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<< Les plus mortes morts » sont les meilleures, disait un sage, les plus près de la résurrection. '

C'est une grande force de n'espérer plus, d'échapper aux alternatives des joies et des craintes, de mourir à l'orgueil et au désir... Mourir ainsi, c'est plutôt vivre.

Cette mort vivante de l'âme la rend calme et intrépide. Que craindrait d'ici, celui qui n'est plus d'ici? Que peuvent contre un esprit toutes les menaces du monde ?

1 Nous supposons que le lecteur a sous les yeux les dernières pages du tome précédent.

L'Imitation de Jésus-Christ, le plus beau livre chrétien après l'Évangile, est sorti, comme lui, du sein de la mort. La mort du monde ancien, la mort du moyen âge, ont porté ces germes de vie.

Le premier manuscrit de l'Imitation que l'on connaisse, paraît être 1 de la fin du quatorzième siècle ou du commencement du quinzième. Depuis 1421, les copies deviennent innombrables. On en a trouvé vingt dans un seul monastère. L'imprimerie naissante s'employa principalement à reproduire l'Imitation. Il en existe deux mille éditions latines, mille françaises. Les Français en ont fait soixante traductions, les Italiens trente 2, etc.

Ce livre universel du christianisme a été revendiqué par chaque peuple comme un livre national. Les Français y montrent des gallicismes, les Ita

De Imitatione Christi, ed. Gence, 1826, descriptio codicum mss., p. XIII. M. Gence regarde le ms. de Mœlck, 1421, comme le plus ancien. M Hase pense que le ms. de Grandmont pourrait être de la fin du quatorzième siècle. Bibl. royale, fonds de Saint-Germain, no 837.

2 Nul doute qu'il n'y ait un plus grand nombre de traductions et d'éditions; j'indique seulement ici le nombre de celles qui sont venues à la connaissance d'un de nos plus savants bibliographes: Barbier, Dissertation sur soixante traductions françaises, etc., p. 254 (1812). M. Gence a recueilli l'indication d'un grand nombre d'éditions dans les archives italiennes (catalogues de la congrégation de l'Index), à l'époque où ces archives furent transférées à Paris. Parmi les traducteurs de l'Imitation, on trouve avec surprise deux noms, Corneille et La Mennais. Le génie héroïque et polémique n'avait rien à voir avec le livre de la paix et de l'humilité.

De imitatione, ed. Gence, index grammaticus.

liens des italianismes 1, les Allemands des germaninismes 2.

Tous les ordres du sacerdoce, qui sont comme des nations dans l'Église, se disputent également l'Imitation. Les prêtres la réclament pour Gerson 3, les chanoines réguliers pour Thomas de Kempen, les moines pour un certain Gersen, moine bénédictin". Bien

'M. Gregory en cite quelques-uns; il est vrai que plusieurs de ces mots ne sont pas spécialement des italianismes, mais des mots communs à toutes les langues néo-latines. Gregory, Mémoire sur le véritable auteur de l'Imitation, publié par M. Lanjuinais, in-12 (1827), p. 23-24. 2 Schmidt, Essai sur Gerson, 1839, p. 122. Gieseler, Lehrbuch, 348.

II, IV,

Si l'on veut que l'auteur ou le dernier rédacteur de l'Imitation soit le plus grand homme du quinzième siècle, ce será certainement Gerson. Le vénérable M. Gence a voué sa vie à là défense de cette thèse. Pour la soutenir, il faut supposer que le goût de Gerson a fort changé dans sa retraite de Lyon. Le livre De parvulis ad Christum trahendis, la Consolatio theologiæ, qui sont pourtant de cette époque, sont généralement écrits dans la forme pédantesque du temps. Dans quelquesuns de ses sermons et opuscules français, surtout dans celui qu'il adresse à ses sœurs, on trouve un tour vif et simple qui ne serait pas indigne de l'auteur de l'Imitation. Toutefois, même dans ce dernier opuscule, il y a encore de la subtilité et du mauvais goût. Il dit, au sujet de l'Annonciation, que la Vierge « ferma la portière de discrétion, » etc. Gerson, t. III, p. 810-841.

• Thomas de Kempen a pour lui le témoignagé de ses trois compatriotes, Jean Busch, Pierre Schott, et Jean Trittenheim, tous trois du quinzième siècle. Il semble pourtant bien difficile que ce laborieux copiste se soit élevé si haut; son Soliloquium animæ ne donne pas lieu de le croire. Le Christ, dit-il, m'a pris sur ses épaules, m'a enseigné comme une mère, me cassant les noix spirituelles et me les mettant dans la bouche. Ce luxe d'images (et quelles images!) est peu digne, comme l'observe très-bien M. Faugère, de l'homme qui aurait écrit l'Imitation. Éloge de Gerson qui a remporté le prix, etc. (1838), p. 80.

* Le prétendu Gersen a été créé par les bénédictins du dix-septième

d'autres pourraient réclamer aussi. Il s'y trouve des passages de tous les saints, de tous les docteurs1. Saint François de Sales a seul bien vu dans cette obscure question : « L'auteur, dit-il, c'est le SaintEsprit. >>

L'époque n'est pas moins controversée que l'auteur et la nation. Le treizième siècle, le quatorzième, le quinzième prétendent à cette gloire. Le livre éclate au quinzième, et devient alors populaire, mais il a bien l'air de partir de plus loin et d'avoir été préparé dans les siècles antérieurs 3.

siècle, et accueilli par Rome en haîne de Gerson. M. Gregory a dépensé beaucoup d'esprit à lui donner un souffle d'existence. Il avance l'ingénieuse hypothèse que l'Imitation, dans sa première ébauche, a dû être un programme d'école; je crois qu'elle serait plutôt sortie d'un manuel monastique. M. Daunou a montré jusqu'à l'évidence la faiblesse du système de M. Gregory (Journal des savants, déc. 1826, octob. et nov. 1827). L'unique pièce sur laquelle il s'appuie, le ms. d'Arona, est du quinzième siècle et non du treizième, au jugement de deux excellents paléographes, M. Daunou et M. Hase.

1 M. Gence va chercher dans tous les auteurs sacrés et profanes les passages qui peuvent avoir un rapport, même éloigné, avec les paroles de l'Imitation; il risque de faire tort à son livre chéri, en faisant croire que ce n'est qu'un centon. Suarez pense que les trois premiers livres sont de Jean de Verceil, d'Ubertino de Casal, de Pietro Renalutio; Gerson aurait ajouté le quatrième livre, et Thomas de Kempen aurait mis le tout en ordre. Cet éclectisme est fort arbitraire. La seule chose spécieuse que j'y trouve, c'est que le quatrième livre, d'une tendance bien plus sacerdotale que les trois autres, pourrait fort bien ne pas être de la même main. J. M. Suarez, Conjectura de Imitatione, 1667, in-4o, Romæ.

↑ V. aussi dans l'édition de M. Gence (p. LIII), la note spirituelle et paradoxale qu'il a tirée d'un ms. de l'abbé Mercier de Saint-Léger.

3 « Il y avait, au moyen âge, deux existences : l'une guerrière et l'autre monacale. D'une part, le camp et la guerre; de l'autre, l'oraison et le cloître. La classe guerrière a eu son expression dans les épopées chevaleresques; celle qui veillait dans les cloîtres a eu besoin de s'exprimer

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