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juste le temps de vérifier une citation ou de prendre une date pour son entrefilet du jour.

Le commis libraire y vient, grave et sacerdotal, collationner un livre rare, que le patron cotera quelques centaines de francs trop haut, avec cette mention : « Conforme à l'exemplaire de la Bibliothèque nationale », à moins que ce ne soit avec celle-ci : « Notre exemplaire présente des particularités qui ne se trouvent pas dans celui de la Bibliothèque nationale. » - Pour peu que ces particularités consistent en une figure de moins ou quelques fautes d'impression de plus, on s'imagine aisément la joie de l'amateur qui en fera l'acquisition.

Il n'y a pas que des robes de femmes dans la salle de travail de la Bibliothèque nationale. Celles de prêtres sont nombreuses et, d'ordinaire, bien portées. Le missionnaire qui touche terre à Paris entre deux voyages en Australie ou à la Chine y vient étudier

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les relations des explorateurs et les travaux des linguistes. Sa grande barbe, son calme oriental, sa simplicité qui ressemble à de la majesté, sont un des décors de la salle.

D'autres, des prêtres de Paris, font, à leur point de vue, ce que fait le

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commun des lecteurs. Celui-ci prépare ses sermons, sertissant des citations de première main dans les périodes de son éloquence. Celui-là étudie les Pères ou les commentateurs, et de sa main blanchie à la pâte presse élégamment un vaste front trop découvert, comme pour mieux y emmagasiner le produit de ses lectures.

La table de la réserve en a plusieurs, bien fidèles, et sans doute fort savants, à en juger d'après la quantité, la taille et l'âge des volumes qu'ils manient. Être leur voisin n'est pas chose plaisante. Le vent des in-folio vivement feuilletés soulève le coin de papier où vous écrivez et vous soufflette la joue. Des reliures en chêne garnies de cuivre ou d'acier, des fermoirs ouverts, vous accrochent le coude en empiétant sur votre place, et vous arrachent en soubresaut des « Pardon, monsieur », qui vous seraient dus dix fois s'il était vrai que l'ardeur au travail ne dispense pas des convenances.

Cette table de la réserve, au service de laquelle sont préposés deux employés dont les connaissances bibliographiques aussi bien que l'inépuisable complaisance sont encore plus précieuses que les ou

vrages curieux et rares qu'ils ont en dépôt, est surtout fréquentée par les gourmets du livre ou les érudits de profession.

les

Rien n'est plus délectable que de rencontrer en face de soi, lorsqu'on lève yeux de dessus les pages d'un volume dont on savoure la substance médu

laire, un vénérable et jubilant visage où s'épanouissent les signes non équivoques de la même jouissance que l'on goûte soi-même dans sa discrète et infinie volupté.

Pourquoi faut-il que ces pures délices soient troublées trop souvent par des bavards suffisants et insupportables, parlant presque haut, mettant tout en l'air pour obtenir un ouvrage dont ils ne regardent que le titre, ou chaperonnant de jeunes dames désireuses d'avoir un renseignement sur une partition, de consulter des gravures de modes, ou d'étudier dans un keepsake comment on se déguise en beauty?

Que j'aime bien mieux ce brave écrivain, peu soucieux de la forme dans ses écrits non plus que dans son costume, mais tirant à plein collier pour creuser un sillon profond et droit! Lui ne vient pas à la réserve, à moins qu'il n'y soit forcé. Il préfère quelque coin, isolé, à proximité des bibliographies. Je le connais depuis longtemps. Il écrit toujours, sans avancer ni reculer d'un rang parmi les hommes de lettres, ses confrères; et quand il vous voit, il vous tend toujours,

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du même geste cordial et spontané, sa large main en vous souriant d'un bon sourire. Il a les cheveux jaunes, la barbe jaune, et parfois, dans le débraillement d'une toilette de bohème, sa chemise entr'ouverte laisse voir au creux de la poitrine une touffe hirsute et jaune aussi. Il est rutilant comme un tas de

pièces d'or. Ironie cruelle et dont il rit tout le premier! Car il n'en a jamais une dans sa poche. Mais c'est un vaillant; et quand, relevant la tête d'un mouvement soudain, il secoue sa longue crinière flave que les fils d'argent commencent à pâlir, il semble qu'en ce coin de salle où il est perdu se produise un rayonnement.

Dans la galerie sans fin que je voulais parcourir, je m'arrête à cette figure.

Elle résume et condense le grotesque et le beau, le trivial et le grand, épars en cent types divers. On en pourrait mettre la peinture comme enseigne à l'entrée de la salle de travail, de même que, si l'on rouvrait l'abbaye de Thélème, on aimerait à en voir la porte ornée de la face puissamment joyeuse du bon et génial Rabelais.

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ERTAINS critiques se montrent quelque peu sévères pour l'art déco

Cratif,

ratif, tel que le comprenait Célestin Nanteuil; volontiers ils lui préféreraient l'œuvre sculpturale de son frère, artiste réservé, prudent et académique, de peu d'accent, qui ne fit jamais parler de lui et par conséquent fut appelé à l'Institut; le plus sage des deux Nanteuil devait regarder avec stupéfaction les enroulements d'anges bizarres, de bossus, de chevaliers bardés de ferraille, de femmes tordues et ravagées par la passion, de gnomes grimaçants formant «< console » à des niches d'une architecture particulière. Vraisemblablement il eût été surpris qu'à cinquante ans de là les curieux rechercheraient ces images et que, bien plus, elles seraient commentées.

En effet, si on envisage avec quelque sérieux et dans son ensemble de manifestations l'art de 1830, peut-être y aurait-il lieu d'appréhender les approches du centenaire de 1789; mais, sans trop pressentir le jugement qui sera porté alors sur la confusion de tour de Babel que produisirent vingt-cinq ans environ de romantisme exalté, il faut, pour se montrer juste, étudier les artistes dans les milieux qui les produisirent, tenir compte des influences et se plon

ger résolument avec eux dans les courants agités, troubles et troublants de l'époque.

Parmi les dessinateurs qui s'attachaient à traduire le mouvement architectural de 1828 à 1840, Célestin Nanteuil fut loin d'occuper le dernier rang. Sans doute l'enseignement lui vint bien plus du cénacle romantique que de l'École des beaux-arts; mais on admettra peut-être que les œuvres de Victor Hugo et d'Alexandre Dumas étaient plus fécondantes dans leur tourmente que ne l'est aujourd'hui un cours d'esthétique, fût-il professé par M. Taine.

Célestin Nanteuil eut le rare bonheur, au début de la vie, d'ètre mêlé à d'ardents compagnons, de partir en imagination pour la Terre Sainte, de guerroyer avec un bon poignard de Tolède, de pourfendre des Goths et des Visigoths bourgeois avec une intrépidité au moins égale à celle de don Quichotte combattant les moulins à vent.

Telle fut une des faces aventureuses de l'ère de 1830, qui fit battre le cœur de tant de jeunes gens, époque de croyances et d'illusions dont malheureusement les hommes de ma génération n'ont vu que la fin et que, malheureusement, nos fils ne reverront pas.

Les brebis devenaient des lions. Pour citer un exemple, personne ne fut plus agneau que Célestin Nanteuil. Les circonstances en firent pourtant un chef de bande, et tant que la bande eut à combattre des adversaires classiques entêtés, le graveur tint à honneur de porter haut le drapeau romantique aux couleurs tapageuses.

La flamme qui circulait dans ses veines, l'artiste la communiqua de son crayon, de sa pointe, au cuivre, au bois, à la pierre.

Il est un livre peu consulté aujourd'hui, de Charles Nodier et Taylor.1 Dans leur pensée les auteurs voulaient en faire un monument typographique égal aux beaux ouvrages à frontispices de la Renaissance; mais l'association de la lithographie avec le texte fut un point de départ faux, car l'imprimerie avec ses caractères en relief n'admet, comme similaire, que la gravure en bois. Les éditeurs croyaient ajouter le somptueux au riche en encadrant chaque page du livre d'un entourage se rapportant au texte; ils ne se rendirent pas compte que la lithographie en regard des caractères en relief paraît forcément molle et cotonneuse; mais les artistes n'avaient pas été appelés à donner leur avis à propos de cette adaptation de la pierre à la typographie. Dans ce livre, Violletle-Duc débuta, pour ainsi dire, en compagnie de camarades d'atelier et de jeunes peintres Léon Gaucherel, Chenavard, Dauzats, Théophile Fragonard, Gigoux, Français, etc.

Célestin Nanteuil, chargé de la même besogne, l'emporta sur tous. Habile lithographe déjà, il apportait dans sa tâche plus de fantaisie, plus de foi que ses compagnons, car cette foi, cette fantaisie se ranimaient sans cesse à un foyer ardent dont je montrerai tout à l'heure l'origine.

1. Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France, par MM. J. Taylor, Ch. Nodier et A. de Cailleux. Paris, Firmin-Didot, 1820-1863, 14 volumes in-folio et 40 volumes

de planches.

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