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Me PATAILLE a soutenu l'appel de M. Bulla en insistant sur ce que les nullités sont de droit étroit, et qu'il suffit que le défendeur n'ait pas pu se tromper sur l'individualité du poursuivant; or, outre les pièces établissant que c'est lui seul qui demeure à l'adresse indiquée, boulevard Poissonnière, nos 17 et 19, M. Bulla produit des factures constatant que M. Letestu a eu des rapports directs et personnels avec lui. Son nom est d'ailleurs indiqué sur toutes les gravures et photographies éditées par lui, et notamment sur celles dont M. Letestu a vendu des contrefaçons. Enfin c'est à son profit que le jugement par défaut a été rendu, et c'est à lui que l'opposition a été signifiée. En admettant dès lors que l'erreur commise par l'huissier dans l'exploit introductif d'instance ait pu un instant tromper le prévenu, cette erreur a été rectifiée par tous les actes postérieurs et notamment par les conclusions, le jugement par défaut et l'opposition, et il reste à juger si, en fait, le prévenu n'a pas connu suffisamment son véritable adversaire. Quant à M. Bulla, s'il se fût aperçu de l'erreur plutôt, il eût recommencé la procédure; mais, ayant obtenu un jugement à son profit, et condamné personnellement aux dépens par le second, il a été dans la nécessité de soumettre la question à la Cour.

Me PERROT DE CHAUMEUX, au nom de M. Letestu, a soutenu le bien jugé.

La Cour, sous la présidence de M. PUGET, et au rapport de M. le conseiller GILBERT-BOUCHER, a rendu, à l'audience du 20 mars 1872, conformément aux conclusions de M. l'avocat général BENOIST, l'arrêt confirmatif suivant :

LA COUR : Considérant que la saisie opérée dans les magasins de Letestu ainsi que la citation qui lui a été donnée en justice ont été faites à la requête de Bulla frères; que de plus le jugement dont est appel a été rendu à leur requête; Considérant qu'il est constant que les frères Bulla ne sont point cessionnaires du droit de reproduction par la photographie des tableaux ou dessins à l'occasion desquels une plainte en contrefaçon a été portée; qu'en admettant qu'Emile Bulla ait, ainsi qu'il l'affirme, acquis le fond de commerce des susnommés, et qu'il ait, en conséquence le droit d'agir en leur nom, il est sans titre, en cette qualité, pour exercer des poursuites contre Letestu, comme contrefacteur; Qu'il prétend, à la vérité, que c'est par suite d'une erreur matérielle que les actes de la procédure précités portent le nom de Bulla frères ;

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que c'est lui en effet qui, étant cessionnaire du droit de reproduction par la photographie des dessins ou tableaux dont s'agit, a toujours été seul poursuivant, et que ladite erreur a été couverte par les constatations des feuilles d'audience mentionnant sa présence à tous les débats, par les conclusions qu'il a prises à la barre, et enfin par le jugement par défaut du 29 novembre 1871, qui aurait été rendu à sa requête, et non à celle de Bulla frères; Mais considérant qu'il ne peut se prévaloir de la rédaction des feuilles d'audience qui portent tantôt le nom de Louis Bulla, tantôt celui d'Emile Bulla, et le plus souvent le nom de Bulla sans désignation de prénoms ; Qu'il n'est pas mieux fondé à soutenir que les conclusions par lui prises à l'audience ont réparé l'erreur qui aurait été commise à son préjudice dans l'assignation introductive d'instance ; Qu'en effet il ne peut dépendre d'une partie civile de modifier à son gré les règles de la procédure et d'appeler en justice un prévenu sans lui faire connaître exactement son adversaire sauf à celui-ci à se dévoiler au moment de l'ouverture des débats ; que d'ailleurs Letestu a, dès qu'il a suivi l'audience, demandé la nullité de la procédure suivie contre lui, et que le Tribunal a dû, avant que de statuer sur les conclusions du fond présentées par E. Bulla, apprécier tout d'abord le mérite de l'exception qui lui était soumise; Qu'entin Emile Bulla ne peut opposer à Lelestu un jugement rendu hors la présence de ce dernier et auquel par conséquent celui-ci a été étranger;' Qu'il suit de ce qui précède que l'appelant n'est pas fondé à dire que l'erreur qui a eu lieu dans l'assignation introductive d'instance et qui entache de nullité la procédure, a été couverte; Par ces motifs, met l'appellation au néant, ordonne que ce dont est appel sortira son plein et entier effet, et condamne Emile Bulla aux dépens de son appel.

Propriété artistique.

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ART. 1865.

Contre

· Cession du droit de reproduction. Action de l'éditeur. Nullité de la saisie et de l'assigna· Exception de bonne foi.

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La saisie n'étant pas nécessaire pour établir le délit de contrefaçon qui peut être prouvé par toute autre voie et, notamment, par l'audition de témoins, l'aveu du prévenu ou l'examen de papiers, registres et correspondances, il en résulte que la nullité de la saisie qui a été pratiquée ne met pas obstacle à ce qu'il soit statué sur l'action civile ou correctionnelle introduite par la partie lésée.

Lorsque dans une poursuite correctionnelle l'assignation introductive d'instance est entachée d'une cause de nullité, telle qu'une

indication erronée de la partie civile demanderesse, celle-ci peut réparer l'erreur par une nouvelle assignation. Lorsqu'il est établi que les propriétaires ou éditeurs d'une œuvre artistique ont eu soin de mettre leur nom sur toutes les reproductions photographiques ou autres qu'ils ont livrées au commerce, il y a preuve de contrefaçon et de débit d'objets contrefaits par cela seul qu'il résulte des débats et de l'aveu du prévenu qu'il a mis en vente des épreuves ne portant pas d'indication d'éditeur.

C'est au prévenu qui excipe de sa bonne foi à en faire la preuve.

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M. Émile Bulla fils, éditeur, a fait saisir chez M. Taride, libraire-éditeur, six photographies pour grand .album et quatre pour petit album, reproduisant deux tableaux de M. A. Marie: les Maudits (le Pilori) et les Cavaliers de la Mort, et un dessin de M. Janet Lange, la France signant la paix. Ces photographies, qui ne portaient aucune signature ni indication d'éditeur, étaient des contrefaçons. Mais par suite d'une double erreur, la saisie fut pratiquée, comme dans l'affaire précédente, en vertu d'une ordonnance de M. le président du Tribunal rendue au nom de MM. Bulla frères, et ce fut également à leur nom que fut donnée, le 7 août 1871, l'assignation introductive d'instance basée sur une prétendue infraction à la loi du 5 juillet 1844; mais, à la suite d'une remise de l'affaire après vacation, M. Émile Bulla fit donner, à la date du 16 novembre, une seconde assignation en son nom et visant comme applicables aux délits de contrefaçon et de mise en vente d'objets contrefaits, la loi du 19 juillet 1795 et les articles 425 et suivants du Code pénal. C'est sur ces deux assignations que l'affaire fut appelée de nouveau à l'audience du 29 novembre. M. Taride accepta le débat et se borna à invoquer sa bonne foi résultant, selon lui, de ce que pendant le siége et pendant la Commune, le commerce parisien avait été encombré d'une masse de reproductions plus ou moins défectueuses parmi lesquelles il était trèsdifficile de distinguer les épreuves licites ou illicites.

Le Tribunal (7 Ch.), sous la présidence de M. MILLET, rendit, à la même audience, le jugement suivant :

LE TRIBUNAL: — Attendu qu'il résulte des débats et d'un procès-verbal

régulier dressé le 1er août 1871 par le ministère de Levasseur, huissier à Paris, que ledit jour 1er août 1871 il a été saisi, dans les magasins de Taride, marchand de gravures et de photographies, rue Marengo, no 2, des photographies représentant la France, le Pilori ou les Suppliciés, les Cavaliers de la Mort; Attendu qu'Émile Bulla justifie être propriétaire du droit de reproduction de ces objets; qu'ils ont été reproduits en entier au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs; Déclare Taride coupable du délit de contrefaçon prévu et puni par les articles 425 et 427 du Code pénal; - Et attendu que Bulla a éprouvé un préjudice dont il lui est dû réparation, et que le Tribunál a les éléments nécessaires pour apprécier; Faisant application des articles 425 et 427 susvisés, et vu l'article 463, modifiant la peine en raison des circonstances atténuantes ; Condamne Taride à 50 francs d'amende, le condamne, en outre, à payer à Bulla, par toutes les voies de droit, même par corps, la somme de 100 francs à titre de dommagesintérêts, le condamne aux dépens, lesquels, avancés par la partie civile, sont liquidés à 35 fr. 05; — Fixe à quarante jours la durée de la contrainte par corps s'il y a lieu de l'exercer pour le recouvrement de l'amende, des dommages-intérêts et des dépens.

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M. Taride a interjeté appel; Me LANGLOIS, son avocat, a exposé devant la Cour une double fin de non-recevoir, savoir: d'une part, la nullité de la saisie et de l'exploit introductif d'instance que la seconde assignation n'avait pas pu valider, puisqu'il y était énoncé qu'on procédait aux fins de la première; d'autre part, le défaut de justification de propriété du demandeur; en ce qui touche, a-t-il dit, les Maudits et les Cavaliers de la Mort, de M. Marie, il résulte du prétendu titre de propriété produit par M. Bulla lui-même, qu'il fait cette publication de compte à demi avec l'auteur du tableau auquel il paye un droit de 1 fr. 50 par épreuve. L'artiste est donc resté propriétaire de son œuvre, et M. Bulla n'étant qu'éditeur, n'a pas qualité pour introduire une action correctionnelle en contrefaçon d'une œuvre qui ne lui appartient pas. En ce qui concerne le dessin de la France signant la paix, il a été fait par M. Janet Lange pour le journal l'Illustration, qui l'a en effet publié bien avant les éditions qu'en ont faites MM. Lemercier et après eux M. Émile Bulla. En admettant que ces éditions aient été autorisées, cette autorisation n'a pu leur faire passer le droit d'action qui ne peut appartenir qu'au journal l'Illustration, propriétaire du dessin original. Au fond, l'avocat a soutenu que

les premières reproductions ayant été livrées au commerce sans nom d'éditeur, rien n'établissait que celles saisies fussent des contrefaçons, et que dans tous les cas le prévenu, un des libraires les plus honorables de Paris, était de la plus entière bonne foi.

Me PATAILLE, au nom de M. Bella, a repoussé la fin de nonrecevoir tirée de la fausse désignation du demandeur en rappelant que l'adresse étant exacte, le prévenu avait parfaitement su que c'était non MM. Bulla frères, mais bien Bulla fils qui était le plaignant; que d'ailleurs l'erreur se trouvait couverte par la réassignation et la comparution contradictoire des parties en première instance. En ce qui touche le prétendu défaut de qualité du demandeur, l'avocat a soutenu qu'éditant les reproductions photographiques des tableaux de M. Marie à ses risques et périls, il justifiait par cela même avoir droit et intérêt à poursuivre les contrefaçons. Peu importe qu'au lieu de payer un prix à forfait et définitif, il paye à l'auteur une redevance calculée sur le nombre des épreuves vendues, ce n'en est pas moins un prix, et dès l'instant que les contrefaçons lui causent un préjudice direct et personnel, il a droit et qualité pour les poursuivre. Quant à la France signant la paix, de Janet Lange, il est très-vrai que cet artiste l'a dessiné sur bois pour le journal l'Illustration; mais il résulte des pièces produites que c'est avec l'autorisation même du journal que l'artiste a reproduit lui-même sa composition au fusain, et c'est sur ce dessin qu'il a cédé à MM. Lemercier et Ce qu'ont été faits les clichés photographiques édités dans les mêmes conditions par M. Bulla fils. Au fond, l'avocat rappelle que M. Taride n'ayant pas pu ou voulu donner l'adresse du photographe de qui émanaient les reproductions sans signature et sans nom d'éditeur saisies chez lui, il n'est pas recevable à invoquer l'exception de bonne foi.

La Cour, sous la présidence de M. PUGET, et au rapport de M. le conseiller GILBERT BOUCHER, a rendu, à l'audience du 20 mars 1872, conformément aux conclusions de M. l'avocat général BENOIST, l'arrêt confirmatif suivant:

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LA COUR Statuant sur l'appel interjeté par Taride du jugement rendu contre lui le 29 novembre 1871, ensemble sur les conclusions respectives prises par les parties devant la Cour et y faisant droit; En ce

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