Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[graphic][merged small][merged small][merged small]

Quand les terreaux, déjà roussis et purpurins,
Flamboient sous les couchants mortuaires d'automne,
On voit, d'un carrefour livide et monotone,
Partir pour l'infini les arbres pèlerins;

Les pèlerins s'en vont, grands de mélancolie,
Pensifs, pieux et lents, par les routes du soir,
Les pèlerins géants et lourds et laissant choir
Leur feuillage de pleurs, de tristesse et de lie;

Les pèlerins, qui vont mystérieusement,

Toujours sur double rang, depuis combien d'années?
Toujours vers l'horizon et ses gloires fanées,
Et son insurmontable et despotique aimant;

Les pèlerins, dont les manteaux tout en lumière,
Mordus par le soleil vespéral qui s'endort,
Apparaissent ainsi que des vêtements d'or,
Traînés dans un chemin d'encens et de poussière;

Les pèlerins, aux vieux sommets houleux et fous,
Que regardent passer le long de leurs voyages,
De mystiques hameaux et de fervents villages,
Courbés dans la prière et jetés à genoux.

II

LE CRI

Sur un étang désert où stagne une eau brunie,
Un rai du soir s'accroche au sommet d'un roseau,
Un cri s'écoute, un cri désespéré d'oiseau,
Un cri grêle, qui pleure au loin une agonie.

Comme il est faible, et mince, et timide, et fluet!
Et comme avec tristesse il se traîne et s'écoute,
Et comme il se prolonge, et comme, avec la route,
Il s'enfonce et se perd dans l'horizon muet!

Et comme il scande l'heure au rythme de son râle,
Et comme en son accent minable et souffreteux,
Et comme en son écho languissant et boîteux,
Se plaint peureusement la douleur vespérale!

Il est si lent parfois qu'on ne le saisit pas,
Et néanmoins, toujours, et sans fatigue, il tinte
L'obscur et frêle adieu de quelque vie éteinte;
Il dit les pauvres morts et les pauvres trépas :

La mort des fleurs, la mort des insectes, la douce
Mort des ailes et des tiges et des parfums;
Il dit les vols lointains et clairs, qui sont défunts
Et reposent cassés dans l'herbe et dans la mousse.

III

LA PLAINE

Depuis que dans la plaine immense il s'est fait soir, Avec de lourds marteaux et des blocs taciturnes, L'ombre bâtit ses murs et ses donjons nocturnes Comme un Escurial revêtu d'argent noir.

Le ciel prodigieux domine, embrasé d'astres,
Voûte d'ébène et d'or où fourmillent des yeux
Et s'érigent, d'un jet vers ce plafond de feux,
Les chênes et les pins, pareils à des pilastres.

Comme de blancs linceuls éclairés de flambeaux,
Les lacs brillent, frappés de lumières stellaires,
Les champs, ils sont coupés par clos quadrangulaires,
Et miroitent, ainsi que d'énormes tombeaux.

Et telle, avec ses coins et ses salles funèbres,
Tout entière bâtie en mystère, en terreur,
La nuit paraît le noir palais d'un empereur
Accoudé quelque part, au loin, dans les ténèbres.

IV

LE MOULIN

Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,
Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,

Il tourne, et tourne, et sa voile, couleur de lie,
Est triste, et faible, et lente, et lasse, infiniment.

Depuis l'aube, ses bras, comme des bras de plainte,
Se sont tendus et sont tombés; et les voici
Qui retombent encor, là-bas, dans l'air noirci
Et le silence entier de la nature éteinte.

Les champs sont détrempés. De lourds nuages tors
Éclaboussent les loins de leurs voyages sombres,
Et le long des taillis, qui ramassent leurs ombres,
Les ornières s'en vont vers les horizons morts.

Sous un ourlet de sol, deux cassines de hétre
Très misérablement sont assises en rond;
Une lampe de cuivre est pendue au plafond
Et patine de feu le mur et la fenêtre.

Et dans la plaine immense et le vide dormeur,
Elles fixent - les très souffreteuses bicoques

Avec les pauvres yeux de leurs carreaux en loques,
Le vieux moulin qui tombe et meurt.

EMILE VERHAEREN.

SOUVENIRS DE LA VIE D'ETUDIANT

IV

LES SAUVAGES

u grand mouvement des Rossards succéda une période de calme absolu. Il se forma bien par-ci par-là quelques petits cercles, mais chacun mourut de sa belle mort après quelques mois d'une vie placide on allait du Ballon au cours tranquillement, on se cuitait bourgeoisement, on dansait le lundi plus ou moins correctement, vers juin on travaillait avec acharnement, les professeurs étaient dans l'étonnement et les parents dans le ravissement.

L'âge d'or.

Cela dura jusqu'en 1866, époque à laquelle cinq étudiants des écoles spéciales fondèrent le Club des Sauvages: club tout intime, mais dont on parla beaucoup au dehors.

Comme tant d'autres, il n'avait d'autre but que de réunir quelques amis dans un local déterminé où leurs noces ne devaient avoir d'autres témoins qu'eux-mêmes.

Les cinq membres primitifs prirent naturellement des noms sauvages. Ce furent le Bison Courageux, le Bélier Sanglant, Chingackook, le Grand Aigle blanc et le Camembert Puant; ce dernier nom n'était emprunté ni à Gustave Aymard ni à Fenimore Cooper, mais son titulaire y tenait d'une façon spéciale.

Le règlement, d'une simplicité primitive, était conçu comme suit :
Art. 1er. L'égalité la plus complète doit régner au sein du club.

Art. 2. Tout philistin qui s'introduirait au local d'une façon subreptice aura son chapeau dévoré.

Ce règlement, malgré sa simplicité, donna lieu aux discussions les plus insensées pendant les séances.

Les jours de gala, c'est-à-dire lorsqu'on admettait des civilisés aux Sauvages, les séances étaient présidées par un cérémonial de grande allure.

Le Sauvage le plus rapproché de l'armoire aux archives ouvrait icelle avec gravité et en tirait le grand calumet de paix, qui consistait en une queue de billard perforée de bout en bout, et insérée dans un mortier rempli de tabac. Le Sauvage allumait ce monument, dont le gros bout devait être fourré dans l'orifice buccal, aspirait quelques bouffées de fumée et poussait un hurlement terrible.

La pipe faisait le tour des fondateurs, chaque aspiration était accompagnée d'un cri farouche et un dernier hurlement énorme, tonitruant et poussé avec ensemble, annonçait que la séance était ouverte.

Quand les séances étaient tempêtueuses - et la non application rigoureusement sévère de l'art. 1er du règlement en était cause, on réintégrait dans son armoire le calumet de paix et l'on déterrait la hache de guerre. Cet instrument de torture rétablissait l'ordre malgré le mauvais caractère du Camembert Puant.

Ces discussions énormes, que Salomon eût enviées, faisaient la joie des cabarets universitaires.

Un jour, et ce fut la seule fois, l'art. 2 faillit être appliqué :

Un individu de Nivelles, de joyeuse humeur, s'était fait condamner en Correctionnelle à un mois de prison pour s'être, en temps de carnaval, déguisé en sauvage, déguisement qu'il avait réalisé par une absence complète de costume.

On lui fit immédiatement envoi, aux Petits-Carmes, où il résidait, d'une lettre de félicitations avec le texte du règlement et d'un diplôme de membre d'honneur, dans lequel on lui décernait le titre de Sachem Grand-Nu.

Un soir, à l'inexprimable horreur des Sauvages, un philistin avait, avant leur entrée, pris possession de la hutte sociale et, profanation insigne, tenait entre ses lèvres le grand calumet sacré.

Ils se précipitèrent sur son chapeau, mais il les arrêta d'un geste et tira de sa poche le diplôme qui lui avait été envoyé. C'était le Grand-Nu qui, dans un discours fort galamment tourné et du Fenimore Cooper le plus pur, les assurait de sa considération la plus distinguée.

Ce jour-là, la hache de guerre ne fut pas déterrée. Au bout d'une heure, l'égalité la plus complète régnait dans le cercle, et les Sauvages, qui avaient fait moult libations sacrées, dansaient un pas apache dans le costume adopté par le Grand-Nu à Nivelles.

Ce fut la dernière cérémonie des Sauvages; le baes du caboulot les flanqua à la porte.

« AnteriorContinuar »