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sortes de notes sur ce sujet, et il en forma la Préface pour les Parades, morceau qui fait partie d'un grand travail en huit volumes sur l'Histoire des théâtres, dont le manuscrit est conservé à la bibliothèque de l'Arsenal.

Le recueil publié aujourd'hui comprend, outre le Prologue de l'opérateur, d'abord deux dialogues, le Pet à vingt ongles et Cracher noir; puis quatre Parades divisées en un certain nombre de tableaux, tous piquants, pleins de facétie et de répliques imprévues, sans oublier une pointe très acérée de bon sens rail

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Ces mémoires d'un ancien ministre et leader du parti conservative anglais ne manqueront pas d'exciter parmi nous la curiosité qui s'attache toujours aux révélations sur des événements qui nous touchent de près. Malgré les journaux, - peut-être quelquefois à cause d'eux, malgré les débats parlementaires et toutes les sources d'information que le public possède aujourd'hui, les ressorts de la politique restent toujours plus ou moins cachés, et c'est surtout dans les relations internationales que les gouvernants s'entourent de mystère. Quand, leur carrière finie, ils croient pouvoir lever un coin du voile, rien n'est plus naturel et plus légitime que l'empressement mis par les profanes à regarder quelques-uns des fils auxquels ont été suspendus les intérêts de leur pays et, jusqu'à un certain point, leurs propres destinées.

La période qu'embrassent les mémoires de lord Malmesbury est particulièrement intéressante pour la France; il n'est guère de page, en effet, où il ne soit parlé des affaires françaises. La position de lord Malmesbury à la tête du parti tory, sa liaison avec Louis-Napoléon dont il fut l'ami jusqu'au dernier jour, ajoutent encore à l'intérêt que comportent les faits dont il a été témoin et les événements où il a été acteur. Enfin, il est piquant de voir les efforts et les difficultés de la société française contemporaine jugée par un étranger, grand seigneur et conservateur. On trouve dans les mémoires de lord Malmesbury de petits passages sans prétention qui ont bien de la saveur. C'est ainsi qu'il écrit, à propos de Lola Montès : « C'est certainement cette femme qui, par ses

déportements à Munich, a déchaîné la tempête révolutionnaire qui a soufflé en Europe pendant cette mémorable année de 1848. » Il ne fallait pas moins que les yeux d'un ministre diplomate pour faire cette découverte. A la date du 15 mars 1848, il consigne ce renseignement, dont on ne contestera pas la valeur, ni surtout l'authenticité: « M. Carnot a envoyé aux maîtres d'école une circulaire leur recommandant d'enseigner à leurs élèves que les moins instruits et les moins expérimentés des citoyens font les meilleurs hommes d'État. » Le lord a parfois le sarcasme, le sneer, assez heureux. Ainsi il raconte que, dînant à côté de M. Thiers, celui-ci avait fini par lui dire, en parlant de Louis-Napoléon : « Je l'ai beaucoup étudié de près et de loin, et c'est un homme absolument nul. » Et il ajoute « M. Thiers me paraît être la verité incarnée. »>

En résumé, ce volume restera comme document de l'histoire de notre temps, et il a tous les titres à être bien accueilli du public at large, comme on dit chez

son auteur.

Journal d'un interprète en Chine, par le comte d'HÉRISSON. Paris, Paul Ollendorff, 1886. Un vol. in-18. Prix: 3 fr. 5o.

M. le comte d'Hérisson n'est point un inconnu dans le monde des lettres; son nom est en particulier familier aux lecteurs du Livre, qui, lors de la publication de ses premiers souvenirs personnels, ont vu ici une étude où notre rédacteur en chef mettait en relief, avec le talent de l'auteur, l'intérêt et la valeur des communications qu'il avait à faire au public. Je n'essayerai pas de redire ce qui a été bien dit. Il me suffira d'annoncer ce nouveau volume, où l'on retrouve les mêmes qualités, la même franchise, la même bonne humeur, le même esprit alerte et net, le même

amour de la France, et des révélations aussi piquantes et aussi grosses d'enseignements pour l'avenir. M. le comte d'Hérisson n'hésite pas à croire que Napoléon III considéra l'attentat d'Orsini comme une mise en demeure de tenir ses vieux engagements vis-à-vis de l'Italie, malgré l'opinion contraire des historiens officiels et des mémorialistes anglais comme lord Malmesbury, intéressés à ne pas rattacher les actes de l'empereur aux intrigues du prétendant. De même il a de bonnes raisons pour penser que l'expédition de Chine fut, après celle de Crimée, le payement pour solde par lequel Napoléon III s'acquittait vis-à-vis de P'Angleterre des obligations contractées par le prince Louis-Napoléon. Il a des preuves irrécusables, et il les donne, que le gouvernement s'était mis à la remorque de l'Angleterre, et, sous les apparences d'une action combinée de deux puissances égales, n'était réellement dans cette affaire que l'aide et comme le serviteur des Anglais.

Cette publication jette ainsi une vive lumière sur tout un côté de notre histoire contemporaine. Rien de mieux que d'avoir l'Angleterre pour amie, et, si elle le veut, de marcher avec elle de concert. Mais elle n'a jusqu'ici tenu à ce concert que comme Bertrand tenait à celui de Raton. Il est temps que nous cessions ce métier de dupe, et, comme le dit spirituellement M. le comte d'Hérisson, si nous sommes nécessaires pour tirer les marrons du feu, faisons désormais en sorte d'en manger notre part.

B.-H. G.

L'Imprimerie, les Imprimeurs et les Libraires à Grenoble du XVe au XVIIIe siècle, par EDMOND MAIGNIEN, conservateur de la Bibliothèque de la Ville. Un vol. in-8° de 608 pages. Grenoble, 1885. Alex. Gratier.

L'imprimerie fut introduite pour la première fois à Grenoble, en 1490, par Étienne Forêt, imprimeur nomade. Grenoble ne fut pas comme Paris et Lyon un de ces centres où s'éditaient les œuvres populaires et les chefs-d'œuvre de l'esprit humain. On n'y publiait que des œuvres locales. A ce titre, les bibliographies offrent un intérêt particulier pour l'histoire de l'activité intellectuelle de la ville. Ce mouvement ne fut pas très varié à Grenoble. La bibliographie grenobloise renferme principalement des ouvrages de théologie, quelques livres d'histoire, des tragédies, des poésies françaises et latines, quelques œuvres de polémique et des nouvelles à la main annonçant les succès obtenus contre les protestants. Si peu riche qu'elle soit au point de vue littéraire, cette bibliographie est néanmoins intéressante à étudier; elle révèle les habitudes, les croyances, les préjugés d'une population. M. Edmond Maignien a ajouté à cette longue suite de courtes et substantielles biographies une source nouvelle d'intérêt et de curiosité en reproduisant en fac-similé de nombreuses signatures et quelques-unes des plus belles marques des imprimeurs grenoblois. La fabrication matérielle du volume ne répond malheureusement pas à ce qu'on était en droit d'attendre d'un imprimeur imprimant un livre

sur l'imprimerie. Sauf la dimension du format, il ne diffère pas beaucoup, par l'aspect, du vieil Almanach liégeois.

Histoire de l'Europe pendant la Révolution française, par H. DE SYBEL, directeur des archives royales, membre de l'Académie des sciences de Berlin, traduit de l'allemand par Mile Marie Bosquet, inspectrice générale des écoles maternelles. Édition revue par l'auteur et précédée d'une préface écrite pour l'édition française. Tomes I à IV. Paris, Félix Alcan. - Prix du volume: 7 francs.

On ne connaît bien son pays, a-t-on dit quelquefois, que si l'on a voyage à l'étranger, que si, s'étant appliqué à démêler les traditions, à comprendre les aspirations des peuples dont on a parcouru les territoires, on a pu converser avec les représentants les plus autorisés de leur génie propre, et les amener à porter des jugements sur le génie de son pays à soi. Nous disons, nous, volontiers, et ainsi nous ne faisons que compléter la pensée exprimée, — qu'on ne connaît vraiment son histoire, non pas les événements pris en eux-mêmes ou considérés dans leurs causes et leurs conséquences immédiates, mais la philosophie de son histoire, que si l'on prend soin de lire ce qu'en ont écrit les historiens étrangers. Il faut savoir les lire, cela ne fait pas doute; il faut, possédant d'ailleurs un esprit critique suffisamment exercé, tenir compte des sentiments et des conceptions qu'ils n'ont laissé de nourrir, en dépit de l'impartialité qu'ils ont pu s'efforcer de prouver; leurs ouvrages sont des plus instructifs.

Quel profit ne peut-on tirer de la lecture de l'Histoire de la Révolution française de Carlyle? Et quel profit de la lecture de cette Histoire de l'Europe à la fin du xvme siècle, au commencement du xix, que donnait, il y a trente ans, M. de Sybel : de l'Histoire de l'Europe pendant la Révolution française, pour rétablir le titre qui a son importance?

Carlyle, M. de Sorel, deux esprits bien différents; deux talents qui ne diffèrent pas moins; et leurs jugements ne concordent pas les jugements de l'écrivain anglais sont précieux, comme sont précieux les jugements de l'historien allemand.

Mais présentons la traduction de l'Histoire de M. de Sybel, aux deux tiers publiée, les tomes V et VI, les derniers qui sont sous presse, doivent paraître très prochainement.-Le premier volume était déjà à l'impression quand l'auteur, grâce à l'intervention du directeur des archives de Vienne, M. Alfred d'Arneth, put avoir communication de documents importants quant à l'alliance austro-prussienne, quant au partage de la Pologne, quant aux pacifications de Bâle, de Léoben, de Campo-Formio; il put aussi tirer parti de la correspondance entre Mirabeau et Le Marck, des mémoires de Mallet du Pan, de Doulcet de Pontécoulant, de Miot de Mélito, des pièces classées aux archives du ministère de la guerre; il a remanié pour quelques parties son premier travail. Ce n'est pas toutefois la sûreté, l'étendue de ses informations,

qui font la plus grande valeur de l'ouvrage. M. Sorel a puisé aux mêmes sources et à d'autres; il est mieux informe, et un autre historien, dans vingt ans, le sera mieux encore. Une histoire de la Révolution française, dit M. de Sybel, est toujours une entreprise téméraire pour un étranger; la masse des matériaux est un premier obstacle, et il faut s'identifier avec les idées et les besoins d'une grande nation dont toutes les passions étaient alors en jeu; il faut raconter des luttes dont les conséquences se font encore sentir de nos jours et provoquent tantôt de profondes divisions entre les partis, tantôt les explosions du sentiment national. Pourtant « si un étranger s'explique moins facilement qu'un Français certains faits inhérents au caractère de la nation française, il juge aussi plus froidement et plus impartialement les antagonismes qui divisent cette nation. Il verra peut-être quelques points sous un jour moins brillant que l'habitude ou l'orgueil national ne les font envisager aux Français; en revanche, il ne risquera pas comme eux d'être entretenu par des erreurs longtemps caressées, en des jugements injustes et quelquefois dangereux même pour notre époque ». La façon dont M. de Sybel juge notre Révolution, jugé les principes qu'elle a proclamés et cherchés, sinon toujours réussi à faire prévaloir, jugé les hommes qui l'ont bien ou mal servie, voilà ce qui surtout nous intéresse.

Les chapitres où il parle de La Fayette et de la proclamation des Droits de l'homme, ceux où il parle de la Gironde et bien d'autres, ne sont pas pour nous plaire; mais combien de jugements qui devraient nous faire réfléchir! De la Gironde, il dit : « Elle a dû au talent de ses orateurs, et surtout à celui de Vergniaud, une renommée que ni ses principes ni ses actes ne lui auraient acquise; car, du reste, elle a parcouru la carrière de la demagogie sans s'écarter de la ligne battue. Après avoir attaqué le gouvernement avec toutes les armes de l'anarchie, elle est devenue conservatrice quand elle s'est trouvée elle-même à la tête du gouvernement. Au début, on cherche vainement une différence entre elle et les cordeliers. Immoralité chez les individus, violence dans les masses, mépris du droit et de la proprietė, avilissement de la religion, ce sont là autant de points sur lesquels les Girondins se rapprochent de Robespierre et de Marat, même après que l'ambition personnelle les a déjà divisés. » Le verdict est sévère, et nous en rappellerions que nous pourrions laver la mémoire des Girondins de quelques-unes des accusations articulées; il n'en reste pas moins vrai que les Girondins n'ont pas eu ce que l'on appelle l'esprit de gouvernement.

Les appréciations erronées, ou qui témoignent d'une grande partialité, sont nombreuses. Il est des appréciations en grand nombre qui prouvent toutefois une grande connaissance des besoins, des passions, des hommes, et l'homme politique doit en connaître au moins autant que des principes. « Partout, dit M. de Sybel, parlant de l'état intérieur de la France en 1795, partout régnait ce sentiment de lassitude, de détente et d'affaissement désespéré qui succède aux grandes

convulsions politiques. Sans doute, on désirait encore vivre en liberté; mais, avant tout, on voulait vivre, et l'on était disposé à accepter même un despotisme illimité, pourvu qu'il rendît aux individus la sécurité de leurs biens et de leurs personnes, la possibilité de travailler et de s'instruire. Ce fanatisme du repos n'est ni beau ni noble; sous son empire, tout enthousiasme et toute élévation d'idées désertent les cœurs et un vil égoïsme semble gouverner exclusivement les hommes. C'est un état de profonde maladie morale que l'on ne saurait assez déplorer; mais les infortunés qui en sont atteints sont plus à plaindre qu'à blâmer. Cette situation est la conséquence des violences révolutionnaires : ce sont les auteurs de ces violences, et non leurs victimes, qui doivent en être rendus responsables. »

Sur la constitution civile du clergé, des jugements qui ont leur intérêt; sur la question du veto, sur celle de l'organisation judiciaire, d'autres qu'on ne saurait justement dédaigner.

Les préliminaires de Léoben sont l'objet du dernier chapitre du quatrième volume. Dans ces deux volumes, dont on va attendre la publication avec quelque impatience, l'histoire d'une autre révolution pour la France, celle de 89 ayant été faussée. F. G.

Histoire de la littérature moderne. La Réforme de Luther à Shakespeare, par MARC-Monnier, doyen de la Faculté des lettres à Genève. Paris, Firmin-Didot et Cie, 1885. Un vol. in-8°.

«Mener toutes les littératures de front; montrer à chaque pas l'action des unes sur les autres; suivre ainsi, non plus seulement en deçà ou au delà de telle frontière, mais partout à la fois, le mouvement de la pensée et de l'art, cela paraît ambitieux et difficile; on y arrive cependant à force de vivre dans son sujet, qui, petit à petit, se débrouille, s'allège, s'égaye, se met à la portée des jeunes gens et des simples curieux. Ainsi est né ce livre en quatorze années d'enseignement; je l'ai écrit, parce qu'il manquait encore en France. »

Ces mots que l'auteur écrivait au commencement du volume intitulé : la Renaissance, de Dante à Luther, il les répète dans l'avant-propos de celui-ci, qui n'est en effet que la continuation de l'autre. Il ne faut pas d'ailleurs se meprendre sur la portée du programme que se donnait Marc-Monnier. Mener toutes les littératures de front, cela veut dire, dans son esprit, étudier simultanément les manifestations littéraires chez les différents peuples néo-latins, en Angleterre et chez les peuples de langue germanique. Le monde slave, en Europe, et tout l'Orient restent en dehors des préoccupations du savant professeur. Limité tel qu'il l'est, l'horizon n'en reste pas moins très vaste, et bien des yeux n'en sauraient percer les profondeurs. Avec Marc-Monnier pour guide, on le parcourt sans fatigue, et les notions qu'on rapporte du voyage sont presque toujours justes et même quelquefois nouvelles. Dans le présent volume, qui sera le dernier, car une mort presque soudaine a en

levé l'auteur à ses travaux, c'est l'intérêt religieux qui prévaut. Comme il le dit, l'intérêt religieux « domine et pénètre la littérature aussi bien que la politique ». Il étudie donc la réformation, non dans sa théologie, « mais dans le mouvement de pensée et d'art qu'elle a suscité, qui l'a propagée ou combattue »>. De cette idée première découle le plan du livre entier. D'abord Luther, « homme d'action et de volonté, qui fut en même temps un créateur de langue, un écrivain de race »; puis l'autre chef, Calvin. Après ces deux puissants remueurs d'idées et d'hommes, il groupe autour d'un ou de deux grands noms les écrivains en qui se personnifie la littérature des différents pays : autour de Rabelais et de Montaigne, ceux de la France;

autour du Tasse et de Giordano Bruno, ceux de l'Italie; autour de Camoens, ceux du Portugal, c'est-àdire Alonso de Ercilla presque seul; autour de Cervantes, ceux de l'Espagne, et enfin ceux de l'Angleterre autour de Shakespeare.

Il manque à cette revue une conclusion. Elle ressort sans doute de la lecture même du livre, l'auteur ayant toujours soin de dégager l'esprit philosophique et religieux de la période et de la civilisation qu'il considere. Mais on aimerait à avoir, en arrivant à la fin du volume, quelques pages de vue d'ensemble et de jugement général. Peut-être les aurions-nous si l'auteur avait vécu.

B.-H. G.

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Tartarin sur les Alpes, par ALPHONSE DAUDET. Un vol. in-8° illustré, édition du Figaro. Paris, Calmann Lévy, 1885. — Prix: 10 francs.

Vous est-il arrivé d'avoir cette exquise et charmante sensation, suivre du fond de quelque vallée le joli grelottement musical et railleur des clochettes sonnant au cou de mules qui s'engagent dans les lacis de la montagne?

On l'écoute, attiré, dans un appel physique qui entraîne. On le perd et on le retrouve toujours; il disparaît à un tournant pour reparaître à un autre, tintant sans cesse son rythme qui réjouit le cœur. On a peur de le voir cesser, de ne plus l'entendre, et il revient aux moments où l'on s'y attend le moins, aux moments où on le croit parti pour toujours.

C'est un bercement d'un charme infini, particulier, faisant épanouir le rire sur les lèvres et mettant le cœur en joie, non pas d'une de ces joies grossières et à plein ventre, de ces éclats pesants que donne la grasse gaudriole, la rabelaisienne musique. La sensation est tout autre; quelque chose de léger, de subtil pénètre l'âme, chatouille l'être, caresse et attendrit à la fois.

Telle est l'impression exacte que donne la lecture de ce merveilleux et étonnant livre d'Alphonse Daudet, Tartarin sur les Alpes.

Avec cet art littéraire dont il a le secret, il sème dans les rires la note saisissante de la raillerie nécessaire, du trait caricatural ayant un arôme habilement caché de philosophie humaine, de senteur terrestre, sans exagérations inacceptables. Il a su rester l'analyste exact, l'observateur implacable, dans la peinture des types extraordinaires qu'il a choisis pour nous donner l'amusant relief des vanités et des enflures du Midi.

On entend parler ses personnages, on les voit aller, venir, se heurter dans l'allure endiablée qui les jette les uns en face des autres, pour la joie ou pour la colère; mais toute la joie se concentre sur cette figure épique, bien vibrante d'humanité, avec ses enthousiasmes, ses terreurs, ses attendrissements et sa bonté profonde, très réelle, qui arrive à en faire un héros absolument touchant, Tartarin de Tarascon, l'inoubliable Tartarin.

On est tout heureux de le retrouver, ce gros petit homme au cœur jovial et sensible, aux dehors farouches et musclés, dont les exploits ont révolutionné sa ville natale et dont les chasses au lion vivront toujours dans le souvenir.

Cette fois, nous le retrouvons en Suisse; après la lutte sans merci contre les fauves, c'est la lutte plus grandiose encore contre la nature, la lutte contre la montagne, la lutte contre les éléments déchaînés, contre le glacier, qu'il faut à ce cœur intrépide.

Rien de plus amusant que l'arrivée de l'étrange touriste alpin, incognito, au Rigi-Kulm, dans sa tenue de guerre, guêtré, encapuchonné, armé, et sa stupéfaction de se trouver en pleine civilisation raffinée, au milieu d'un hôtel, chauffé par des calorifères, éclairé au gaz, servi par des domestiques en tenue de soirée. Le pauvre diable en est suffoqué.

Mais, la première surprise passée, il se familiarise immédiatement avec ce qui l'entoure, scandalise la table d'hôte, soulève contre lui une réprobation unanime, tempête morne, réfrigérante, plus glaciale, plus glaçante que toutes les tempêtes de neige auxquelles pourront l'exposer ses futures ascensions. Il faut l'arrivée d'une bande de musiciens ambulants pour lui faire oublier cette première déconvenue. La musique! Zou! la musique! Comme il prend alors sa revanche, galvanisant l'hôtel engourdi, faisant danser tout le

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monde! Le Rigi-Kulm s'éveille, dégèle à cette chaude bouffée du Midi, et tout tourbillonne, entraîné par le fantastique petit homme que nul ne connaît : un rayon de soleil dans la neige!

Enfin il va livrer son nom; il l'inscrit solennellement sur le registre de l'hôtel. La Suissesse, impassible, lit ce nom, ce nom connu, Tartarin de Tarascon; elle ne sourcille pas.

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Sauvage, vai!» fait l'autre vexé.

Ah! ce voyage en Suisse, c'est qu'il ne l'a pas entrepris de gaieté de cœur, l'infortuné héros. Tartarin ne vivait plus heureux à Tarascon; ses chasses en Afrique ne suffisaient plus à sa gloire, que jalousait l'envieux Costecalde, le vice-président du Club alpin. L'humour, mais un humour littéraire, d'une nature bien originale, bien spéciale à l'écrivain, se joint étroitement à l'observation dans le chapitre consacré à raconter les souffrances intimes de Tartarin, ses efforts pour conserver intacte sa réputation, pour rester le digne président du Club alpin.

Toute la vie de la petite ville, bruyante, effarée, est peinte là, en traits moqueurs, impitoyables, d'un effet certain. Les portraits ne sont pas des caricatures, ce sont des silhouettes de gens vus; nous avons tous, plus ou moins, senti autour de nous ces gros bourdons tapageurs, que le moindre geste fait fuir, épeurés, que la moindre immobilité encourage et rend taquins, batteurs de vitres, casseurs d'oreilles, musiquant sans cesse.

Malgré ses angoisses, les terreurs que lui cause la lecture des livres consacrés aux Alpes, le récit des dangers qu'on y court, Tartarin, sublime, se sacrifie à sa gloire et part pour la Suisse, après avoir fait son testament. Ah! le pauvre, c'est à la mort qu'il marche, le trac, un trac invraisemblable en croupe.

Immédiatement les aventures tombent sur lui : la vision du Rigi-Kulm ahurissante, la rencontre de la jolie Russe Sonia, une nihiliste, Guillaume Tell, et enfin l'ami Bompard! - Bompard, son compatriote; Bompard, l'ancien gérant du Cercle de Tarascon!

De cette dernière rencontre jaillissent des incidents inattendus. Bompard parvient à persuader à Tartarin que la Suisse n'est qu'une immense farce: tout y est truqué, machine, faux! Il a espéré le dégoûter ainsi des ascensions; le contraire se produit. Alors arrive ceci, que Tartarin marche, le rire aux lèvres, à travers les périls les plus effroyables, jusqu'au moment où l'ascension du mont Blanc lui dessille enfin les yeux. Tartarin et Bompard, liés par une même corde, égarés dans les neiges éternelles, se croient perdus, coupent ce lien fragile et racontent, chacun de leur côté, la mort terrible du camarade englouti.

Ce livre, en même temps qu'une œuvre de profonde observation, est l'expression absolument originale d'un rire qui n'emprunte ses effets qu'au relief finement donné aux êtres et aux choses.

Le héros tarasconnais prend brillamment place à côté de son émule, le noble hidalgo de la Manche; c'est le Don Quichotte moderne, tout près de nous celui-là, bien plus à notre portée, tenant à la fois à Don Quichotte par l'ambition d'héroïsme et à Sancho

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L'érudit et infatigable éditeur M. Isidore Liseux publie une traduction des Kama Sutra (Aphorismes sur l'amour) de Vatsyayana. La publication de cet ouvrage curieux est appelée à faire du bruit, et comme elle est faite à un petit nombre d'exemplaires, elle ne sera connue que de quelques amateurs privilégiés. Il est intéressant de donner une idée de cet ouvrage sacré de l'Inde aux nombreux lecteurs du Livre, qui n'auront pas la bonne fortune d'en posséder, soit l'exemplaire original, soit la traduction française.

Dans sa livraison du mois de décembre 1884, le Livre a signalé la publication anglaise, mais notre collaborateur se contente d'en donner un résumé déjà assez explicite par la table des matières. Autant que possible, je vais essayer de développer ce résumé, persuadé que beaucoup de curieux m'en auront quelque gré.

Ce n'est certes pas là un livre fait pour tout le monde, surtout chez nous autres Français. Les pandits hindous qui en refusent déjà la lecture à nombre de leurs adeptes seraient bien étonnés de le trouver répandu en Occident, et s'il est permis d'adresser un reproche à l'éditeur Liseux, c'est de faire imprimer à un nombre d'exemplaires encore trop grand sa traduction d'un livre qui ne sera vraiment compris et goûté que de très rares bibliophiles.

On ne voit, il est vrai, le mal que là où on veut le voir; mais combien de personnes en verraient dans cet ouvrage là où il n'y en pas en réalité et où il serait pourtant si aisé d'en trouver. Est-ce pour une autre raison que la lecture de la Bible nous est si difficilement accordée, et pourtant où trouver un livre plus saint? La plupart des lecteurs d'aujourd'hui glissent à la surface, sans se donner la peine d'approfondir leur lecture et de chercher le but de l'auteur. Le bruit des mots leur fait peur, sans que nulle autre chose ne les frappe. Serait-il pourtant bien pénible de vivre un instant de la vie de l'écrivain et de se reporter au milieu où il a vécu? Mais ce qui fait que cet ouvrage paraîtra nuisible, c'est que, de parti pris, beaucoup vont le lire étourdis par les expressions un peu crues et s'imaginant que Vatsya a écrit ses notes au sortir d'un salon parisien, en 1886.

Tout a été dit sur ces sortes de livres, bien mieux que je ne pourrais le faire. Relisez l'article de M. Ashbee dans le numéro d'octobre du Livre à pro

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