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A l'heure qu'il est, ce travail est accompli. L'humanité pensante a rendu son arrêt. Voltaire, Rousseau, Lessing, Goethe, Saint-Simon, Proudhon, Edgar Quinet, en ont formulé les considérants avec une éloquente netteté. Du moment que l'on dégage la notion de Dieu de toute idée de multiplicité, du moment que l'on écarte comme irrationnelle la conception d'un médiateur participant à la fois de l'homme et de Dieu, et que l'on nie métaphysiquement la nécessité, en même temps que la possibilité d'une pareille médiation, il n'y a plus lieu, on le comprend, à traiter la question pour ainsi dire dans le temps et dans l'espace, à s'inquiéter, en un mot, de savoir si tel ou tel individu appartenant à notre espèce a pu jouer le rôle de médiateur.

Ainsi, à la distinction déjà établie dans le nouveau Testament par la science moderne, entre l'élément légendaire et l'élément authentique, nous devons, sans hésitation, en ajouter une autre. Ne nous obstinons point à confondre ce qui ne saurait rester uni, et, puisque nous avons à choisir entre Jésus, véritable fondateur du déisme, initiateur de la plus haute, de la plus pure, de la plus admirable vie religieuse, et Jésus, imbu de croyances messianiques auxquelles répugne notre conscience, et que notre raison désapprouve, allons hardiment du côté où nous appellent, non-sculement nos préférences, nos instincts, mais encore notre expérience et nos lumières.

Est-ce à dire que, devant cette distinction, l'Évangile va fondre et se réduire à néant, qu'il va perdre sa vertu, son efficacité, que le sel salutaire va s'évaporer? On ne manquera pas d'exprimer cette appréhension, et bien d'autres sans doute. Ceux qui manifesteraient de semblables craintes auraient une médiocre confiance dans la solidité indestructible, dans l'irrésistible pouvoir de la doctrine morale et religieuse que contient ce beau livre.

Non, l'Évangile ne tombera pas en poussière, et ne se dissipera point en fumée, parce qu'après l'avoir débarrassé des légendes qui en altéraient l'éclat on aura eu encore le courage d'éliminer l'élément surnaturel et mythologique qui le fausse. Nous retenons, nous conservons de cet immortel recueil ce qui mérite réellement d'être retenu et conservé, ce qui ne peut s'affaiblir, ni périr le grand souffle spiritualiste et humain, la protestation sublime du sentiment, l'effusion suave, le délicieux épanchement, l'affirmation déchirante à la fois et magistrale, le cri suprême de l'âme proclamant l'existence, la grandeur, la justice, la bonté de Dieu, avec une autorité qui n'a jamais été surpassée avec un tel accent de sincérité, de conviction, de certitude, que le monde antique ne put l'entendre sans se transformer et se moraliser.

Le moment est venu de tirer, de dégager du christia nisme le déisme que, depuis son origine, il contient à l'état latent. Il est temps de briser l'écorce, d'ouvrir la dernière

enveloppe et de goûter au fruit savoureux et fortifiant de la vie spirituelle. S'il est une communion chrétienne à qui le soin d'accomplir cette tâche, à qui le devoir de préparer cette transition devenue nécessaire soit évidemment dévolu, c'est à l'Église que Luther et Calvin ont fondée sur la simplification du dogme.

Le protestantisme a beau, par ses organes officiels, se rapprocher de l'Église romaine, qui, par sa mise en scène trinitaire, par le culte qu'elle a voué à Marie, par l'adoration des saints soigneusement recommandée et encouragée, incline très-visiblement vers le polythéisme, l'élément monothéiste que l'on retrouve toujours au fond de l'intelligence humaine s'impose au christianisme évangélique, et ne lui permet pas de dévier, de s'abdiquer. Il importe de se placer à ce point de vue, si l'on veut comprendre toute la portée des divisions qui ont récemment éclaté entre le consistoire de Paris, représentant de l'orthodoxie calviniste, et quelques pasteurs éclairés, convaincus, indépendants. C'est celui d'après lequel je me suis dirigé, orienté dans ce volume consacré en majeure partie à l'appréciation sympathique des tentatives émancipatrices du protestantisme libéral,

II

L'ouvrage que je présente aujourd'hui au public est la continuation, mais la continuation progressive de mon précédent livre La Piété au XIXe siècle (1). Dans La Piété, j'accordais davantage, sinon à la négation, qui m'a toujours inspiré la plus profonde horreur, au moins à la critique proprement dite; je me tenais en quelque façon sur la réserve, sur la défensive. Ma préoccupation dominante était, en affirmant le plus nettement possible le déisme pur et simple, de montrer d'une manière irrécusable qu'il n'est aucunement solidaire de l'étroitesse, du pharisaïsme, de l'intolérance des Églises constituées; bref, je m'attachais plutôt à établir ce qu'il n'est pas, qu'à le définir. Au lendemain des passions déchaînées par la publication de la Vie de Jésus, et lorsqu'on les sentait encore frémissantes, mal apaisées, mal contenues, cette disposition d'esprit avait, j'ose le penser, sa raison d'être, sa légitimité.

L'étude sur La Légende chrétienne et la Science mo

(1) Paris, 1864, chez Michel Lévy.

derne, qu'on trouvera dans le présent volume, et qui fut écrite à propos du remarquable ouvrage de M. Peyrat, Histoire élémentaire et critique de Jésus (1), est encore conçue dans cet esprit de réserve quelque peu attristée, d'expectative armée en guerre, si je peux m'exprimer ainsi.

Je sentais que le déisme français, gaulois, celui de Rabelais, de Molière, de Voltaire, de Bérenger, excellent comme limitation et frein de la tendance méthodiste ou cléricale, s'est créé de sérieux obstacles par l'attitude volontiers négative et même hostile qu'il a prise à l'égard de la narration évangélique, rejetant tout en bloc, supprimant Jésus, se privant de gaieté de cœur d'une incomparable méthode religieuse. Ce déisme auquel je me ralliais faute de mieux, et en le considérant comme une opinion philosophique peu susceptible de se prêter à une construction religieuse, me paraissait singulièrement incomplet et ne me satisfaisait qu'à moitié.

Le Christ et la Conscience de M. Félix Pécaut, suivi bientôt d'un second ouvrage du même auteur, De l'avenir du Théisme chrétien considéré comme religion (2), me frappa vivement et me mit sur la voie de la solution désirable. C'était du Jean-Jacques Rousseau plus consé

(1) Chez Michel Lévy, 2e édition.

(2) Chez Joël Cherbuliez.

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