Quand les terreaux, déjà roussis et purpurins, Les pèlerins s'en vont, grands de mélancolie, Les pèlerins, qui vont mystérieusement, Toujours sur double rang, depuis combien d'années? Les pèlerins, dont les manteaux tout en lumière, Les pèlerins, aux vieux sommets houleux et fous, II LE CRI Sur un étang désert où stagne une eau brunie, Comme il est faible, et mince, et timide, et fluet! Et comme il scande l'heure au rythme de son râle, Il est si lent parfois qu'on ne le saisit pas, La mort des fleurs, la mort des insectes, la douce III LA PLAINE Depuis que dans la plaine immense il s'est fait soir, Avec de lourds marteaux et des blocs taciturnes, L'ombre bâtit ses murs et ses donjons nocturnes Comme un Escurial revêtu d'argent noir. Le ciel prodigieux domine, embrasé d'astres, Comme de blancs linceuls éclairés de flambeaux, Et telle, avec ses coins et ses salles funèbres, IV LE MOULIN Le moulin tourne au fond du soir, très lentement, Il tourne, et tourne, et sa voile, couleur de lie, Depuis l'aube, ses bras, comme des bras de plainte, Les champs sont détrempés. De lourds nuages tors Sous un ourlet de sol, deux cassines de hétre Et dans la plaine immense et le vide dormeur, Avec les pauvres yeux de leurs carreaux en loques, EMILE VERHAEREN. SOUVENIRS DE LA VIE D'ETUDIANT IV LES SAUVAGES u grand mouvement des Rossards succéda une période de calme absolu. Il se forma bien par-ci par-là quelques petits cercles, mais chacun mourut de sa belle mort après quelques mois d'une vie placide on allait du Ballon au cours tranquillement, on se cuitait bourgeoisement, on dansait le lundi plus ou moins correctement, vers juin on travaillait avec acharnement, les professeurs étaient dans l'étonnement et les parents dans le ravissement. L'âge d'or. Cela dura jusqu'en 1866, époque à laquelle cinq étudiants des écoles spéciales fondèrent le Club des Sauvages: club tout intime, mais dont on parla beaucoup au dehors. Comme tant d'autres, il n'avait d'autre but que de réunir quelques amis dans un local déterminé où leurs noces ne devaient avoir d'autres témoins qu'eux-mêmes. Les cinq membres primitifs prirent naturellement des noms sauvages. Ce furent le Bison Courageux, le Bélier Sanglant, Chingackook, le Grand Aigle blanc et le Camembert Puant; ce dernier nom n'était emprunté ni à Gustave Aymard ni à Fenimore Cooper, mais son titulaire y tenait d'une façon spéciale. Le règlement, d'une simplicité primitive, était conçu comme suit : Art. 2. Tout philistin qui s'introduirait au local d'une façon subreptice aura son chapeau dévoré. Ce règlement, malgré sa simplicité, donna lieu aux discussions les plus insensées pendant les séances. Les jours de gala, c'est-à-dire lorsqu'on admettait des civilisés aux Sauvages, les séances étaient présidées par un cérémonial de grande allure. Le Sauvage le plus rapproché de l'armoire aux archives ouvrait icelle avec gravité et en tirait le grand calumet de paix, qui consistait en une queue de billard perforée de bout en bout, et insérée dans un mortier rempli de tabac. Le Sauvage allumait ce monument, dont le gros bout devait être fourré dans l'orifice buccal, aspirait quelques bouffées de fumée et poussait un hurlement terrible. La pipe faisait le tour des fondateurs, chaque aspiration était accompagnée d'un cri farouche et un dernier hurlement énorme, tonitruant et poussé avec ensemble, annonçait que la séance était ouverte. Quand les séances étaient tempêtueuses - et la non application rigoureusement sévère de l'art. 1er du règlement en était cause, on réintégrait dans son armoire le calumet de paix et l'on déterrait la hache de guerre. Cet instrument de torture rétablissait l'ordre malgré le mauvais caractère du Camembert Puant. Ces discussions énormes, que Salomon eût enviées, faisaient la joie des cabarets universitaires. Un jour, et ce fut la seule fois, l'art. 2 faillit être appliqué : Un individu de Nivelles, de joyeuse humeur, s'était fait condamner en Correctionnelle à un mois de prison pour s'être, en temps de carnaval, déguisé en sauvage, déguisement qu'il avait réalisé par une absence complète de costume. On lui fit immédiatement envoi, aux Petits-Carmes, où il résidait, d'une lettre de félicitations avec le texte du règlement et d'un diplôme de membre d'honneur, dans lequel on lui décernait le titre de Sachem Grand-Nu. Un soir, à l'inexprimable horreur des Sauvages, un philistin avait, avant leur entrée, pris possession de la hutte sociale et, profanation insigne, tenait entre ses lèvres le grand calumet sacré. Ils se précipitèrent sur son chapeau, mais il les arrêta d'un geste et tira de sa poche le diplôme qui lui avait été envoyé. C'était le Grand-Nu qui, dans un discours fort galamment tourné et du Fenimore Cooper le plus pur, les assurait de sa considération la plus distinguée. Ce jour-là, la hache de guerre ne fut pas déterrée. Au bout d'une heure, l'égalité la plus complète régnait dans le cercle, et les Sauvages, qui avaient fait moult libations sacrées, dansaient un pas apache dans le costume adopté par le Grand-Nu à Nivelles. Ce fut la dernière cérémonie des Sauvages; le baes du caboulot les flanqua à la porte. |