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quelles il se livre au sujet de ces six classes de caractères, nous nous contenterons d'indiquer quelques observations qui ont rapport à la sixième, c'est-à-dire, à l'impression que font les corps sur le toucher et sur le tact, sur l'odorat, et sur le goût. M. Chevreul paroît avoir étudié avec une attention particulière et soumis à une subtile analyse, les effets que plusieurs corps produisent sur les organes des sens, et notamment les odeurs et les saveurs. Une précaution qu'on néglige assez ordinairement l'a mis en état de distinguer, dans ce genre de phénomènes, des nuances qui ont échappé jusqu'ici aux meilleurs observateurs. Cette précaution consiste à isoler l'action du sens de l'odorat, de celle du goût, en comprimant les narines, quand on introduit dans la bouche une substance à-la-fois sapide et odorante. De cette manière, l'air qui s'est chargé dans la bouche des parties. odorantes émanées de la substance, ne pouvant plus être expiré par le nez, cessera de porter à la membrane pituitaire les molécules qui produisent la sensation de l'odeur. En étudiant l'action des corps sur le goût d'après cette observation, M. Chevreul a reconnu des différences extrêmes entre les sensations qu'on perçoit, suivant que le passage de l'air expiré par le nez est libre ou interrompu. If ramène ces sensations à quatre chefs principaux : il y a des corps qui n'agissent que sur le tact de la langue, comme le cristal de roche, le saphir, la glace. II y en a qui n'agissent que sur le tact de la langue et sur l'odorat. De ce nombre est l'étain; quand on le met dans la bouche, on perçoit l'odeur du métal; en se pressant les narines, cette sensation disparoît entièrement, et l'on éprouve seulement une sensation de tact. Certaines substances agissent sur le tact de la langue et sur le goût: tels sont le sucre et le chlorure de sodium (sel commun). Les sensations qu'ils causent ne sont point modifiées dans le cas où l'on presse les narines : enfin les huiles volatiles et les substances qui en contiennent, comme les pastilles de menthe ou de chocolat, agissent sur le tact de la langue, sur le goût et sur l'odorat. On n'en perçoit que la saveur en se pressant les narines, et l'odeur en redevient sensible lorsque l'air est expiré par le nez. M. Chevreul ajoute plusieurs remarques curieuses, parmi lesquelles nous n'en citerons qu'une. La saveur urineuse qu'on attribue aux alcalis fixes, n'appartient point à ces substances, mais bien à l'ammoniaque qui est mise en liberté par la réaction des bases alcalines fixes sur les sels ammoniacaux contenus dans la salive. Cette sensation disparoît lorsque les narines sont pressées, et on la retrouve dans un mélange de salive fraîche et d'alcali, opéré à l'extérieur.

Après avoir exposé, dans un chapitre séparé, les difficultés parti

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culières de l'analyse immédiate des corps organisés, M. Chevreul examine successivement quelle est l'influence qu'exercent en ces corps la chaleur sèche, l'oxigène atmosphérique, les dissolvans, et les reactifs de divers genres, Il s'occupe de rechercher les moyens de distinguer les espèces qui constituent une matière organique soumise à l'analyse, et de déterminer si cette matière doit ou ne doit pas être considérée comme une espèce. Sept chapitres destinés à ces divers objets sont remplis de vues saines et d'observations judicieuses; mais il seroit difficile de les faire connoître sans entrer dans des détails que la nature de ce Journal nous oblige d'abréger. Un résumé très-exact termine la première partie, et les vingt pages qu'il occupe nous paroissent dignes d'être méditées par toutes les personnes qui se livrent à des recherches sur la chimie organique.

La seconde partie est celle où M. Chevreul traite des applications de l'analyse organique immédiate: c'est un sujet intéressant, dont tous les lecteurs peuvent, par eux-mêmes, apprécier l'utilité, et sur lequel il doit être permis de s'arrêter de préférence, dans un recueil qui n'est pas exclusivement consacré à la science chimique. Le premier genre d'application exposé par l'auteur, est celui qu'il croit devoir faire à la chimie organique elle même, des idées qu'il vient de présenter. Après avoir rappelé plusieurs principes qui ont été établis dans la première partie, il s'attache à éliminer plusieurs corps composés qui ont été à tort compris parmi les espèces organiques. Il en exclut d'abord les huiles et les graisses, qui sont formées de deux ou de plusieurs principes immédiats, unis en proportion indéfinie; le gluten, qui est composé, suivant M. Taddey, de glayadine et de zimome; la gomme adragant, réduite en deux substances par Bucholz; l'extractif, matière mal définie, mal caractérisée, et dans laquelle trois ou quatre substances au moins se trouvent réunies; le tannin, la sarcocolle, la quassine de M. Thomson, la caoutchouc, et plusieurs autres. M. Chevreul montre ensuite le peu de fondement de quelques distributions, en apparence méthodiques, où l'on a réuni, sous les noms de genres, les sucres, les principes amers, les matières colorantes, les gommes, le genre muqueux, la cérasine, les baumes, les résines, et plusieurs autres groupes établis par Fourcroy et par M. Thomson, et qui ne sauroient recevoir le nom de genre, puisque la plupart des substances qu'ils renferment doivent être rejetées du catalogue des espèces. M. Chevreul a posé des principes rigoureux, et il s'y attache avec une sévérité qui fait honneur à sa logique.

Les applications qu'on peut faire d'un travail chimique sont ordi

nairement ce qui frappe le plus le commun des lecteurs, plus touchés de ce qui est immédiatement utile, que de l'avancement de la science et des avantages qu'elle en doit recueillir un jour. M. Chevreul indique ici, avec beaucoup de précision, le rapport sous lequel les progrès de la chimie organique ont droit d'exciter l'attention des hommes mêmes qui sont peu disposés à concevoir la fécondité des idées théoriques. Si l'on se rappeloit que les applications raisonnées de la chimie minérale n'ont pu être faites qu'après qu'on a eu défini les espèces inorganiques et fixé la proportion des élémens dans les oxides métalliques, les acides, les sels, on sentiroit que les services que les arts ont droit d'attendre de la chimie organique sont précisément du même ordre, et doivent être obtenus par les mêmes moyens. Si l'on veut savoir le bénéfice que donnera la préparation d'un principe immédiat organique, ou celle d'un produit quelconque fabriqué avec des matières organiques, un des premiers élémens de la question est sans doute la connoissance de la proportion du principe extrait à la matière qui l'a fourni, ou la proportion du produit fabriqué aux matières avec lesquelles on peut le fabriquer. Cette proportion, rigoureusement déterminée par des procédés méthodiques, sera un terme absolu pour connoître le bénéfice, en tenant compte ensuite du déchet occasionné par la différence qu'il y a toujours entre la précision d'une préparation en petit et celle d'une préparation en grand. C'est là que réside la question la plus intéressante pour les manufacturiers, et l'on en a vu la preuve en France lorsqu'il s'est agi de suppléer aux produits des colonies par des produits indigènes. On a démontré l'identité du sucre de canne avec le sucre de betterave, et l'identité de l'indigo avec le bleu du pastel. Mais l'extraction de ce dernier produit n'a pas encore été reconnue assez avantageuse, pour que la fabrication en fût généralement adoptée, comme l'a été celle du sucre de betterave.

L'utilité de la chimie organique dans la pharmacologie et la médecine légale auroit à peine besoin d'être rappelée, si quelques questions qui se présentent à ce sujet ne réclamoient une discussion. M. Chevreul y est entré dans un chapitre particulier. Plusieurs des médicamens les plus importans pour l'art de guérir, tels que l'extrait d'opium, les écorces de quinquina, les racines d'ipécacuanha, contiennent des proportions inconnues de principes très-actifs. Les travaux qui tendent à isoler ces principes, tournent au profit de la science médicale, puisque, s'il est jamais important de se rendre un compte exact des actions qu'on veut produire, c'est quand on les exerce sur des êtres vivans. La découverte de la morphine, du principe vésicant des cantharides,

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de la picrotoxine, de la cinchonine, de la quinine, de l'émétine, de la strychnine, a livré au médecin des substances dont les propriétés constantes et faciles à apprécier ne lui laissent d'autre embarras que d'en faire varier l'intensité suivant l'âge, le tempérament des malades ou l'état des organes. Si l'on objecte que l'activité excessive de ces substances oblige habituellement à les tempérer par l'addition d'une substance inerte, et par conséquent à recomposer pour ainsi dire un mélange analogue à celui que la nature nous avoit offert tout fait, il est aisé de répondre que ce mélange produit par l'art a sur l'autre un avantage incontestable; c'est qu'au moins les élémens peuvent en être exactement connus, et les effets calculés d'avance.

Quant à la médecine légale, ses besoins les plus urgens, et les secours qu'elle réclame avec le plus d'instance, donnent un haut prix aux lumières qu'elle peut recevoir de l'analyse organique. M. Chevreul expose ici, avec ce soin minutieux que la gravité du sujet exige et justifie, un plan de recherches dont l'objet est de constater l'action des poisons végétaux et animaux. Les altérations spéciales des tissus, et les propriétés particulières des espèces organiques qui sont la base de ces poisons, fournissent un appui solide à ces considérations, et réduisent à sa juste valeur cette opinion trop répandue, et qui très-heureusement n'est qu'une erreur, qu'il existe des poisons dont les traces échappent aux recherches les plus attentives et les mieux dirigées.

Enfin l'auteur traite, en plusieurs articles, des applications qu'on peut faire des connoissances fournies par la chimie organique à l'anatomie, à la physiologie, à la thérapeutique et à la zoologie proprement dite. Pousser la distinction des tissus organiques au-delà des bornes où l'analyse mécanique la plus subtile est forcée de s'arrêter; étudier les transformations pathologiques que ces tissus peuvent éprouver, et les altérations des liquides, que l'école des solidistes a beaucoup trop négligées; en un mot, joindre à l'étude des formes et de la structure extérieure des organes, celle de leur composition intime et de leur nature chimique: voilà ce qu'on ne peut faire qu'avec le secours d'une analyse perfectionnée et rendue de plus en plus scrupuleuse et délicate.

M. Chevreul termine le résumé qu'il offre lui-même de ces considérations par l'exposition de vues très-élevées sur les causes prochaines de la vie. Egalement en garde contre les prétentions de ces savans qui veulent expliquer les phénomènes de l'organisation par les forces qui régissent la matière brute, et contre les allégations mystérieuses de ceux qui se bornent à invoquer une ou plusieurs forces qu'ils nomment vitales, pour ne pas les appeler occultes, il fait la part de ce que chacune

de ces opinions a de raisonnable ou de probable, et montre que la connoissance des sciences physico-chimiques est aussi indispensable aux partisans du vitalisme qu'à ceux qui ont embrassé les hypothèses contraires : «< car, dit-il, puisqu'ils reconnoissent que les forces vitales » sont en lutte perpétuelle avec les forces qui régissent la nature inorganique, ils admettent nécessairement que celles-ci neutralisent » une portion des premières, que conséquemment elles agissent; dès» lors, pour apprécier rigoureusement les effets produits par les pre»mières, il faut déterminer les effets qui seroient produits par les » forces de la nature inorganique, si les forces vitales n'agissoient point. C'est le seul moyen scientifique d'établir l'existence des forces » vitales comme distinctes des autres, en faisant voir ce qui leur appartient réellement dans les phénomènes de la vie. »

Un traité du genre de celui que nous venons d'analyser, doit trouver moins d'appréciateurs éclairés qu'un ouvrage exclusivement rempli de résultats directs et d'expériences positives. Mais c'est un de ces cas où un petit nombre de suffrages peut suffire au succès d'un livre. La phitosophie d'une science n'en est jamais la partie la plus répandue, ni même la plus généralement goûtée; mais les travaux qui l'établissent méritent d'occuper un rang distingué quand ils peuvent servir à diriger les recherches ultérieures, et à amener des découvertes importantes. Pour montrer que son ouvrage est propre à produire cet heureux effet, M. Chevreul n'a besoin que de mettre lui-même en pratique la théorie qu'il y expose, avec la certitude de contribuer puissamment aux progrès de cette branche de la chimie à laquelle il a déjà rendu de si éminens services. On est en droit d'offrir des préceptes, quand on a donné de pareils exemples.

J. P. ABEL-RÉMUSAT.

allemand,

CHEFS-D'ŒUVRE DES THÉÂTRES ÉTRANGERS anglais, espagnol, italien, &c. Paris, chez Ladvocat, libraire, Palais-royal, galerie de bois, n.o 196, in-8.o, 25 volumes.

NEUVIÈME ARTICLE. THÉÂTRE ANGLAIS (suite). –

DANS le précédent article, j'ai exprimé mes regrets sur ce que les pièces que l'éditeur de cette collection nous donne pour les chefsd'oeuvre du théâtre anglais, n'ont pas été classées d'après l'ordre des temps où elles parurent sur la scène. Cette négligence, qui peut

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