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lesquels il ne faut pas oublier un petit almanach in-32 intitulé Étrennes comme il y en a peu (1790).

Parmi les dissertations érudites, il en est deux ou trois qu'il faut citer. Je préfère m'en acquitter dès le début, afin de n'avoir plus à y revenir, faisant ainsi la part de la pédanterie, comme on fait celle du feu. La plus célèbre de ces dissertations est l'opuscule qui a pour titre : De l'origine des Estrennes. Discours historique et moral, contenu dans une lettre. M.DC.LXXIV. La lettre est adressée « A Monsieur, Monsieur Stoffel, Conseiller de S. A. S. Frederic Auguste, Duc de Wirtemberg, et son Medecin ordinaire ». A la fin, on trouve la date : « A Lyon, ce 1. janvier 1674 », et la signature I. S. D. M., ce qui veut dire Jacob Spon, docteur médecin. L'édition originale est assez rare; mais elle a été réimprimée dans les Recherches curieuses d'antiquités, du même auteur (Lyon, 1683); une édition en a été donnée avec des notes en 1828, toujours à Lyon, chez Barret et, enfin, elle a trouvé place dans la « collection des meilleures dissertations » de Leber, Salgues et Cohen. Voilà bien des honneurs, et, s'il faut le dire, elle ne me semble guère les mériter. C'est une diatribe peu spirituelle contre la coutume des étrennes, où l'auteur voit un abominable et damnable reste des superstitions du paganisme. On a dit, non sans apparence de raison, qu'il ne considérait les étrennes comme une impiété que pour se dispenser d'en donner.

Une autre Dissertation sur l'origine des Étrennes a été publiée à Vienne en 1761 et est attribuée à un auteur assez ignoré nommé Dussert. Enfin le Thesaurus de Grævius, complété par Sallengre, contient deux dissertations latines sur ce sujet. L'une, par Bossius, se trouve dans le troisième volume du supplément de Sallengre, et l'autre, par Lippenius, dans le volume douzième de Grævius. Cette dernière est de beaucoup la plus ample et la plus intéressante. Je n'y relèverai qu'un point curieux : c'est un passage d'une lettre d'Érasme où le célèbre polygraphe s'excuse de ne pas être assez riche pour envoyer en étrenne autre chose que sa carte. Je ne sais s'il serait facile de trouver, dans un écrivain antérieur, une mention aussi précise de la carte de visite.

J'aurais voulu recueillir quelques données sur l'origine et l'antiquité de ces petits morceaux de carton qui représentent si avantageusement, dans les visites officielles ou banales, ceux dont ils portent le nom. Des recherches trop hâtives ne m'ont pas appris grand'chose. Nicot (édition de 1606) ignore les cartes de visite. Bien plus tard (1732), Richelet partage cette ignorance. Mais A. Furetière (1727) m'apprend que « les écoliers donnent des étrenes à leurs parens, à leurs maîtres, en du papier d'étrenes, qui est une image où il y a un cartouche au milieu ». Dans la description d'une gravure sur bois allemande du xve siècle, Passavant signale une cassette « contenant plusieurs billets de souhaits de bonne année ». Ces billets sont proches parents de nos cartes et nous reportent

plus loin qu'Érasme. Le journal de la Mésangère du 5 pluviôse an X commence par un article satirique sur les visites et particulièrement sur les visites du jour de l'an, qu'il appelle « le carnaval des coeurs ». Entre autres anecdotes plus ou moins divertissantes, il raconte la bévue prolongée d'un vieux militaire, qui, « pendant cinq années, envoya régulièrement, à la fin de chaque mois, sa carte de visite chez une dame qui, depuis cinq à six ans, étoit en visite dans l'autre monde. L'opinion du rédacteur sur cet usage des cartes a conservé, qu'on la partage ou non, toute son actualité.

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Rendre une visite, dit-il, semble naturellement présenter l'idée d'un individu qui va voir une autre personne; eh bien! chez nous, ce n'est pas du tout cela : Le jour des visites, pour les gens du grand genre, est le jour où ils ne sortent pas de chez eux, le jour où ils ne reçoivent et ne vont voir personne.... Lorsqu'ils ont eu l'attention de faire distribuer un jeu de cartes revêtu de leur nom dans les loges des portiers de leurs connoissances, lorsque leurs domestiques ont ainsi colporté leur souvenir de porte en porte, ces messieurs passent pour les personnes les plus honnêtes, les plus polies et les plus usagées du monde...

En dépit des anathèmes pieux de Spon, et quelque païenne que pûtêtre l'origine des étrennes, la religion s'empara de cette coutume dès les premiers temps. Aussi distingua-t-on promptement les étrennes diaboliques des étrennes chrétiennes, jusqu'à ce que celles-ci eussent définitivement absorbé celles-là.

J.-D. Passavant, dans son savant ouvrage sur le Peintre graveur (t. Ier), donne la description détaillée de trois gravures sur bois de nouvelle année, datant du xve siècle. La plus curieuse représente une Charité chrétienne assise sur un vaisseau porté sur une mer agitée et dont l'enfant Jésus tient le gouvernail en indiquant une banderole avec l'inscription... Wir sind am Land und bringen gud Jar manger Hand (... Nous sommes au port et nous apportons de bonnes années pour diverses mains). Un petit ange souffle dans une trompette, un autre hisse la bannière avec la croix. Dans la coque du vaisseau l'on aperçoit des marchandises et à la marge inférieure une inscription qui signifie : « D'Alexandrie j'arrive ici en droiture et j'apporte beaucoup de bonnes. années dont je ne serai pas avare; je les donnerai pour peu d'argent : agir juste, aimer Dieu, voilà ce que je récompense. »>

On trouve au département des estampes de la Bibliothèque nationale, dans un volume consacré aux « Incunables de la gravure » (Ea 16. Réserve), deux gravures sur bois du même genre. L'une, que Passavant a vue, mais qu'il décrit d'après l'exemplaire du cabinet de Berlin, lequel paraît différer en plusieurs points de celui de Paris, représente l'enfant Jésus souriant, assis sur un coussin et tenant sur ses genoux un livre ouvert. De la main droite il montre une banderole portant l'inscription: Ein gut selig iar

Au dos est imprimé un fragment de prière, et, au-dessus d'une marque d'imprimeur assez originale, on lit le lieu et la date de l'impression dans ces lignes qu'ont entamées les ciseaux du collectionneur :

Getruckt zu Basel. In dem ior als ma

nach der geburt Christi. Tusend fun
dert und fünff. Iar.

L'autre, qui semble aussi une variante d'une pièce décrite par Passavant et dont j'ai déjà parlé, montre l'enfant Jésus, nimbé, nu, assis sur un tertre recouvert d'un tapis. Il tient un perroquet, qu'il paraît embrasser. Les bras sont ornés de bracelets de perles, et il a au cou un double collier de perles également. A ses pieds sont deux lapins, dont l'un, assis sur son derrière, se fait les barbes, tandis que l'autre est couché, caché en partie par le premier. On remarque aussi une boîte avec un couvercle placé en travers et laissant voir le contenu, dont on ne distingue pas la nature, puis un panier d'osier, de travail assez compliqué, et d'où s'échappe une banderole avec l'inscription:

Ein gut iar

Cet usage de s'adresser des images avec des vœux ne se perdit jamais. Les sujets cessèrent d'être exclusivement religieux; ceux qui les offraient y mirent naturellement leur nom, et la mode qui règne aujourd'hui prit ainsi par degrés insensibles le caractère que nous lui connaissons.

Hennin, dans son ouvrage intitulé les Monuments de l'Histoire de France, enregistre une pièce in-folio, publiée à « Tolose, imprimerie de R. Colomiez », représentant le portrait de Henri IV avec ce titre : « Estreines d'un royal anagramme pour l'an 1601.» Les Annonces, Affiches et Avis divers du 3 janvier 1757, apprennent au public qu'on « trouve chez les Maillard, rue S. Jacques, la 2 grande porte après la rue des Noyers, une suite de 60 feuilles sur différens sujets d'étrennes, sçavoir morales, devises, fables, bouquets enluminés et peints en vignettes avec goût ». L'immense collection d'Hennin au Cabinet des Estampes contient certainement des cartes de nouvel an datant des règnes de Louis XV et de Louis XVI; et, à ce point de vue comme à tous les autres, il est bien désirable que le catalogue complet et raisonné que M. G. Duplessis a entrepris soit publié promptement; car les recherches sont longues et difficiles dans ces cent et quelques énormes volumes in-folio dont on ne communique au travailleur qu'un seul à la fois.

Parmi les présents du jour de l'an, les livres, manuscrits ou imprimés, furent toujours des étrennes recherchées et distinguées. On ne les donnait pas, bien entendu, aux « Filles de joye suivant la court », lesquelles, comme le montrent les comptes de la maison de François Ier, pour janvier 1538, cités par Jal dans son Dictionnaire critique, présentaient un

<«< boucquet » au roi, et recevaient en retour pour « leurs estraynes du premier jour du présent moys ». Mais on les donnait aux savants, aux seigneurs, aux princes et aux souverains. Le catalogue des livres de Jean duc de Berri fait mention de plusieurs livres qui lui avaient été offerts en étrennes.

Dès les temps de Rome des littérateurs avaient composé des pièces ou des recueils avec le titre d'Étrennes. C'est ainsi qu'est intitulé le XIII livre des Épigrammes de Martial, traduit en vers par M. D. M. A. D. V. (Michel de Marolles, abbé de Villeloin) et suivi de cette indication finale :

Fin du Livre des Estrenes, lequel fut le divertissement de son traducteur les trois derniers jours du mois de janvier de l'année 1667, tandis qu'il faisoit imprimer quelques autres ouvrages un peu plus considérables, à l'âge de soixante-sept ans.

Ménage appelait cette traduction les Épigrammes contre Martial. Le pauvre abbé n'y avait pas mis tant d'esprit.

Les Étrennes devinrent promptement, sinon un genre à part, du moins un titre à la mode dans notre littérature. Marot a un livre d'étrennes. Passerat aussi. Scarron y a trouvé une inspiration charmante. Antoine de Baïf nous présente ses informes tentatives de poésie métrique comme les Étrenes de poésies françoises.

Un des plus vieux livres que je rencontre avec ce titre s'appelle : les Estrenes des filles de Paris. Au-dessous se trouve ce quatrain qui me paraît contenir un détail curieux sur les privilèges et règlements de librairie du temps :

Depuys Noel iusqs a ung moys apres
Deffendu est a toutes gens de vendre
Cestuy traicte sur peine de mesprendre
Sinon qua ceulx deputez par expres.

Voici le début de cette plaquette, imprimée aux environs de l'an 1530:

Pour estrenes a ce bon iour de lan
Vous envoye ces dictons et adaiges.

Notez les bien et vous ferez que saiges.

Myeulx vous vauldront q aguiles de Milan.

Ce sont des préceptes moraux et religieux, en distiques, fort ennuyeux et d'un mérite littéraire à peu près nul. La signature: Riand Jhevy, est l'anagramme de Jehan Divry.

Plus tard, nous trouvons les Ruisseaux de Fontaine... Estrenes pour cette presente année 1555 (Lyon), et les Estreines d'Estienne Thevenet (Paris, 1574).

Je ne peux que citer un livre anonyme attribué à J. Passerat et à Ph. Girard, et portant ce titre bizarre: Estrennes, Nihil, Nemo, quelque chose, tout, le moyen, si peu que rien, ou il. La Bibliothèque nationale n'a pu me le communiquer. Il y en a pourtant deux éditions, une de 1596,

Caen et Paris, chez la veuve Lebas, et l'autre de 1597, chez Est. Prevosteau. Malgré l'obligeance toute gracieuse et spontanée de quelques-uns des employés de notre grand dépôt de livres, j'ai eu l'occasion de constater, à mon dam, qu'on s'y débarrasse parfois trop légèrement de certaines demandes par une fin de non-recevoir.

La Muse folastre (Rouen, 1603, in-24) contient une longue pièce, licencieuse, comme presque toutes celles du recueil, lequel peut être mis à côté du Parnasse satyrique, et intitulée Estrenes du Poil. En voici le début, qui permet à toutes les imaginations d'inventer et de broder les plus capricieux développements :

Cet unique flambeau, le bel astre du monde,
Qui d'un cours mesuré nous compasse les ans,
Ramène la saison où l'on fait ces presens,
On s'espand de beaux dons une source féconde.
Mais que vous donneray-je, hélas! vostre mérite,
Passe tous les presens. Mais aussi que les dieux
Se contentent de peu, tout estant moindre qu'eux.
Aussi vostre grandeur d'une estrene petite.
Or, cherchant à part moy quelque chose excellente,
Propre à vous estrener, je n'ay rien rencontré

Plus digne d'être offert que ce beau poil doré;

Permettez qu'en mon vers sa louange je chante.

M. Paul Lacroix a publié chez J. Gay et fils, à Genève, en 1868, un amusant opuscule dont la première édition date de 1614 (Paris, Pierre Ménier, portier de la porte Saint-Victor), et qui avait déjà été réimprimé à Troyes, par Nicolas Oudot en 1638, avec un titre orné d'un très joli bois originairement fait pour quelque farce ou comédie. On peut en parler un peu longuement; car l'édition moderne, tirée à très petit nombre, est presque aussi rare que les deux autres. C'est l'Estreine de Pierrot à Margot, avec cet alléchant quatrain au-dessus du titre, en manière d'épigraphe :

N'acheptez plus de pain d'espice,
Ny d'eau-de-vie, ny de liqueur;
Acheptez-moy, car plus propice
Je suis à resjouir le cœur.

Dans un sonnet liminaire, Pierrot, s'adressant à son livre, le remet aux mains de Margot; et, comme il sait quelle reconnaissance on a d'ordinaire pour ce qui nous a le plus amusé ou le plus servi, il lui fait cette recommandation pratique :

Pry’la quand de toy aura faict,
Qu'elle n'en torche son infect;

Ains qu'elle te jette en l'armoire.

Puis il écrit en prose à Margot, pour lui expliquer comment il a été amené à lui offrir ce petit livre pour étrennes.

...

Je meditois ainsi, dit-il, que de te presenter des pois sucrez, du pain d'espice,

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