Imágenes de páginas
PDF
EPUB

les 31 racines postérieures d'un côté du corps est de 653000; sur ce nombre il n'y a que 136 000 fibres environ de sensibilité profonde et plus de 500 000 de sensibilité cutanée.

Voyons maintenant quelles sont les preuves de cette systématisation.

Pour montrer de la manière la plus simple que la moelle conduit vers le cerveau les nombreuses impressions cutanées et musculaires qui donnent lieu aux sensations correspondantes, il suffit de la sectionner complètement dans le sens transversal, à la région thoracique, sur un animal quelconque: on peut alors porter sur le train postérieur toutes les excitations possibles. tactiles, thermiques et douloureuses, sans que l'animal manifeste la moindre sensation; les régions du corps sous-jacentes à la section sont anesthésiées.

Ceci posé, il s'agit de déterminer quelles sont les parties de la moelle qui conduisent les diverses impressions sensibles.

Tous les physiologistes, depuis Magendie, ont reconnu que les faisceaux blancs postérieurs sont directement excitables par les irritations les plus légères et que ces excitations donnent alors lieu à des réactions générales indiquant la douleur, en même temps que se produisent des mouvements réflexes énergiques. Rien d'étonnant à cela, puisque ces faisceaux représentent la continuation des fibres radiculaires postérieures.

Mais toutes les voies de la sensibilité, nous l'avons dit, ne sont pas formées par les cordons postérieurs. Que se passe-t-il en effet dans les expériences qui consistent soit à couper transversalement 1 toute la moelle à l'exception des faisceaux postérieurs, soit à couper ces derniers en respectant le reste de la moelle? Dans la première expérience, on constate l'abolition complète de la sensibilité à la douleur et de la sensibilité thermique et la conservation de la sensibilité tactile et musculaire. Dans la seconde expérience, ces deux dernières sont émoussées et même abolies, d'après Schiff et Herzen, ainsi que la sensibilité au froid, d'après Herzen, et la sensibilité au chaud et la douloureuse sont conservées.

Peut-on réaliser la contre-épreuve de ces expériences et détruire la substance grise seulement en laissant intactes les parties blanches qui l'enveloppent? Si l'on a présente aux yeux la forme de l'axe gris médullaire, on comprendra qu'une semblable opération peut être regardée comme impossible et que l'on ne doit accorder que peu de confiance aux expériences dans lesquelles on suppose l'avoir à peu près correctement réalisée. Il y a deux façons de la tenter. La première constitue la vieille expérience de Galien (répétée par Brown-Séquard), qui consiste à diviser la moelle longitudinalement sur une certaine hauteur au moyen d'une incision portant en son milieu. La sensibilité à la douleur est émoussée dans la portion du corps au-dessous de la lésion. Mais par ce procédé la destruction de la substance grise ne peut être complète. Quant à l'autre façon d'opérer, dans laquelle

1. En général, ces sections sont faites au niveau de la moelle dorsale, c'est-àdire dans la région de la moelle où ses différentes parties constitutives sont groupées de façon parfaitement définie.

on essaie de détruire transversalement toute la substance grise en traversant rapidement la substance blanche sur le côté de la moelle, Schiff, qui l'a employée le premier, en a reconnu lui-même toutes les difficultés, et d'abord qu'on ne peut l'effectuer sans léser en même temps les cordons latéraux. Quoi qu'il en soit, après la destruction aussi complète que possible de la substance grise, on a constaté la suppression de toute sensibilité dans les régions du corps sous-jacentes au niveau de la mutilation, sauf de la sensibilité tactile, partiellement conservée.

Laissons de côté cette expérience dont les résultats sont discutables en raison des conditions dans lesquelles elle peut être faite. Nous pouvons invoquer à l'appui de cette répartition des voies sensibles que nous venons d'indiquer les résultats des observations faites sur l'homme dans les cas d'ataxie locomotrice et dans la syringomyélie. Chez les ataxiques, chez lesquels les cordons postérieurs sont dégénérés, on observe des anesthésies, et surtout l'anesthésie profonde, c'est-à-dire la perte de la sensibilité musculaire, et, chez les syringomyéliques (voy. p. 811), la sensibilité à la douleur et la sensibilité thermique sont abolies, sans que soient altérées ni la transmission des impressions tactiles, ni celle des impressions kinésiques.

La substance grise paraît donc bien jouer un rôle dans la conduction des impressions douloureuses et des impressions thermiques. Ne se pourrait-il pas cependant qu'elle ne jouât ce rôle que parce qu'elle relie les fibres des racines postérieures aux faisceaux latéraux de la moelle? De fait, on a rapporté des cas de syringomyélie avec dégénérescence des cordons latéraux; et, par contre, des cas de destruction complète de la substance grise sur une certaine étendue dans la région cervicale, sans analgésie dans les membres postérieurs. D'autre part, nous avons déjà dit que, dans les expériences de destruction de la substance grise,(expériences de Schiff, de Vulpian), il était impossible de ne pas léser en même temps les cordons latéraux. Par un autre procédé, on est arrivé à supprimer la substance grise; pour cela on sectionne la moelle sur les trois quarts de sa surface transversale, de telle sorte qu'il ne reste qu'un cordon latéral, sans trace de substance grise; l'animal étant rétabli, on constate la persistance de la sensibilité à la douleur 1. Que si, au contraire, on pratique deux hémisections transversales de la moelle, à 8 ou 10 centimètres de distance, cette opération, qui interrompt la continuité des cordons latéraux sans interrompre celle de la substance grise, supprime la sensibilité douloureuse.

On est ainsi amené à conclure que, dans la transmission des impressions thermiques et douloureuses, la substance grise ne se comporte pas comme un véritable conducteur; elle n'y prend part qu'en qualité de relais, parce que, par l'intermédiaire de ses éléments cellulaires, les fibres des racines postérieures entrent en rapport avec les cordons latéraux. « Elle jouerait le rôle d'un pont reliant les deux rives d'un fleuve 2 ».

1. Ed. Bertholet, Les voies de la sensibilité dolorique et calorifique dans la moelle. Thèse de la Faculté de médecine de Lausanne, 1906, et Le Névraxe, VII, 285-326. 2. Ed. Bertholet, loc. cit., p. 323.

Autre preuve en faveur du rôle des faisceaux latéraux: pour abolir avec la sensibilité tactile la sensibilité douloureuse (et thermique), il faut sectionner et les cordons postérieurs et les cordons latéraux. Or, ceux-ci sont représentés par le faisceau sensitif latéral et le faisceau de Gowers! (voy. fig. 229). Les études histologiques ont montré comment se forment ces faisceaux; les fibres radiculaires de sensibilité, à leur entrée dans la moelle, s'épanouissent en partie en fascicules ascendants et descendants pour se terminer bientôt dans la subtance grise. C'est de celle-ci que naissent les fibres qui, passant dans les cordons latéraux, portent les

[blocks in formation]

Fig. 230. Schéma des voies conductrices de la sensibilité (et de la motricité volontaire dans la moelle épinière (Mathias Duval).

RP, racine postérieure ; - RA, racine antérieure ; G, ganglion spinal; - CS, cellule de la corne postérieure; CM, cellule de la corne antérieure; - 1, 1 et 2, 2, voies conductrices de la sensibilité; 3, 4, voies de la motricité volontaire.

[ocr errors]
[ocr errors]

impressions vers le cerveau. Les fibres de sensibilité thermique et douloureuse subissent donc dans la substance grise une interruption, par interposition de cellules nerveuses (voy. fig. 230, et présentent de plus une décussation, c'est-à-dire passent dans la moitié de la moelle opposée à celle où se fait l'implantation de la racine postérieure correspondante (fig. 230).

Toute vraisemblable que paraît cette systématisation des voies conductrices des diverses formes de la sensibilité cutanée et des

1. Chez certains animaux, l'hémisection antérieure de la moelle ne supprime ni la sensibilité tactile, ni la sensibilité douloureuse; c'est donc que le faisceau de Gowers, situé dans la moitié antérieure du cordon latéral, ne servirait pas à la transmission de ces deux formes de sensibilité (expériences de Schiff, confirmées par Herzen).

voies de la sensibilité profonde (sens musculaire), il convient de rappeler ici les résultats d'expériences intéressantes de Vulpian.

D'après Vulpian, la moelle peut transmettre à l'encéphale les impressions reçues à la périphérie, même lorsqu'elle a subi des mutilations considérables. S'il s'agit seulement de sections transversales, ces sections peuvent diviser la moelle dans une grande partie de son épaisseur et dans un sens quelconque, sans interrompre la transmission des impressions sensibles, à la condition qu'une petite partie de la substance grise (une sorte de pont) ait été respectée par l'incision. Quel que soit le sens de l'incision transversale incomplète, l'animal conserve la possibilité de reconnaître le point de son corps que l'on irrite, c'est-à-dire qu'il continue à percevoir des impressions, par lesquelles il garde des notions sur la position respective des diverses régions de son corps, en relation, par leurs nerfs, avec la partic de la moelle épinière située en arrière du siège de la lésion. Chez l'homme même la continuité physiologique de la moelle peut être rétablie par le fait d'une continuité anatomique très restreinte. Charcot a eu l'occasion d'examiner la moelle d'un sujet dont la paraplégie, suite du mal de Pott, avait disparu depuis deux ans. Au niveau du point de compression, la moelle n'avait que le volume d'un tuyau de plume d'oie, et la coupe correspondait au tiers de la surface de section d'une moelle normale; on y voyait, au milieu de tractus fibreux durs et épais, une grande quantité de tubes nerveux munis de myéline et de cylindresaxes; la substance grise n'y était plus représentée que par une seule corne, ou on ne trouvait qu'un petit nombre de cellules intactes.

Il est impossible d'accepter, pour expliquer ces faits, l'hypothèse selon laquelle chaque parcelle d'une tranche transversale, passant par un point quelconque de la substance grise médullaire, contiendrait des éléments conducteurs en rapport avec toutes les fibres de sensibilité des nerfs naissant en arrière de ce point. On est conduit à se demander si les impressions, arrivant dans la substance grise médullaire, n'y pourraient pas prendre des voies diverses, quand leurs voies habituelles sont interrompues. La méthode des dégénérescences secondaires montre que les fibres ascendantes des cordons postérieurs et d'une partie des cordons latéraux, fibres appartenant aux neurones des ganglions spinaux, servent d'ordinaire à la conduction de la sensibilité cutanée et de la sensibilité profonde. Mais à son tour l'expérimentation physiologique montre que, ces voies faisant défaut, la conduction des impressions sensibles peut avoir lieu à travers la substance grise, par des chemins encore mal définis, et par ces chemins arriver au bulbe.

Entre-croisement des voies de sensibilité dans la moelle Une des questions les plus importantes concernant la transmission des impressions sensibles est celle de savoir si cette transmission

est directe ou croisée. Des expériences systématiques d'hémisection transversale de la moelle paraissent pouvoir résoudre la ques

tion.

Déjà nous avons eu l'occasion de noter que les faisceaux sensitif latéral et de Gowers s'entre-croisent dans la moelle et que les cordons postérieurs s'entre-croisent au niveau du bulbe. Tous les conducteurs de la sensibilité s'entre-croisent donc avant d'arriver à l'encéphale. On comprend ainsi pourquoi une lésion de l'hémisphère gauche produit une anesthésie à droite, c'est-à-dire une anesthésie croisée. Mais il faut chercher les preuves de ces faits.

Ce sont surtout les expériences de Brown-Séquard (1849) qui ont posé la question. Après la section d'une moitié de la moelle, le célèbre physiologiste constata l'abolition du mouvement et la conservation de la sensibilité et même l'hyperesthésie du même côté, et l'anesthésie du côté opposé. On reproduit aisément ce syndrome chez le cobaye. Chez l'homme, depuis les observations recueillies par Brown-Séquard (1863), on en a réuni un grand nombre d'autres qui établissent toutes la réalité du syndrome de Brown-Séquard, paralysie motrice directe et anesthésie croisée.

Il est très vrai cependant que les expériences faites sur le singe, sur le chien et sur le chat ont montré que l'hémisection de la moelle est suivie d'une diminution de la sensibilité (dans tous ses modes), non pas du côté opposé à la lésion, mais du même côté. Et, à la suite de ces hémisections, on a constaté, quand celles-ci ne dépassaient pas la ligne médiane, une dégénérescence ascendante de la partie dorso-médiane du faisceau de Goll, du faisceau de Burdach, du faisceau cérébelleux direct et du faisceau de Gowers et enfin de la zone centrale du faisceau antéro-latéral (voy. fig. 229, SL), toutes ces dégénérescences se produisant du côté sectionné.

Il y aurait donc, chez ces animaux, deux voies pour la transmission des impressions sensibles; l'une de ces voies est directe, passant par les cordons postérieurs (et, pour les impressions kinésiques, par les faisceaux médullo-cérébelleux et de Gowers '), et l'autre voie est croisée (puisque, après la section de la voie directe, il y a, non pas abolition, mais seulement diminution de la sensibilité), constituée par des fibres qui sont interrompues dans les cornes postérieures et par des prolongements partis des cellules desdites cornes et s'engageant dans le cordon latéral du côté opposé.

Faut-il pour cela rejeter sans plus les résultats des expériences de Brown-Séquard et des observations cliniques, appuyées sur les examens anatomo-pathologiques? Ne se pourrait-il pas que les voies

1. Cette partie ne serait pas une voie directe dans toutes les espèces animales.

« AnteriorContinuar »