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Comment en eût-il été autrement? Le christianisme, dans son principe même, n'est autre chose que l'imitation du Christ1. Le Christ est descendu pour nous encourager à monter. Il nous a proposé en lui le suprême modèle.

La vie des saints ne fut qu'imitation; les règles monastiques ne sont pas autre chose. Mais le mot d'imitation ne put être prononcé que tard. Le livre que nous appelons ainsi, porte dans plusieurs manuscrits un titre qui doit être fort ancien : Livres de vie. Vie est synonyme de règle dans la langue monastique 2. Ce livre n'aurait-il pas été, dans sa première forme, une règle des règles, une fusion de tout ce que chaque règle contenait de plus édifiant 3? Il semble particulièrement empreint de l'esprit de sagesse et de

aussi ; il lui a fallu dire ses effusions rêveuses, les tristesses de la solitude tempérée par la religion; et qui sait si l'Imitation n'a pas été l'épopée intérieure de la vie monastique? si elle ne s'est pas formée peu à peu, si elle n'a pas été suspendue et reprise, si elle n'a pas été enfin l'œuvre collective que le monachisme du moyen âge nous a légué comme sa pensée la plus profonde et son monument le plus glorieux? » Telle est l'opinion que M. Ampère a exprimée dans son cours. Je suis heureux de me rencontrer avec mon ingénieux ami. J'ajoute seulement que cette épopée monastique me paraît n'avoir pu se terminer qu'au quatorzième ou au quinzième siècle.

1 L'antiquité avait entrevu l'idée de l'imitation. Les pythagoriciens défnissaient la vertu: ὁμολογία πρὸς τὸ θεῖον; et Platon : ὁμοίωσις Beğ xatá Tò duvaτóv (Timée et Théétète). Théodore de Mopsueste, plus stoïcien que chrétien, disait durement: « Christ n'a rien eu de plus que moi; je puis me diviniser par la vertu. >>

2 Surtout chez les chanoines réguliers de St.-Augustin. Gence, p. xxvii. 3 Ces Règles ne sont pas seulement des codes monastiques; elles contiennent beaucoup de préceptes moraux et d'effusions religieuses. V. passim les recueils d'Holstenius, etc.

modération qui caractérisait le grand ordre, l'ordre de Saint-Benoît.

Ces maîtres expérimentés de la vie intérieure, sentirent de bonne heure que, pour diriger l'âme dans une voie de perfectionnement réel, solide et sans rechute, il fallait proportionner la nourriture spirituelle aux forces du disciple, donner le lait aux faibles, le pain aux forts. De là les trois degrés (connus, il est vrai, de l'antiquité), qui ont formé la division naturelle du livre de l'Imitation: vie purgative, illuminative, unitive.

A ces trois degrés semblent répondre les titres divers que ce livre porte encore dans les manuscrits. Les uns, frappés du secours qu'il donne pour détruire en nous le vieil homme, l'intitulent: Reformatio hominis. Les autres y sentent déjà la douceur intime de la grâce, et l'appellent : Consolatio. Enfin l'homme relevé, rassuré, prend confiance dans ce Dieu si doux; il ose le regarder, le prendre pour modèle, il s'avoue la grandeur de sa destination, il s'élève à cette pensée hardie: Imiter Dieu, et le livre prend ce titre : « Imitatio Christi. »

Le but fut ainsi marqué haut de bonne heure; mais ce but fut manqué d'abord par l'élan même et l'excès du désir.

L'imitation au treizième, au quatorzième siècle, fut ou trop matérielle ou trop mystique. Le plus ardent des saints, celui de tous peut-être qui fut le plus violemment frappé au cœur de l'amour de Dieu, saint François, en resta à l'imitation du Christ pauvre, du

Christ sanglant, aux stigmates de la Passion. Le franciscain Ubertino de Casal, Ludolph, et même Tauler, nous proposent encore à imiter toutes les circonstances matérielles de la vie du Seigneur 1. Lorsqu'ils laissent la lettre et s'élèvent à l'esprit, l'amour les égare, ils dépassent l'imitation, ils cherchent l'union, l'unité de l'homme et de Dieu. Sans doute, telle est la pente de l'âme, elle ne demande qu'à périr en soi pour n'être plus qu'en l'objet aimé 2. Et pourtant, tout serait perdu pour la passion, si elle arrivait, l'imprudente, à son but, à l'unité même ; dans l'unité,

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1 Rien n'est moins judicieux, plus puéril même, que la manière dont Ubertino veut interpréter l'Évangile. Le bœuf, dit-il, signifie que nous devons ruminer ce que le Christ a fait pour nous, l'âne, etc. Arbor crucifixi Jesu, lib. III, c. 3. ·Tauler lui-même, qui écrit plus tard, tombe encore dans ces explications ridicules : Via per sinistri pedis vulnus, est sitibunda nostræ sensualitatis mortificatio. Tauler, ed. Coloniæ, p. 809. – Quant à Ludolph, il surcharge l'Évangile d'embellissements romanesques qui n'ont rien d'édifiant, il donne le portrait de Jésus-Christ: Il avoit les cheveulx à la manière d'une noys de couldre moult meure, en tirant sur le vert et le noir à la couleur de la mer, crespés et jusques aux oreilles pendans et sur les espales ventilans; ou meillieu de son chief deux partyes de cheveulx en la manière des Nazareez, ayant le fronc plain et moult plaisant, la face sans fronce, playes et tache, et modéréement rouge, et le nez compétament long, et sa bouche convenablement large sans aucune reprehension; non longue barbe, mais assez et de la couleur des cheveulx, et au menton fourcheue, le regard simple et mortiffié, les yeux clers. Estoit terrible en reprenant, et en admonestant doulx et amyable, joyeulx; en regardant, toute greveté. Il a ploré aulcuneffois, mais jamais ne rist... En parler puissant et raisonnable, peu de parolles et bien attrempées, et en toutes choses bien composées. Ludolphus, Vita Christi, trad. par Guill. le Menand, éd. 1521, in-folio, fol. 7.

• Anima magis est ubi amat quam ubi animat, dit saint Bernard. Sur cette tendance de l'âme à se perdre en Dieu, et sur la nécessité d'y résister, V. Saint Bonaventure, Stimuli amoris, p. 242, et Rusbrock, De ornatu spiritualium nuptiarum, lib. II, p. 333.

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