Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Un vrai livre de poète, celui que fait paraître M. Louis Tiercelin sous ce titre : Amourettes, et qui renferme une suite, de nouvelles amoureuses d'une fraîche et pimpante couleur. Cela commence par des amours de collégien pour finir par les sérieuses amours conduisant au mariage, au mariage qui ne se fait pas. Une jolie note de bonne humeur carillonne gaiement à travers ces récits pleins d'humour, où le prosateur ne cache pas le poète et laisse ce dernier se montrer de ci de là, entre deux contes, comme pour ne pas le faire oublier.

Le Drapeau, par JULES CLARETIE. Paris, Calmann Lévy, 1886. Un vol. in-12. - Prix : 5 francs.

L'éditeur Calmann Lévy vient d'avoir l'excellente idée de publier, dans sa ravissante collection de chefsd'œuvre, cette délicieuse et patriotique nouvelle de Jules Claretie, intitulée le Drapeau et si justement couronnée par l'Académie française. Rarement on a écrit quelque chose de plus remuant, de plus simplement touchant et de plus sincèrement français que cette histoire de deux officiers voulant aller enlever à Berlin, au tombeau de Frédéric le Grand, le drapeau de leur régiment, volé plutôt que conquis par les Prussiens sur le champ de bataille de Waterloo. Fougerel et Malapeyre, les deux capitaines, sont désormais deux types inoubliables, que l'écrivain a peints dans un élan de cœur et d'ardeur patriotique, avec une émotion qui se communique vibrante au lecteur et fait passer dans ses veines cette sublime et désirable folie qui est l'amour de la patrie. Nous n'avons plus besoin de raconter un récit que tout le monde connaît et relit passionnément; mais on ne saurait trop louer une œuvre qui est de celles dont s'honore un pays.

G. T.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

bonne compagnie pourtant d'un homme désabuse, porté par caractère ou amené par la vie à ne plus voir des choses que le côté décevant, des hommes que les ridicules et les travers; sous cette enveloppe quelque peu apre, Pamour persistant, sous-jacent de ce qui est vraiment grand et beau dans la nature et dans l'humanité, mais au préalable contrôlé par un esprit critique à qui l'on n'en fait plus accroire; animant le tout, une verve comique qui s'allume spontanément, sans effort ni recherche, au spectacle des faits, une franchise dans le mot qui ne s'arrête que juste aux confins de la brutalité, une façon nette d'appeler un chat un chat, un manque total de vénèration, le mot prompt, spirituel, drôle, la phrase alerte, plutôt parlée qu'écrite tels sont les éléments principaux qui se dégagent à l'analyse critique du talent de M. Joseph Maire.

Le titre, quelque peu énigmatique, du présent volume est emprunté à l'aimable gazouillis des filles créoles de l'île Bourbon où, par un habile contraste, s'encadrent, parmi les clémences amoureuses d'une nature enchanteresse, les scènes d'ouverture de la première nouvelle, qui se poursuit dans la neige et le sang de la guerre prussienne en Bourgogne, pour s'achever dans la rouge agonie de la Commune. Malgré les tragédies réelles de ce dénouement, l'auteur a le goût beaucoup trop fin pour charger son récit de déclamation; il réussit pourtant à suggérer l'émotion d'un tragique intense comme en la seconde nouvelle, Dans le Midi, où il décrit avec une rare puissance d'ironie sombre, de sinistre gouaillerie, les effets grotesques et terribles d'une maladie naguère innommée, << la plus cruelle peut-être de toutes celles qui se sort échappées de la boîte à Pandore, peu répandue tant qu'on lui a laissé son anonymat, et qui s'est multipliée désastreusement depuis qu'on lui a fabriqué un état civil », la cruelle ataxie locomotrice, affection « distinguée, très distinguée », qui compte le plus grand nombre de ses martyrs parmi les artistes, les ambitieux et les amoureux. Les vingt pages que M. Joseph Maire a consacrées à cette maladie et à ses victimes suffiraient seules, dans leur implacable férocité, au succès de Mi aime à vous.

E. C.

[merged small][ocr errors]

La mort tragique de Robert Caze a plus fait parler de lui que les cinq ou six livres où il a mis la première sève et un peu de la gourme de son talent. Paris vivant est un recueil de courtes esquisses, la plupart dans le ton cru du naturalisme. Ce sont choses vues sans doute, des réalités coudoyées, et bien vraiment des scènes de la vie de Paris, ou du moins d'un coin de Paris. Il n'y a point, dans ces pages rapides,— chroniques de cent à deux cents lignes, la finesse ni le coup de plume délicieux de Gustave Droz, ni l'observation satirique et pénétrante de Thomas Graindorge. C'est plus brutal et plus superficiel, avec un certain ragoût d'immoralité cynique, mais au demeurant assez curieux et amusant; et les détonations des

expressions naturalistes empêcheraient à elles seules le lecteur de s'engourdir. Parmi cette cinquantaine d'historiettes, on remarquera particulièrement pour la gaieté ronde ou pour l'humeur sarcastique avec laquelle elles sont enlevées: Une bonne Éducation, A Prix réduit, le Manche à gigot, Une Chrétienne, Messe d'une heure, l'Euf de Páques, Fille à marier, le Monsieur de minuit, Trop de bougies.

Robert Caze a fait mieux que cela; et il serait injuste de faire peser lourdement, dans son bagage littéraire, ces pages hâtives, écrites pour les nécessités du journal quotidien.

PZ.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

« Les Caractères de La Bruyère ont fait des rieurs et des singes; les Maximes de La Rochefoucauld, des esprits sans jugement ou d'un jugement faux; le manuscrit de la Riola a donné un homme (il s'agit de son fils) à l'histoire de la magistrale jurisprudence et des nationalités reconquises.

« Et maintenant, va, petit livre! Va tout simple, va tout bon, va tout droit, prendre ta place de légitime. honneur sur chaque table de famille, entre la Bible et l'Évangile des pieuses et patriarcales veillées. Sois l'alphabet des tout petits, le conseiller des plus âgés, le formulaire des jeunes hommes... Cher petit livre, qui t'en vas par le monde si grand, laisseras-tu sans quelque honneur le traducteur intègre? »

Je ne saurais le dire; mais, au moins, il n'aura pas dépendu de moi.

B.-H. G.

Lady Roxana ou l'heureuse Maîtresse, par DaNIEL DE FOE. Traduit de l'anglais par M. B.-H.-G. de Saint-Heraye. Un vol. grand in-8°. Paris, librairie générale illustrée, 4, rue Hautefeuille; 1885. Prix : 7 fr. 50.

Daniel De Foë est, sans doute, l'auteur de Robinson Crusoé; mais il est aussi un polémiste de premier ordre, le père du journalisme anglais et le précurseur du roman moderne. Parmi les nombreux récits d'aventures' imaginaires qu'on lui doit, celui qu'a choisi M. de Saint-Heraye pour le faire connaître aux lecteurs français est un des plus caractéristiques, s'il n'est pas un des meilleurs au point de vue du plan et du dénouement. C'est l'histoire d'une courtisane

que sa beauté a fait comparer à la fameuse épouse d'Alexandre. A travers une suite d'aventures en Angleterre, en France et en Hollande, elle finit par épouser un riche négociant de ce dernier pays, et, à partir du moment où son bonheur est assuré, elle passe le reste de sa vie dans les remords et les larmes. Des caractères curieux et bien observés, comme ceux du marchand hollandais, de la suivante de Roxana et d'une jeune quakeresse, soutiennent l'intérêt en l'empêchant de se porter tout entier sur l'héroïne, qui le ferait parfois languir, il faut l'avouer. Elle a, en effet, du sang prédicant dans les veines et elle entrecoupe volontiers ses fredaines de retours sur les vanités de ce monde et de pieux sermons. Il est, d'ailleurs, d'un effet assez piquant de voir les crudités, les tableaux vifs et libertins dont s'accommodaient alors les puri. tains et les dissenters de la vieille Angleterre. Pourvu que la gravelure fût assaisonnée d'un peu de morale, lą sauce, comme on dit, faisait passer le poisson. Ici, pourtant, c'est le poisson qui a de la saveur et la sauce ne sert qu'à en masquer et à en adoucir le haut goût.

Il y a encore beaucoup à prendre dans l'œuvre de De Foë. Cette tentative nous fait espérer que la mine heureusement ouverte ne cessera pas d'être exploitée et que le public français finira par connaître, sous ses aspects divers, un des écrivains les plus féconds et les mieux doués qui aient jamais honoré la littérature d'aucun pays.

[blocks in formation]

En même temps qu'une étude historique sur Mme Roland, miss Mathilde Blind, dont le cœur gé néreux s'éprend volontiers des vaincus, publie un court poème, qui est aussi une page d'histoire. La Bruyère en feu, drame des Fermes de la haute Écosse, n'est qu'un long cri d'indignation, motivé par le système d'éviction et de transportation en masse, pratiqué avec une barbarie inouïe contre les malheureux crofters (ou fermiers sans bail) des clearances (ou pièces de terre attenant à une habitation) du nord de l'Écosse. La situation du « crofter» est celle d'un fermier, non seulement dont la redevance peut être arbitrairement augmentée, mais qui, payât-il exactement cette redevance, peut être du jour au lendemain chassé du sol et de la hutte que la famille occupe généralement depuis plusieurs générations et transporté soit en Australie, soit dans quelque île perdue de l'Amérique du Nord. Si de nombreuses notes en appendice, formées d'extraits de journaux du temps et d'ouvrages spéciaux, n'établissaient l'authenticité de faits plus atroces encore que ceux dont la Bruyère en feu présente le tableau révoltant, on accuserait l'auteur d'avoir calomnié ses contemporains. Il faut malheureusement constater qu'en 1884 encore, l'éviction a frappé sans pitié cette pauvre et forte popula tion. Ses rangs vont s'éclaircissant ainsi de plus en plus dans les immenses domaines de la haute Écosse,

452

en vue de leur transformation en pâturages, dont le revenu est le triple de celui de la culture agricole. Que de tels crimes, — incendie, destruction, pillage des habitations, attentats à la liberté et à la vie humaine, puissent se produire légalement dans «< la libre Angleterre », cela semble incroyable, et cela est. Que les livres publiés à ce sujet en Écosse n'aient trouvé aucun écho dans la presse anglaise, que la Bruyère en feu puisse paraître sans provoquer un soulèvement de l'opinion, cela prouve que John Bull n'est point sensible à la contagion de la conscience indignée, tant que son propre épiderme n'est pas immédiatement menacé.

Le généreux poème de miss Blind, écrit en stances de huit vers, est divisé en quatre chants et contient mille quatre cent quarante-huit vers. Il est dédié « au capitaine Cameron, qui a la gloire d'avoir donné sa démission, plutôt que de prendre le commandement du steamer Lochiel, désigné pour transporter l'expédition de police contre les crofters de l'île de Skye pendant l'hiver de 1884 ».

E. C.

[blocks in formation]

Ce roman est l'œuvre d'un psychologue, d'un moraliste, d'un écrivain de pensées. Il est utile de le savoir; autrement, on aurait de la peine à s'expliquer le style de l'auteur, martelé, taillé à facettes, plein de sous-entendus, tantôt ironique, tantôt profond, tantôt naif, quelquefois obscur, ayant l'air de viser à l'effet, tandis qu'il est la forme toute naturelle de la pensée de l'écrivain, et que c'est de M. Louis Dépret surtout que l'on peut dire : le style, c'est l'homme.

Un raté de la littérature, passant par l'industrie et le mariage, pour aboutir à la folie; une jeune femme, pleine de beauté, de douceur et d'esprit, se consacrant entièrement au bonheur de son mari, et assez poursuivie par le sort pour éveiller en lui une jalousie dont il mourra; un jeune homme, doué de toutes les qualités et de tous les talents, sur le point d'épouser une noble et charmante fille, mais qui voit son mariage manqué parce que sa conduite chevaleresque, interprétée à contre-sens, a jeté des soupçons dans l'esprit inflexible de son futur beau-père; enfin, un diplomate, retour d'Orient, ancien ami de collège, le premier et le plus cher, Deus ex machina, qui, en diplomate qu'il est, fait reprendre les négociations suspendues, les mène à bien, et, de son côté, épouse la jeune et adorable veuve, concluant ainsi, d'un coup, deux alliances; tels sont les principaux personnages de ce roman, où M. Dépret peint la vie parisienne sous quelques-uns de ses plus intéressants aspects, ne prend guère pour ressorts que les sentiments généreux et glorifie l'amitié.

Ses habitudes d'analyser et de formuler donnent au livre une allure quelque peu fatigante pour les lecteurs qui aiment qu'on leur serve la moelle toute sortie de l'os; mais en deux ou trois endroits, par exemple dans l'épisode où il raconte comment se noua l'amitié des deux jeunes gens au collège, il ob

[blocks in formation]

Dona Perfecta, par don B. PEREZ-GALDOS. Traduit par Lucien Lugol. Préface par Albert Saime. In-18 jésus. Paris, Giraud et Cie, éditeurs.

Il est certain que nous possédons une foule d'écoles: normale, centrale, commerciale; j'en passe, et des meilleures, pourquoi ne pas fonder une école de traductions, où l'on enseignerait à fond les langues vivantes, leur sens littéral et leur sens équivalent? Cela nous éviterait de voir des chefs-d'œuvre tels que Dona Perfecta et plusieurs autres volumes castillans, traduits à l'aide du dictionnaire, et qui autoriseraient pleinement leurs auteurs à intenter des procès en diffamation à leurs interprètes français. Moins que tout autre, don B. Perez-Galdos ne méritait pas les barbares contresens et les baroques versions dont M. Lugol a émaillé Dona Perfecta. Don B. Perez. Galdos est un écrivain de talent, le chef de l'école naturaliste madrilène, et Dona Perfecta, son plus grand coup d'estoc et de taille, aurait dû rencontrer parmi nous un introducteur maître de l'espagnol et de son sujet. Heureusement, les personnages de Perez-Galdos sont si vigoureusement dessinés que le burin malhabile de M. Lugol ne parvient pas à les dénaturer du tout au tout; il y a dans ces pages des études si saisissantes de vrai, si débordantes de vie, qu'elles conservent encore leur superbe charpente.

La donnée est simple, mais la trame a du montant; Perez-Galdos nous amène dans une petite ville de province, misérable et révolutionnaire. Dona Perfecta, c'est la dévote sinistre; sans autres armes que sa piété, elle séquestre sa fille et la rend folle. Quant à son neveu, pour l'empêcher d'épouser la jeune fille, elle lui suscite mille chicanes, le fait chasser par l'évêque, le fait destituer par le ministre et, finalement, le fait assassiner. Le confesseur de Dona Perfecta, un brave homme, fanatique sans malice, la seconde à son insu, poussé malgré lui par sa sœur, un type de gouver nante de curé, féline et pointue, âpre et ambitieuse; à la rescousse vient un détrousseur de grand chemin, rallié au gouvernement et fidèle appui de l'Église, c'est ce digne trio, la dévote, le moine et l'aventurier, qui tient tête au progrès, à la science et surtout à la tolérance; mais malgré cet entourage admirable, Dona Perfecta se détache monstrueuse de laideur vraie ou de vérité laide; c'est un Tartufe en cotillon, peutêtre encore plus beau que le type de Molière, puisqu'elle est convaincue et qu'elle agit pour Dieu et par Dieu.

Il est vraiment dommage que M. Lugol se soit mêlé de traduire Dona Perfecta... Que dirions-nous si, en découvrant la Vénus de Milo, on lui avait maladroite. ment écorché le nez ou arraché l'oreille?

A. A.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors]
[graphic]

C'est le récit dramatisé du mouvement populaire qui éclata à Londres sous le ministère du duc de Wellington et de lord Castlereagh, quelques années après la chute de Napoléon. Une histoire d'amour, due, je ne sais dans quelle proportion, à l'imagination de l'écrivain, donne au livre une allure de roman. Je n'y ai, d'ailleurs, rien remarqué qui m'autorise à louer le talent littéraire de l'auteur. A un moment où les déshérités s'agitent et menacent en Angleterre et où la question irlandaise est sur le point de recevoir une solution qui sera pour l'Irlande un triomphe, il n'était peut-être pas hors de propos de rappeler ces tentatives du commencement du siècle. Mais un résumé des journaux du temps et des débats du procès auquel donne lieu cette affaire aurait rempli le but tout aussi bien.

Nouvelles promenades archéologiques: Horace et Virgile, par GASTON BOISSIER, membre de l'Académie française et de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Ouvrage contenant deux cartes. Paris, Hachette et Cie, 1886. Un vol. in-18.

On a déjà un volume de M. Gaston Boissier, où il s'est exercé avec succès à ressusciter à nos yeux certains personnages de l'antiquité romaine, tels que Cicéron et les Césars. Aujourd'hui, le savant écrivain souffle son souffle de vie sur Horace et sur Virgile. Nous sommes transportés dans la maison de campagne d'Horace et nous devenons pour ainsi dire son commensal. Nous savons l'histoire de ses relations avec Mécène, le genre de vie de cet illustre protec

teur des lettres, les goûts d'Horace, sa joie de quitter Rome pour venir jouir, dans la Sabine, de son aurea mediocritas; nous l'accompagnons dans ses voyages, et nous assistons aux derniers moments de cet esprit charmant et délicat.

Le Pays de l'Enéide, tel est le titre de l'autre longue étude que contient ce volume. L'auteur y suit la légende d'Énée depuis son origine jusqu'à son arrivée en Italie, et explique comment Virgile a été amené à la prendre pour sujet de son poème. Il nous conduit en Sicile avec Énée et avec son poète, aborde à Ostie, décrit Lavinium, reconstitue Laurente et le palais de Latinus, refait avec le lecteur la marche d'Énée sur cette ville et nous fait assister à la grande lutte finale entre le héros troyen et Turnus, qu'il compare, en en montrant les différences essentielles, avec le combat d'Achille et d'Hector. Un autre chapitre - le second sépare ces deux grandes études et est consacré aux tombes étrusques de Corneto. M. Boissier y étudie l'art et la civilisation étrusques, et si ces pages ne présentent pas, à première vue, un intérêt aussi vif que le reste, elles n'en sont pas moins pleines d'aperçus nouveaux et de renseignements piquants pour le lecteur éclairé que l'antiquité et les choses de l'archéologie ne laissent pas indifférent.

1

La Chanson de Roland, traduite en vers par AMÉDÉE JUBERT. Paris, librairie des Bibliophiles, 1886. Un vol. in-18.- Prix: 3 fr. 50.

La préface est un morceau remarquable. M. Jubert y montre, y démontre même que la Chanson de Roland est un poème épique de taille à supporter la comparaison, non seulement comme souffle héroïque, mais comme composition artistique et comme expres

sion littéraire, avec les grands poèmes, en partant du Dante pour remonter à Homère. Après avoir lu cette préface, on se demande avec anxiété pourquoi M. Amédée Jubert a cru utile de traduire ce poèmeroman en vers français. Il n'en a conservé ni la mesure métrique ni le système rythmique de couplets monorimes. C'est dire qu'il substitue sa version poétique à l'œuvre du vieux trouvère. Comme exercice littéraire, c'est incontestablement fort réussi. La popularité de notre grande chanson de gestes ne pourra qu'en être accrue. Il est douteux cependant que cette performanie la fasse mieux connaître mieux. Ni Mme Dacier, ni Bitaubé, ni Lamotte, ne font bien connaître Homère.

B.-H. G.

Le Roman russe, par M. le vicomte E.-M. de VOGUE. Un vol. in-8° de 356 pages. Paris, librairie E. Plon, Nourrit et Cie, 1886.

Voici un livre que nous avons lu lentement, malgré son vif intérêt et son éloquence entraînante, arrêté presque à chaque page par les réflexions et les souvenirs qu'elle provoquait. Cette lecture vraiment nous rejetait à vingt ans en arrière, juste à l'heure où la première de ces vingt années sonnait la transformation du monde où nous avions grandi, par la guerre austro-prussienne, la bataille de Sadowa, et l'éclipse du prestige français, sous la forme des défaites autrichiennes. A peu près, durant ces jours-là, nous fimes la connaissance d'Ivan Tourguénef, l'illustre écrivain. Nous eûmes depuis le plaisir et l'honneur de causer souvent avec lui, dans son beau chalet de Bade, ou sous les ombrages de la Lichtenthall, ou dans le petit salon de Mme Viardot, où l'on se montrait parmi les habituées des auditions musicales, deux dames à la tenue très simple, qui n'étaient autres que la femme et la fille du futur César allemand. Malgré les augures sombres qui s'accumulèrent durant les quatre années suivantes, elles furent comme une sorte de halte avant la poussée vertigineuse de catastrophes qui ont séparé en deux ordres très différents notre état moral d'avant et d'après, au même degré que l'a pu faire la grande Révolution, pour les hommes qui avaient l'âge et le don de sentir et de comparer, entre 1788 et 1795. Tourguénef avait l'entretien captivant autant que la plume enchanteresse, et c'était presque le même charme de l'écouter ou de le lire. Nous n'avons guère connu que Longfellow qui fût à ce point généreux de sa verve et de sa pensée, et ne les conservât pas soigneusement pour l'imprimeur et le journal. Ces entretiens d'alors portaient presque uniquement sur la politique et surtout la littérature de la Russie. Le sujet était absolument neuf pour nous, qui, à part les livres de notre interlocuteur, connaissions seulement de nom, ou peu s'en faut, ainsi que la très grande majorité de nos contemporains, Pouschkine et Gogol. Ce n'est point qu'il n'y eût eu jusque-là de nombreux et exécrables traducteurs du russe parmi nous... Mais nous garantissez-vous cinquante Français ayant jamais su l'existence d'une traduction, - parue

en 1826, de l'Histoire de Russie de 'Karamsine? Karamsine, Phistorien national, lami du czar, dont on a publié dernièrement un journal de voyage en France, à la veille même de la Révolution, qui nous donne des vues très curieuses du Paris et de la pro. vince de ce temps-là! Le nom qui revenait ordinairement dans les souvenirs de Tourguénef, et qu'il entourait d'une grande importance dans la formation de la présente littérature russe, était Bielinski. Le temps a marché, et l'on a vu chez nous-mêmes, à la place des traducteurs ineptes et des débiles phraseurs d'autrefois, surgir des hommes de talent, et dignement informés, qui nous ont donné de la Russie des tableaux fidèles et une juste idée. Les hommes dont nous parlons le lecteur l'a deviné d'avance sont MM. Alfred Rambaud, Anatole Leroy-Beaulieu, et particulièrement M. Melchior de Vogue dont la plume supérieure a conquis, en peu d'années, une haute place parmi les écrivains d'à présent. Nous savons de lui nombre de morceaux à conserver et à relire, dans le petit format d'un article, tels que ses études sur les expositions des Portraits du siècle, sur l'excellente traduction de José-Maria de Hérédia, etc., etc.; mais, le plus répandu de sa renommée, M. de Vogué le doit, sans conteste, à ses travaux d'histoire et de critique sur la Russie, ou bien à des récits (voir les Contes d'hiver), directement inspirés par une familière résidence dans ce vaste et mystėrieux monde, qui porte le nom d'un seul empire, mais où l'on en taillerait dix autres, Dans le Roman russe, M. de Vogué s'est borné cette fois à nous faire revivre les événements dans l'ordre politique et intellectuel, qui depuis un siècle ont préparé la scène où devaient apparaître tour à tour les cinq acteurs littéraires les plus en vue du grand drame de révolution cérébrale dont la vieille Russie a été le théâtre.

Après une rapide revue des origines du moyen âge et de la période classique, le magistral écrivain nous raconte dans un style à la fois simple et riche, précis et pittoresque: 1° le romantisme, dont le representative-man s'appelle Pouschkine, le grand poète; 2° l'évolution réaliste et nationale, qui se personnifie dans Gogol; 3° les années quarante (désignation chronologique usitée en Russie pour certains hommes de 1840 et un peu au delà), dont Tourguénef paraît être le type culminant; 4° la religion de la souffrance, symbolisée par le nom chaque jour plus retentissant de Dostoievski; 5" le nihilisme et le mysticisme, avec le comte Léon Tolstoi, l'auteur souvent admirable de la Guerre et la paix et de Anna Karenine. En lisant le bel ouvrage de M. de Vogué, il nous semblait souvent entendre encore parler Tourguénef.

L. D.

Les Haras de France, par ÉDOUARD CAVAILHON. Un vol. in 18. Paris, 1886. E. Dentu.

Il y a de tout un peu dans ce livre dont l'introduction occupe le tiers du volume: de la polémique, de la politique, de la statistique, du journalisme, de l'histoire et du, roman. Ajoutez de l'esprit, une ferme conviction, une compétence reconnue, la passion du

« AnteriorContinuar »