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vient-elle de quelque dégoût devant ces bouteilles éventées, où se satisfont trop aisément les auteurs à esprit faible et les publics à gaieté bête. Étant admis que l'Essay est une des parures de nos lettres, nul plus que M. Émile Montégut n'est qualifié pour représenter, sous la fameuse coupole, le maître du genre; il joint la profondeur à la fantaisie, l'originalité aux vastes connaissances, et à l'incorruptible indépendance de l'esprit le respect des sentiments. Le recueil que nous annonçons aujourd'hui rassemble quelques-uns des anciens travaux de M. Montégut, et c'eût été vraiment dommage qu'on les mît dans cette série dont nous avons présenté déjà quelques volumes à nos lecteurs. Celui-ci est composé spécialement des études orientales de l'éminent écrivain, à

propos de quelques livres. Une magnifique édition de Daphnis et Chloé, illustrée par feu Léopold Burthe; une traduction en vers des Psaumes, par M. Firmin de la Jugie; le livre de M. Amédée Thierry sur Attila; les travaux de MM. d'Hervey Saint-Denis, Stanislas Julien, Abel Rémusat, etc., sur la poésie chinoise (ou la Poésie d'une vieille civilisation); l'ouvrage d'un officier anglais sur Nussir-U-Din, le second roi d'Aoude; l'autobiographie (éditée par M. Eastwick) de Lutfullah, gentilhomme musulman de l'Inde, et la physiologie du Capitaine Négrier, d'après les aventures du capitaine Théodore Canot, tels sont les thèmes curieux de ce rare volume, dont le même esprit ingénieux et fort anime l'amusante et instructive diversité.

L. D.

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Madame Saint-Huberty, par EDMOND DE Goncourt. Paris, G. Charpentier et Cie, 1885. Un vol. in-18. - Prix: 3 fr. 50.

L'étonnante reconstitution du passé que celle entreprise par le maître artiste de hautes lettres, Edmond de Goncourt! Ce n'est plus l'histoire sèche et momifiée, ce n'est pas l'histoire arrangée et romantisée, c'est la vie elle-même, un récit absolument vrai, amusant comme un roman, une histoire de chair et de sang, qui frémit et palpite sous les yeux.

En outre, l'œuvre entreprise par le grand écrivain sur le xvIIIe siècle, une des plus séduisantes évocations qu'on ait encore faites de cette attirante époque, à ses magistrales qualités de couleur et de style joint une émotion poignante et communicative.

Le lecteur a déjà pu juger, par le volume consacré à Sophie Arnould, du procédé de l'auteur, de la manière ressuscita te dont il fait aller et venir son héroïne au milieu de nous, nous initiant aux plus intimes dessous de sa vie, nous la montrant tour à tour dans son existence privée et dans sa vie publique. C'est ainsi qu'il a étudié Madame Saint-Huberty, c'est ainsi qu'il étudia successivement, dans les volumes qui vont suivre, Clairon, la Guimard, Camargo, d'autres encore, faisant étinceler, en une langue merveilleusement vibrante, les amours, les plaisirs, les joies, les douleurs, les scandales de ces existences d'actrices, les plus mouvementées et les plus semées d'aventures piquantes ou tragiques, qu'il soit donné d'entendre raconter. De ces deux reines d'opéra, Sophie Arnould, Madame Saint-Huberty, le maître nous conduira aux danseuses, aux comédiennes, aux

tragédiennes, présentant ainsi sous ses différentes faces la vie du théâtre, avec son atmosphère spéciale, et tout ce qui gravite autour de ces brillantes étoiles, c'est-à-dire la société galante, intelligente, lettrée, sceptique, amoureuse et spirituelle du xvIIe siècle.

Madame Saint-Huberty est certainement parmi les actrices de ce temps-là une de celles dont la vie est la plus amusante à suivre dans ses péripéties amoureuses, dans ses rapports avec l'Opéra, enfin dans ses dramatiques aventures que termine effroyablement, en cinquième acte funèbre, un double meurtre.

C'est d'un linceul taché de sang qu'Edmond de Goncourt l'exhume pour lui rendre la vie, le charme et la voix, et une irrésistible séduction se dégage aussitôt de l'actrice pour ensorceler tous ceux qui l'approchent, tous ceux qui apprennent à la connaître.

Cette triomphante princesse de théâtre, cette adorée reine d'opéra, n'est point une jolie femme comme Sophie Arnould, nous dit son illustre biographe, et pourtant quelle puissance absolue, quelle continuelle victoire que celles de la grande cantatrice, tour à tour sublime et touchante, dans Armide, Chimène, Alceste, Phèdre, Pénélope, Didon, et qui inspirera, en prose, Chateaubriand, en vers, ce petit lieutenant d'artillerie, qui sera plus tard Napoléon Ier!

Mais quel caractère endiablé, quelle lutte continuelle entre la direction du théâtre et la chanteuse récalcitrante, abusant de sa situation d'étoile pour créer à son directeur tous les ennuis imaginables, toutes les tracasseries possibles! Quelle existence bizarre et heurtée aussi que celle de cette capricieuse actrice!

Enlevée à dix-neuf ans par un chevalier d'industrie,

un sieur Croisilles dit de Saint-Huberty, elle devient par force sa femme, reçoit des soufflets dès la troisième nuit de noces, est volée, abandonnée presque aussitôt par le drôle et se voit obligée de demander sa séparation. Désormais le coquin reviendra de temps à autre faire une apparition au domicile conjugal pour repartir chargé de dépouilles. Trompée, filoutée, elle court ainsi de Berlin à Varsovie, puis à Vienne, jusqu'à ce que Gluck la fasse engager pour l'Opéra de Paris, où elle débutera, en 1777, dans Armide. Le mari continue ses tours et une dernière algarade, plus corsée que les autres, amène l'intervention de la police; un procès s'engage, qui se termine par l'annulation du mariage de la Saint-Huberty, libre et tranquille désormais.

Ce ne fut guère qu'en 1782 qu'elle devint tout à fait célèbre. De ce jour datent ses exigences, ses refus de chanter, qui soulèvent la menace de la conduire à la Force.

Rien de curieux comme ces détails de la vie d'actrice de cette époque; toutes sont ainsi plus ou moins récalcitrantes et capricieuses. Elle est premier sujet, actrice gâtée et mauvaise tête tout s'incline devant elle. En décembre 1783, la Didon de Piccini lui procure des ovations presque sans précédent : c'est l'apogée de son triomphe. Avec cela, intelligente, esclave de la couleur locale, se faisant dessiner son costume par Marcou.

Puis, on lui oppose une rivale, et elle commence à sentir souffler le vent contraire.

A cela se joignent ses caprices amoureux pour un certain Saint-Albin. Les années se suivent, toujours mêlées de discordes avec la direction, de triomphes, de luttes, d'indisciplines, de fantaisies voluptueuses. Enfin, elle fait la connaissance du comte d'Antraigues; après sept ans de liaison elle l'épouse en 1790 et en a un enfant en 1792. Son règne d'actrice est terminé.

Le 22 juillet 1812, un domestique nommé Lorenzo tuait, à Londres, d'un coup de poignard le comte d'Antraigues et égorgeait sa femme avec la même arme ensanglantée. Telle fut la fin tragique de Madame Saint-Huberty.

Ce que nous ne saurions suffisamment dire, c'est la couleur, le mouvement, le souffle de vie donnés à cette biographie, faite avec des fragments de lettres,

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Quelque opinion que l'on professe et d'autant plus vivement qu'elle sera plus éloignée des sentiments de l'auteur, la curiosité va se porter vers les Souvenirs d'un impérialiste, Journal de dix ans, dont le premier volume vient de paraître. En général, cette sorte de publication tourne bien plutôt au bénéfice des adversaires que des soutiens du parti qu'elles mettent en scène, car si elles présentent ses côtés forts dans tout leur relief, infailliblement aussi elles trahissent les points faibles de son organisation. Dans le cas présent l'inconvénient est nul, car le parti impérialiste dont nous entretient M. Eugène Loudun sous le nom de Fidus n'a rien de commun avec les tronçons ennemis qui se disputent aujourd'hui la succession du prince impérial. Ce Journal de dix ans qui serait plus exactement dénommé un journal de huit ans s'ouvre au 1er juin 1871, est conduit en ce premier volume jusqu'au terme de l'année 1875, et, le reste ayant paru par larges extraits dans le Figaro, nous savons qu'il se ferme à la mort tragique du prince en juin 1879.

Comme l'ombre du vieux roi de Danemark qui chemine sous la terrasse du château d'Elseneur, suivant pas à pas, dans l'obscurité, les démarches, les pourparlers, les allées et venues d'Hamlet et de ses amis, se mêlant à leurs propos ainsi qu'à leurs desseins, Fidus, comme témoin, comme conseiller, comme acteur, a été mêlé à toutes les espérances et à toutes les défaillances du parti impérialiste. Le récit de ces diverses alternatives est profondément émouvant et sous le couvert de Shakespeare, nous redirons à Fidus le mot du prince de Danemark à l'ombre de son père: « Bien parlé, vieille taupe. » Well said, old mole!

E. C.

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troisième volume reproduira l'édition de 1646, d'après le texte de Courbé, et les poésies inédites de Maynard, d'après les manuscrits des bibliothèques de Paris, de Toulouse et du Vatican. L'éditeur laissera de côté les Priapées peut-être eût-il bien fait, pour permettre d'apprécier le talent de Maynard sous toutes ses faces, de les réunir à part dans un fascicule que les curieux auraient pu joindre à sa publication ou en détacher à leur gré. Mais ce que nous regrettons surtout, c'est qu'il s'en tienne aux oeuvres poétiques et n'annonce pas un quatrième volume, consacré à la correspondance de Maynard: les mémoires et les lettres, les lettres surtout, doivent être comptés au nombre des documents les plus précieux pour l'histoire politique et littéraire.

La notice de M. G. Garrisson n'occupe pas moins de cinquante-six pages; sans doute, l'auteur ne se défend pas toujours d'une certaine partialité bienveillante envers Maynard, auquel il ne se serait pas attaché s'il n'avait reconnu tout son mérite et au delà; cependant il n'hésite pas à signaler le mauvais goût qui gâte beaucoup de ses premières pièces et à montrer la supériorité des secondes poésies sur les premières au point de vue de la forme même : la nouvelle poétique introduite par Malherbe débarrassa nos vers de l'hiatus et fit avec raison respecter cette cadence que l'école moderne affecte de mépriser. Qu'estce qu'un vers où la disposition des syllabes ne produit pas un rythme agréable à l'oreille? Une ligne de mauvaise prose.

Je me permettrai de soumettre à M. Garrisson deux légères observations. Il parle (p. v) de « précieuses >> à l'hôtel de Rambouillet (qu'il appelle l'hôtel Pisani), du temps du cavalier Marin et de Maynard: le nom de Précieuses ne fut donné aux femmes précédemment appelées Feuillantines qu'à partir de 1654 ou 1655, et Maynard était mort depuis le 29 décembre 1646.

Plus loin (p. xxII), il avance que Maynard fut inscrit le neuvième sur la liste des premiers membres de l'Académie française, et que le fauteuil qui lui fut « décerné » fut occupé plus tard par les deux Corneille et enfin par Victor Hugo. Il suffit de se reporter à la Relation de Pellisson pour voir que Maynard ne fut inscrit que le dix-huitième, et, s'il eut pour successeur les deux Corneille, on ne peut être aussi affirmatif pour Victor Hugo; en effet, l'Académie française fut supprimée en 1793 et la réorganisation en 1795 de l'Institut national dans lequel fut englobée l'ancienne Académie française amena un nouveau classement, qui fut encore modifié en 1803. - Quant aux fauteuils, ils ne furent donnés par Louis XIV que quand l'Académie fut installée au Louvre et que le

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Au texte de Maynard, reproduit avec une exactitude scrupuleuse et dans l'orthographe même de l'édition suivie, sont jointes des notes très succinctes, où l'éditeur, M. Garrisson, s'est attaché à ne laisser sans explication aucun mot actuellement hors d'usage; il justifie l'emploi qu'en a fait l'auteur en citant de nombreux exemples tirés d'autres écrivains; nous aurions désiré qu'il citât exactement l'endroit d'où le passage est tiré pour permettre la vérification. Ce n'est pas assez de dire qu'un vers est de Ronsard : comment le retrouver dans le vaste ensemble de ses œuvres ?

CH.-L. L.

Fléchier: Mademoiselle de Combes, nouvelle tirée des Mémoires sur les Grands-Jours d'Auvergne, avec une notice par J. Sigaux. Un vol. petit in-8° de la Collection des petits chefs-d'œuvre. Paris, Librairie des Bibliophiles.

Lorsque j'ai vu annoncer la publication d'une nouvelle de Fléchier, j'ai cru à la découverte d'un manuscrit inédit et inconnu. Heureusement, le nom de Mlle de Combes m'a rappelé les Grands-Jours d'Auvergne, et je n'ai été nullement surpris de voir ensuite, par le titre du volume, qu'il s'agissait d'un simple extrait. En écrivant ces pages, Fléchier a-t-il eu l'intention de donner une nouvelle? Je ne le crois pas, et peut-être Fléchier protesterait-il, s'il était là. Il n'a pas voulu faire œuvre de romancier, mais d'historien.

Les faits sont vrais et ne doivent rien à l'imagination de l'écrivain, que la forme charmante du récit et les paroles prêtées à ses personnages.

M. J. Sigaux a fait précéder ce petit volume d'une notice intéressante et sur l'auteur et sur l'ouvrage; ses appréciations nous paraissent justes; mais peutêtre est-on en droit de lui reprocher quelques à peu près que repousserait une érudition plus sévère. Qu'entend-il, par exemple, lorsqu'il fait de Fléchier un «< membre honoraire du cénacle de l'hôtel de Rambouillet »? Est-il bien sûr que Fléchier, rentrant à Paris, en février 1667, après les Grands-Jours d'Auvergne, trouva, « pour stimuler son éloquence, des écrivains qui s'appelaient... Fénelon », etc.? - Né en 1651, Fénelon était bien jeune encore pour stimuler l'éloquence d'un orateur de trente-cinq ans. Petits détails, sans doute. Oui, mais il en coûte si peu d'être exact!

CH.-L. L.

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Le Meuble, tome II (xvi1o, XVIII et XIXe siècles), par M. DE CHAMPEAUX, inspecteur des beaux-arts à la Préfecture de la Seine. A. Quantin, éditeur. Prix broché : 3 fr. 50.

Sous ce titre, la Bibliothèque de l'enseignement des Beaux-Arts, publiée sous la direction de M. Jules Comte, vient de s'augmenter d'un nouveau volume, qui achève et complète l'histoire du Meuble. Déjà, dans un premier volume, M. de Champeaux s'était attaché à faire revivre les anciennes écoles de sculpteurs sur bois qu'avaient produites les diverses provinces de la France, aux époques du moyen âge et de la Renaissance et à signaler les œuvres les plus importantes de nos vieux huchiers-menuisiers; puis, en face du mouvement de l'art français, il avait défini les caractères et raconté les principales étapes de la production étrangère, passant successivement en revue l'Angleterre, les Flandres, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie.

Dans son second volume, l'auteur, dont on connaît la compétence toute spéciale, élargit son sujet qui cesse d'être exclusivement le Meuble pour devenir l'Ameublement. On sait comment, à partir du XVIIe siècle, le génie français devint prédominant en Europe cette supériorité incontestée, qui a duré jusqu'à nos jours, ne s'est nulle part affirmée aussi nettement que dans l'ameublement; c'est donc un service inappréciable à rendre aux amateurs en même temps qu'à nos ébénistes modernes désireux de marcher sur les traces de leurs illustres devanciers, que de leur montrer la succession ininterrompue d'artistes éminents qui, depuis Boulle et Cressent jusqu'à Riesener, ont composé ces pièces, aussi charmantes de forme que délicates d'exécution, auxquelles l'art a donné droit d'entrée dans les collections particulières et dans les musées.

M. de Champeaux n'a garde d'oublier non plus ces habiles fondeurs-ciseleurs qui étaient chargés d'entourer et de sertir les incrustations de Boulle ou les marqueteries de Riesener et d'en rehausser l'effet par l'éclat de leurs cuivres dorés. Cent huit illustrations, choisies parmi les modèles les plus remarquables, complètent l'intérêt du texte où une profonde érudition se cache sous un style facile et élégant.

Le Meuble a enfin son histoire; glorieuse pour la France et instructive pour toutes les classes de la société, elle a sa place marquée sur les rayons de l'a

mateur comme dans la bibliothèque de l'école et de l'atelier.

Landscape in art before Claude and Salvator, by Josiah Gilbert. Un vol. in-8° 461 p. with 141 illustrations. London, 1885. John Murray.

Une histoire du paysage: le beau sujet! Comment se fait-il qu'il n'ait pas encore été traité en ce siècle, où il s'est rencontré tant d'âmes tendrement éprises de la nature? On ne peut se résoudre à croire qu'il n'ait pas tenté d'autre esprit que celui du troubadour J. de Perthes, qui publia en 1822 un volume sans valeur intitulé Histoire de l'art du paysage. Il faut donc supposer que, la tâche mesurée, ceux qu'elle attirait auront reculé devant son étendue; ils auront d'autant plus sûrement calculé la grandeur d'une telle œuvre qu'ils étaient plus dignes de l'entreprendre. Une histoire du paysage, en effet, ne saurait être simplement une collection de documents chronologiques et biographiques, classés par écoles ; cela doit même être quelque chose de plus qu'une étude critique et comparée des mérites propres à la technique de ces écoles et de ses défaillances. Cette sorte d'étude est évidemment nécessaire, indispensable dans une histoire du paysage; elle n'en est pas seulement partie intégrante, elle en est encore la partie résistante, solide, elle y fait office de charpente. Or la charpente d'un édifice n'est pas l'édifice luimême, et c'est ce qui nous faisait dire tout à l'heure que l'histoire du paysage n'a pas été écrite encore, au moment même où nous annonçons un ouvrage de M. Josiah Gilbert qui précisément se présente comme le livre désiré : le Paysage dans l'art avant Claude Lorrain et Salvator Rosa.

Quoiqu'il s'arrête d'une façon assez étrange au seuil de l'ère moderne, qui est la grande époque du paysage, l'ouvrage est important néanmoins et fort éloigné d'être nul; il est le résultat d'un effort de travail considérable, abonde en renseignements, naguère épars, désormais groupés. C'est un livre érudit, mais froid, pesant, mais utile, que l'on interrogera comme un dictionnaire. C'est un bon document (admirablement imprimé, médiocrement illustré), mais ce n'est qu'un document. L'auteur a amené à pied d'œuvre, en chantier, une grande partie des pierres qui entreront un jour dans la construction de l'édifice; mais il n'est pas allé plus loin. Encore faut-il

ajouter que M. J. Gilbert considère le paysage uniquement comme un accessoire de la figure dans l'histoire de la peinture jusqu'à Claude et à Salvator et n'étudie nullement l'art du paysagiste en soi. Donc l'édifice attend encore son architecte. Et nous aussi, nous l'attendons, nous appelons de nos vœux, non plus seulement l'érudit, mais l'écrivain savant et philosophe, poète et critique tout à la fois, qui saura retrouver, dans les manifestations peintes du sens de l'art, la trace des sentiments, très divers selon les temps, que l'être humain a successivement éprouvés en contemplant l'enveloppe de la planète où il a été jeté, le témoignage de ses terreurs et de ses adorations en présence des phénomènes extérieurs, la marque de l'intelligence plus ou moins juste qu'il eut de la nature, du dédain tour à tour et du culte qu'elle lui inspira, de la part qu'il lui accorda dans l'intimité de ses émotions, tantôt l'y admettant comme une tendre et consolante amie, tantôt s'en détournant comme d'un spectacle indifferent. Et lorsqu'il analysera les modes successifs d'interprétation de la lumière, nous lui demandons encore, à cet historien du paysage, de découvrir la marche de l'exacte vision des nuances colorées, de leur apparition consciente dans l'art, c'est-à-dire dans l'humanité, en un mot, les progrès de l'évolution optique des couleurs, gros problème dont la solution doit renouveler de fond en comble l'histoire critique de la peinture.

E. C.

La Peinture italienne, par GEORGES LAFENESTRE, commissaire général des expositions. Tome Ier. Un vol. broché, 3 fr. 5o. Paris, A. Quantin, éditeur.

La Bibliothèque de l'enseignement des beaux-arts, publiée sous la direction de M. Jules Comte, continue à se développer avec un succès toujours croissant. Après les études si appréciées sur la Peinture flamande, la Peinture hollandaise et la Peinture anglaise, voici la Peinture italienne, le vingt et unième volume de cette curieuse collection, l'un des plus intéressants et des plus attendus, tant à cause du nom de son auteur que de l'importance, et on peut bien le dire sans paradoxe, de la nouveauté du sujet. Sans doute de nombreux et importants travaux d'érudition et de critique ont paru en France depuis quelques années, sur diverses époques ou divers artistes de l'Italie; mais ce que nous ne possédions pas, ce que, de tous côtés, professeurs, artistes et gens du monde étaient unanimes à réclamer, c'est un tableau d'ensemble, rapide, exact, complet de l'histoire de la peinture italienne.

Le précis de M. Georges Lafenestre comble enfin cette lacune pour les. amateurs, les écrivains, les voyageurs, il sera désormais un guide sûr et autorisé à l'aide duquel ils pourront se diriger à travers l'énorme quantité d'œuvres de tout genre que l'Italie a produites pendant plusieurs siècles.

La matière était trop étendue pour être renfermée en un seul volume; le tome Ier, qui vient d'être mis en vente, tandis que le second est en préparation,

comprend l'étude des origines et des premiers efforts de la peinture italienne, dont il poursuit le développement jusqu'à la fin du xv siecle. Nous y retrouvons, avec ses liens presque ininterrompus, la constante tradition qui rattache l'antiquité à la Renaissance, en traversant le moyen âge: activité extraordinaire des précurseurs hardis et naïfs, fresquistes religieux du XIVe siècle, naturalistes savants et poétiques du xvo; l'auteur a su embrasser d'un seul coup d'oeil toute cette succession d'œuvres et d'artistes, qu'il fait défiler devant nous, éclatante de vie et de mouvement, dans une série de tableaux synchroniques où les biographies, rapides et précises, s'entremêlent avec un rare bonheur dans tout l'entraînement des faits et des idées. Cet exposé s'appuie tout à la fois sur les œuvres et sur les documents authentiques. On sait quel maître de la plume est M. Georges Lafenestre, qui commença tout d'abord par être un poète avant de devenir un de nos plus éminents critiques: on retrouve dans son livre le souvenir des belles traditions de l'érudition française, la sûreté des informations de détail s'alliant à la hauteur des vues d'ensemble, l'intérêt du récit constamment contenu par le charme d'une langue tantôt familière et tantôt éloquente, toujours simple, sobre et admirable de clarté.

Le volume de M. Georges Lafenestre a sa place dans toutes les bibliothèques, dans le salon comme dans l'atelier, entre les mains du voyageur comme entre celles de la jeune fille et du collégien; il va donner un motit nouveau de succès à cette collection sans précédent, destinée à former, lorsqu'elle sera complète, une encyclopédie unique, — divisée à la fois par périodes, par spécialités et par pays, de tout ce qui se rattache à la théorie comme à l'histoire de l'art et à ses multiples applications.

Costumes militaires, 1789-1815, dessinés et lithographiés par Charlet. 50 planches en couleur. Notice par A. Guillaumot fils. Paris, 1886, J. Cahen, éditeur.

Vingt-cinq lignes d'une banalité rare où l'auteur déclare que la période de 1789 à 1815 a été pour les mœurs et le costume une époque des plus curieuses et des plus intéressantes, puis affirme, passant toute mesure, que « cette époque tient en effet une large place, surtout au point de vue de l'habillement militaire ». C'est trop ou trop peu à titre de Notice en tête d'un nouveau tirage de 50 planches lithographiees par Charlet.

Charlet: M. Guillaumot fils ne paraît pas le moins du monde soupçonner la valeur de ce nom illustre qui n'est pour lui rien de plus qu'un « nom autorisé », ni la grandeur de l'artiste, car il se croit obligé de lui donner un bon certificat : « Rendons ici hommage à l'auteur », écrit-il avec une naïveté tranquille, « au talent déployé dans ses dessins; l'on ne doute en les voyant », ajoute-t-il dans une langue qui a une lointaine ressemblance avec le français, « ni de la vérité ni du vécu de leur exécution. » Évidemment M. Guillaumot fils croit qu'il révèle, qu'il invente Charlet

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