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proposition dans l'hypothèse de Th. Young, nous dirions que, par exemple, nous avons la sensation du rouge saturé lorsque la fibre élémentaire, l'organe terminal élémentaire qui correspond à l'excitation du rouge, entre absolument seul en activité. Or, si la théorie est vraie, nous ne devrions jamais avoir la sensation d'une couleur saturée, puisque, d'après cette hypothèse, si la lumière rouge excite énergiquement l'élément qui correspond au rouge, elle excite aussi, quoique à un bien plus faible degré, ceux qui correspondent au vert et au violet. Toute lumière rouge, produisant l'excitation du rouge, devra donc être mêlée toujours d'une quantité, infiniment petite, il est vrai, de vert et de violet. C'est ce qui a lieu en effet. Un artifice expérimental ingénieux permet d'isoler le rouge maximum, que nous avons pris pour exemple, de toute trace des deux autres couleurs; il suffit pour cela d'émousser la sensibilité de l'œil pour ces deux dernières, c'est-à-dire de fatiguer, de rendre inexcitables les éléments rétiniens du vert et du violet; alors la lumière rouge ne mettra en action que le seul élément rétinien du rouge, et nous aurons la perception du rouge saturé. Si donc nous fatiguons une partie de la rétine par une longue contemplation du vert bleuâtre du spectre, et que nous rendions ainsi cette partie de l'œil aveugle à la fois pour le vert et pour le violet, lorsque nous porterons immédiatement ensuite le regard sur un rouge spectral aussi pur que possible, la portion de ce rouge qui viendra impressionner la partie précédemment fatiguée de la rétine nous paraîtra d'un rouge saturé intense, d'un rouge plus pur que le reste du rouge spectral qui l'environne, et qui est pourtant le rouge le plus pur que le monde extérieur puisse nous offrir.

Nous aurons à revenir plus loin sur les diverses expériences de ce genre dans lesquelles sont mis en jeu la fatigue, l'épuisement de l'excitabilité de la rétine pour certaines parties du spectre. Indiquons seulement ici ce fait que, si une partie de la rétine est fatiguée pour une couleur, pour le rouge, par exemple, lorsque sur cette partie viendra se peindre une image blanche, la rétine ne donnera pas lieu à une impression de lumière blanche, mais bien à une impression de lumière d'un vert violet, puisque dans le blanc, composé de rouge, de vert et de violet, elle ne sera plus excitée par le rouge, mais seulement par le vert et le violet; en un mot, dans le cas de vision de la lumière blanche, la rétine ne sera excitée que par la couleur complémentaire de celle pour laquelle elle est fatiguée.

La théorie de Th. Young a paru propre également à expliquer les anomalies connues sous le nom d'achromatopsies 1. Chez quelques personnes, la rétine n'est sensible qu'à deux ou qu'à une des trois couleurs élémentaires (achromatopsie partielle). Parmi les nombreuses formes de cécité des couleurs étudiées par les ophtalmologistes, le cas le plus fréquent est celui d'achromatopsie pour le rouge ou anérythroblepsie 2. Chez ces sujets,

1. On confond trop souvent l'achromatopsie avec un autre trouble de la perception des couleurs, la dyschromatopsie, qui consiste proprement en ce qu'une ou plusieurs ou toutes les couleurs ne sont point distinguées avec un éclairage médiocre et ne sont reconnues qu'à une lumière très vive.

2. L'achromatopsie pour le rouge est dite encore daltonisme, du nom de Dalton, physicien et chimiste anglais (1769-1844), célèbre par ses découvertes dans les sciences physiques, et par l'étude qu'il fut le premier à faire de cette singulière infirmité de la vision dont il était atteint.

la lumière rouge est comme si elle n'existait pas; par suite, toutes les différences de couleurs paraissent, pour les couleurs de peinture, les différences de jaune et de bleu; pour les couleurs du spectre, les différences de vert et de violet : « Les fleurs rouge écarlate du géranium leur paraissent du même ton que les feuilles de cette plante; ils ne peuvent distinguer entre elles les lanternes rouges et vertes qui servent de signaux sur les chemins de fer; le rouge écarlate très saturé leur paraît presque noir, à tel point qu'un prêtre écossais, affecté d'anérythroblepsie, se choisit un jour par mégarde du drap rouge écarlate pour une soutane. » On explique ces phénomènes dans la théorie de Th. Young, en admettant que, puisqu'il y a dans le nerf optique, ou dans ses éléments terminaux, des fibres sensibles au violet, d'autres au rouge, d'autres au vert, il suffit que l'une de ces espèces de fibres manque pour que le sujet soit condamné fatalement à ignorer la couleur correspondante.

Tout intéressantes que sont ces explications, elles ne doivent pas faire oublier la nature hypothétique de la théorie à laquelle elles se réfèrent. Cette théorie, en effet, n'a aucun fondement anatomique. D'autre part, au point de vue physiologique, elle est en contradiction avec ce fait que l'œil, sensible à toutes les couleurs dans sa partie centrale, y devient insensible dans ses parties périphériques. Enfin l'achromatopsie est incompréhensible dans cette hypothèse; sans doute les sujets atteints de cécité totale des couleurs, et qui ne distinguent que les degrés de clair et d'obscur, voyant les objets tels que les représente la photographie, sont extrêmement rares, mais enfin il en a été observé; dès lors, comment serait-il possible de considérer le blanc, que voit une rétine absolument insensible aux couleurs, comme le résultat de trois sensations chromatiques fondamentales?

Une autre théorie a été proposée pour expliquer les sensations de couleurs, c'est celle de Hering (1872-1874). Il y aurait dans la rétine trois substances différentes, de la formation ou de la décomposition desquelles résulteraient les sensations chromatiques. L'une de ces substances se détruit sous l'action de la lumière blanche; à ce processus chimique de composition correspond donc la sensation de blanc, et au processus inverse, c'est-à-dire à la formation de cette substance, correspond la sensation de noir. La formation des deux autres substances donnerait le vert ou bleu, et leur destruction le rouge ou le jaune. La théorie de Hering n'est pas moins hypothétique que celle de Young-Helmholtz.

3o Sensibilité visuelle. Outre les sensibilités lumineuse et chromatique, il existe une troisième fonction rétinienne élémentaire.

Quand on éclaire un point avec le minimum de lumière qui puisse assurer la vision, on aperçoit ce point sous la forme d'une tache diffuse, plus large que l'objet, à bords indistincts, confusément

éclairés; c'est seulement avec un éclairement plus intense qu'on perçoit l'objet avec netteté et avec sa forme (expérience de A. Charpentier, 1880).

Il résulte de là que, dans la vision d'un objet, il y a deux phases distinctes, celle de la perception brute et celle de la perception nette ou perception visuelle proprement dite. A ce dernier mode de sensibilité, A. Charpentier a donné le nom de sensibilité visuelle. Et l'on pourrait qualifier de minimum visuel la plus petite quantité de lumière qui doit éclairer deux points lumineux pour les rendre distincts l'un de l'autre.

Outre l'expérience fondamentale qui vient d'être indiquée et qui permet de différencier cette forme de sensibilité, voici d'autres faits par lesquels se complète cette différenciation le repos de l'œil (maintien de l'œil à l'obscurité) exalte la sensibilité lumineuse, mais ne modifie pas la visuelle, pas plus d'ailleurs que la chromatique ; — la sensibilité lumineuse ne varie pas avec les couleurs, tandis qu'il faut d'autant plus de lumière, pour l'exercice de la sensibilité visuelle, que l'on opère avec des couleurs plus éloignées du rouge, plus rapprochées du bleu violet; la sensibilité chromatique décroit régulièrement du centre à la périphérie de la rétine, la visuelle aussi, mais beaucoup plus vite.

Ainsi la sensibilité visuelle varie indépendamment des deux autres formes de la sensibilité rétinienne; elle en est distincte.

Faut-il, de tous ces faits, conclure qu'il existe trois ordres d'éléments rétiniens, différemment excitables, ou trois processus visuels distincts? Comment rendre compte de ces trois opérations physiologiques? Il ne paraît pas y avoir à ce sujet de théorie satisfaisante. On a vu en particulier, en ce qui concerne la vision des couleurs, quelle part d'hypothèse comprennent les théories émises pour en rendre compte.

c. ACUITÉ VIsuelle. CHAMP VISUEL. L'acuité visuelle est le pouvoir de la rétine de distinguer deux points lumineux et, d'une façon plus générale, de distinguer les objets. Elle peut se mesurer par la distance la plus grande à laquelle on distingue nettement les objets. Comme on ne voit nettement qu'avec la macula, l'acuité visuelle est l'expression de la vision centrale ou directe.

Mais nous voyons aussi les objets qui nous entourent avec les autres parties de la rétine. C'est la vision périphérique ou indirecte, et celle-ci nous donne donc l'ensemble des points de l'espace qui font impression sur la rétine, l'œil étant immobile. Tout cet espace embrassé par l'œil, c'est le champ visuel.

d. ADAPTATION RETINIENNE. C'est un phénomène qui s'applique surtout à la sensibilité lumineuse.

Quand on passe du grand jour à une obscurité relative, on ne voit d'abord rien, c'est un fait d'observation vulgaire ; au bout de quelques minutes, l'œil recouvre peu à peu sa sensibilité, et on finit par distinguer les objets. Inversement, lorsque, au sortir d'un endroit obscur, on passe dans un endroit éclairé, l'éblouissement que l'on éprouve montre bien que la sensibilité de l'oeil est d'abord exaltée; puis cette exaltation diminue, et on arrive à regarder sans fatigue les mêmes objets dont le vif éclairement était intolérable.

Ainsi l'excitabilité de la rétine s'accroît ou s'émousse sous l'influence de l'obscurité ou de la lumière. L'influence du repos de l'œil, dans l'obscurité, sur la sensibilité lumineuse, pour l'augmenter, peut s'expliquer par le fait de la présence, dans cet œil, d'un excès d'érythropsine; on sait, en effet, que la lumière décolore cette substance qui se régénère dans l'obscurité. Quoi qu'il en soit, l'appareil rétinien a la faculté de s'adapter à l'éclairage ambiant. C'est là ce que l'on appelle l'adaptation lumineuse, bien décrite d'abord par Aubert', puis par A. Charpentier, et qui est tout à fait distincte de l'adaptation dioptrique ou accommodation du système réfringent de l'œil aux distances des objets. En dehors de son intérêt propre, ce phénomène constitue un exemple remarquable d'un fait bien connu de physiologie générale, la capacité du système nerveux à s'adapter aux conditions extérieures, c'est-à-dire à se protéger et à maintenir la possibilité de son fonctionnement par une variation de son activité, inverse de la variation du milieu.

e. INERTIE RÉTINIENNE. Tout appareil organique présente un degré d'inertie que l'excitation appliquée à cet appareil doit vaincre pour que se produise la réaction. C'est ce que l'on observe lors de l'excitation d'un nerf quelconque. Du reste, la lumière blanche ou colorée n'agit pas immédiatement sur la rétine.

Si on présente à l'œil une très faible lumière dont on augmente graduellement l'intensité, il vient un moment où, pour un minimum donné, la sensation lumineuse se produit. Mais, si on affaiblit alors lentement la lumière pour laquelle cette sensation avait pris naissance, on constate qu'elle est encore perçue, quoiqu'elle ait perdu beaucoup de son intensité. On en conclut qu'il y a eu dans la production de la sensation lumineuse perte de lumière et que la quantité perdue a été employée à l'ébranlement de l'appareil visuel; l'inertie de ce dernier a ainsi été vaincue.

Cette inertie varie suivant la couleur de la lumière employée comme excitant; elle est plus grande pour les rayons plus réfrangibles. Sa valeur augmente donc dans le même sens que la réfrangibilité de la couleur excitatrice.

1. Hermann Aubert (1826-1892), zoologiste et physiologiste allemand, a surtout étudié l'optique physiologique, les fonctions de la rétine et l'innervation de l'appareil circulatoire.

Ces observations ont montré que la rétine ne se comporte pas autrement que les autres appareils nerveux. On sait que l'on entend un son qui s'éloigne de l'oreille à une plus grande distance qu'un son qui s'en rapproche; en d'autres termes, qu'il faut, pour provoquer la sensation auditive, une excitation plus intense que celle qui suffit à l'entretenir, une fois qu'elle a pris naissance. De même, l'excitation électrique sentie par la peau peut être graduellement diminuée, sans cesser d'être sentie.

La perte d'énergie employée à vaincre l'inertie rétinienne correspond à une perte de temps que l'on détermine; c'est le retard de la sensation sur l'excitation qui l'a provoquée.

2o Caractères des sensations.

Il est souvent difficile de faire ici la part de ce qui revient à la rétine et de ce qui revient au fonctionnement de l'appareil central, c'est-à-dire des centres nerveux visuels.

Intensité de la sensation. La sensation lumineuse ou chromatique est plus ou moins intense suivant l'intensité de l'éclairement. Nous verrons plus tard quel est le rapport que l'on peut établir entre l'intensité de l'excitation et celle de la sensation.

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Temps perdu de la sensation. La sensation se produit presque tout de suite après l'excitation; la période d'excitation latente, c'est-àdire l'intervalle de temps entre le moment de l'excitation et celui de la réaction, est extrêmement courte. Persistance des impressions rétiniennes. Quand la rétine a été excitée, l'impression ne disparait pas immédiatement; elle persiste quelque temps après que l'objet lumineux a cessé d'agir. Cette durée a été évaluée à 1/30-1/50 de seconde. Il suit de là que, si des impressions lumineuses très courtes se succèdent rapidement, elles finissent par se confondre en une impression continue.

Tout le monde sait qu'un charbon ardent agité vivement devant les yeux produit l'effet d'un ruban ou d'un cercle de feu, parce que l'impression qu'il a produite en passant devant un point de la rétine persiste encore lorsqu'il y revient après une révolution, et qu'ainsi ces impressions successives se continuent les unes avec les autres de manière à paraître ininterrompues. De même, lorsqu'une fusée est lancée dans les airs, elle paraît conduire à sa suite une longue traînée de feu; lorsqu'une voiture se meut avec une grande rapidité, les rais qui réunissent la circonférence des roues avec les moyeux disparaissent; lorsque les cordes vibrantes résonnent, elles paraissent amplifiées à leur partie moyenne et si, sur une telle corde on marque un point en blanc, ce point ressemble à une ligne. C'est sur ce fait de la persistance des images rétiniennes qu'est fondé l'emploi des disques rotatifs pour l'étude du mélange des couleurs. Suppo

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