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de communiquer ses affaires 1, c'était au fond un tri- 1446-1461 bunal où les plus fiers se trouvaient avoir le duc pour juge, où il pouvait les honorer, les déshonorer par une sentence de son ordre. Leur écusson répondait d'eux; appendu à Saint-Jean de Gand, il pouvait être biffé, noirci. C'est ainsi qu'il fit condamner le sire de Neufchâtel et le comte de Nevers, refuser, exclure, comme indignes, le prince d'Orange et le roi de Danemark. Au contraire, le duc d'Alençon, condamné par le Parlement, n'en fut pas moins maintenu avec honneur parmi les membres de la Toison d'or. Les grands se consolaient aisément d'être dégradés à Paris par des procureurs, lorsqu'ils étaient glorifiés chez le duc de Bourgogne, dans une cour chevaleresque, où siégeaient des rois.

Le chapitre de la Toison le plus glorieux, le plus complet peut-être et qui marque le mieux l'apogée de cette grandeur, est celui de 1446. Tout semblait paisible. Rien à craindre de l'Angleterre. Le duc d'Orléans,

saulf sa bénigne correction et révérence, parle parfois un peu aigrement à ses serviteurs, et se trouble aulcune fois, en parlant des princes. Qu'il prend trop grande peine, dont fait à doubter qu'il en puist pis valoir en ses anciens jours. Que, quand il faict ses armées, lui pleust tellement drechier son faict que ses subjects ne fuissent plus ainsi travaillez ne foulez, comme ils ont été par cy-devant. Qu'il veuille estre bénigne et attempré et tenir ses pays en bonne justice. Que les choses qu'il accorde lui plaise entretenir, et estre véritable en ses paroles. Que le plus tard qu'il pourra il veuille mettre son peuple en guerre et qu'il ne le veuille faire sans bon et meur conseil. » Histoire de la Toison d'or, par M. de Reiffenberg, p. 54.

1 Les chevaliers avaient entrée au conseil. En 1491, ils se plaignent de ce que le duc ne les appelle pas à délibérer sur ses affaires. Raynouard, Journal des savants, octobre 1834.

1446-1461 racheté par son ennemi, par le duc de Bourgogne, siégeait près de lui en chapitre; personne ne se souvenait de la vieille rivalité. Orléans et Bourgogne devenant confrères, et le duc de Bretagne entrant aussi dans l'ordre, la France, d'ailleurs fort occupée, devait être trop heureuse qu'on la laissât tranquille. Les Pays-Bas l'étaient, entre les deux éruptions de Bruges et de Gand. Dans ce même chapitre, le duc de Bourgogne, armant chevalier l'amiral de Zélande, semblait finir les vieilles disputes de Zélande et de Flandre, marier les deux moitiés ennemies des PaysBas, et consolider sa puissance sur les rivages du Nord.

Le bon Olivier de la Marche conte avec admiration comment, alors tout jeune et simple page, il suivit de point en point tout ce long cérémonial, dont le vieux roi d'armes Toison d'or voulait bien lui expliquer les mystères. Chacun des chevaliers allait en grande pompe à l'offrande, les absents même et les morts par représentants. Avant tous, le duc fut appelé à l'autel où l'attendait son carreau de drap d'or. « Le poursuivant d'armes, Fusil, prit le cierge du duc, fondateur et chef, le baisa et le donna au roi d'armes de la Toison d'or, lequel, en s'agenouillant par trois fois, vint devant le duc et dit : « Monseigneur le duc de Bourgogne, de Lotrich, de Brabant, de Lembourg et de Luxembourg, comte de Flandre, d'Artois et de Bourgongne, palatin de Hollande, de Zélande et de Namur, marquis du Sainct Empire, seigneur de Frise, de Salins et de Malines, chef et fondateur de la noble ordre de Toison d'or, allez à l'offrande! »

Ce jour même, au banquet de l'ordre, lorsque tous 1446-1461 les chevaliers, « en leurs manteaux, en la gloire et solennité de leur estat, » allaient s'asseoir à la table de velours étincelante de pierreries, lorsque le duc, << qui sembloit moins duc qu'Empereur », prenait l'eau et la serviette de la main d'un de ses princes, un petit homme en noir jupon, se trouva là, on ne sait comment, et se jetant à genoux, lui présenta à lire... une supplique ?... non, un exploit1! un exploit, bien en forme, du Parlement de Paris, un ajournement en personne pour lui, pour son neveu, le comte d'Étampes, pour toute la haute baronie qui se trouvait là .. Et cela, pour un quidam, dont le Parlement déclarait évoquer l'affaire... Comme si l'huissier fût venu dire : « Voici le fléau de cette fière élévation que vous avez prise, qui vous vient corriger ici, pincer, montrer qui vous êtes 2! >>

1 Iceluy huissier, gardant son exploit jusque au jour Saint-Andrieu, le jour principal de la feste de son ordre... George Chastellain, édition Buchon, 1836, p. xix.

2 Quelque effronté que l'huissier puisse sembler au chroniqueur, je ne puis à cette occasion m'empêcher d'admirer l'intrépidité des hommes qui se chargeaient de tels messages, qui sans armes, en jacquette noire, n'ayant pas, comme le héraut, la protection de la cotte armoriée et du blason de leur maître, s'en allaient remettre au plus fier prince du monde, au baron le plus féroce, à un Armagnac, à un Retz, dans son funèbre donjon, le tout petit parchemin qui brisait les tours... Remarquez que l'huissier ne réussissait guère à faire un bon ajournement, régulier, légal, en personne, qu'en cachant sa qualité et risquant d'autant plus sa vie. Il fallait qu'il pénétrât comme marchand, comme valet; il fallait que sa figure ne le fit point deviner, qu'il eût mine plate

1456-1461

Une autre fois, c'est encore un de ces hardis sergents qui s'en vient dans Lille, le duc étant en cette ville, battre et rompre à marteau de forge la porte de la prison, pour en tirer un prisonnier. Grande esclandre et clameur du peuple; il fallut que le duc vînt: « Le gracieux exploitant toujours mailloit et frappoit; il avoit déjà rompu les serrures et grosses barres1. » Le duc se retint et ne parla pas, il arrêta ses gens qui voulaient jeter l'homme à la rivière.

Cette apparition de l'homme noir au banquet de la Toison d'or, qu'était-ce, sinon le memento mori d'une faible et fausse résurrection de la féodalité? Et ce marteau de forge, dont l'homme de loi frappait si ferme, que brisait-il, sinon le fragile, l'artificiel, l'impossible empire, formé de vingt pièces ennemies, qui ne demandaient qu'à rentrer dans leur dispersion naturelle?

et bonasse, dos de fer et cœur de lion... Ces gens étaient, je le sais, puissamment encouragés par cette ferme croyance que chaque coup leur reviendrait en argent; mais cette foi au tarif ne suffit pas pour expliquer en tant d'occasions ces dévouements audacieux, cet abandon de la vie. Il y a là aussi, si je ne me trompe, le fanatisme de la loi. Sur l'histoire héroïque des huissiers, voir entre autres choses: Information sur un excès fait à Courtray en la personne d'un sergent du Roy. Archives du royaume, J. 573, ann. 1457.

1 Chastellain, édition Buchon, 1836, p. xix.

FIN DU CINQUIÈME VOLUME.

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