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dans le sang un excès de substances assimilables, celles-ci sont entreposées comme réserves; si, à un autre moment, l'organisme n'en reçoit pas assez, il consomme ses réserves. D'autre part, les ingestions sont intermittentes et cependant la composition du milieu intérieur reste relativement constante; c'est que par l'intermédiaire du sang il s'établit des rapports entre les différents départements de l'organisme; en tel lieu diverses substances sont emmagasinées et reparaissent dans le sang au fur et à mesure des besoins des autres tissus. La nutrition n'est donc guère immédiate, c'est-à-dire n'utilise guère les principes fournis par l'absorption intestinale; la plupart de ceux-ci sont entreposés dans divers organes pour repasser plus tard dans le milieu intérieur en quantité variable suivant les nécessités fonctionnelles.

III. ASSIMILATION ET DÉSASSIMILATION.

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La faculté que possède tout élément anatomique vivant d'être en relation d'échange continu avec le milieu qui le baigne, d'attirer les principes constitutifs de ce milieu, de se les incorporer pour un temps, puis de les rejeter après leur avoir fait subir diverses modifications, cette faculté est la propriété commune et la plus essentielle de toute substance vivante. Grâce à ce double mouvement continu de combinaison et de décombinaison que présentent les éléments anatomiques sans se détruire, il se fait dans ces éléments, et par suite dans l'édifice organique tout entier, une perpétuelle circulation de matière; c'est ce mouvement d'assimilation et de désassimilation que Cuvier désignait par le nom de tourbillon vital. Mais il faut bien remarquer que, contrairement à ce que croyaient les biologistes du temps de Cuvier, ce n'est pas la substance proprement vivante, le protoplasma cellulaire, qui est entraîné dans ce tourbillon; ce ne sont que les matières élaborées par le protoplasma et entreposées en quelque sorte sous forme de graisse et de glycogène qui sont ainsi incessamment détruites et renouvelées. On reviendra plus loin sur cette distinction fondamentale.

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« Le sang est l'agent ou le milieu de tous les phénomènes de nutrition il fournit les matériaux de réparation que la digestion renouvelle sans cesse; il reçoit et entraîne vers les organes d'expulsion les matériaux qui ont rempli leur rôle biologique. La nutrition consiste donc en un double échange, entre le sang et les tissus d'une part, entre le sang et l'extérieur d'autre part. D'une manière

1. G. Cuvier (1769-1832), célèbre naturaliste français, un des plus grands maîtres de l'anatomie comparée, le créateur de la paléontologie.

plus générale, la nutrition est l'ensemble des échanges qui s'opèrent entre l'organisme vivant et le milieu qui l'entoure. Le Stoffwechsel (échange de matière) des Allemands l'exprime en un seul mot1. >>

Les deux actes d'entrée et de sortie des matières qui prennent part, pour un temps plus ou moins long, à la composition des éléments anatomiques vivants, ces deux actes sont entièrement mêlés l'un à l'autre et s'accomplissent le plus souvent simultanément; cependant il est certaines périodes où les phénomènes d'entrée prédominent, d'autres où les phénomènes de sortie sont plus accentués. Les premiers sont désignés sous le nom d'assimilation ou anabolisme, parce que, par ces actes, des substances plus ou moins différentes de celles de l'élément vivant deviennent semblables à ces dernières ou tout au moins leur sont incorporées; et les seconds par le nom de désassimilation ou catabolisme, parce qu'alors les principes qui faisaient partie de la substance des éléments cessent d'être semblables à celle-ci et s'en séparent, devenant de la matière usée, improductive d'énergie, comme la matière minérale, bref de la matière morte.

L'assimilation et la désassimilation ont été déjà définies (voy. p. 107). Il est à remarquer que ce qui a été dit de l'assimilation s'applique surtout aux matières minérales et protéiques qui font partie constitutive des protoplasmas. Le glycogène déposé dans le foie ou dans les muscles n'est que le matériel d'où l'organisme tire l'énergie nécessaire à sa vie; ce n'est qu'une matière de réserve. Et la graisse, même celle qui est passée à l'état de tissu adipeux et que l'on qualifie souvent de graisse fixe, n'appartient pas réellement non plus au protoplasma vivant. Exception doit être faite cependant pour les lécithines. C'est donc spécialement aux échanges protéiques que convient le mot d'assimilation, celle-ci étant « la production par l'être vivant d'une substance identique à la sienne » (Ch. Robin).

Là, par conséquent, est la caractéristique de la vie et là aussi par conséquent le secret de l'hérédité. Le renouvellement ou l'accroissement de matière vivante qui résulte de l'ensemble des réactions et des synthèses, en lequel consiste l'assimilation, est absolument spécifique et cette spécificité concerne l'individu non moins que l'espèce. Dans les ètres d'une espèce donnée, la matière vivante nouvellement formée est spécifiquement distincte par sa composition chimique, par sa structure et par ses fonctions de celle des êtres vivants de toutes les autres espèces. Dans les êtres de même espèce, les cellules de chaque tissu ou organe créent semblablement les substances spécifiques de leur protoplasma, quoique tous les organes soient

1. J. Béclard, Traité élémentaire de physiologie, 7o édition, t. 1, p. 714, Paris, 1880. J. Béclard (1817-1887), ancien professeur de physiologie à la Faculté de médecine de Paris.

GLEY.

Physiologie.

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nourris des même plasmas; ainsi avec les communs matéraux de ces plasmas elles ont la faculté de former, chacune, sa propre et spécifique substance 1.

Le mécanisme intime de ce processus essentiel de la vie nous échappe. Mais nous possédons du moins un ensemble de données précises sur le sort des différents principes alimentaires dans l'organisme.

1. Assimilation de l'eau et des matières minérales.

L'eau, les sels solubles et l'oxygène sont directement assimilés. Ce n'est pas à dire pourtant que tous les sels absorbés pénètrent jusqu'aux tissus, tels qu'ils ont été ingérés, sans avoir subi de modifications; le phosphate de chaux des os, par exemple, provient du carbonate de chaux des aliments qui se décompose dans le tube digestif en présence des phosphates acides; le phosphate de chaux formé passe dans le sang et de là dans les tissus. A fortiori, les substances minérales combinées à des matières organiques ne peuventelles être assimilées sans que les combinaisons dont elles font partie n'aient été plus ou moins profondément désagrégées.

Cette assimilation est éminemment élective. Chaque organe choisit ses matières minérales, les glandes digestives le chlorure de sodium, le foie et la rate le fer, la glande thyroïde l'iode, les glandes génitales le phosphore, le système nerveux le phosphore, le calcium et le magnésium, etc. Nous ignorons comment se fait cette fixation si variable suivant les organes.

Nous avons montré (p. 132 et suiv.) le rôle de l'eau et des substances minérales et la répartition de celles-ci dans l'organisme.

2. Assimilation et désassimilation des hydrates de carbone.

Nous connaissons le sort des hydrates de carbone; nous savons que de la glycose qui en provient une partie peut être brûlée immédiatement (voy. p. 544), mais qu'une autre partie se transforme en glycogène et que cette matière, déposée surtout dans le foie et aussi dans les muscles, repasse à l'état de glycose en quantité variable suivant les besoins de l'organisme (voy. p. 602).

1. Cette spécificité est donc d'ordre chimique. « C'est, a dit fortement Armand Gautier (Cours de chimie, t. III, Chimie biologique, p. 7-8, Paris, 1892), dans la structure et l'organisation des molécules chimiques dernières qui composent les protoplasmes, ainsi que dans le mode d'association de ces molécules, qu'il faut chercher l'origine et la cause de la succession des phénomènes élémentaires de la vie... Dès qu'on fait varier la molécule intégrante, on fait varier le mode de réagir et l'organisme tout entier. Le fonctionnement vital n'est donc que la conséquence lointaine des fonctions chimiques de la molécule.

La glycose est oxydée, principalement dans les muscles, en donnant finalement de l'acide carbonique et de l'eau. Mais il se forme des produits intermédiaires, acides formique, acétique, lactique, butyrique. La présence d'acide lactique dans les muscles, et surtout dans les muscles qui ont travaillé, donne à penser que ce corps provient en effet de la destruction du sucre. Mais, comme ces acides peuvent se former aussi dans la destruction des albuminoïdes (voy. p. 682), il est difficile d'établir la part de la glycose dans leur production totale. A ces produits intermédiaires appartient aussi l'acide glycuronique :

COH

(CH.OH)

produit d'oxydation de la glycose (?).

Utilisation des hydrates de carbone. La quantité de glycose que le foie verse dans le sang en vingt-quatre heures est considérable; on peut l'évaluer approximativement à 10 grammes par kilogramme de poids vif, soit, pour un homme de taille moyenne, à 600 grammes. Comme l'urine n'en contient point, il faut donc admettre qu'elle est entièrement utilisée.

A quoi est employé tout ce sucre? S'il était intégralement oxydé, il fournirait plus des trois quarts de la chaleur produite dans l'organisme. Mais il y en a une partie qui se transforme en glycogène, soit dans le foie, soit dans les muscles. Une autre partie peut se transformer en graisse (voy. plus loin, p. 661). Le rôle énergétique du sucre n'en reste pas moins de première importance, puisque dans la ration alimentaire ce sont les hydrates de carbone qui fournissent la majeure partie de l'énergie dépensée par l'organisme (de 51 à 67 p. 100 environ, d'après les chiffres de Rubner, 1885). Des expériences directes ont d'ailleurs montré que toute activité musculaire sollicite une suractivité de la fonction glycémique du foie expériences de Chauveau sur l'augmentation de la glycose du sang pendant le travail des muscles masticateurs (chez le cheval); expériences de Külz1 sur la disparition rapide du glycogène restant dans le foie d'un chien inanitié, si l'on fait travailler cet animal. Pour la chaleur et le travail mécanique qu'il produit, l'organisme utilise donc surtout du sucre.

1. R. Ed. Külz (1845-1895), physiologiste allemand, connu surtout par ses recherches sur le diabète.

3.

Assimilation et désassimilation des graisses.

Nous avons vu, en étudiant la digestion des graisses, que celles-ci sont décomposées en glycérine et acides gras et absorbées à cet état (voy. p. 281). C'est en partie avec ces éléments que l'organisme reconstruit les graisses de ses tissus. Ici apparaît bien le travail de synthèse qui caractérise l'assimilation. Mais l'organisme fait aussi des graisses avec d'autres substances.

1o Origines de la graisse.

Il s'agit de savoir quelle part prennent à la formation de la graisse les graisses mêmes, les hydrates de carbone et les protéiques de l'alimentation.

A. Formation de la graisse aux dépens des graisses alimentaires et des acides gras. — La graisse des animaux d'une espèce donnée présente une composition chimique déterminée, mélange à proportions à peu près fixes de trioléine, de tripalmitine et de tristéarine, et cette composition, quelles que soient les graisses de l'alimentation, ne varie guère. Cela est vrai, mais non pas absolument. Et l'organisme possède la faculté de modifier la composition de sa graisse; on a vu plus haut (p. 654)1, en effet, qu'il peut fixer des graisses qui lui sont étrangères; celles-ci, absorbées, sont simplement déposées dans divers organes.

La part des graisses alimentaires dans la production des graisses de l'organisme peut être importante. On le démontre par des expériences du genre de celle-ci.

On fait jeuner un chien de façon qu'il perde presque toute sa graisse. Cette réserve est épuisée quand l'élimination de l'azote urinaire subit une brusque augmentation (voy. p. 157). A l'animal ainsi dégraissé on donne pendant cinq ou six jours une grande quantité de lard et très peu de viande. On le sacrifie alors. On constate qu'il a fixé la moitié de la graisse ingérée. Il est impossible que cette quantité provienne de la transformation des protéiques alimentaires, donnés parcimonieusement, ou des protéiques de l'organisme, l'élimination azotée n'ayant à aucun moment subi un accroissement révélateur d'une destruction exagérée correspondant à cette production de corps gras.

1. Aux faits cités, on pourrait en ajouter d'autres. Ainsi les expériences sur le chien que nous avons relatées ont été réalisées aussi sur le lapin avec le même résultat; on a même constaté qu'il est possible de modifier les caractères de la graisse des Poissons en faisant ingérer à ces animaux (Carpes, Dorades) de la graisse de mouton. D'autre part, on a montré que les graisses alimentaires peuvent passer dans le lait (huile de lin, huile d'olive, etc.).

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