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5° Fixation et formation de matières protéiques par le foie.

Nous avons à étudier maintenant le rôle du foie vis-à-vis des matières albuminoïdes.

A. Le foie, organe fixateur de matières albuminoïdes. Nous retrouvons ici le même pouvoir de fixation que nous venons de constater pour les sucres et pour les graisses. Sur ce point cependant les faits sont moins nombreux.

1o C'est peut-être dans une observation de Claude Bernard qu'il faudrait placer l'origine de nos connaissances à cet égard. En injectant de l'ovalbumine dans la veine jugulaire d'un lapin, l'illustre physiologiste vit cette substance passer dans l'urine; mais en faisant l'injection dans la veine porte, il ne la retrouva pas dans l'urine; elle avait donc été retenue et probablement ensuite modifiée par le foie.

2o Des animaux, soumis d'abord au jeûne de façon qu'ils épuisent à peu près leur réserve de glycogène, sont nourris ensuite avec de l'albumine à peu près pure (chair de morue, qui est extrêmement pauvre en glycogène et en graisse [Pflüger]); on constate, au bout de trois à quatre semaines, que le poids du foie a presque doublé, ainsi que la quantité des matières azotées du foie, tandis que le poids du corps n'a pas changé.

Des recherches ultérieures seront évidemment utiles pour nous fournir des renseignements plus copieux sur cette importante question de la fixation des albuminoïdes par le foie. Dès maintenant cependant, cet organe apparaît comme un lieu de dépôt pour ces substances.

B. Le foie, organe formateur de matière fibrinogène. On a vu page 326 que c'est dans le foie que se produit le fibrinogène. On ne sait pas encore avec quelles substances et par quel mécanisme la cellule hépatique forme cette globuline.

C. Le foie, organe formateur de substances anticoagulantes. Nous avons déjà étudié (voy. p. 351-353) la fonction anticoagulante du foie.

6o Fonction uréopoiétique du foie.

Parmi les produits de désassimilation des albuminoïdes, le principal, chez les Mammifères, est de beaucoup l'urée, puisque c'est sous cette forme que s'éliminent les 80 à 90 centièmes de l'azote de ces matières. Et comme la question de la désassimilation des albuminoïdes est une des plus importantes de la physiologie de la

nutrition, il est manifeste que cette partie de la question qui concerne la formation de l'urée offre le plus grand intérêt. Or, l'urée est formée, sinon exclusivement, du moins pour la plus grande partie, par le foie.

Il y a longtemps que la question du rôle du foie dans la formation de l'urée a été posée. «<ll existe certainement, écrivait Bouchardat 1 en 1846, dans son Annuaire de thérapeutique, une relation qu'on trouvera un jour entre les fonctions du foie et la production de l'urée. » Voyons d'abord comment on a démontré que le foie est le lieu de formation de l'urée, puis nous essaierons de déterminer le mécanisme de ce phénomène.

A. Formation de l'urée dans le foie. Les preuves sont excellentes du rôle absolument prépondérant du foie dans la production de l'urée 2.

1° En faisant passer à plusieurs reprises du sang défibriné à travers le foie séparé du corps (application de la méthode des circulations artificielles [voy. p. 338]), on a vu que ce sang devient de plus en plus riche en urée (expériences faites pour la première fois par E. de Cyon en 1870). Dans une expérience, le sang qui contenait 08o,08 d'urée par litre, en contenait, après un passage à travers le foie, 08,14 et, après quatre passages, 08,176, c'est-à-dire plus du double. Si, comparativement, on fait de semblables circulations artificielles à travers des muscles ou à travers les reins, on ne constate que des variations insignifiantes dans la proportion d'urée (Waldemar von Schröder, 1882).

2. La suppression de la fonction hépatique par ligature des vaisseaux

1. A. Bouchardat (1806-1886), médecin français, fut professeur d'hygiène à la Faculté de médecine de Paris.

2. Nous laisserons de côté quelques faits qui ont été souvent considérés comme très probants à cet égard. Telle est l'observation de Heynsius* (1859) sur la moindre proportion d'urée dans le foie frais que dans le foie séparé du corps et conservé pendant quelque temps. Cette expérience fut reprise et perfectionnée par Ch. Richet (1894) qui appliqua à la recherche de l'urée le procédé du foie lavé en lavant le foie d'un animal tué par hémorragie et faisant passer par la veine porte une solution stérilisée de chlorure de sodium, il y trouve une faible proportion d'urée, o8,2 par kilogramme d'organe; mais plongeant un fragment de ce foie dans la paraffine à 100° pour détruire les germes extérieurs et refroi dissant très rapidement, puis portant à l'étuve à 38°, il trouve, au bout de quatre heures, o8,8 d'urée par kilogramme de tissu hépatique. La formation d'urée se continuerait donc, dans ces conditions, dans les cellules hépatiques. Mais, outre qu'il se pourrait que le corps décelé et dosé ainsi dans le foie ne fût pas de l'urée, mais un acide aminé dérivant du glycocolle (d'après les recherches de O. Lovi, 1898), la production d'urée, dans l'expérience de Ch. Richet, paraît être due à un phénomène d'autolyse. Nous savons en effet aujourd'hui que beaucoup d'organes contiennent des ferments protéolytiques qui manifestent leurs propriétés dès les premiers moments qui suivent la mort (autolyse), transformant les albuminoïdes de leurs cellules en produits de digestion, acides aminés, ammoniaque, urée. Et Richet lui-même, dans d'autres recherches faites aussi en 1894 et (avec A. Chas sevant) en 1897 et 1898, a extrait du foie une diastase uréopoiétique.

A. HEYNSIUS (1831-1883), physiologiste hollandais.

de l'organe diminue la quantité d'urée des urines (expériences de W. von Schröder, 1882). Au contraire, l'extirpation des reins amène une accumulation d'urée dans le sang', puisque cette substance ne peut plus s'éliminer; or, ce phénomène ne se produit plus, si on a préalablement lié les vaisseaux hépatiques ou extirpé le foie. Une modification intéressante de cette expérience est due à M. Kaufmann (1894); par la ligature de

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Fig. 157.

-

- A, schéma de la fistule d'Eck. B, mode d'abouchement des deux veines.
up, veine porte; - vh, veines suš-hépatiques ; — 1, ligature

ve, veine cave inférieure ; de la veine porte contre le foie. l'aorte et de la veine cave inférieure dans la poitrine, en avant du diaphragme, le foie et les reins sont simultanément supprimés 2; toutes les parties situées en avant de la ligature continuent naturellement à recevoir du sang; mais ce sang, circulant exclusivement dans le train antérieur de l'animal, ne peut se débarrasser de son urée; les changements de sa teneur en cette substance ne proviendront donc que des tissus. Or, on constate qu'après plus d'une heure de circulation la proportion d'urée de ce sang n'a presque pas augmenté. Il suit de là que la plus grande partie de l'urée est formée dans un organe situé en arrière de la ligature, c'est-à-dire dans le foie.

3o Chez les animaux sur lesquels on a établi une fistule d'Eck3 (voy. fig. 157), c'est-à-dire pratiqué l'abouchement de la veine porte avec la

1. Chez les animaux néphrotomises, on trouve beaucoup plus d'urée dans le foie que dans n'importe quel autre organe. Ce qui peut encore servir de preuve du rôle du foie dans la formation de ce corps.

2. Les chiens ne survivent pas plus d'une heure à cette opération.

3. C'est en 1877 que le médecin russe N. V. Eck imagina cette remarquable opération. Le physiologiste russe J. J. Stolnikov la répéta en 1882. Ces deux expérimentateurs purent conserver pendant plusieurs jours quelques-uns de leurs opérés (chiens); un des chiens opérés par Eck survécut même deux mois et demi. Mais les phénomènes présentés par ces animaux ne furent pas étudiés. On doit cette étude aux recherches méthodiques, patientes et sagaces de Nencki et Pavlov, aidés de leurs élèves M. Hahn et V. Massen (1892, ou J. Zaleski (1894), et de Nencki et Pavlov (1897). Ce sont les résultats de ces recherches que nous résumons ci-dessus et un peu plus loin (voy. p. 621).

veine cave inférieure, après ligature de la veine porte contre le foie, de manière à empêcher tout accès du sang veineux à cet organe, la quantité d'urée de l'urine diminue beaucoup. Chez les mêmes animaux, sur lesquels on a ensuite lié l'artère hépatique, la diminution de l'urée est encore plus considérable. Chez ceux sur lesquels on pratique l'extirpation du foie (un chien survit quatre heures environ à l'extirpation des 5/6 du foie), il en est de même. Ainsi, malgré la suppression de toute circulation hépatique, ce qui amène rapidement la quasi suppression des fonctions de l'organe, ou malgré l'ablation même du foie, il se produit encore un peu d'urée; cette production, à la vérité, est, dans ces deux conditions, extrêmement faible. 4o Dans les maladies du foie chez l'homme, dans celles du moins qui amènent une insuffisance fonctionnelle très marquée, l'hépatite interstitielle, la cirrhose atrophique, le cancer ou la dégénérescence amyloïde, la dégénérescence graisseuse, la quantité d'urée des urines diminue toujours et souvent diminue beaucoup. Il est clair que ce phénomène doit varier, suivant que la destruction du tissu hépatique est plus ou moins étendue.

B. Modes de formation de l'urée. Si la question du lieu de formation de l'urée est importante, celle de savoir avec quelles substances et par quels processus le foie forme ce corps ne l'est pas moins. C'est là un problème étroitement lié à celui de la désintégration des matières albuminoïdes.

L'urée se produit dans le foie aux dépens de plusieurs substances, mais d'abord et principalement aux dépens des acides aminés et de l'ammoniaque qui en provient.

LE FOIE.

a. TRANSFORMATION DES ACIDEs aminés et de L'AMMONIAQUE EN URÉE DANS - La décomposition des albuminoïdes de l'alimentation ou des tissus commence par un dédoublement hydrolytique qui scinde la molécule en fragments nombreux (voy. p. 215 et 242), dont les principaux sont constitués par les acides aminés, tant monoaminés (leucine, tyrosine, alanine, etc.) que diaminés (lysine, arginine, histidine); c'est là la très grosse fraction des morceaux que donne le clivage de l'albumine. Par quel mécanisme les acides aminés fournissent-ils de l'urée ?

1. On a trouvé dans divers organes et notamment dans le foie des diastases qui séparent l'azote des acides aminés sous forme d'ammoniaque; cette «< désamidation »>1 dégage donc l'azote de l'amino-acide

1. Ainsi l'alanine introduite dans l'organisme est transformée en acide lactique :

CH3-CH- AzH2 — COOH + H2O = AzH3 + CH3 — CHOH — COOH.
Alanine.
Acide lactique.

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Et cette réaction a été observée pour d'autres acides aminés. D'autre part, on a montré que la diastase désamidante du foie et d'autres organes sépare à l'état d'ammoniaque l'azote du glycocolle, de la leucine, de la tyrosine, etc. (S. Lang, 1904).

qui devient dès lors un simple acide gras dont la destinée se confond avec celle des acides gras et des graisses; quant à l'ammoniaque produite, elle va engendrer l'urée, soit que l'organisme l'unisse directement à de l'acide carbonique :

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soit qu'il dérive l'urée de carbonate d'ammoniaque préalablement formé :

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Dans les deux cas, il y a synthèse totale de l'urée avec déshydratation. 2. D'autre part, on a obtenu in vitro du carbamate d'ammoniaque par oxydation des acides aminés; il est donc possible que ceux-ci donnent par oxydation dans le foie du carbamate d'où provient ensuite l'urée par déshydratation :

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d'un amino-acide se fixât un autre AzH2 et que par une oxydation concomitante il se formât de l'urée (synthèse partielle avec oxydation); on a par exemple montré que l'oxamate de sodium donne in vitro de l'urée par oxydation par le permanganate de potassium :

AzH2

COCOONa+ AzH3 + O = CO

AzH2
AzH2

+ CO3NaH.

Il faut chercher maintenant les preuves de cette transformation dans le foie des acides aminés et de l'ammoniaque. Voici celles qui concernent les acides aminés.

1o Chez des animaux en équilibre azoté l'ingestion ou l'injection intraveineuse de glycocolle ou de leucine (voy. ce que nous avons dit de ces corps p. 33) ou d'acide aspartique détermine une augmentation de l'urée des urines.

2o En faisant circuler à travers le foie isolé du sang défibriné auquel on ajoute une proportion donnée d'un acide aminé, on constate que ce sang s'enrichit en urée, d'une quantité qui approche plus ou moins de la quantité théorique que fournit la transformation dudit acide en urée et qui peut même l'atteindre.

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