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Sascha et Saschka. La mère de Dieu, par SACHER MASOCH. Nouvelles traduites de l'allemand avec l'autorisation de l'auteur, par Mile Strebinger. Paris, Hachette et Cie; 1886. Un vol. in-18.- Prix : 3 francs.

Ces deux nouvelles du romancier Sacher Masoch, déjà fort connu chez nous, sont bien choisies pour ajouter à ce qu'on sait de la nature et de la direction de son talent. L'une et l'autre sont des études de mœurs des paysans de la Petite-Russie; la première est l'histoire d'un fils de prêtre qui s'enamoure de la fille d'un noble polonais des environs, et parvient à lui faire accepter le bonheur dans la médiocrité. L'autre, la Mère de Dieu, est d'une puissance étrange et troublante. Cette jeune mystique, qui se croit la personnification de Dieu sur la terre, et que tous ceux de sa secte adorent avec tremblement, est une figure que nous ne pouvons, nous autres Occidentaux, comprendre que grâce au raffinement de notre sens critique, mais qui nous ouvre des vues inattendues sur l'état des esprits dans une partie de l'Europe avec laquelle nous aurons de plus en plus à compter. Je n'analyserai pas l'action, dramatique et vraiment terrible, dans sa naïveté religieuse. Il me suffit de signaler cet ouvrage de Sacher Masoch comme un des tableaux les plus saisissants que je connaisse de l'empire que prend le fanatisme sur les âmes, à commencer par l'âme de celui ou de celle qui en est l'objet.

La traduction a toute la saveur d'un original. Je n'en puis garantir la fidélité absolue, n'en ayant pas fait la comparaison avec le texte; mais elle donne bien l'impression que donnerait la lecture du texte lui-même, et c'est, dans une traduction faite pour être lue par tous, l'essentiel et le plus qu'on puisse exiger.

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Je trouve, en quelques lignes, dans l'introduction mise par M. T. Wyzerva en tête de ce volume, l'analyse de Bartek vainqueur, et je me ferais scrupule de ne pas en profiter avec mon lecteur. « Bartek l'imbécile, un paysan polonais de la Posmanie, est allé, avec ses compatriotes, faire la guerre aux Français; il s'est battu vaillamment, un peu par lâcheté, un peu parce qu'il était ivre, mais surtout parce qu'il s'imaginait que les Français étaient des Allemands, et pires que les Allemands de son pays. Le voilà revenu dans les villages polonais, vainqueur, presque décoré, ivrogne affreusement et paresseux. Il maltraite sa femme, néglige son champ, et, parce qu'il a voulu corriger un

instituteur allemand, les magistrats prussiens le con. damnent à la prison, comme s'il n'avait pas battu les Français à Gravelotte et à Sedan. Puis on l'oblige à voter pour le candidat prussien. Et le pauvre Bartek doit enfin perdre son champ, sa maison; chassé de son village, il va s'enivrer ailleurs, misérablement, et méditer aux inconvénients de cette victoire prussienne qu'il a aidée. »

Plusieurs autres nouvelles complètent le volume. L'une, le Gardien du phare, est tout à fait remarquable. Mais, comme le dit M. T. de Wyzerva, le « joyau », c'est Bartek vainqueur. Il faut féliciter M. A. Laurent, l'éditeur de cette « nouvelle bibliothèque internationale », de l'intelligence et de la largeur d'esprit qui président au choix des ouvrages qu'il a fait jusqu'ici entrer dans sa collection.

B.-H. G.

DERNIÈRES PUBLICATIONS

OUVRAGES SIGNALÉS

Contes de derrière les fagots, par Armand Silvestre. Paris, Marpon et Flammarion. Un vol. in-18 carré, illustré. Prix : 5 francs.

Meloy, par Noël Blache. Paris, Ollendorff. Un vol. in-18. · Prix: 3 fr. 5o.

Séduite par Raphaël Lightone. Paris, Jules Lévy. Un vol. in-18. Prix 3 fr. 5o.

Le Dernier des Parthenay, par Pierre Delcourt, Jules Lévy, éditeur. Un vol. in-18. Prix 3 fr. 5o.

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Pages retrouvées, par EDMOND et JULES DE GONCOURT. Paris, G. Charpentier et Cie; 1886. Un vol. in- 18 jésus. Prix: 3 fr. 5o.

Oh! la délicieuse, l'exquise, la séduisante chose que ces Pages retrouvées des deux frères de Goncourt, publiées par le survivant! Comme elles donnent bien l'essence même de leur talent, l'arôme particulier de leur style, la notion exacte de leur nature complexe, possédant si parfaitement le xvIIIe siècle, et, en même temps, se montrant si étonnamment, si réalistement moderne !

Explique-t-il assez nettement leur merveilleux tempérament d'artistes, ce livre plein de couleur, de paillettes, d'aquarelles et d'esquisses peintes avec un brio sans pareil? Disent-elles bien leur passion de littérature, leur soif d'exprimer d'un mot juste ce qu'ils. voient, ce qu'ils sentent, ce qu'ils admirent, ces pages charmantes et curieuses, qu'il eût été si grand dommage de ne pas connaître du vivant de l'écrivain, et qui sont l'amusant embryon de tout ce qui se débattait à l'origine dans le cerveau de ces deux grands maîtres des lettres françaises?

Ce sont tantôt de simples notes prises du bout du crayon, comme le Voyage à Alger, de vrais souvenirs de peintres, où l'on sent déjà la plume des écrivains dans la description typique des choses vues et indiquées éloquemment d'un mot, d'une phrase plantée comme une silhouette de figure, un profil de coin de pays; tantôt un dessin plus ferme, plus arrêté, comme l'Arrivée à Naples, fragment d'un livre qui devait s'appeler l'Italie la nuit, avec tout un scénario en vingt-huit paragraphes, des sujets napolitains que les auteurs devaient

traiter et développer successivement. A lire ces lignes pleines d'originalité, cherchant toujours le côté neuf et artistique des objets, on regrette que les de Goncourt n'aient pas donné suite à leur projet. Cela eût ajouté à leurs œuvres un volume absolument particulier, comme couleur et comme allure, un livre de voyages qui eût été le livre qui n'existe pas, celui dont la fantaisie et la réalité eussent tranché sur les œuvres les plus connues et les mieux faites. Le seul fragment important qui puisse en faire juger est celui intitulé Venise la nuit, où ils ont donné l'essor à la fantaisie la plus folle et la plus étonnante. Il y a là tout un rêve qui dit mieux Venise que la peinture la plus réelle; c'est Venise même dans sa gloire irradiée, dans son mirage éblouissant, dans l'impression fantasmagorique qu'elle vous fait, cette ville du rêve et de l'art, cette ville des surprises et des joies de la pensée. Nul n'a compris comme eux le sens et la vision de Venise; c'est une page éblouissante qui restera comme resteront ces verreries admirables qui sont le triomphe des verriers vénitiens. Puis ce sont les Poésies en prose, des études sur Gautier, Alphonse Daudet, Daumier, des nouvelles ciselées avec un art parfait comme Monsieur Chut, des fragments d'une observation étonnante comme le Voyou, un continuel mélange d'art et de poésie, de fantaisie et de réalité, d'esprit et d'observation qui font de ce volume le véritable œuf d'où sont sorties tant d'oeuvres admirables qui ont placé Edmond et Jules de Goncourt à la tête de notre littérature. Gustave Geffroy, dont les études critiques ont fait l'écrivain le plus apte à juger de tels maîtres, a écrit pour Pages retrouvées une préface qui est peut-être ce qu'on a fait de mieux en ce genre. On

sent qu'il a été brillamment inspiré par la lecture et l'analyse raisonnée de ces merveilleux fragments.

G. T.

Recueil sur la mort de Molière (Nouvelle collection moliéresque). Un vol. in-12. Paris, Jouaust, XII92 pages.

M. Paul Lacroix devait, si la mort ne l'avait surpris, donner, dans sa Nouvelle collection moliéresque, un Recueil sur la mort de Molière. M. Georges Monval, chargé par les éditeurs Jouaust et Sigaud de donner suite à la pensée du maître regretté, vient de publier le petit volume qui contient le Recueil promis. Il a divisé d'une manière méthodique les pièces réunies ainsi qu'il suit : Actes relatifs à la mort de Molière : - Requête à l'archevêque de Paris; Extrait des registres de l'archevêché portant la décision de l'archevêque; - Acte d'inhumation; - Lettre à l'abbé Boyvin; - Extrait du registre de Lagrange; Deux placards sur la mort de Molière; — Sur la mort imaginaire et véritable de Molière (neuf pièces, dont sept épitaphes); - Épitaphes (épitaphes françaises, épitaphes latines du P. Vavasseur et autres); Vers sur la mort de Molière (Boileau, Boursault, Regnard, etc.); L'Ombre de Molière et son épitaphe, par Dassoucy; Inscriptions sur des portraits gravés de Molière; - Pièce de vers trouvée sur le tombeau de Molière; — Inscription du tombeau au Père-Lachaise; - Catalogue des épitaphes, épigrammes, madrigaux, sonnets, etc., sur la mort de Molière, avec les indications des sources et les attributions.

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Cette énumération suffit pour permettre d'apprécier l'intérêt que présente ce petit volume, où se trouvent réunies des pièces qu'on aurait à chercher dans un grand nombre d'ouvrages.

Nous avions communiqué à M. Monval une copie contenant, outre les poésies latines du P. Vavasseur, un grand nombre d'épigrammes françaises tirées d'un manuscrit de la bibliothèque de Bordeaux. M. Monval ayant perdu, dit-il, notre copie, nous avons le regret de ne pouvoir vérifier si son recueil est plus ou moins complet que le nôtre, ou si le nôtre ne contenait pas quelques intéressantes variantes.

Molière inconnu, sa vie, tome ler (1622-1646), par AUGUSTE BALUFFE. Un vol. in-16. Paris, Perrin; 1886 (Librairie académique).

L'ouvrage de M. Baluffe a le très grand tort de nous laisser Molière beaucoup plus inconnu après qu'avant la lecture. Rien ne serait mieux fait que cet étrange volume pour jeter le trouble dans l'esprit de ceux qui connaissent le mieux la vie de Molière, s'ils ne s'apercevaient bien vite que toute l'érudition de l'auteur est compromise par ses dévergondages d'imagination. Il est impossible d'accumuler plus de faits pour en tirer des déductions ou plus suspectes ou plus erronées. Tout ce qu'il est possible de grouper d'à peu près se mêle à des données exactes pour former un salmigondis confus duquel il est impossible de rien retenir. Les rapprochements les plus inatten

dus s'y pressent en désordre, s'y croisent, s'y mêlent, s'y embrouillent, et si bien qu'il est impossible de s'y reconnaître.

L'auteur n'a pu faire ce qu'il a fait qu'avec un travail considérable, dont il faut lui savoir gré. Mais pourquoi l'a-t-il fait comme il l'a fait? Pourquoi tant de conséquences forcées, de conclusions inadmissibles? L'homme d'imagination a tué chez lui l'éru

dit.

Un second volume doit suivre celui-ci : nous prions M. Baluffe d'indiquer exactement toutes les sources où il a puisé ses documents, et de nous donner une table des noms propres cités dans l'ouvrage.

Nous osons le prier aussi de corriger plus soigneusement ses épreuves nous ne connaissons pas un livre aussi riche en fautes d'impression.

On trouvera peut-être notre critique bien écourtée: mais chaque page, chaque ligne, chaque mot appelle la controverse; forcé de nous restreindre, nous avons dû nous en tenir à une appréciation générale.

CH.-L. L.

La Lanterne, par HENRI ROCHEFORT. Paris; 1868. Victor Havard, éditeur.

Qui ne se souvient de la Lanterne de Henri Rochefort, ce pamphlet formidable, unique dans son genre, si terrible qu'il fit craquer le trône d'un empereur et causa la chute d'un gouvernement affermi par dixsept années de despotisme absolu. S'il eut des effets aussi extraordinaires, des conséquences aussi graves, c'est qu'il est écrit dans une langue particulière, apte à tous, avec cette forme de raillerie aiguë qui pénètre, de gouaillerie mordante qui a fait de son auteur le premier des pamphlétaires, le plus populaire des écrivains. Aujourd'hui réunies en volume par l'éditeur Victor Havard, ces treize premières Lanternes, dont les dernières furent saisies et devinrent aussitôt introuvables, reprennent à la lecture toutes leurs qualités d'esprit, d'à-propos, leur morsure de vitriol et sont la fidèle image d'un temps inoubliable. C'est de l'histoire documentaire, amusante comme un roman, et le lecteur retrouve sur ses lèvres le rire irrésistible qui, en 1868, alla retentir en plein cœur de l'empire, lui prédisant la chute prochaine.

Jean-Paul Richter.

Œuvres diverses. — Étude et traduction par ÉMILE ROUSSE. Un vol. in-16. Paris, Hachette et Cie, éditeurs. - Prix: 3 fr. 5o.

Longue, longue, l'étude consacrée à Richter, par M. Émile Rousse; assurément elle est consciencieuse, l'auteur n'a rien omis, pas même une pièce de vers de Casimir Delavigne, qu'il rapporte, dit-il, en l'honneur de ses lointains souvenirs, parce que le poète français et le poète allemand se sont rencontrés dans cette description des limbes; pas même un analyse du Titan, roman de Richter, qui, avoue ingénieusement M. Rousse, « a paru longue, peu divertissante, je dirai même ennuyeuse, à des juges impartiaux et par malheur très compétents ».

Nous n'ajouterons rien à cet aveu dépouillé d'arti

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fice, sinon que par bonheur les nombreuses pages consacrées à Jean-Paul par M. Émile Rousse ne sont pas toutes aussi peu intéressantes. Il y a quelques bonnes choses à glaner dans ce champ, où la herse aurait bien dû passer et arracher les herbes parasites.

La partie capitale des œuvres traduites par M. Rousse, c'est le roman de Quintus Fixlein, simple histoire d'une humble famille, de douces et paisibles amours. « On a souvent, dit le traducteur, comparé cette histoire au Vicaire de Wakefield et à Hermann et Dorothée; c'est, il est vrai, le même genre, mais à quoi bon les comparer? S'ils se ressemblaient, chacun des auteurs ne serait pas profondément original. » — Le ro man de Jean-Paul est incorrect, parfois confus, ne vise pas à l'élégance; détails inutiles, parenthèses, digressions, tout y abonde; grande dame et jardinier, commandant de dragons, maître d'école, boucher et recteur, chacun y parle sa langue, rude parfois, tout à fait étrangère à la langue des dieux. Tout est fantaisiste et touffu, de fond et de style.

M. Émile n'en eut que plus de mérite à affronter la sévère besogne de traduire un pareil roman. Sachonslui-en gré.

Il a complété son volume en faisant dans notre langue de petits écrits de Jean-Paul, articles de journaux ou de revues, dont quelques-uns sont empreints de la verve mordante, caractère spécial de l'auteur allemand.

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Paris a son historiographe, un historiographe volontaire, qui s'est attaché à son sujet par un amour et une curiosité également infatigables M. Maxime du Camp, en écrivant la Charité privée à Paris, ne fait que continuer l'œuvre considérable, instructive et intéressante consacrée à l'organisme de la capitale.

Ce livre est réconfortant. On entend si souvent gémir sur l'indifférence et l'égoïsme de nos contemporains et flageller leurs vices, que c'est une récréation intime, une sorte de réconciliation avec l'espèce humaine d'assister au développement large et puissant, quoique toujours insuffisant, des institutions charitables fondées par l'initiative privée. Presque toujours, c'est un cœur simple, naïf, dépourvu de moyens matériels, mais fort de l'énergie du bien et chaud de la flamme de la charité, qui commence humblement l'œuvre de secours; et le zèle infatigable, le dévouement sans cesse en éveil parviennent à agrandir, à multiplier les bienfaits.

Il suffit de citer les principales fondations d'assistance sociale que M. du Camp nous fait connaître en détail pour se rendre compte de la générosité secrète de la population parisienne : les Petites Sœurs des pauvres, les Frères de Saint-Jean-de-Dieu, l'Orphelinat des apprentis, les Dames du Calvaire, l'Œuvre des jeunes poitrinaires, les Sœurs aveugles de Saint-Paul, l'Hospitalité du travail, l'Hospitalité de nuit, la So

ciété philanthropique. Le bien que répandent ces fondations est merveilleux. Et l'on ne peut manquer de s'éprendre d'admiration pour ces âmes si compatissantes qui s'ingénient à soulager le corps et à guérir l'âme des abandonnés, des déshérités, des déchus de ce monde.

La charité est un élément nécessaire de la vie sociale. Comme on l'a fort justement dit, c'est un préservatif contre les convulsions sociales, que le chancelier Bacon appelait les révoltés du ventre. La misère n'est pas une quantité négligeable; elle est un dissolvant des mœurs et un levain de révolution. La société, en organisant la charité, obéit non seulement à une loi supérieure de la raison et du cœur, à un sentiment de fraternité, mais à l'instinct de conservation et au conseil éclairé de l'intérêt. « Que sont les millions que dépense l'Assistance publique en regard des périls que créeraient à la sécurité de Paris les 350,000 individus qu'elle secourt tous les ans ? Le jour où l'Assistance publique disparaîtrait, les trottoirs seraient envahis par les infirmes, les maladies épidémiques s'empareraient de la ville, l'infanticide étranglerait les nouveau-nés illegitimes, et l'émeute enfoncerait la porte des boulangers. »

Mais la charité publique, par cela même qu'elle doit être réglementée, est restreinte; par cela même qu'elle s'exerce à l'aide d'un budget déterminé, elle doit circonscrire son œuvre. Le bien qu'elle fait resterait un coefficient presque nul si la charité privée ne venait à côté d'elle accomplir tout ce que l'autre ne peut réaliser. Elle le réalise avec d'autant plus de grandeur et de beauté que son action n'émane pas d'un calcul, fort sage assurément, mais qui, étant un calcul, reste un motif supérieur : le dévouement et l'aumône des particuliers procèdent de la charité pure, de l'amour du prochain et du sentiment du devoir désintéressé.

Les monographies qui constituent le livre de M. du Camp sont de la morale en action; ce livre est fait pour répandre la contagion du bien. Positivement à le lire on se sent entraîné par l'exemple : c'est le plus bel éloge qu'on puisse faire d'un livre.

Ajoutons qu'il est loin d'être ennuyeux; que faut-il de plus pour en assurer le succès ?

PZ.

The Choice of Books and other literary Pieces, by FREDERIC HARRISON. London, Macmillan and C°; 1886. Un vol. in-8°.

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M. Frederic Harrison connaît mieux la France que la France ne le connaît.Sans avoir la moindre idée d'établir aucun parallèle, je peux bien dire que M. Harrison y gagne et que nous y perdons. C'est, en effet, un des esprits les plus vigoureux de l'Angleterre contemporaine. Il a longtemps été, il l'est peut-être encore, un des rédacteurs les plus brillants du Daily News; c'est une bonne fortune pour une revue que de publier un morceau signé de ce nom; enfin, il est un des chefs les plus autorisés de l'école comtiste; car, si Auguste Comte a laissé dans sa patrie des positivistes en proie au schisme, il a, en Angleterre, des

disciples ne relevant que de lui et s'honorant de son

nom.

Le volume que j'ai sous les yeux est, comme son titre l'indique, un recueil d'études littéraires, dont quelques-unes sont inédites, mais dont la plus grande partie a déjà été publiée dans des revues ou des journaux d'Angleterre ou d'Amérique. Quelques-uns de ces morceaux, comme la Lettre à M. Ruskin, l'Ouverture des cours de justice à Burlington House, Londres historique et d'autres, sont d'un intérêt trop exclusivement anglais pour que j'aie à en entretenir nos lecteurs. J'en excepte l'essai satirique intitulé The Esthete, qui vaut la peine d'être lu en un moment où l'épithète aesthetic remplace, dans l'argot de la fashion française, les termes si ingénieux de bécarre, de pschutt et de vlan.

Avant d'arriver à l'étude capitale du recueil, je dois signaler une revue comparative des histoires de la Révolution française, une critique spirituelle et mordante de Lothair, le dernier roman de Benjamin Disraëli, devenu lord Beaconsfield, des pages intéressantes sur Carlyle à propos de sa vie écrite par M. Fronde, et sur George Eliot à propos de la biographie qu'a publiée d'elle son mari, M. Cross, et surtout un travail sur saint Bernard et son influence au XIIe siècle. Cette figure du fondateur de Clairvaux a frappé fortement M. Harrison. Pour lui, saint Bernard est l'homme du XIIe siècle, celui qui domine et conduit tout. Je ne songe pas à le contredire; mais j'avoue que je suis rebelle à l'enthousiasme qui lui fait écrire que la vie et l'œuvre de saint Bernard offrent « des éléments de beauté et de grandeur dont l'histoire tout entière de la civilisation ne possède pas de type aussi parfait ».

La préoccupation religieuse, particulière aux plus fidèles adeptes de Comte, se retrouve ici et dans bien d'autres endroits du volume, et a pour résultat, à mes yeux du moins, de fausser un jugement naturellement plein de vigueur, de justesse et de netteté. Mais cette question m'entraînerait trop loin, et c'est à peine s'il me reste l'espace nécessaire pour dire deux mots du morceau le plus important du livre, l'Essai sur le choix des livres : The Choice of Books.

La thèse que soutient M. Harrison est que le développement excessif et toujours croissant de la production littéraire finira, si l'on n'y prend garde, par tuer en nous le sens littéraire et le goût. Rien n'est périlleux pour la santé de l'esprit comme de lire sans choix tout ce qui paraît, parce que c'est nouveau. Mieux vaudrait mille fois ne jamais ouvrir une nouveauté, et s'en tenir à ces grandes œuvres, consacrées par le suffrage des siècles, qui commencent à Homère et finissent, en passant par Dante, Shakespeare et Corneille, à Byron, Goethe et Victor Hugo. M. Harrison développe cette thèse en un style d'une énergie singulière et avec une force et une pénétration de pensée qui montrent qu'il a longuement médité sur ce sujet. Comte l'avait d'ailleurs indiqué, et le disciple ne fait que construire ici, mais de main d'architecte, un édifice laissé par le maître en projet dans

ses cartons.

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L'instrument de M. Pierre Gauthiez est un peu vieux peut-être; il rend parfois des sons dont nos oreilles sont déshabituées, et qui nous surprennent comme un écho inattendu des harmonies oubliées de nos grands poètes d'il y a quarante ans. Je ne saurais m'en plaindre, car j'y ai pris grand plaisir. Tous les tons, d'ailleurs, et presque tous les genres ont leur place dans ce recueil. Il n'est pas jusqu'au conte en vers, aù fabliau de nos lointains ancêtres, qu'on ne retrouve dans la jolie pièce intitulée: Au bon vieux temps. L'amour, la rêverie, l'esprit des voyages, les souffrances de l'être humain, les tristesses et les joies de la nature, la sympathie universelle et, par places, un souffle patriotique, vigoureux et chaud, animent et inspirent ces pages, dont il faudrait citer la plupart pour donner du poète une idée fidèle. Je m'en tiens, faute d'espace et à regret, aux vers suivants tirés d'une pièce intitulé le Coq :

Cocorico! chante à l'aurore, Oiseau des aïeux, coq gaulois! Hardiment, de ta voix sonore Chante le gai rayon qui dore Cocorico! les champs, les bois.

Il nous dit, ton chant d'espérance: « Alerte! assez dormi! debout!

Le jour vient! Le travail commence! » - Toujours, sur la terre de France, Cocorico! chante! et surtout...

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