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conserver le plus beau sang-froid quand il le voulait. Se trouvant un jour avec des amis dans la société d'une très-jolie femme qui ne l'avait jamais vu, on lui demanda, en sa qualité de peintre observateur, s'il avait jamais rencontré d'aussi beaux yeux que ceux de la dame. Fassin, prenant le ton et l'accent d'un Allemand qui sait à peine quelques mots de français, répondit avec assurance qu'il avait certainement vu d'aussi beaux yeux. Ses amis surpris d'une plaisanterie qui cadrait si mal avec sa galanterie ordinaire, le sommèrent de dire où il avait vu d'aussi beaux yeux? — «Jamais ensemble, >> reprend Fassin avec le plus grand sérieux j'en ai >>vu un à Londres et l'autre aux eaux de Bade. »> A l'âge de plus de quatre-vingts ans, il maniait encore le pinceau d'une main légère et assurée.

C'est ce qu'expriment avec grace les vers que son ami Henkart inscrivit au bas d'un charmant petit portrait de Fassin, dessiné à la mine de plomb par Godeau :

A son plumet de mousquetaire

Il joignit à vingt ans le myrte et le laurier,
Et de Both, de Berghem fortuné légataire,
Il voit encore, octogénaire,

La palme des beaux-arts croître en son atelier.

Fassin avait aussi presque toujours joui de la plus belle santé : « Elle semblait lui assurer un siècle de vie >> disait son ami Henkart. Le 16 janvier 1811, il était encore à la table de ce dernier entouré de quelques vrais amis, à qui il redisait ses anecdotes et ses chansons. Il en sortit indisposé. Le lendemain, le mal empira et il sentit, sans perdre sa sérénité, qu'il n'avait plus longtemps à vivre. Il fit même encore en ce moment

une plaisanterie qui achèvera de le caractériser. Quelques mois auparavant il avait vendu sa maison pour une rente viagère : en songeant à sa fin prochaine : « Il >>>faut avouer, dit-il, à ses amis, que j'aurai vendu ma >>maison à bien bon marché; » et il continua à s'entretenir avec eux avec la plus grande liberté d'esprit.

Il mourut, en serrant la main de ses amis, le 21 janvier 1811, à l'âge de quatre-vingt trois ans (1).

F. A. V. H.

(1) Le portrait qui accompagne cette notice, lithographié par M. Cremetti, a été dessiné par M. Colleye, d'après le portrait de 1 Fassin peint par lui-même, qui est dans le cabinet de Mme Hen

kart. Le fac-simile de sa signature est tiré du contrat qu'il avait fait avec Henkart et De France pour l'acquisition des tableaux de leur petit musée.

Fragmens d'un Ouvrage

SUR L'ÉTAT DE L'INSTRUCTION PRIMAIRE EN BELGIQUE ET SUR LES MOYENS DE L'AMÉLIORER.

I. De l'instruction publique.

Jusqu'ici l'instruction et l'éducation n'ont guère eu de base solide et positive; cette base varie d'après les vues et les préjugés des parens, d'après la capacité des instituteurs et les circonstances locales. Ici on se contente de faire apprendre aux enfans la lecture, l'écriture et les élémens du calcul; là on joint à ces premières notions l'enseignement du catéchisme; ailleurs on ajoute quelque chose à la culture intellectuelle, mais on néglige absolument l'éducation morale et religieuse. De sorte qu'en résumé on peut, sans courir risque d'être démenti, affirmer que l'instruction est tout-à-fait insuffisante chez nous comme dans beaucoup d'autres pays; que l'ignorance prévaut encore à un degré effrayant, et que les maux qu'elle entraîne après elle continuent à peser de tout leur poids sur la classe la plus nombreuse de la société.

Le but principal de l'instruction doit être d'augmenter le bonheur général. Mais en quoi consiste ce bonheur? Voilà ce qu'il importe de déterminer à l'avance. Peut-il exister à la condition du bien-être physique seul? Lorsque le bon roi Henri IV formait le

vœu que chaque paysan de son royaume pût mettre la poule au pot, il ne songeait pas sans doute que la réalisation de ce vœu dépassait sa puissance. Le bien-être matériel est entièrement subordonné au degré de culture morale et intellectuelle. Le paysan doit être mis à même de se procurer la poule par lui-même et à l'aide de ses propres efforts, si l'on veut qu'elle figure souvent sur sa table. Le monarque bienveillant aurait donné lui-même la poule, s'il l'avait pu, et fréquemment il aurait répété ce don; mais il aurait en même temps dégradé le caractère de son peuple, et en l'accoutumant à se reposer sur autrui, il l'aurait mis hors d'état d'atteindre au véritable bonheur en se eréant une position indépendante.

Non, le bien-être matériel seul ne peut constituer le bonheur. Il y a dans l'homme autre chose que des appétits physiques à satisfaire; ses besoins moraux et intellectuels ne sont pas moins impérieux. Les jouissances des sens paraissent bien bornées lorsqu'on les compare à celles qui résultent de l'acquisition des connaissances utiles, des rapports de société, de la pratique des vertus, du sentiment religieux. Des dernières aux premières il y a toute la distance qui sépare l'homme de la brute. Et cependant combien notre éducation populaire n'est-elle pas incomplète sous ce rapport! Combien d'hommes, nos concitoyens et nos frères, ne sont-ils pas exclus de ces nobles et pures jouissances, par suite de l'insuffisance ou même du défaut absolu des moyens d'instruction! Le Dieu eréateur, dans sa bonté infinie, a réparti entre tous les hommes les trésors de l'intelligence, du sentiment moral; il les a mis ainsi à même non-seulement de contrôler leurs

appétits, de réprimer leurs penchans, mais encore d'aspirer à des destinées plus élevées et de perfectionner leur nature par des efforts incessans. Or, Dieu ne fait rien en vain; s'il a doué ses créatures des mêmes facultés, c'est qu'il a voulu que ces facultés fussent également développées; s'il les a toutes également conviées au partage de ces qualités qui sont comme un reflet de la nature divine, c'est qu'il a voulu que ces qualités fussent cultivées, qu'on en fît usage, qu'elles devinssent la source de nobles jouissances. Nier cette conséquence rigoureuse, ce serait accuser Dieu lui-même, ce serait condamner son œuvre; et cependant nous agissons comme si cette grande vérité n'était qu'un mensonge, comme si l'espèce humaine était partagée en deux races distinctes, l'une supérieure, l'autre inférieure en intelligence et en capacité native! Nous livrons l'imprévoyant à son imprévoyance, le pauvre à la pauvreté, l'ignorant à son ignorance, comme si la société n'avait à leur égard aucun devoir à remplir! Nous méconnaissons l'appel fait par Dieu lui-même en faveur de tous ses enfans, et nous croisons les bras après avoir pourvu à nos propres besoins, comme si la grande majorité de nos concitoyens n'avait pas à invoquer notre aide dans l'abandon où elle gémit et se débat péniblement!

Il est temps enfin d'abjurer cette insouciance ou cette erreur, de poser les bases et les principes définitifs en matière d'instruction, et de préciser son but en le définissant avec soin.

Le but principal de l'instruction doit être d'augmenter le bonheur général en améliorant la condition physique, intellectuelle et morale de la population, abs

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