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M. Verniers van der Loeff (Pays-Bas) fait remarquer qu'on est en présence de trois rédactions: 1° celle du projet de la Délégation française; 2o celle de M. Demeur; 3° celle de M. Lagerheim. Il demande qu'on vole séparément sur chacune d'elles et déclare, quant à lui, adopter la rédaction française, qui réservé les droits des tiers.

M. Jagerschmidt (France) rappelle que plusieurs amendements ont été présentés par MM. les délégués de l'Autriche, des Pays-Bas et de la Russie. Il serait bon de savoir, avant de procéder au vote comme le propose M.Verniers van der Loeff, si l'adoption de l'une ou de l'autre des rédactions en présence n'aurait pas une influence directe sur le sort de ces amendements. Il serait donc utile que leurs auteurs fissent connaître leur sentiment à cet égard.

M. Woerz (Autriche) déclare retirer son amendement devant la rédaction proposée par M. Demeur.

M. de Nebolsine (Russie) croit, avant tout, devoir développer les motifs qui l'ont décidé à demander une modification à l'article 3.

« Les progrès qui s'accomplissent aujourd'hui, dit-il, tant dans les sciences que dans les diverses branches de l'industrie, donnent lieu spontanément à de constantes découvertes nouvelles et à des inventions incessantes. C'est pourquoi il peut facilement arriver qu'une mème découverte se produise, non seulement dans deux pays différents à la fois, par des recherches indépendantes, mais encore dans un même pays par diverses personnes. Il lui a semblé, en conséquence, qu'il serait injuste non seulement de refuser un brevet d'invention à celui qui présenterait son invention quelque peu plus tard qu'un autre, mais encore de le rendre tributaire de celui-ci. Le fait seul de la priorité de l'enregistrement de la part du premier, ne saurait, à son avis, justifier le privilège qu'il emporterait sur le second. D'après la loi actuellement en vigueur en Russie sur les brevets d'invention, dans le cas d'une demande simultanée de la part de différentes personnes concernant un même objet et se produisant durant le cours de la procédure sur le brevet à délivrer, on ne délivre aucun brevet; excepté lorsque l'un des solliciteurs fera preuve devant les tribunaux que les autres lui auraient dérobé son invention. (Loi sur les brevets d'invention, $ 89, Codes, édition de 1879.)

« C'est pour cette raison, continue M. de Nebolsine, que j'ai cru devoir présenter des observations sur l'article 3 de l'avant-projet.

« D'un autre côté, selon la législation de divers Elats, la délivrance d'un brevet d'invention et la publicité qui s'ensuit peuvent faire obstacle à l'obtention d'un brevet d'invention sur le même objet dans tel autre Etat.

« J'ai donc proposé de modifier la rédaction de cet article, en disant que tout dépôt d'une demande de brevet dans l'un ou l'autre des Etats contractants ne saura porter préjudice à l'enregistrement dans tous les autres Elats, etc.

«Mais, comme des explications données hier à la séance et dans la Commission, il résulte que la priorité accordée aux premiers déposants n'entrave pas le droit d'autres inventeurs, et que ce n'est qu'une question de jurisprudence, d'autant plus que, suivant la législation d'autres pays, le brevet d'invention pourrait être délivré en même temps à plusieurs inventeurs, je ne crois pas nécessaire d'insister sur l'amendement que j'ai proposé. »

Après un échange d'observations entre les divers délégués sur la rédaction de l'article, la Conférence adopte l'amendement de M. Demeur avec la

modification proposée par M. Lagerheim, en y introduisant la réserve des droits des tiers demandée par M. Verniers van der Loeff. L'article se trouve, dès lors, ainsi libellé :

Celui qui aura régulièrement fait le dépôt d'une demande de brevet. d'invention, d'un dessin ou modèle industriel, d'une marque de fabrique ou de commerce, dans l'un des Etats contractants, jouira, pour effectuer le dépôt dans les autres Etats, sous réserve des droits des tiers, d'un droit de priorité pendant les délais qui sont déterminés ci-après.

En conséquence, le dépôt ultérieurement opéré dans l'un des autres. Etats de l'Union, avant l'expiration de ces délais, ne pourra être invalidé par des faits accomplis dans l'intervalle, soit, notamment, par un autre dépôt, par la publication de l'invention ou son exploitation par un tiers, par la mise en vente d'exemplaires du dessin ou du modèle, par l'emploi de la

marque.

Les délais de priorité mentionnés ci-dessus seront de six mois pour les brevets d'invention. et de trois mois pour les dessins ou modèles industriels, ainsi que pour les marques de fabrique ou de commerce. Ils seront augmentés d'un mois pour les pays d'outre-mer. »

M. Jagerschmidt (France) appelle l'attention de la Conférence sur une question soulevée par M. le Délégué des Etats-Unis. M. J.-O. Putnam a fait remarquer que le pouvoir fédéral n'avait pas le droit de légiférer en matière de marques de fabrique ou de commerce et que cette situation particulière ne permettrait pas à son Gouvernement d'adhérer sans réserve à toutes les clauses de la Convention. Il a demandé s'il ne serait pas possible d'insérer dans le Protocole de clôture une disposition particulière qui lui permit de ne s'engager que dans les limites de la Constitution américaine. La question est très importante et M. Jagerschmidt propose, d'accord avec M. J.-O. Putnam, d'en réserver la discussion pour le Protocole de clôture.

La Conférence passe à la discussion de l'article suivant.

Art. 4. Le propriétaire d'un brevet d'invention aura la faculté d'introduire, dans le pays où le brevet lui aura été délivré, des objets fabriqués dans l'un ou l'autre des pays contractants, sans que cette introduction puisse être une cause de déchéance du brevet.

M. Woerz (Autriche) propose sur cet article l'amendement suivant: Ajouter ... pourvu qu'il exerce ladite invention conformément aux lois du pays où il introduit les objets brevetés.

M. Weibel (Suisse) reconnait que l'article 4 est empreint d'un grand libéralisme, ainsi que le commentaire qu'en a fait M. le Président à la séance précédente. La Suisse pourrait y adhérer, attendu qu'elle n'a pas encore de législation en matière de brevets d'invention, et que le projet de loi actuellement à l'étude ne prévoit pas de déchéance pour cause d'introduction par le breveté d'un objet fabriqué à l'étranger suivant la description de son brevet. Si donc l'article 4, tel qu'il est proposé, a seulement pour but de supprimer la déchéance absolue qu'entraine, dans quelques pays, l'introduction par le breveté d'objets fabriqués à l'étranger, il ne peut soulever d'objection de la part de la Suisse. Mais, si l'article doit être compris dans le sens que tout breveté pourra mettre son brevet en exploitation dans un des Etats de l'Ucion, et pourra se borner à importer dans les autres pays où il est également breveté, sans y être tenu de fabriquer, la Suisse

ne pourrait l'accepter, tant que son régime douanier et celui des pays qui l'environnent resteront ce qu'ils sont. En effet, la Suisse ne protège pas son industrie par son tarif douanier, celui-ci a un caractère purement fiscal, tandis que les tarifs des États voisins tendent à protéger celles de leurs industries qui redoutent la concurrence étrangère. On a fait observer que la question des douanes était étrangère au débat; il faut cependant bien en tenir compte pour apprécier les effets qu'aurait l'application de l'article 4 s'il était pris dans l'acception la plus large que formale l'amendement de M. le Délégué de la Belgique ; la Suisse ouvrirait ses frontières aux objets brevetés fabriqués à l'étranger, tandis que ses voisins, malgré le sens libéral de l'article 4 et en vertu de leurs tarifs douaniers, continueraient à se protéger contre l'introduction des objets brevetés que la Suisse pourrait avoir intérêt à produire sur son territoire. La situation ne serait donc pas égale. D'autre part, la législation d'un grand nombre d'États impose aux brevetés la nécessité d'exploiter leur invention dans le pays. Or, il est indispensable de respecter les législations intérieures. L'amendement de M. Woerz répond à ces objections. M. Weibel pense donc qu'il y a lieu de rejeter l'article 4, ou, tout au moins, de ne l'adopter qu'avec l'amendement proposé par M. le Délégué de l'Autriche.

M. Woerz (Autriche) fait observer que le premier alinéa de l'article amendé par lui dispose qu'il n'est pas interdit d'introduire des objets brevetés fabriqués à l'étranger, et que le second exige que l'invention soit exploitée dans le pays. L'article lui semble donc ainsi complet. Il rappelle que la loi autrichienne ne défend pas l'introduction.

M. le Président demande si cette obligation de fabriquer interdit l'importation des objets, et il ne voit pas comment on peut concilier les deux dispositions. Car, si la fabrication doit être exclusive, on ne peut avoir la faculté d'introduire. Il ajoute qu'il peut se faire que la fabrication soit impossible, par exemple, par suite de grèves. Cependant, en France, le breveté qui introduirait, même dans cette situation, serait déchu de ses droits. Néanmoins, on comprend qu'en cas de force majeure la loi suspende l'obligation de fabriquer dans le pays.

M. Demeur (Belgique) fait remarquer que les objections qu'a soulevées l'article 4 proviennent de la rédaction de cet article, qui diffère de celle du projet adressé aux divers Gouvernements, et qui était ainsi conçue :

L'introduction par le breveté, dans le pays où le brevet a été délivré, d'objets fabriqués dans l'un ou l'autre des Etats de l'Union, n'entraînera pas la déchéance ». Il préférait cette formule qui ne donnait pas lieu aux objections faites par M. le Délégué de la Suisse. Il ajoute qu'il n'y a que la loi française qui contienne l'interdiction absolue pour le breveté d'introduire des objets fabriqués à l'étranger, similaires à ceux pour lesquels il est breveté en France. Les autres législations se bornent à exiger que le breveté exploite son invention dans le pays. Ainsi, d'après la loi belge, le breveté doit exploiter dans le pays, et exploiter veut dire, d'après la jurisprudence administrative, fabriquer. M. Demeur pense que, si l'on peut comprendre cette disposition au point de vue particulier de chaque Etat, on ne peut que la trouver mauvaise lorsque l'on songe à la formation d'une Union. Quant à lui, il croit que les Etats qui l'adoptent se trompent et ne font, en somme, que nuire à l'intérêt de tous. Nonobstant la constitution d'une Union, il faudra que le breveté exploite son invention dans les quinze ou vingt États qui en feront partie, pour conserver ses droits. C'est

inadmissible; car enfin, si le breveté est autorisé à n'avoir qu'un seul siège de fabrication, il est évident qu'il pourra livrer ses produits à bien meilleur marché. C'est là le but de l'amendement suivant, déposé par M. Dujeux :

Le titulaire d'un brevet qui exploite son invention dans l'un des États de l'Union ne pourra être déclaré déchu de ses droits dans les autres pour défaut d'exploitation. »

M. Reader-Lack (Grande-Bretagne) donne son approbation à l'amendement de M. Dujeux, cet amendement ne faisant que consacrer l'état de choses déjà existant en Angleterre.

M. Woerz (Autriche) reconnait le bien fondé des observations de M. Demeur au point de vue général; mais il ne peut que maintenir son amendement dans l'intérêt de son pays.

M. Weibel (Suisse) comprend les avantages qui résulteraient de l'adoption de l'amendement de M. Dujeux. Mais l'état de l'Europe lui semble ne pas pouvoir de longtemps en permettre l'application. Il faut tenir compte des intérêts de chacun des États. Si, par leur situation particulière, la Belgique et la Grande-Bretagne peuvent admettre le principe défendu par M. Demeur, il n'en est pas de même de la Suisse. Si l'amendement de M. Dujeux était adopté, le breveté exploiterait son invention dans le pays où cela lui serait le plus avantageux, et, à cause du système douanier actuel, il viendrait certainement en France, parce qu'il aurait toute facilité pour introduire ses produits en Suisse qui ne perçoit que de faibles droits d'entrée; il écraserait ainsi l'industrie du pays. Il est indispensable qu'on réserve le droit pour chaque Etat d'imposer l'obligation de fabriquer dans le pays.

M. Indelli (Italie) est d'avis que l'Union sera sans effet si l'on repousse l'article 4. L'expérience a démontré qu'il faut tenir compte de l'intérêt des industriels et des commerçants. Si le breveté a intérêt à fabriquer dans certains pays, il le fera. L obligation pour le breveté d'exploiter son invention. dans le pays, lorsqu'elle dépasse certaines limites, ne peut plus se justifier; c'est une disposition qui a fait son temps. La société tout entière a intérêt à profiter d'une invention, et elle ne peut en profiter que si l'on permet au breveté de l'exploiter là où cela lui est le plus profitable. Mais M. Indelli comprend que certains États ne puissent accepter cette situation. En résumé, il pense qu'il ne faut pas donner à l'article une portée à laquelle ses auteurs n'ont pas songé. M. Indelli dit qu'il est nécessaire que le breveté soit tenu de se conformer à la législation intérieure de chaque Etat, mais qu'il faut également que l'introduction d'objets fabriqués n'entraine pas la déchéance du brevet qui le protège. Il se rallierait donc à l'amendement présenté par M. le Délégué de l'Autriche, et conforme au programme primitif, qui est, il le répète, de respecter les législations intérieures. En Italie, le breveté doit exploiter son invention.

M. Hérich (Hongrie) croit que c'est un axiôme incontestable qu'un État ne délivre un brevet d'invention que pour que l'invention soit exploitée dans son pays, et qu'il n'a pas le pouvoir de donner un privilège pour un autre pays. Il craint que, si l'amendement proposé par M. Woerz n'était pas adopté, le Gouvernement de la Hongrie ne puisse donner son adhésion à l'article 4. Il propose, d'accord avec MM. les Délégués de l'Autriche, la

rédaction suivante :

Il est entendu que le propriétaire dudit brevet, pour jouir du droit

exclusif d exploitation, doit mettre en œuvre l'invention dans les pays dans lesquels les lois exigent l'exploitation effective. »

M. Verniers van der Loeff (Pays-Bas) fait observer qu'il y a deux ordres d'idées différents. L'article ne s'occupe que de lever une interdiction et déclare seulement que l'introduction n'entrainera pas la déchéance. L'obligation d'exploiter est tout autre chose; il faut éviter de faire une confusion et bien établir qu'à cet égard les législations des divers États resteront en vigueur.

M. Kern (Suisse) considère que l'article en discussion présente une importance considérable pour la Suisse. En effet, on ne peut nier que les personnes qui voudraient exploiter une grande invention seraient mal placées en Suisse, où la matière première manque à peu près complètement. Il rappelle que des inquiétudes se sont manifestées dans son pays, el qu'il faut prendre des résolutions de nature à les faire disparaître ; il ne faut pas oublier que la Suisse est entourée de pays ayant tout un système douanier, alors qu'elle n'a que des droits d'entrée très modérés. Le meilleur moyen, selon lui, est de dire que les législations intérieures seront respectées au point de vue de l'exploitation, et d'adopter la proposition de M. le Délégué de l'Autriche. Il dit que jamais, en Suisse, on n'accordera un privilège sans avoir la garantie que ce privilège profitera au pays. Il appuie donc l'amendement présenté par MM. les Délégués de l'Autriche et de la Hongrie, et déclare que, si cet amendement n'était pas adopté, la Suisse ne pourrait donner son adhésion à l'article 4.

M. Amassian (Turquie) reconnait également l'importance de l'article 4; mais il est d'avis que l'amendement de M. le Délégué de l'Autriche en détruit l'effet. On a invoqué l'intérêt de tous les pays, et cet amendement n'a en vue que l'intérêt particulier de chacun d'eux. Il est certain que, si l'inventeur peut fabriquer là où il trouvera le plus avantageux de le faire, il donnera ses produits à meilleur marché, ce qui sera profitable même au pays où il n'aura pas exploité, pays qui, par ce fait, perdra peu pour gagner beaucoup. M. Amassian pense qu'il faut songer aux intérêts des consommateurs, et déclare se rallier à la proposition de M. Dujeux.

M. de Nebolsine (Russie) déclare qu'il n'a pas d'objection à faire à l'adoption de l'article 4. La loi sur les brevets d'invention qui est en vigueur en Russie ne renferme pas de restrictions, quant aux lieux de production ou de fabrication des objets brevetés dans ce pays. L'article 97 du Code des lois sur l'industrie manufacturière (tome XI, édition 1879) n'impose qu'une seule obligation à ceux qui voudraient se faire délivrer un brevet en Russie, laquelle consiste en ce que celui qui a obtenu un brevet est tenu de mettre en pratique son invention dans le délai du quart de la durée du brevet; après quoi, il est tenu de présenter au département compétent, dans le courant des six mois suivants, un certificat local constatant que le privilège accordé a été mis par lui à exécution, c'est-à-dire que l'invention. brevetée ou perfectionnée a été réellement appliquée. M. de Nebolsine ajoute qu'il lui semble parfaitement injuste d'obliger le propriétaire d'un brevet à mettre en œuvre son invention dans tous les pays où il aura obtenu un brevet, sans lui laisser le choix de s'installer dans tel endroit qui lui conviendrait le mieux. Quant aux objections présentées par M. le Délégué de la Suisse, il croit qu'elles rentrent dans le domaine de la protection de l'industrie nationale en général, laquelle ne devrait restreindre en rien les droits des inventeurs.

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