Imágenes de páginas
PDF
EPUB

qui est la cause de ma souffrance. Puisque vous avez pu m'en plaindre, j'espère que Dieu m'en délivrera.

LE ROI

Voilà qui est bien, mais ce n'est pas tout. Il faut m'obéir sur un autre point. Quelqu'un vous en a-t-il parlé?

CARMOSINE

Sire, on m'a dit toute la bonté, toute la pitié qu'on daignait avoir...

[blocks in formation]

Belle Carmosine, je parlerai en roi et en ami. Le grand amour que vous nous avez porté vous a, près de nous, mise en grand honneur ; et celui qu'en retour nous voulons vous rendre, c'est de vous donner de notre main, en vous priant de l'accepter, l'époux que nous avons choisi.

Il fait signe à Périllo, qui s'avance et s'incline. Après quoi, nous voulons toujours nous appeler votre chevalier, et porter dans nos passes d'armes votre devise et vos couleurs, sans demander autre chose de vous, pour cette promesse, qu'un seul baiser.

LA REINE, à Carmosine.

Donne-le, mon enfant, je ne suis pas jalouse.

CARMOSINE, donnant son front à baiser au roi.

Sire, la reine a répondu pour moi1.

THEOPHILE GAUTIER

Né à Tarbes en 1811, mort à Paris en 1872.

Dans l'école romantique "dont il fut l'un des plus ardents promoteurs, il est le peintre, l'artiste visuel par excellence; il a su merveilleusement employer les mots pour rendre le relief, la couleur, les mille aspects de la vie extérieure. A ce point de vue, il a même fait école; les grands descripteurs postérieurs à 1850 sont ses disciples.

1 Principales œuvres en prose de Musset: La Confession d'un enfant du siècle (1836); Comédies et proverbes. Pour l'étudier, lire : P. de Musset: Biographie d'A. de Musset; A. Barine, A. de Musset (1893), Brunetière, Evolution de la poésie lyrique; E. Faguet, XIXe siècle; M. Guyau, L'art au point de vue sociologique.

Les critiques actuels ne veulent voir en lui qu'un admirable virtuose du style; comme à V. Hugo, ils lui refusent les idées; ses ouvrages de critique, remarquables en bien des parties, prouvent que cette opinion est fausse. Il ne pratiqua complètement que dans ses vers la théorie de l'art pour l'art dont on lui a fait un reproche.

Une course de taureaux à Malaga1.

Montès ne se contente pas, comme les autres épées, de tuer le taureau lorsque le signal de sa mort est donné. Il surveille la place, dirige le combat, vient au secours des picadores ou des chulos en péril. Plus d'un torero doit la vie à son intervention. Un taureau, ne se laissant pas distraire par les capes qu'on agitait devant lui, fouillait le ventre d'un cheval qu'il avait renversé, et tâchait d'en faire autant au cavalier abrité sous le cadavre de sa monture. Montès prit la bête farouche par la queue, et lui fit faire trois ou quatre tours de valse à son grand déplaisir et aux applaudissements frénétiques du peuple entier, ce qui donna le temps de relever le picador. Quelquefois il se plante tout debout devant le taureau, les bras croisés, l'œil fixe, et le monstre s'arrête subitement, subjugué par ce regard clair, aigu et froid comme une lame d'épée. Alors ce sont des cris, des hurlements, des vociférations, des trépignements, des explosions de bravos dont on ne peut se faire une idée le délire s'empare de toutes les têtes, un vertige général agite sur les bancs les quinze mille spectateurs, ivres d'aguardiente2, de soleil et de sang; les mouchoirs s'agitent, les chapeaux sautent en l'air, et Montès, seul calme dans cette foule, savoure en silence sa joie profonde et contenue, et salue légèrement comme un homme capable 'de bien d'autres prouesses. Pour de pareils applaudissements, je conçois qu'on risque sa vie à chaque minute; ils ne sont pas trop payés. O chanteurs aux gosiers d'or, danseuses aux pieds de fée, comédiens de tous genres, empereurs et poètes, qui vous imaginez avoir excité l'enthousiasme, vous n'avez pas entendu applaudir Montès!

Quelquefois les spectateurs eux-mêmes le supplient de daigner exécuter un de ces tours d'adresse dont il sort toujours vainqueur. Une jolie fille lui crie en lui jetant un baiser: «Allons, senor Montès, allons, Paquirro (c'est son prénom), vous qui êtes si galant, faites quelque pe

1 Extrait du Voyage en Esgagne. Mots techniques: torero, celui qui combat le taureau à pied; toreador, celui qui combat à cheval; picador, celui qui excite le taureau; banderillero, celui qui lance à l'animal des dards ornés de rubans ; chulo, porte-cape; matador, celui qui le tue; toril, la loge des taureaux; tablas, barrière protectrice permettant aux hommes d'éviter le taureau en cas de danger. 2 Eau-de-vie.

tite chose, una cosita, pour une dame. » Et Montès saute par-dessus le taureau en lui appuyant le pied sur la tête, ou bien il lui secoue sa cape devant le mufle, et par un mouvement brusque, s'en enveloppe de façon à former une draperie élégante, aux plis irréprochables; puis il fait un saut de côté et laisse passer la bête lancée trop fort pour se retenir.

La manière de tuer de Montès est remarquable par la précision, la sûreté et l'aisance de ses coups; avec lui, toute idée de danger s'évanouit; il a tant de sang-froid, il est si maître de lui-même, il paraît si certain de sa réussite, que le combat ne semble plus qu'un jeu; peutêtre même l'émotion y perd-elle. Il est impossible de craindre pour sa vie; il frappera le taureau où il voudra, quand il voudra, comme il voudra. Les chances du duel sont parfois trop inégales; un matador moins habile produit quelquefois un effet plus saisissant par les risques et les chances qu'il court. Ceci paraîtra sans doute d'une barbarie bien raffinée; mais les aficionados, tous ceux qui ont vu des courses et qui se sont passionnés pour un taureau franc et brave, nous comprendront assurément. Un fait qui se passa le dernier jour des courses prouvera la vérité de notre assertion, et fit voir un peu durement à Montès jusqu'à quel point le public espagnol poussait l'esprit d'impartialité envers les hommes et envers les bêtes.

Un magnifique taureau noir venait d'être lâché dans la place. A la manière brusque dont il était sorti du toril, les connaisseurs en avaient conçu la plus haute opinion. Il réunissait toutes les qualités d'un taureau de combat: ses cornes étaient longues, aiguës, les pointes bien tournées; les jambes sèches, fines et nerveuses, promettaient une grande légèreté; son large fanon, ses flancs développés, indiquaient une force immense. Aussi portait-il dans le troupeau le nom de Napoléon, comme le seul nom qui pût qualifier sa supériorité incontestable. Sans la moindre hésitation, il fondit sur le picador posté auprès des tablas, le renversa avec son cheval, qui resta mort sur le coup, puis s'élança sur le second, qui ne fut pas plus heureux, et qu'on eut à peine le temps de faire passer par dessus les barrières, tout moulu et tout froissé de sa chute. En moins d'un quart d'heure, sept chevaux éventrés gisaient sur le sable; les chulos n'agitaient que de bien loin leurs capes de couleur, et ne perdaient pas de vue les palissades, sautant de l'autre côté dès que Napoléon faisait mine d'approcher. Montès lui-même paraissait troublé, et même une fois il avait posé le pied sur le rebord de la charpente des tablas, prêt à les franchir en cas d'alerte et de poursuite trop vive, ce qu'il n'avait pas fait dans deux courses

précédentes. La joie des spectateurs se traduisait en exclamations bruyantes, et les compliments les plus flatteurs pour le taureau s'élançaient de toutes les bouches. Une nouvelle prouesse de l'animal vint porter l'enthousiasme au dernier degré d'exaspération.

Un sobresaliente (doublure) de picador, car les deux chefs d'emploi étaient hors de combat, attendait, la lame baissée, l'assaut du terrible Napoléon qui, sans s'inquiéter de sa piqûre à l'épaule, prit le cheval sous le ventre d'un premier coup de tête, lui fit tomber les jambes de devant sur le rebord des tablas et, d'un second lui soulevant la croupe, l'envoya avec son maître de l'autre côté de la barrière dans le couloir de refuge qui circule tout autour de la place.

Un si bel exploit fit éclater des tonnerres de bravos. Le taureau était maitre de la place qu'il parcourait en vainqueur, s'amusant, faute d'adversaires, à retourner et à jeter en l'air les cadavres des chevaux qu'il avait décousus. La provision de victimes était épuisée, et il n'y avait plus dans l'écurie de quoi remonter les picadores. Les banderilleros se tenaient enfourchés sur les tablas, n'osant descendre harceler de leurs flèches ornées de papier ce redoutable lutteur, dont la rage n'avait pas besoin, à coup sûr, d'excitations. Les spectateurs impatientés de cette espèce d'entr'acte, criaient : « Las banderillas ! las banderillas! Fuego al alcalde ! le feu à l'alcade qui ne donne pas l'ordre!» Enfin, sur un signe du gouverneur de la place, un banderillero se détacha du groupe et planta deux flèches dans le cou de la bête furieuse, et se sauva de toute sa vitesse, mais pas assez promptement encore, car la corne lui effleura le bras et lui fendit la manche. Alors, malgré les vociférations et les huées du peuple, l'alcade donna l'ordre de la mort, et fit signe à Montès de prendre sa muleta et son épée, en dépit de toutes les règles de la tauromachie qui exigent qu'un taureau ait reçu au moins quatre paires de banderillas avant d'être livré à l'estoc du matador.

Montès, au lieu de s'avancer comme d'habitude au milieu de l'arène, se posa à une vingtaine de pas de la barrière, pour avoir un refuge en cas de malheur; il était fort pâle, et, sans se livrer à aucune de ces gentillesses, coquetterie du courage, qui lui ont valu l'admiration de l'Espagne, il déploya la muleta écarlate, et appela le taureau qui ne se fit pas prier pour venir. Montès exécuta trois ou quatre passes avec la muleta tenant son épée horizontale à la hauteur des yeux du monstre, qui tout à coup tomba comme foudroyé et expira après un bond convulsif. L'épée lui était entrée dans le front et avait piqué la cervelle, coup défendu par les lois de la tauromachie, le matador devant

passer le bras entre les cornes de l'animal et lui donner l'estocade entre la nuque et les épaules, ce qui augmente le danger de l'homme et donne quelque chance à son bestial adversaire.

Quand on eut compris le coup, car ceci s'était passé avec la rapidité de la pensée, un hourra d'indignation s'éleva des tendidos aux palcos1; un ouragan d'injures et de sifflets éclata avec un tumulte et un fracas inouïs. << Boucher, assassin, brigand, voleur, galérien, bourreau ! » étaient les termes les plus doux. « A Ceuta Montès! au feu Montès! les chiens à Montès! mort à l'alcade! » tels étaient les cris qui retentissaient de toutes parts. Jamais je n'ai vu une fureur pareille, et j'avoue en rougissant que je la partageais. Les vociférations ne suffirent bientôt plus; l'on commença à jeter sur le pauvre diable des éventails, des chapeaux, des bâtons, des jarres pleines d'eau et des fragments de bancs arrachés. Il y avait encore un taureau à tuer, mais sa mort passa inaperçue à travers cette horrible bacchanale, et ce fut José Parra, la seconde épée, qui l'expédia en deux estocades assez bien portées. Quant à Montès, il était livide, son visage verdissait de rage, ses dents imprimaient des marques sanglantes sur ses lèvres blanches, quoiqu'il affichât un grand calme et s'appuyât avec une grâce affectée sur la garde de son épée, dont il avait essuyé dans le sable la pointe rougie contre les règles.

Le feu à Constantinople 2.

J'étais un jour assis sur une tombe, occupé à griffonner quelques vers, dans le petit Champ-des-Morts de Péra, lorsque je vis monter à travers les cyprès une fumée bleuâtre qui devint jaune, puis noire, et laissa passer quelques jets de flamme étouffés par l'éclatante lumière du soleil; je me levai, je cherchai une place découverte, et j'aperçus au bas de la colline funèbre Kassim-Pacha qui brûlait. Kassim-Pacha est un quartier assez misérable, peuplé de pauvres gens : de Juifs, d'Arméniens, resserré entre le cimetière et l'arsenal. Je descendis sa principale rue, bordée d'échoppes et de baraques, dont le milieu est occupé par un ruisseau fangeux, espèce d'égoût à ciel ouvert, traversé de ponceaux ; l'incendie était encore concentré aux environs d'une mosquée dont je ne saurais mieux comparer le minaret qu'à une chandelle

1 Les tendidos sont les tribunes où s'entasse le peuple; les palcos, les loges des grands seigneurs.

Extrait de Constantinople (1854). La description qui suit donne une idée de ce qui se passe encore aujourd'hui assez fréquemment dans la capitale de la Turquie.

« AnteriorContinuar »