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Maizeroy nous conte l'émouvante et cruelle histoire

de cette fille trop fameuse que voile à peine le sobriquet de Bébé Million, dont il la soufflette. Quelle existence lamentable que celle de cette millionnaire du vice, de cette rentière de la débauche, punie dans sa vieillesse, atteinte dans sa maternité, avec une implacable sévérité! C'est bien là le sort vengeur qui menace cette classe spéciale de filles-mères, la courtisane enrichie de la vente de son corps, du commerce de sa chair et frappée dans le fruit de ses entrailles. Un pays, un gros entrepreneur tire de la brasserie où elle croupissait sous le nom de Bébé Million, la payse retrouvée. Josèphe Massoulet la meuble, la nippe, l'entretient et, finalement, l'associe à sa fortune. Désormais tout lui réussit, elle bâtit aux ChampsÉlysées, devient comtesse de Tourville par son mariage avec un gentilhomme que dissout le gâtisme et ne vit plus que dans le rêve de finir ses jours tranquillement, en jouant à la grand'mère, auprès de sa fille mariée. Tous ces beaux projets s'envolent en flambée de paille, avec l'arrivée d'un prince russe, d'abord amant de la mère, puis de la fille, qu'il épouse pour avoir sa fortune. Le mariage fait, Bébé Million est rejetée de côté comme une femme qu'on ne doit pas voir, et elle vit seule au milieu de ses richesses, abandonnée, repoussée, perdant peu à peu tout soin d'elle-même : c'est l'expiation suprême.

Un livre vivant, remuant, qu'on avale d'un trait, comme une coupe d'excellent champagne, et dont la griserie fait flamber le cerveau.

G. T.

La fin de Paris, par RENÉ MAIZEROY. Un vol. in-18 jésus. Paris, Victor Havard, 1886.- Prix: 3 fr. 50.

La fin de Paris, c'est la dissolution qui, peu à peu, gangrène la capitale, envahit tout, menace tout et transforme la société en quelque bouge immonde, où l'on chercherait vainement l'honneur, la vertu, les hautes et nobles qualités qui relèvent l'humanité. Une série de tableaux brillants, hardis, pleins de retentissantes fouaillées, servent à René Maizeroy pour peindre cet envahissement progressif; il suffira de citer le titre de quelques-uns d'entre eux pour avoir une idée de la marche suivie avec une impitoyable verdeur par l'écrivain. Les petites Malthus, le Larbin roi, l'Impôt de la Chair, les Grelotteux, les Mouches du corbillard, Mendiants de lettres, etc., sont comme des enseignes de honte qui flamboient en lettres terribles au-dessus des sujets traités. Plus l'auteur frappe fort et juste, plus son style, se dépouillant ainsi qu'un bon vin vieilli en bouteille, devient vigoureux, net, moins alourdi de joliesses un peu cherchées; une grande sobriété d'expressions lui vient, en présence des situations plus graves, des constatations plus pénibles, comme le railleur le plus endurci cesse de railler et s'incline devant quelque grand malheur. C'est ainsi que le style de Maizeroy s'épure au creuset, dès que le feu s'avive, et que, se débarrassant des pierreries scintillantes qu'il aime à ciseler avec un art incontestable, il va droit au but, en véritable écrivain de race.

G. T.

Dans l'intimité, par ROBERT CAZE. Un vol. in- 18 jesus. Paris, Tresse et Stock, 1886. — Prix : 3 fr. 50.

C'est surtout Dans l'intimité que Robert Caze trouve à employer avec talent ses qualités d'observation patiente, minutieuse. Ses nouvelles sont de petits tableaux croqués d'après nature, d'une rare fidélité et d'une grande justesse de ton. On sent le littérateur convaincu, qui ne traite ses sujets que sur le vif, les suivant pas à pas dans leurs transformations, dans leurs manifestations extérieures, et cette conscience, qui fait le véritable écrivain, donne à tout ce qui sort de sa plume une vie particulière. Il y a dans ce volume des études émouvantes, des portraits parisiens, comme celui qui sait voir en trouvera tous les jours sous ses yeux, et aussi des satires cruelles, impitoyables, ne reculant pas devant le mot juste, l'expression typique. C'est comme une collection d'esquisses très poussées, donnant une suite de scènes de la vie intime, qui viendront se classer en bonne place auprès du Paris vivant et des historiettes précises, serrées, du roman

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Le nouveau roman de Georges Duval continue fort brillamment la série du Carnaval parisien, commencée par le Quartier Pigalle et Pretantaine, deux volumes dont on se rappelle la vogue. Le Tonnelier, entre autres qualités, a le mérite d'être une œuvre honnête et en même temps une étude fort serrée de la curieuse existence particulière du commerce de vins en gros. L'action se passe à Bercy, dans le royaume même du vin, ce qui fournit à l'écrivain des pages excessivement curieuses sur les mille détails du métier. Les renseignements intéressants abondent dans ce livre, ainsi qu'une peinture absolument exacte de Bercy. Le drame se déroule, très simple, croissant d'intensité à mesure que les caractères se développent et que les intrigues se nouent, faisant habilement passer le lecteur par les phases de la plus poignante émotion. Les luttes de Mme Moriceau contre elle-même, contre ses faiblesses, prennent un développement inattendu qui donne une couleur spéciale au livre et assurent son succès. Quant à la figure du Tonnelier, elle se détache dans un relief énorme, imposant cet humble qui devient le justicier terrible, sauveur de l'honneur et de la vie de ses patrons.

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étude des mœurs de banque est une des plus franchement originales que nous ayons lues. Il y a une vérité criante dans l'histoire de ce garçon aux aspirations ardentes, aux désirs littéraires, tout cela mou et indécis, qui arrive à se laisser enfermer dans la boue collante de l'administration et n'en peut plus sortir. L'étude suivante, intitulée : Fille passée, Fille future, est également pleine de qualités, mais moins personnelle que l'Échéance; elle est empruntée à plus de souvenirs littéraires que d'observations prises sur nature. Nous croyons M. Florent Fulber appelé à tenir une place brillante parmi nos jeunes romanciers modernistes, quand il se sera débarrassé de quelques expressions fàcheuses ou de phrases qui appartiennent du droit de création à ceux des maîtres l'ayant précédé dans la voie de la véritable observation humaine. Il a assez de talent pour vouloir être lui et ne se mettre à la remorque de personne, fût-ce d'un maître.

La Faute des autres, par Maurice MontégUT. Un vol. in-18 jésus. Paris, Dentu, 1886. - Prix : 3 fr. 5o.

Le roman de M. Maurice Montégut, la Faute des autres, œuvre très remarquable au point de vue du style, des images heureuses, des expressions justes. et du souffle puissant qui la porte, a, en quelque sorte, les défauts même de ses qualités; c'est une étude de passions humaines qui va jusqu'à l'épopée, tant grandissent les héros. Le poète domine dans l'écrivain et l'on sent, à chaque instant, que la prose est trop étroite pour ses ailes. C'est pourquoi toutes les parties consacrées aux amours du comte Thibault d'Arche et de son fils sont peut-être de la vérité, mais de la vérité exagérée, enflée par la vision d'un poète, tandis que celles consacrées à la guerre de 1870-1871 ont une admirable couleur de réalité. Il y a bien là le frémissement terrible de la bataille et le choc puissant des armées avec leurs mille détails, très bien vus, sentis, soufferts. Là, le poète, au lieu de gêner le prosateur, l'aide et le sert admirablement. Pourtant, même dans les parties qui nous semblent moins réussies, que de passages intéressants, que de morceaux savoureux ! En somme, un livre qui mérite l'attention des gens de goût et le suffrage des lettrés.

G. T.

Mon premier crime, par GUSTAVE MACÉ, ancien chef du service de la sûreté. Un vol. in-18. Paris, Charpentier.

M. Gustave Macé poursuit ses études sur la police parisienne. On sait le succès qui accueillit son premier livre, le Service de la sûreté, ouvrage théorique, tout entier consacré à montrer comment fonctionnent les rouages de la préfecture de police et à signaler les améliorations, les perfectionnements susceptibles d'être apportés à cette administration.

Avec Mon premier crime, M. Macé aborde un genre nouveau pour lui, le roman judiciaire. Quand nous disons roman, le terme est impropre, car c'est à vrai dire le récit exact et détaillé de la première affaire qu'il eut à instruire que nous présente l'ancien chef du service de la sûreté. La donnée du roman est simple;

nous la trouvons relatée tout au long dans la Gazette des Tribunaux du 28 janvier 1869. La voici en peu de lignes :

« Depuis trois semaines plusieurs locataires d'une maison située rue Princesse remarquaient, en tirant de l'eau dans un puits situé au fond de la cour, que le seau, en flottant à la surface liquide, semblait heurter un objet assez volumineux. Hier, à cinq heures après midi, le sieur P..., 'rôtisseur, voulut constater la nature de cette épave et ramena à terre l'objet en question qui se trouva être un paquet enveloppé d'un morceau d'étoffe noire. L'enveloppe étant défaite, le sieur P... aperçut alors une jambe humaine, ployée en deux et couverte d'un fragment de pantalon. Cette jambe était en état de décomposition et son immersion paraissait remonter à une date assez éloignée. Le sieur P... se hâta de prévenir M. Macé, commissaire de police du quartier de l'Odéon... »

Des premières constatations faites par le jeune commissaire, il résultait clairement qu'on se trouvait en présence d'un crime. Quand avait-il été commis? Quel en était l'auteur, le mobile? Où se trouvaient les autres parties du corps de la victime? Autant de questions qui apparaissaient comme insolubles, étant donnés, d'un côté, l'assassinat remontant déjà à une date relativement éloignée et, de l'autre, le manque presque absolu de renseignements pouvant mettre sur la piste du meurtrier. Comment M. Macé parvint il cependant à dégager l'un après l'autre les inconnues du terrible problème? A la suite de quelles patientes recherches, de quelles judicieuses remarques, de quelles savantes déductions en arriva-t-il à soupçonner d'abord un sieur Voirbo d'être le meurtrier et de lui arracher ensuite des aveux? On le verra, en lisant ce livre, plus attachant en sa terrifiante réalité que nombre de romans soi-disant vécus, romans « pari. siens» ou «< naturalistes », dont leurs auteurs estiment, la plupart, qu'on ne peut captiver le public qu'en lui présentant sous une forme triviale des peintures plus triviales encore.

M. Macé nous permettra-t-il de formuler une critique? Tout attrayant qu'il soit, son livre ou, pour mieux dire, son procès-verbal eût gagné, croyonsnous, à être plus condensé. Il y a, en plusieurs endroits du récit, des considérations, des remarques sur la police parisienne, qui peuvent être fort judicieuses et doivent l'être, venant d'un juge aussi compétent, mais qui sont autant de hors-d'oeuvre entravant la marche du drame et, par suite, lui enlevant de son intérêt. M. Macé n'a point dépouillé le vieil homme, et la plume du romancier trahit souvent les désespérances de l'ancien magistrat dont les capacités indiscutables et le bon vouloir furent, dit-on, maintes fois paralysés.

G. F.

La Maîtresse de Mazarin, par E.-G. BEAUTIVEL. Un vol. in-18 jesus. Paris, Jules Lévy, 1885. Prix 3 fr. 50.

Très amusant, le roman de cape et d'épée que M. E.-G. Beautivel intitule la Maitresse de Mazarin.

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Le Bel-Ami, de M. de Maupassant, fait des petits. Sa famille augmente de jour en jour, et M. Camille de Sainte-Croix nous présente, dans la Mauvaise aventure, un autre rejeton de cette lignée, dont l'arbre généalogique remonte au Lucien de Rubempré du grand Balzac. Je n'analyserai pas cette succession d'aventures, où la femme joue son rôle de corruptrice inconsciente et où les vilenies du journalisme, de la littérature et du monde interlope de la politique, de la science et des arts, grouillent autour du héros, trop faible pour conserver en ce milieu la plus légère parcelle d'honnêteté, trop violent pour ne pas perdre en un instant le fruit de la perversion de son talent. Comme le dit l'auteur en un quatrain de sa dédi

cace :

Les sept noms de catins, chacun étiquetant
Son morceau de ce cœur que je t'offre en pâture,
Marquant les lialtes dans la mauvaise aventure
Où se perd le héros de ce livre attristant.

Il ajoute plus loin, en s'adressant au lecteur : « J'ai pris, sur cette étude, un souci plus grand de la vérité que de la vraisemblance, et si j'ai parfois atteint la seconde, c'est par respect pour la première. » Après cet aveu, je ne perdrai pas mon temps à relever les apparentes impossibilités de son récit. Je me contenterai de dire que je m'y suis intéressé, qu'il est semé de situations inattendues, de paradoxes amusants, de tableaux pris sur le vif et de portraits peu embellis, où quelques personnages célèbres dans les lettres se reconnaîtront facilement.

Royal-Goudron. Conte de bord, par E. BONNET. Dessins de Mac-Adam et de A. Mouillon. Un vol. in-8°. Paris, A. Ract et Cie, 1886.

Ce récit n'aura peut-être pas un aussi vif succès de lecture qu'il en eut la nuit où le Parisien le conta aux marins de quart de la Reine Blanche. Il est fan. tastique et fantaisiste de conception, et ni trop brillant ni trop terne d'exécution. L'auteur me semble l'avoir peigné avec trop de sollicitude et orné de vêtements qui ne le rendent ni plus léger ni plus amusant. Il chassait le sommeil des yeux des mathu. rins, je le veux croire; mais c'était dans la bouche d'un beau parleur de bord. Sous la plume de M. E. Bonnet, sans être désagréable, elle n'est plus qu'un antidote insuffisant contre la somnolence et le baillement.

Des dessins, ingénieusement primitifs, illustrent

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Au soir. Récits et souvenirs, par LÉON AUBINeau. Un vol. in-18. Paris, Victor Palmė, 1886.

Un vieux journaliste de l'Univers, qui revendique l'honneur d'avoir travaillé toute sa vie à sous le patronage du plus grand écrivain de sa génération, Louis Veuillot », et qui a déjà donné au public plusieurs volumes faits de ses anciens articles, M. Léon Aubineau, vient de pratiquer une nouvelle sélection dans cet inépuisable fonds de réserve et en publie le résultat sous ce titre crépusculaire : Au soir, A-t-il tort de supposer, demande-t-il modestement dans son avant-propos, « que ces portraits, ces récits, ces discussions, ces souvenirs d'antan pourraient encore instruire, récréer ou même édifier » ? Mais non. Il y a toujours un public prêt à tout. Les jeunes clients de l'Univers tiendront à honneur et à plaisir d'être ceux de M. Léon Aubineau. Au surplus, on peut ne pas lire l'Univers, on peut même ne pas se soucier d'être édifié et trouver, en ces pages convaincues et honnêtement écrites dans leur inspiration un peu étroite, de quoi s'instruire et se récréer. Puisque « le vieil ouvrier de la presse catholique » n'a pas, il nous en prévient, épuisé ses réserves, qu'il livre au public les pages qu'il lui fait espérer. Amis et adversaires lui en sauront bon gré.

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Le titre fait penser à Fenimore Cooper et à ses imitateurs. Mais c'est un titre décevant. Le marquis de Cherville retient avec lui son lecteur en France, où l'on est aussi bien je ne veux pas blesser les Yankees qu'en Amérique. On connaît le talent de conteur de cet ancien collaborateur d'Alexandre Dumas. Rien de plus aimable et, dans son amour des animaux, de plus humain. Le chien est là, comme en maints autres récits du spirituel et lettré chasseur, un personnage de premier plan, sinon l'acteur principal. Nul ne songe à s'en plaindre, car l'auteur le rend aussi intéressant que tout bipède pourrait l'être. Des souvenirs rehaussent la valeur proprement littéraire du volume. Quelques pages y sont consacrées à Alexandre Dumas. Pages émues, vibrantes d'affection et d'admiration, et qui font justice de quelques-uns de ces racontars dont la vie privée du grand romancier a été particulièrement obscurcie.

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Martyre, par Adolphe d'Ennery. Paris, J. Rouff et Cie. In-18. Prix: 3 fr. 50.

Mesdames de Coeur volant, par Paul Mahalin. Un vol. in-18. Dentu. Prix: 3 fr. so.

Porte close, par Fortuné du Boisgobey. Deux vol. in-18. Plon et Cie. Prix : 6 francs.

Jeunesse brisée, par Eugène Moret. Frinzine et Cie. Un vol. in-18. Prix: 3 fr. 50.

La Revanche de Caillebotte, par Maurice Drack. Paris, 1885, Jules Lévy. Un vol. in-18.- Prix: 3 fr. 50. Raymond Meyreuil, par Georges de Lys. Paris, Giraud et Cie, 1885. Un vol. in-18. Prix: 3 fr. 50. Wasili Samarin, par Philippe Daryl. Paris, Hetzel et C, 1836. Un vol. in-18. Prix: 3 francs,

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La Question du latin de M. Frary et les professions libérales, par A. VESSIOT, ancien membre du conseil supérieur de l'instruction publique, inspecteur d'académie à Paris. Paris, H. Lecène et H. Oudin, 1886; 1 plaquette in-18.

Le gant qu'a jeté M. Frary a trouvé pour le relever plus d'une main. Voici M. A. Vessiot qui vient plaider pro domo sua contre les téméraires dont il dit : Ipsique penates evertere suos. La grande arme du fidèle tenant est l'ironie, voire le sarcasme. En fait d'arguments nouveaux et de raisons convaincantes,

je n'en vois pas. Sans s'attarder à la théorie de la gymnastique intellectuelle, qui semble décidément avoir fait son temps, M. Vessiot dénonce le vide moral qui se ferait dans les études si l'on donnait la place des langues anciennes aux langues vivantes et à la géographie. << Dans les littératures étrangères, dit-il, ou plutôt dans les littératures modernes, c'est l'imagination qui règne en souveraine; dans les lettres anciennes, c'est le bon sens et la raison. » Vous voyez d'ici les conséquences, et si vous ne les voyez pas, M. Vessiot va vous les faire toucher du doigt dans une de ces belles périodes dont MM. les procu

reurs et substituts n'ont point, quoi qu'on en dise, le monopole. « Avec l'appauvrissement de la foi religieuse, avec l'affaiblissement des croyances spiritualistes, avec les progrès d'une immoralité qui semble avoir perdu, non seulement toute pudeur, mais toute conscience d'elle-même, qui se dit littéraire et qui n'est qu'immonde; jamais, croyez-le bien, jamais l'étude et le respect des écrivains qui portent le beau nom de classiques, c'est-à-dire d'éducateurs, n'a été plus nécessaire... » Il est clair que cela prouve tout net que ni Shakespeare, ni Milton, ni Klopstock, ni Goethe, ni Schiller, ni Dante, ni Cervantès, ni Bacon, ni Kant, ni Vico, ni tant d'autres écrivains illustres dans toutes les directions de la pensée et dans toutes les formes de l'art, n'ont « une valeur morale et une vertu éducatrice » égales aux tableaux des débordements des dieux et des hommes que nous ont laissés Homère, Virgile, Tacite, Horace et tout le dessus du panier classique. Si l'on n'a pas autre chose à opposer à M. Frary, je crains bien qu'il n'ait cause gagnée.

Où l'auteur a-t-il appris que « ni les Anglais ni les Allemands n'ont jamais songé à proscrire les langues grecque et latine » ? L'utilité de cette étude est depuis `longtemps mise en question dans ces deux pays, aussi bien qu'en Amérique. On est d'accord déjà pour reconnaître qu'elle n'est pas indispensable et les langues anciennes ne figurent pas sur les programmes d'un grand nombre d'établissements d'enseignement secondaire. Même dans la plupart de ceux où elles figurent encore, il y a une section the modern side, - et c'est ce que notre enseignement spécial imite, d'où elles sont éliminées. Je ne tire point de cela un argument, mais j'y trouve une raison de plus de souhaiter qu'on se défie de ces affirmations exagérées pour les besoins de la cause, et qui font pour premières dupes ceux-là même qui les émettent inconsidérément.

Je ne pousse pas plus loin l'examen de cet opuscule. Je conclus en prédisant que le livre de M. Frary portera un coup funeste au prestige de l'enseignement, au crédit des études, à l'autɔrité des maîtres, à la discipline et au travail, Aucune réforme n'a été proposée, en aucun temps, sans soulever des objections analogues. Les abus qu'on attaque se défendent volontiers en prétendant qu'on donne la mort à toutes les bonnes choses qu'on n'attaque pas, Pour être quelque peu puérile, la manœuvre est naturelle; mais on sait où elle tend, et c'est pourquoi elle n'aboutit pas.

B.-H. G.

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La Vie et les œuvres de Topffer, d'après des documents inédits, suivies de fragments de littérature et de critiques inédits ou inconnus, par l'abbé RELAVE, professeur de rhétorique au séminaire de la Primatiale, maître de conférences auxiliaire à la faculté catholique des lettres de Lyon. Paris, Hachette et Cie, 1886. Un vol. in- 18.

Prendre Topffer et ses ouvrages pour sujet d'une thèse de doctorat ès lettres est une idée originale et qui, étant donné l'empire de la tradition dans nos facultés, ne manque pas d'une certaine hardiesse. J'espère qu'elle n'aura pas porté malheur à M. l'abbé Relave. Elle a, en tout cas, été heureuse pour le public qui lui doit un livre bien fait et intéressant sur un homme dont tout le monde a lu ou vu les œuvres, mais dont bien peu connaissaient le caractère et la vie. Après la lecture de cette monogra. phie, consciencieusement étudiée, très sympathique et, par places, un peu admirative, l'impression qui reste, c'est que Topffer fut partout et toujours un incomplet. On trouverait aux lacunes qui se remarquent en lui bien des causes: l'éducation, le milieu, la profession, etc. Il en est une autre qui domine tout le reste Topffer avait les yeux malades. Mauvaise condition pour un artiste observateur. En fait, l'humoriste genevois est, à bien des égards, un philistin. Frondeur, prompt à saisir les ridicules, enfermé dans l'horizon politique, religieux et social de Genève, il reste maître d'école d'un bout à l'autre de son œuvre, où tant de morceaux charmants exhalent une légère odeur de ce que j'appellerai cuistrerie si je ne tenais à être révérencieux,

Bien entendu, M. l'abbé Relave ne se déplaît pas à cette odeur, et s'il a des reproches à adresser à Topffer, ce n'est pas là-dessus qu'ils portent. Il trouve souvent dans les endroits où l'esprit particulier à l'auteur s'étale à l'aise, de la lourdeur et une certaine prolixité confuse. Il ne me paraît pas qu'on puisse blamer très sévèrement Topffer de sa lourdeur; c'est comme si on le blâmait de la nature de son esprit. Il y a des métaux de différentes densités et de différents poids. On ne songe pas à accuser le plomb d'être plus lourd que le zinc ou l'étain, Quant à la confusion et à la prolixité, nous en revenons à ce que je disais tout à l'heure Topffer est de ceux qui voient le but, mais ne le touchent pas, ou l'effleurent au prix de terribles efforts. Il ne sait pas, comme le maître, mouler dans l'expression sa pensée, et il a grand'peine à lui donner, à grand renfort de circonlocutions explicatives, la clarté nécessaire au lecteur. De là la place secondaire qu'occupera toujours dans la littérature esthétique le livre où il essaye de créer une philosophie de l'art et qu'il intitule Réflexions et menus propos d'un peintre genevois. M. l'abbé

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