en effet, que les mouvements expiratoires sont en partie des mouvements actifs. Et l'on verra un peu plus loin que l'excitation du principal nerf sensible de la respiration, du pneumogastrique, peut donner lieu uniquement à des réactions expiratoires. Enfin, une preuve de cette duplicité du centre respiratoire serait dans la dissociation, sous l'influence du chloral par exemple (expériences de V. Aducco sur le chien), des

puissances expiratoires thoraciques et abdominales (le chloral pouvant paralyser, au moins temporairement, l'activité des centres inspirateurs et expirateurs thoraciques, celle des centres des muscles expirateurs abdominaux étant conservée et même exaltée, comme le montre la figure 145) '.

C. Relations du centre respiratoire bulbaire avec les parties du système nerveux central situées au-dessus et audessous du bulbe. Dans le bulbe seul se trouve un centre respiratoire autonome, à action continue et manifeste dans toutes les conditions physiologiques, suffisant par lui-même au maintien d'une respiration efficace. Cependant le cerveau et la moelle exercent une action respiratoire.

1. Le cerveau exerce une influence constante sur la respiration. Mais quelle est la nature de cette influence? Les expériences de Legallois l'indiquent bien. Ce n'est qu'une influence surajoutée. Tandis que la section sous-bulbaire, pratiquée chez l'animal adulte et dont le système nerveux fonctionne à la température normale, supprime toute respiration thoracique, en laissant persister les mouvements de la face (gueule, naseaux, narines, etc.), la section en coupes sériées du cerveau laisse, au contraire, la respiration thoracique persister, avec des altérations de fréquence ou de rythme qui seront examinées plus loin, et cette respiration suffit, chez les Mammifères ou les Oiseaux écérébrés, au maintien de la vie. — L'excitation électrique de l'écorce cérébrale, en des points divers de la zone dite motrice, détermine soit une augmentation, soit une diminution de fréquence des mouvements respiratoires, c'est-à-dire des réactions variables, sans doute selon l'excitabilité de l'écorce elle-mème ou selon l'état des organes périphériques. Ces excitations se transmettent au centre bulbaire soit directement, soit par l'intermédiaire des couches optiques et des tubercules quadrijumeaux postérieurs.

De ces faits il est légitime de conclure qu'il n'existe pas de centres cérébraux proprement dits, à action initiale et suffisante, ce qui n'empêche nullement un retentissement possible et important de la vie constante et intense des organes cérébraux sur les centres bulbaires respiratoires (voy. plus loin, p. 571).

2. Plusieurs physiologistes, à la suite de Brown-Séquard (1858), ont admis l'existence de centres respiratoires spinaux.

1. Il se pourrait cependant que cette action du chloral consistât en une dissociation, non pas des activités du centre respiratoire bulbaire, mais des activités spinales, c'est-à-dire du fonctionnement des divers centres médullaires des mus cles inspirateurs. C'est là du moins une interprétation plausible.

« AnteriorContinuar »