Imágenes de páginas
PDF
EPUB

rités constituées; que les papiers trouvés chez elle prouvent que depuis que ce conspirateur a été frappé du glaive de la loi, elle a reçu et payé pour lui, que ces mêmes papiers établissent encore que les conspirateurs s'adressaient à elle directement, pour avoir le signe de ralliement des contre-révolutionnaires; que, par une lettre du 1er août 1792, on lui demande le médaillon appelé par les conspirateurs: ordre de famille, cher, dit-on, à tous bons Français, c'est-à-dire un portrait gravé du dernier tyran des Français; que la femme Feuchère a été trouvée encore saisie de plusieurs de ces médaillons, preuve évidente qu'elle n'a pas cessé d'en être la distributrice, qu'elle avait caché ces médaillons dans ses vêtements, que, malgré le châtiment infligé à son infâme associé, elle n'a pas cessé d'être l'agente des conspirateurs et de machiner une contre-révolution; qu'elle a gardé soigneusement, non seulement les portraits du dernier tyran et de sa famille, mais encore ceux de Léopold, du tyran de Suède, Gustave III, ce chef de conspirateurs contre la France, avec des inscriptions qui caractérisent l'intention de celle qui les possédait; qu'enfin, une gravure également trouvée chez la Feuchère et représentant ce Gustave, et la Catherine du Nord, s'engageant à donner des fers aux Français. Une bague avec inscription autour, servant de signe de ralliement aux conspirateurs, et connue sous la dénomination de collier, et un grand gobelet de cristal fleurdelisé, avec l'inscription contre-révolutionnaire au milieu : vive le roi, et ce gobelet, enfermé précieusement dans un étui; qu'il parait encore que la femme Feuchère avait une maison aux Prés Saint-Gervais, où se tenaient les conciliabules contre-révolutionnaires avec ses complices.

2o Contre les nommées Courvoisier et Dulac : que ces deux femmes, mariées à des peintres émigrés, ont été elles-mêmes attachées, l'une en qualité de femme de chambre, et l'autre de femme de charge, au nommé Ogorman et à sa femme, tous deux émigrés; que ces deux femmes n'ont cessé d'entretenir avec la Feuchère les relations les plus intimes, et qu'elles ont même séjourné avec elle pendant un certain espace de temps dans cette maison, située aux Prés Saint-Gervais, maison qui était le centre de ralliement des affidés conspirateurs; qu'elles paraissent encore avoir été soudoyées par le nommé Saint-Léger, médecin, et en 1791, commissaire du pouvoir exécutif, pour fomenter la contre-révolution dans l'ile Saint-Domingue; que la femme Courvoisier, pour se dérober sans doute à la surveillance des magistrats du peuple, a imaginé, de concert avec la conspiratrice Feuchère, de s'établir cordonnière rue des Champs, afin que la publicité de cet état détournât de dessus elle les soupçons auxquels elle pouvait être d'ailleurs exposée.

Contre Edmond Saint-Léger, se disant médecin : que cet agent du pouvoir exécutif pour l'île de Saint-Domingue, en 1791, moment où le pouvoir exécutif n'y envoyait des commissaires que pour y commencer une contre-révolution, qui devait ensuite s'étendre à la métropole, parait être le correspondant des contre-révolutionnaires et des émigrés, et chargé par eux de distribuer les fonds qu'il a à eux dans ses mains, aux différents individus qui lui sont désignés; que c'est lui qui a fait différents payements à la femme Courvoisier, des sommes qu'elle partageait avec les femmes Dulac et Courvoisier, provenues de l'acquisition qu'il a faite, au mois d'octobre dernier, de vin appartenant à Ogorman, à l'époque de son émigration, déguisée sous le prétexte d'un voyage en Amérique, et que ces payements avaient pour objet la solde des gages dus aux dites Courvoisier et Dulac, suivant la destination verbale qui en avait été faite par Ogorman lui-même; mais que Saint-Léger n'est évidemment que l'agent des émigrés, avec un nommé Legendre, épicier, rue Taranne, qui a disparu au moment où il a été instruit de l'arrestation de Saint-Léger, et qu'ils étaient chargés de soudoyer l'un et l'autre cette horde de conspirateurs qui n'attendent que le signal de se rallier, s'il était possible, aux ennemis coalisés contre l'Empire français.

D'après l'exposé ci-dessus, l'accusateur public a dressé la présente accusation contre Marie-Aimée Leroy, femme Feuchère, Hélène Janson, femme Dulac, Catherine Simonin, femme Courvoisier, et Edmond Saint-Léger, actuellement détenus dans la maison d'arrêt de la Conciergerie du Palais, pour avoir conspiré contre l'Empire français et attenté à la tranquillité et à la sûreté intérieure de la République, en entretenant des intelligences et correspondances avec les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, à l'effet de provoquer la dissolution de la représentation

nationale et le rétablissement de la royauté, ce qui est contraire à l'article 4 de la première section du titre premier de la deuxième partie du Code pénal.

En conséquence, l'accusateur public requiert qu'il lui soit donné acte de l'accusation par lui portée contre les dits Feuchère, Courvoisier, Dulac et Saint-Léger, actuellement détenus dans la maison d'arrêt de la Conciergerie; qu'il soit dit et ordonné qu'à sa diligence et par l'huissier porteur de l'ordonnance à intervenir, lesdits Feuchère, Courvoisier, Dulac et Saint-Léger seront pris au corps et écroués sur les registres de la maison d'arrêt, pour y rester comme en maison de justice; comme aussi que l'ordonnance à intervenir sera notifiée à la municipalité de Paris.

Fait au cabinet de l'accusateur public, le 18 nivôse, l'an deuxième de la République française, une et indivisible.

Signé A.-Q. FOUQUIER.

Ledit acte d'accusation était suivi de l'ordonnance de prise de corps ainsi

conçue :

Le tribunal, faisant droit, sur le réquisitoire de l'accusateur public, lui donne acte de l'accusation par lui portée contre Marie-Aimée Leroy, femme Feuchère, Hélène Janson femme Dulac, Catherine Simonin femme Courvoisier, et Edmond Saint-Léger, tous détenus en la maison d'arrêt de la Conciergerie.

En conséquence, ordonne qu'à la diligence du requérant et par l'huissier porteur de l'ordonnance du tribunal, lesdits Feuchère, Dulac, Courvoisier et Saint-Léger seront pris au corps et écroués sur les registres de la maison d'arrêt, où ils sont détenus, pour y rester comme en maison de justice, comme aussi que la présente ordonnance sera notifiee à la municipalité.

Fait et jugé au tribunal, le 18 nivôse an II de la République, une et indivisible, par les citoyens Réné-François Dumas, vice-président; Étienne Foucault, AntoineMaire et Joseph Denizot, juges, qui ont signé.

DENIZOT, DUMAS, MAIRE, FOUCAULT.

Vu l'ordonnance de prise de corps, décernée par le tribunal contre lesdits MarieAimée Leroy, femme Feuchère, Catherine Simonin femme Courvoisier, Hélène Janson, femme Dulac, et Edmond Saint-Léger; le procès-verbal d'écrou et la remise de leurs personnes à la maison de justice de la conciergerie du Palais.

L'ordonnance de prise de corps rendue à l'audience publique de la séance, aux débats du présent jugement contre Girouard, âgé de trente-six ans, natif de Chartres, en Beauce, département d'Eure-et-Loir, demeurant à Paris, rue du Bout-du-Monde. Sur les conclusions et réquisitoire de l'accusateur public:

Attendu qu'il résulte des débats que Girouard paraît être complice des conspirations de la femme Feuchère, qu'il avait gravé des signes et imprimé des ouvrages contre-révolutionnaires et été trouvé saisi d'ouvrages empoisonnés d'aristocratie, tendant à avilir la représentation nationale; ordonne que ledit Girouard sera sur-lechamp traduit et mis en jugement avec les accusés ci-dessus dénommés et que l'acte d'accusation dressé contre eux s'étendra à lui et deviendra commun.

La déclaration du juré faite à haute et intelligible voix portant: qu'il est constant qu'il existe une conspiration tendant à troubler la tranquillité et la sûreté de la République française et à rétablir la royauté en France, en opérant la dissolution de la représentation nationale et pour y parvenir, à faciliter, par tous les moyens possibles, l'entrée des troupes, des tyrans coalisés sur le territoire de la République.

« Que Marie-Anne Leroy, femme de Joseph Feuchère, recevait les abonnements du journal contre-révolutionnaire appelé la Gazette de Paris dont Durosoi était le rédacteur et l'un des auteurs ou complice de ladite conspiration.

« Qu'il est constant que Joseph Girouard, imprimeur de la dite Gazette, est l'un des auteurs ou complices de ladite conspiration et a fait graver des signes contre-révolutionnaires.

« Qu'il n'est pas constant que Catherine Simonin, femme Courvoisier, Hélène Janson, femme du nommé Dulac et Edouard Saint-Léger, natif d'Irlande, soient complices de ladite conspiration.

« L'ordonnance du tribunal qui acquitte lesdites femmes Courvoisier, femme Dulac et Saint-Léger. »

Le tribunal, après avoir entendu l'accusateur public sur l'application de la loi, condamne lesdits Marie-Aimée Leroy, femme de Joseph Feuchère et Joseph Girouard à la peine de mort, conformément à la loi du 4 décembre 1792, dont lecture a été faite, laquelle est ainsi conçue :

La Convention nationale décrète que quiconque proposerait ou tenterait d'établir en France la royauté ou tout autre pouvoir attentatoire à la souveraineté du peuple, sous quelque dénomination que ce soit, sera puni de mort et encore conformément à l'article IV du titre premier de la seconde section de la seconde partie du code pénal, dont il a été fait lecture, lequel est ainsi conçu :

« Toute manœuvre, toute intelligence avec les ennemis de la France tendant, soit à faciliter leur entrée dans les dépendances de l'empire français, soit à leur livrer des villes, forteresses, ports, vaisseaux, magasins ou arsenaux appartenant à la France, soit à leur fournir des secours en soldats, argent, vivres ou munitions, soit à favoriser d'une manière quelconque le progrès de leurs armes sur le territoire français ou contre nos forces de terre ou de mer, soit à ébranler la fidélité des officiers, soldats ou des autres citoyens envers la nation française, seront punis de mort. >>

Déclare les biens desdits Marie Leroy, femme Feuchère et Joseph Girouard acquis à la République, conformément à l'article 3 du titre II de la loi du 17 mars dernier dont il a été fait lecture.

Ordonne que le gobelet, portant des inscriptions contre-révolutionnaires, sera brisé au pied de l'échafaud, que les figures, ainsi que les brochures et libellés contre-révolutionnaires seront brûlés par l'exécuteur des jugements criminels; ordonne en outre qu'à la diligence de l'accusateur public, le présent jugement sera exécuté dans les vingtquatre heures sur la place de la Révolution de cette ville, qu'il sera imprimé, publié et affiché dans toute l'étendue de la République.

Fait et prononcé le 19 jour du mois de nivôse de l'an second de la République, à l'audience publique du tribunal, où siégeaient les citoyens Pierre André Coffinhal faisant les fonctions de président; Gabriel Toussaint, Scellier et Charles Bravet, juges, qui ont signé la présente minute avec Tavernier, greffier.

Signé :

COFFINHAL, président. - BRAVET, SCELLIER, juges. TAVERNIER, commis-greffier

En exécution des dispositions de la loi appliquées à Girouard, le tribunal révolutionnaire devait condamner à mort les rédacteurs des journaux qui critiquaient les décrets de la Convention nationale ou les arrêtés des comités qui composaient le gouvernement. Les imprimeurs de ces journaux et les employés qui recevaient les abonnements devaient subir la même peine.

Tel était devenu le sort des journalistes indépendants, sous un gouvernement qui avait fait inscrire les mots LIBERTÉ, ÉGALITÉ sur tous les monuments publics et même sur les prisons.

ALFRED BEGIS.

[graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small]

N 1526, les Hongrois ayant perdu la bataille des Mohacs, la ville de Bude fut prise par les Turcs et mise à sac. Il y eut un long gémissement parmi les humanistes. Ce n'était pas l'asservissement de la Hongrie qu'ils déploraient, mais l'incendie de la bibliothèque formée à Bude par Mathias Corvin. Soliman, qui avait hérité du nom de Salomon, n'en avait hérité ni la sagesse ni l'amour des livres. Quant à la sagesse, on n'en sait trop rien; pour l'amour des livres, on en est à peu près sûr. Il avait laissé détruire par ses troupes les trésors bibliographiques accumulés par Mathias Corvin. Comme il avait d'autres soucis, il est probable qu'il n'y avait

[graphic]

pas pris garde. Un érudit du temps (J.-A. Brassicani in Salvianum Præfatio,

I vol. in-folio, Bâle, 1530) cite Virgile, à propos de cet événement:

Quis talia fando

Temperet a lacrymis?

Il verserait aujourd'hui des larmes plus amères. Ce n'est plus une collection d'au

teurs latins qui disparaît, c'est la littérature latine qui s'en va. Depuis Brassicanus, quinze générations de philologues en ont vécu. Elle menace de leur manquer de compagnie, avec la littérature grecque. Celle-ci ne compte guère, bien qu'on ait essayé de l'introduire dans les écoles où elle végète avec effort. Elle n'intéresse que les hellénistes; les écoliers en prennent très peu et à regret. Dans notre siècle éminemment positif, ils estiment que ce n'est pas d'elle qu'ils ont une carrière à espérer, à moins qu'ils ne se destinent à l'enseignement. Les artistes, les lettrés, les gens du monde, en prennent ce que leur en disent les historiens, les traducteurs et les monuments. Ils le prennent dans notre langue : la langue grecque ne leur est pas abordable. Au fait, elle est si loin de notre tempérament, qu'elle ne l'est presque à personne. Il y a quatre ou cinq cents professeurs en France qui l'interprètent péniblement, à l'aide d'un dictionnaire ou d'une grammaire, et huit ou dix qui lisent le grec à livre ouvert. Jusqu'ici, la littérature et la langue latines n'étaient pas dans le même cas. La langue latine est celle de l'Église depuis son origine. Elle a été la langue administrative de l'Occident jusqu'au milieu du xvI° siècle, et celle du droit jusqu'à une époque toute récente. Les humanistes de la Renaissance en avaient fait celle des lettres, des arts, du goût, celle aussi de quiconque avait reçu une éducation distinguée et tenait un rang dans la société. On l'entendait, on la parlait quelquefois et surtout on l'écrivait. Son fonds d'idées et de sentiments, c'était, sinon celui des mœurs, celui de la vie mondaine.

Eh bien, on est en train de se dérober à cette tradition. Ce n'est pas d'hier. Quand on énonce le fait, on a l'air de découvrir la Méditerranée, dira-t-on. Non, ce n'est pas d'hier. Mais le mouvement se précipite; il aboutira prochainement. Il se produit à l'heure qu'il est un phénomène significatif, qui semble banal et qui ne l'est pas. Ce phénomène est la dépréciation universelle des livres écrits en latin. Elle n'a pas commencé hier non plus; il y a cent ans qu'on en parle. Mais c'est d'hier, c'est-à-dire depuis un laps de temps qui remonte à peine à vingt ou vingt-cinq ans, qu'elle a pris le caractère qui s'accentue davantage de nos jours, celui d'un mépris systématique venant de ceux qui jadis en professaient l'estime et en alimentaient la production. Le sujet n'est pas indifférent; il mérite qu'on le regarde en face. Le regarder en face! voilà la difficulté. Il y a des amours-propres à froisser, des préjugés qui ne consentiront point à reconnaître la vérité. Qu'on approuve ou qu'on regrette ce qui arrive, la situation est ce qu'elle est; essayer d'en détourner les yeux, ce n'est pas y changer grand'chose; le règne des lettres latines est fini. Il ne dépend désormais ni des lois, ni des règlements universitaires, ni de l'opinion, de leur rendre la vitalité qu'elles n'ont plus.

La langue latine restera la langue de l'Église comme le sanscrit reste la langue sacrée des Hindous; il y aura longtemps encore des savants qui l'étudieront comme on étudie les langues orientales dans quelques écoles spéciales ou dans une chaire du Collège de France. Ce qui est inévitable, c'est son élimination prochaine des écoles où elle n'est plus qu'un pensum dont on se tire comme on peut. Elle ne sollicite plus une intelligence, ne crée plus un talent, n'est plus utile qu'à prendre des grades. Officiellement elle préside à l'éducation libérale de la jeunesse dans la plupart des pays civilisés. Elle garde une considération qu'elle doit à un passé glorieux. On hésite à y toucher; un gou

« AnteriorContinuar »