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enfin, dis-je, voici pour moi le passage le plus important et le plus curieux de cette copie inconnue de la Guirlande de Julie.

Le madrigal de Tallemant des Réaux les Lys, tel qu'il figure dans l'original avec la signature Des Réaux Tallemant, est effacé complètement, puis refait sur ces mêmes ratures1. En outre, à côté de ce madrigal, en apparaît un autre beaucoup plus court, signé des Réaux, et biffé exactement comme le premier. Une note au crayon : « pour l'ornement..., à l'autre page », nous renvoie au verso où nous lisons, après le madrigal de Malleville, et en accolade, toujours sous la signature de Des Réaux, la pièce suivante qui me paraît une très heureuse réduction de l'original :

Pour l'ornement de l'empire françois,

Je descendis de l'Olympe autrefois;

Mais quelques grands honneurs qui semblassent m'attendre,
Si l'on eust secondé mes vœux,
On ne m'en auroit fait descendre
Que pour couronner vos cheveux.

Cette particularité du manuscrit 19142 piqua vivement ma curiosité et m'engagea à examiner de très près la copie de la Guirlande de Julie.

J'y remarquai trois écritures bien différentes.

L'une, haute et droite, parfaitement régulière, paraît appartenir à la main d'un copiste exercé. On la retrouve d'ailleurs fréquemment dans les manuscrits du xvii siècle. Ici, elle a tracé l'en-tête du recto de la première page et la première moitié du verso où je vous ai signalé, monsieur, l'épigramme de Carlincas : son travail reparaît sur toutes les autres pages. C'est évidemment un calligraphe qui a copié les madrigaux de la Guirlande.

La seconde écriture, large et presque tremblée, n'apparaît au contraire qu'une fois, pour remplacer les quatre vers, biffés d'un trait de plume, du Pavot de Scudéry.

La troisième occupe la seconde moitié du verso de la première page avec la légende de la Guirlande de Julie. Je la suis, pour ainsi dire, à la piste. C'est elle qui, à chaque page, désigne l'auteur de tel ou tel madrigal, qui recopie à la dernière l'épigramme de Carlincas; c'est elle seule qui a raturé, surchargé et définitivement remanié la pièce de des Réaux.

Il me semblait bien que j'avais vu cette écriture-là quelque part. Associant aux efforts de la mémoire des procédés d'investigation scientifique sur lesquels je reviendrai plus tard, je crus remarquer que ces caractères menus, secs, presque pointus, offraient une certaine analogie avec l'écriture de Tallemant des Réaux. Malheureusement les termes de comparaison dont je pouvais disposer étaient des plus restreints. On ne connaît jusqu'à présent qu'une pièce autographe du célèbre anecdotier3; c'est le sonnet, qui se trouve dans le recueil

1. Toutefois la pièce est illisible, et je crois distinguer comme surcharge de la signature le nom de Cassandre.

2. La graphologie, malgré ses prétentions excessives, trouve assez facilement ici son application. L'écriture de des Réaux dénote bien le caractère de l'homme tel que le montrent ses Mémoires : très net, très précis, très observateur, mais caustique, impitoyable et même grincheux.

3. Il ne nous a pas été donné de voir le texte original des Historiettes et des Portefeuilles dont parle M. de Monmerqué. En revanche, nous avons eu entre les mains l'exemplaire de Voiture de 1650

de Conrart, adressé au secrétaire de l'Académie par son « très humble serviteur Des Réaux ».

Vous voyez d'ici, monsieur, mes promenades successives à la Bibliothèque Nationale et à la Bibliothèque de l'Arsenal: chaque fois, je cherchais à m'affermir dans mes convictions, et je crois avoir acquis la certitude aujourd'hui de n'avoir pas fait fausse route. Cependant, monsieur, je ne suis pas expert en écritures, et peut-être serait-il à propos de laisser à qui de droit le soin de contrôler mes assertions.

Veuillez En outre, d'autres arguments plaidaient en faveur de ma thèse. comparer la légende du manuscrit 19142 avec l'alinéa que des Réaux consacre à la Guirlande de Julie, dans l'Historiette de Montausier, et dites-moi si vous ne trouvez pas comme un air de famille à ces deux textes.

Certes, l'auteur de la légende explicative en connaissait parfaitement l'histoire, mieux sans doute que la plupart des contemporains1, dont les renseignements à cet égard sont insignifiants ou bourrés d'inexactitudes.

Montausier épousa en effet Julie d'Angennes, « après treize ans d'amour ». Des Réaux le dit très nettement dans ses Historiettes : « ç'a été un mourant d'une constance qui a duré plus de treize ans ». Plus loin, il ajoute : « dès le temps du roi de Suède, il avoit commencé à travailler à la Guirlande de Julie ». Or le temps du roi de Suède, c'est 1632, et les lettres de Chapelain, dont nous devons l'entière publication aux soins éclairés de M. Tamizey de Larroque, viennent certifier officiellement l'acte de naissance de la Guirlande de Julie.

Je vous envoye, dit-il dans une lettre adressée au comte de Fiesque le 9 septembre 1633, un long madrigal que j'ay esté obligé de faire pour votre illustre cousine, Mademoiselle de Rambouillet, dans le dessein qu'un de nos amis a pris de luy faire une couronne de fleurs dont chacune parlera ou sera présentée à sa louange. C'est une imitation de l'italien de Guazzo pour une certaine comtesse de Montferrat et qui réussira.

Quelques jours après, le 14 septembre, Chapelain écrivait au baron de Salles qui devenait, deux ans plus tard, par la mort de son frère aîné, baron de Montausier :

J'achève en vous disant que je me tiens quitte envers vous du madrigal de fleurs que je vous avois promis, comme vous aurés veu par ma précédente....

Mais revenons à la légende du manuscrit 19142. Vous remarquerez, monsieur, que son auteur parle du marquis de Rambouillet comme d'un des collaborateurs de la Guirlande et qu'il lui attribue la paternité du madrigal l'Hyacinthe. Or Des Réaux le désigne à peu près dans les mêmes termes, et il est le

que possède la Bibliothèque de l'Arsenal et qui est annoté, dit-on, par des Réaux. M. Monmerqué, en quelques lignes annexées à la première page de cette belle édition, met en doute l'authenticité de l'écriture: nous partageons son avis et nous croyons même qu'une partie des annotations n'appartient pas à Tallemant. Nous nous en expliquerons à l'occasion.

1. Vous-même, monsieur, vous avez relevé cette prodigieuse erreur d'Huet fixant à 1632 l'hommage de la Guirlande à Julie d'Angennes. Le savant évêque a voulu sans doute parler de l'idée première, telle que la conçut Montausier.

seul contemporain des Montausier et des Rambouillet qui nous ait fait cette révélation.

L'auteur de la légende nomme le calligraphe Jarry; Des Réaux le nomme également, et cette fois c'est à l'éditeur des Historiettes que j'emprunte l'affirmation suivante :

Des Réaux est peut-être le seul contemporain qui nous ait parlé de l'admirable talent de ce Nicolas Jarry.

Mes recherches ne m'eussent pas semblé suffisantes, si je n'avais dépouillé le reste du manuscrit 19142. Or il est entièrement consacré à cette légion de poètes de ruelles, que Des Réaux cite volontiers dans ses Historiettes. A côté des noms plus connus de Godeau, de Pelisson, de Maucroix, de Scudéry, de Benserade, de Montreuil et de Bois-Robert, je trouve ceux de Serizy, de Fremont, de Cassandre, de Miles du Val, Ogier et d'Ardenay, de Quillet et de Meziriac, dont les œuvres poétiques sont absolument ignorées.

Ces différentes pièces sont écrites tantôt par le calligraphe, tantôt par le copiste que je crois être Tallemant des Réaux.

Ici, monsieur, j'ouvre une parenthèse pour vous dire qu'un autre manuscrit de la Bibliothèque nationale, le n° 19145, appartenant, lui aussi, au fonds de Saint-Germain-des-Prés, se présente dans les mêmes conditions que le 19142. Le format, la reliure, les fers qui s'y trouvent imprimés sont tout à fait semblables. Les deux sortes d'écriture que j'ai signalées dans le 19142 reparaissent dans le 19145. Ce dernier recueil comprend, à côté d'un certain nombre de poésies empruntées au Cabinet satyrique et aux œuvres de Corneille, de Sarazin, de Gombaud, de Malleville et de Saint-Pavin, une série de pièces imprimées ou inédites signées d'Etlan, Lafemas, Le Pailleur, Carlincas, Mareuil, Dulot, M. Paschal, Mlle Paschal, et autres noms que citent volontiers les Historiettes de Des Réaux.

Mais ce qui rend plus intéressante encore la lecture de ces poésies, dont la plupart n'ont pas vu le jour, c'est la multiplicité des notes qui leur servent de commentaires et qui sont toutes de cette écriture menue et pointue que je crois être celle de Des Réaux. Ces notes sont certainement l'œuvre d'un contemporain j'en ai trouvé qui portaient la date de 1653; elles tournent généralement à l'épigramme et rappellent l'esprit médisant de l'auteur des Historiettes. Il en est même qui se trouvent reproduites presque textuellement dans l'œuvre de Des Réaux. Je prends indifféremment mes citations dans l'un ou l'autre des manuscrits.

La sanglante satire de « Chastellet, maistre des requestes » contre Malefas (Lafemas) porte comme sous-titre cette note : « Il (l'exécuteur des basses-œuvres de Richelieu) fit effigier le baron de Ciré et condamner son cheval à tirer le tombereau où estoit son effigie. »>

Je lis dans les Historiettes : « On se moque dans cette satire de Chastellet, qu'il condamna le cheval de bataille du baron de Ciré à tirer le tombereau dans lequel estoit l'effigie de son maistre. »

L'anecdote de cet avocat qui, « plaidant pour les Portugais, commença ainsi Messieurs, je plaide pour haut et puissant prince Philippe IV, roi des Espagnes, etc., etc., et qui, depuis cela, fut appelé l'advocat du roi d'Espagne »,

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