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Becquerel et Breschet (1), par leurs recherches sur la température de divers organes chez l'homme et les animaux, recherches dans lesquelles ils ont mis en usage les appareils thermo-électriques les plus délicats, ont établi ce qui suit:

1o La température des muscles en repos surpasse celle du tissu cellulaire qui enveloppe ces organes; cette différence, qui varie de 2o,25, à 1°,25, doit être attribuée à un refroidissement continuel de l'homme ou de l'animal par le milieu dans lequel il se trouve plongé.

2o La température des muscles à l'état de repos n'est pas la même que celle de ces mêmes organes en contraction: des expériences nombreuses prouvent que, pendant la contraction, il y a élévation de température et que cette élévation peut aller jusqu'à un demi-degré centigrade.

Nous nous bornons à l'indication de ces deux propositions: nous ne pouvons signaler ici les causes présumées des phénomènes nouveaux qu'elles contiennent, car elles nous paraissent se déduire immédiatement des explications que nous avons fournies antérieurement sur les causes du développement de la chaleur dans les êtres organisés.

Conditions de l'irritabilité musculaire (2).

Nous avons déjà défini l'irritabilité musculaire, la propriété qu'a la fibre charnue de se raccourcir, en oscillant et en se fronçant, à l'occasion de certaines excitations, soit immédiates, soit extérieures à la fibre elle-même.

Une des questions les plus graves et les plus obscures de la physiologie, question qui a donné lieu à des expériences et à des controverses sans nombre, est la suivante : l'irritabilité musculaire est-elle une force inhérente à la matière fibrineuse des muscles, ou bien sa source unique est-elle dans le système nerveux ?

Pour tâcher, à notre tour, de résoudre un problème aussi longuement débattu, nous avons cru devoir nous proposer d'abord la solution de questions multiples dont voici l'énoncé :

1° Quelle est, dans les nerfs moteurs séparés de l'axe cérébro-spinal, la durée de leur excitabilité, c'est-à-dire de leur aptitude à faire contracter la fibre charnue quand on les irrite directement ? 2o Avec l'excitabilité de cette classe de nerfs, voit-on disparaître l'irritabilité musculaire? 3° Les nerfs sensitifs influencent-ils cette dernière propriété ? 4° Les fibres nerveuses, dites grises ou organiques, concourent-elles à l'entretien de l'irritabilité musculaire? 5° Enfin, dans quelles limites celle-ci dépend-elle de l'influence du sang?

1° L'intéressant problème qui consiste à déterminer l'époque précise à laquelle un nerf moteur, ne communiquant plus avec l'axe cérébro-spinal, perd son excitabilité ou son pouvoir d'exciter des contractions quand on l'irrite directement, n'a

(1) Annales de chimie et de physique, 2o série, t. XXXIX, p. 132.

(2) Les résultats suivants ont été publiés par nous, en 1841, dans un mémoire intitulé : Recherches expérimentales sur les conditions nécessaires à l'entretien et à la manifestation de l'irritabilité musculaire.

été résolu, jusqu'à présent, par les expérimentateurs, que d'une manière incomplète ou erronée.

Legallois (1), ayant détruit la moelle lombaire d'un lapin qu'il choisit âgé de moins de dix jours, afin que, suivant son expression, cet animal pût continuer de vivre, nous dit : « Quoique, dans cette expérience, le train de derrière soit frappé de mort et que ses nerfs ne puissent plus recevoir aucune influence de la moelle épinière, l'irritabilité musculaire s'y conserve, et l'on peut, pendant fort longtemps, faire contracter les cuisses en irritant les nerfs sciatiques. Il paraît donc qu'il se fait, dans toute l'étendue des nerfs, une sécrétion d'un principe particulier. » Dans ce passage, Legallois s'exprime d'une manière tellement vague qu'on ne peut savoir si, par ces mots pendant fort longtemps, il entend parler d'heures, de jours ou de semaines.

J. Müller et Sticker (2) resèquent d'abord, sur deux lapins et un chien, le grand nerf sciatique; puis ils essaient de reconnaître l'état réactionnaire de son extrémité inférieure, seulement, au bout de onze semaines sur le premier lapin, après cing semaines sur le second, et chez le chien après deux mois et demi. Dans ces trois cas, qu'on la galvanisât ou qu'on l'irritât mécaniquement, cette extrémité ne provoquait plus la moindre contraction musculaire.

Mais ces expériences ne résolvent nullement la question, à cause du laps de temps trop considérable qui s'est écoulé entre le moment de la résection et celui de l'expérience principale. De plus, ces physiologistes ayant fait usage d'une simple paire de plaques au lieu d'une pile suffisamment forte, on pourrait objecter qu'ainsi ils n'ont pas reconnu d'une manière décisive l'état de l'excitabilité dans le bout libre du sciatique. D'ailleurs, après l'exemple du second lapin, mis en expérience seulement au bout de cinq semaines, on trouve (ouv. cit., t. I, p. 690) cette assertion contradictoire : « Ce n'est qu'après avoir été soustrait pendant plusieurs mois à l'influence des parties centrales, qu'un nerf perd totalement son irritabilité, comme le démontrent les expériences faites par moi et Sticker. »

Steinrüch (3) a procédé comme les auteurs précédents ; seulement, c'est au bout de quatre semaines qu'il a de nouveau découvert le sciatique, dont l'extrémité périphérique ne lui a plus paru excitable.

Dans mes recherches (4), j'ai adopté une tout autre marche que celle qu'avaient suivie ces expérimentateurs. Ainsi, je ne me borne point à opérer la résection d'un nerf et à attendre pendant plusieurs semaines ou même plusieurs mois pour expérimenter sur l'excitabilité de son bout libre: au contraire, dès le lendemain celui-ci est essayé par le galvanisme et par les irritants mécaniques; les mêmes tentatives sont répétées le surlendemain, etc., et constamment son excitabilité est entièrement éteinte après le quatrième jour.

Il importe d'ajouter que le résultat est le même, lorsque, après sa résection, le nerf n'est pas soumis aux stimulations précédentes.

Après le quatrième jour, pour mieux juger encore l'état des muscles lors de l'excitation de leurs nerfs, je découvre les uns et les autres dans une partie bien saine du membre (5), et jamais alors le galvanisme, appliqué même aux ramus

(1) OEuvres compl., édit. 1830, p. 24.

(2) Manuel de physiologie, par J. Müller, trad. de Jourdan, t. I, p. 552.

(3) De regeneratione nervorum. Berlin, 1838.

(4) Mém. cit.

(5) A-t-on resqué le nerf sciatique à la cuisse, il faut agir, non sur les muscles de celle-ci, mais

cules nerveux, ne suscite les plus légères contractions de la fibre musculaire. Toutefois, dans ces expériences, délicates à reproduire, il est bien important de ne point faire usage d'une pile trop forte; autrement, le fluide galvanique luimême pourrait être transmis par la division du nerf jusqu'aux muscles, qui ne manqueraient point de manifester une réaction (1) il s'agit ici, au contraire, seulement de faire passer un courant dans le rameau nerveux lui-même, pour prouver que toute force motrice y a disparu.

Afin de rendre les résultats plus frappants, les mêmes épreuves sont comparativement effectuées, par l'emploi des mêmes moyens, sur les nerfs correspondants du côté sain au lieu des résultats négatifs constatés dans le premier cas, on obtient toujours les contractions les plus manifestes.

J'ai voulu savoir si les produits seraient différents en agissant sur des nerfs seulement musculaires, comme l'hypoglosse et le facial, ou sur des nerfs destinés à la fois aux muscles et aux téguments, comme le sciatique : les résultats ont été identiques sur quatorze chiens et deux lapins.

Mes expériences ont encore été variées de la manière suivante: tantôt, sur un chien, la résection du sciatique étant pratiquée, je soumettais aussitôt son extrémité libre, pendant trente minutes ou parfois une heure, à un courant électrique alternativement direct et inverse, d'où des secousses convulsives de tout le membre; tantòt, sur un autre chien, cette extrémité n'était soumise à aucune espèce d'irritation électrique ou autre. Chose remarquable! la durée de l'excitabilité a toujours été la même dans les deux cas : seulement, chez le premier chien les contractions du membre étaient, à chaque épreuve, beaucoup moindres que chez le second. Du reste, encore dans ces deux cas, celles-ci décroissaient progressivement depuis le moment de la résection jusqu'à celui où elles disparaissaient d'une manière complète. Mais, dans l'expérience préalable avec le galvanisme, une portion de la force motrice semble donc avoir été éliminée, tandis que l'autre, persistant toujours pendant un temps déterminé, a d'abord été refoulée dans les dernières ramifications nerveuses, d'où n'a pu l'expulser l'agent électrique. Cette force motrice, en quelque sorte à l'état latent, peut encore néanmoins se manifester par des contractions, quand, avant le quatrième jour, on galvanise les ramuscules nerveux : après ce laps de temps, elle a spontanément disparu d'une manière complète.

Ces expériences démontrent donc que ce n'est point, comme on l'a avancé, après avoir été soustrait à l'influence des parties centrales pendant plusieurs mois, mais seulement pendant quatre jours révolus, qu'un nerf moteur perd tout à fait son excitabilité, c'est-à-dire son pouvoir d'exciter des contractions musculaires quand on l'irrite directement (2).

2° L'irritabilité musculaire disparait-elle ou non avec l'excitabilité des nerfs de mouvement?-Cette question et celle que nous venons de traiter sont tellement connexes, que, dans leur étude, il est difficile de les séparer d'ailleurs, chacun

sur ceux de la jambe; cette précaution est indispensable, car, puisque les muscles de la première sont animés par les rameaux sortis de ce nerf au niveau de l'échancrure ischiatique, et par conséquent au-dessus du point où la résection a été pratiquée, il est clair qu'en agissant sur ces rameaux on obtiendrait des contractions.

(1) A ce sujet, on peut se rappeler que, même avec les racines spinales postérieures divisées, il est facile d'exciter des contractions locales, en faisant usage d'un courant d'une certaine intensité. (2) GUENTHER et SCHOEN (cités par Müller, Physiol., t. 1, p. 552) assignent le terme de huit jours, c'est-à-dire, comme le démontrent nos expériences, un terme seulement approximatif.

concevra que sa solution serait demeurée impossible sans la distinction physiologique, définitivement établie dans notre siècle, entre les divers cordons nerveux. Il me fallut donc faire choix d'un nerf exclusivement moteur dont l'isolement fût facile, et la septième paire dut se présenter naturellement à mon esprit.

Sur deux chiens d'une assez forte taille, je mis à nu les trois branches du facial et les reséquai dans une longueur assez considérable pour ne pas craindre le rétablissement des fonctions de ce nerf: comme mes recherches antérieures sur plusieurs animaux de la même espèce m'avaient appris que l'excitation immédiate (1) de ses bouts libres ne donnait plus lieu à la moindre contraction des muscles de la face après le quatrième jour, tandis qu'immédiatement stimulés, ces muscles se contractaient encore, je résolus de laisser un laps de temps considérable entre cette dernière époque et le moment où, de nouveau, j'agirais avec des stimulants directement appliqués à la fibre musculaire.

Cette marche est bien préférable à celle que Haller et ses partisans avaient adoptée, dans le but de démontrer que l'irritabilité musculaire n'est point dépendante de la force nerveuse. En effet, ils arrachaient le cœur de la poitrine d'un animal vivant, ou bien ils coupaient un tronçon de chair, et les voyant palpiter pendant une ou plusieurs heures (selon l'espèce et l'âge de l'animal), ils en inféraient qu'à la fibre musculaire était inhérente une tendance à la contraction, indépendante de l'action des perfs. Mais à ces expériences on peut faire une objection qui frappe leurs résultats de nullité: cette tendance à la contraction ne persiste qu'en vertu d'un reste de force nerveuse latente dans le nerf et la fibre musculaire elle-même.

Une pareille objection n'est plus applicable aux résultats suivants: Un nerf moteur (facial) (2) étant reséqué, les dernières ramifications de ses bouts libres sont galvanisées, après le quatrième jour, sans susciter, avons-nous dit, le moindre frémissement de la fibre musculaire; et néanmoins, au bout de douze semaines, celle-ci se contracte encore fortement sous l'influence du moindre stimulus qui lui est immédiatement appliqué (3).

Il est important de faire savoir que le facial n'avait point recouvré ses fonctions; en effet, ni le clignement d'un côté, ni les mouvements de l'aile du nez, de la joue et de la lèvre correspondantes, n'avaient reparu, chez nos chiens, depuis le moment de l'opération.

Ainsi, pendant près de trois mois, l'influx nerveux moteur n'avait point été transmis aux muscles faciaux, qui néanmoins, avec leur irritabilité, avaient conservé leur coloration normale. Ce dernier fait ne permettrait-il pas de supposer que bien longtemps encore ces muscles seraient demeurés irritables? C'est à peine si nous avons pu, après la mort, y découvrir de légères traces d'atrophie.

Puisque, si longtemps après l'extinction de toute force nerveuse motrice, lat fibre charnue révèle encore son irritabilité, sous une influence même purement mécanique, la décharge d'un agent impondérable partant des nerfs de mouvement n'est donc point nécessaire à la manifestation de cette propriété, et le stimulus spécial, transmis par les nerfs de cette classe aux organes musculaires, n'est donc qu'une des nombreuses causes excitatrices de leur irritabilité.

(1) Galvanique, mécanique ou chimique.

(2) J'ai fait des essais analogues sur l'hypoglosse et les récurrents, avec des produits identiques. (3) Le simple attouchement du muscle, à l'aide de la pointe d'un scalpel, suffit pour obtenir ces phénomènes de contraction.

Le fait que nos expériences viennent d'établir (1) est confirmé par de nombreuses observations de paralysie bornée, chez l'homme, aux fonctions locomotrices en effet, n'est-il pas commun, dans les hémiplégies faciales par exemple, de voir les mouvements volontaires reparaître au bout d'un laps de temps considérable? D'après ce qui précède, nous sommes autorisé à affirmer que, dans tous ces cas, la nutrition et l'irritabilité étaient restées à l'état presque normal dans les muscles qui n'étaient, pour ainsi parler, que dans l'attente de l'abord nouveau de la force motrice, pour recouvrer leur activité première et obéir derechef aux ordres de la volonté (2).

Mais, de ce que nous avons reconnu que l'irritabilité musculaire peut se manifester sans le concours des nerfs moteurs, s'ensuit-il qu'il faille conclure, d'une manière absolue, qu'elle est indépendante de l'action nerveuse en général? Il sera répondu plus loin à cette intéressante question.

3o Les nerfs sensitifs influencent-ils l'irritabilité musculaire? Je dirai d'abord quels effets ont suivi la résection des nerfs mixtes, quels résultats j'ai obtenus après celle des nerfs exclusivement sensitifs.

Sur un chien, resèque-t-on le nerf sciatique, on constate (sans mentionner la perte consécutive de la sensibilité et des mouvements volontaires) qu'au bout de quinze jours la fibre charnue se contracte encore vivement sous l'action d'un stimulus immédiat ; qu'après un mois, son aptitude à la contraction est encore assez prononcée, quoique bien moindre; et qu'enfin, vers la septième semaine, elle est à peine appréciable: mais, à dater de cette époque, les muscles de la jambe déjà décolorés semblent éprouver une sorte de dégénérescence, et bientôt ils cessent peu à peu de se contracter, même avec les stimulants immédiats les plus forts.

Sur d'autres chiens, ayant d'abord excisé une longueur assez considérable du nerf sous-orbitaire pour empêcher tout contact ultérieur des deux bouts, j'ai reséqué le buccal au-devant du masséter, et l'anastomose, au-devant de l'oreille, du nerf auriculo-temporal avec la branche moyenne de la septième paire. En agissant de la sorte, je me suis proposé de supprimer l'action de tous les filets du trifacial qui, d'un côté, pénètrent les muscles de la lèvre supérieure et de la narine correspondantes. Six semaines après l'opération, ceux-ci furent trouvés décolorés, et pourtant irritables, mais à un degré beaucoup moins marqué que ceux du côté sain (3). Du reste, les poils de la lèvre supérieure (côté malade) tombèrent, et celle-ci conserva un léger empâtement dû évidemment à un trouble de nutrition, quoique l'artère sous-orbitaire eût été ménagée.

Si maintenant nous considérons que, six semaines après la suppression des nerfs de sentiment, l'irritabilité musculaire est notablement diminuée, tandis que, trois mois après la suppression des nerfs du mouvement, elle demeure intacte, il nous semblera rationnel de conclure que cette propriété, indépendante des uns, paraît subordonnée aux autres dans certaines limites que nous allons tracer.

(1) Voyez, pour plus de détails, notre Mémoire cité plus haut.

(2) Toutefois, comme le mouvement, en activant la circulation, influe sur la sécrétion du principe fibrineux des muscles, puisque ceux-là acquièrent le plus de force et de volume, qui sont le plus exercés; on conçoit que, condamnés à une entière inaction pendant un temps très long, ils puissent finir par s'atrophier et se réduire à des lames très minces qui, plus tard encore, en dégénérant, perdraient leur contractilité.

(3) Nous eûmes souvent l'occasion de nous assurer que la sensibilité n'était point revenue dans les parties.

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