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veux d'enfant Jésus. Une petite mèche folle sur un petit cou, un rien de chair d'enfant au haut d'un bout de chemise, au bas d'une manche. par instants elle ne voyait plus que cela: c'était pour elle tout le soleil de la rue, et le ciel !

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Cependant la troupe diminuait. Chaque rue prenait les enfants des rues voisines. L'école se dispersait sur le chemin. La gaieté de tous ces petits pas s'éteignait peu à peu. Les petites robes disparaissaient une à une. Germinie suivait les dernières; elle s'attachait à celles qui allaient le plus loin.

Une fois qu'elle marchait ainsi, dévorant des yeux le souvenir de sa fille, tout à coup prise d'une rage d'embrasser, elle se jeta sur une des petites, l'empoigna par le bras, avec le geste d'une voleuse d'enfant... << Maman! maman! » cria et pleura la petite en s'échappant. Germinie se sauva.

Le meurtre de Rossi 1.

Le matin, le pape parlait au comte Rossi de bruits menaçants pour sa vie, Rossi lui répondait : « J'ai vu les Français en révolution... Qui a vu ce peuple-là, dans ces moments, n'a pas peur des Romains, » et s'agenouillant aux pieds du pape, lui disait:

« Saint Père, donnez-moi votre bénédiction »...

Aux portes du palais de la Chancellerie, où un médaillon en camaïeu représentait le Pape accordant la Constitution, la foule était immense, et la voiture du ministre avait peine à passer. La voiture arrivée sous le péristyle, Rossi en descend, son portefeuille sous le bras.

Or, dans cette foule attendant là, il y avait au moins une trentaine d'hommes sachant tuer un cochon, et l'un de ces hommes avait dit à un autre, la veille : « Moi, je me mettrai à gauche avec mon couteau, toi, tu te mettras à droite avec ton bâton... Tu frapperas sa jambe droite, ainsi comme cela... et quand il se retournera de ton côté pour te voir, je lui mettrai dans son cou tendu, mon couteau tout entier, ainsi comme cela >>

Et les lèvres muettes de tout ce monde, qui était dans le secret de ce qui allait se passer, les lèvres des femmes penchées sur les balcons, les lèvres des enfants perchés sur les toits, disaient au couteau de l'homme de la foule : « Qu'il soit tué ! qu'il soit tué ! qu'il soit tué ! »

Quand le comte vit les yeux de toute cette plèbe, derrière la haie des

A L'Italie d'hier (1894). Il s'agit ici du célèbre homme d'Etat et écrivain qui fut chargé par Pie IX de former un ministère et mourut assassiné en 1848.

soldats, de cette plèbe contre le petit mur du palais, de cette plèbe aux pieds des vieilles colonnes du temple de Pompée, il laissa échapper à voix basse Fiat voluntas! 1. et résigné et droit dans sa grande taille, et portant haut sa belle tête décharnée, il s'avança, le regard dédaigneux.

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Un bâton frappa sa jambe droite, et lorsqu'il se retourna pour voir celui qui l'avait frappé, un couteau entra tout entier dans la gauche de son cou. Et le sang jaillit de la carotide, souffletant les soldats au visage, et, passant par-dessus leurs têtes, alla rougir la fausse petite porte, tout nouvellement rebadigeonnée.

Dans la foule, ni un cri, ni une parole, pendant que l'ensanglanté tirait de sa poche un mouchoir, dont il boucha le trou du couteau, puis se remettait à marcher... Il marcha un pas, deux pas... Le silence avait quelque chose d'effrayant... Les regards attendaient... Le comte marcha encore deux pas, au milieu de tous ces yeux qui comptaient les minutes de sa vie... Puis encore, il monta trois marches du petit escalier à la rampe de bois, les jambes ferines, les papiers d'Etat serrés plus fort contre sa poitrine.

Cependant les yeux du peuple qui le regardaient monter, commençaient à s'impatienter. Vingt-deux marches étaient devant lui. Il continua à monter, mais la seconde marche, il la monta plus lentement que la première, la troisième plus lentement que la seconde, la quatrième plus lentement que la troisième.

Alors, de lèvres en lèvres, d'abord un murmure alla disant : « Le cochon est égorgé!» puis des voix : « Le cochon est égorgé!» enfin mille cris: « Le cochon est égorgé ! »

Le comte Rossi montait toujours, dans les voix, dans les vociférations, plus lent à chaque marche. A la vingt-quatrième marche, il vacilla, couvé par tous les regards de la place. A la vingt-cinquième marche, il tomba sur le palier, la face contre terre, en poussant un profond soupir 2.

Que ta volonté soit faite !

2 Principales œuvres des Goncourt: Histoire de la société française pendant la Révolution (1854): Marie-Antoinette; Sœur Philomène (1861); Madame Gervaisais (1869); Consulter: P. Bourget, Essais de psychologie; Alidor Delzant, Les Goncourt (1889); M. Spronck. Les artistes littéraires (1889); Gustave Larroumet. Etudes de littérature et d'art; Gustave Toudouze, Pages choisies des Goncourt (1896).

OCTAVE FEUILLET

Né à Saint-Lô en 1821, mort à Paris en 1890.

On pourrait l'appeler « le dernier des romanesques », car, en pleine période naturaliste, il écrivit des romans d'imagination délicats et fins. Il a peint surtout le monde des gentilshommes et des grandes dames, chez lesquels les passions brûlantes de l'âme sont voilées par l'élégance morale et la politesse raffinée. C'est un écrivain parfois un peu fade, mais très souvent exquis, un idéaliste séduisant, qui exerça une très réelle influence sur une partie du public français.

Romanesque aventure 1.

Un jeune gentilhomme ruiné, Maxime de Champcey, est entré, comme intendant, dans l'opulente famille Laroque; par fierté nobiliaire, il a pris un faux nom. Bien accueilli par la famille, il vit dans une demi-intimit avec elle, et finit par aimer la jeune fille qui, elle aussi, l'aime en secret. Un jour, Marguerite Laroque apprend le vrai nom de Maxime; trompée par des calomnies, elle se figure que c'est un coureur de dot qui s'est introduit chez elle pour se faire aimer; elle est revenue, cependant, à une appréciation plus juste, quand survient l'aventure suivante racontée par le héros du roman.

J'étais parti à cheval dès le matin pour surveiller quelques coupes de bois dans les environs. Vers quatre heures du soir, je revenais dans la direction du château, quand, à un brusque détour du chemin, je me trouvai subitement face à face avec Mlle Marguerite. Elle était seule. Je me disposais à passer en la saluant; mais elle arrêta son cheval. Un beau jour d'automne, monsieur, me dit-elle.

- Oui, mademoiselle. Vous vous promenez ?

Comme vous voyez. J'use de mes derniers moments d'indépendance, et même j'en abuse, car je me sens un peu embarrassée de ma solitude... Mais Alain était nécessaire là-bas... Mon pauvre Mervyn est boiteux..... Vous ne voulez pas le remplacer, par hasard ?

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Mais... j'avais presque l'idée de pousser jusqu'à la tour d'Elven. Elle me désignait du bout de sa cravache un sommet brumeux qui s'élevait à droite de la route. Je crois, ajouta-t-elle, que vous n'avez jamais fait ce pélerinage.

C'est vrai. Il m'a souvent tenté, mais je l'ai ajourné jusqu'ici, je ne sais pourquoi.

1 Extrait du Roman d'un jeune homme pauvre, l'ouvrage le plus connu d'Octave Feuillet. Ces pages donnent une idée suffisante de sa conception du romanesque et de son talent délicat.

- Eh bien ! cela se trouve parfaitement; mais il est déjà tard, il faut nous hâter un peu, s'il vous plaît.

Je tournai bride, et nous partîmes au galop.

Pendant que nous courions, je cherchais à me rendre compte de cette fantaisie inattendue, qui ne laissait pas de paraître un peu préméditée. Je supposai que le temps et la réflexion avaient pu atténuer dans l'esprit de Mlle Marguerite l'impression première des calomnies dont on l'avait troublée. Apparemment elle avait fini par concevoir quelques doutes sur la véracité de Mlle Hélouin, et elle s'était entendue avec le hasard pour m'offrir, sous une forme déguisée, une sorte de réparation qui pouvait m'être due.

Au milieu des préoccupations qui m'assiégeaient alors, j'attachais une faible importance au but particulier que nous nous proposions dans cette étrange promenade. Cependant j'avais souvent entendu citer autour de moi cette tour d'Elven comme une des ruines les plus intéressantes du pays, et jamais je n'avais parcouru une des deux routes qui, de Rennes ou de Josselin, se dirigent vers la mer, sans contemtempler d'un œil avide cette masse indécise qu'on voit pointer au milieu des landes lointaines comme une énorme pierre levée; mais le temps et l'occasion m'avaient manqué....

A peu de distance d'Elven, nous primes un chemin de traverse qui nous conduisit sur le sommet d'une colline aride. De là nous aperçûmes distinctement, quoique à une assez grande distance encore, le colosse féodal dominant en face de nous une hauteur boisée....

Rien de plus imposant, de plus fier et de plus sombre que ce vieux donjon impassible au milieu des temps et isolé dans l'épaisseur de ces bois. Des arbres ont poussé de toute leur taille dans les douves profondes qui l'environnent, et leur faîte touche à peine l'ouverture des fenêtres les plus basses. Cette végétation gigantesque, dans laquelle se perd confusément la base de l'édifice, achève de lui prêter une couleur de fantastique mystère. Dans cette solitude, au milieu de ces forêts, en face de cette masse d'architecture bizarre qui surgit tout à coup, il est impossible de ne pas songer à ces tours enchantées où de belles princesses dorment un sommeil séculaire....

A notre vive satisfaction, la porte massive du donjon n'était point fermée; nous n'eûmes qu'à la pousser pour pénétrer dans un réduit étroit, obscur et encombré de débris, qui pouvait autrefois tenir lieu de corps de garde; de là nous passàmes dans une vaste salle à peu près circulaire, dont la cheminée montre encore sur son écusson les besans de la croisade; une large fenêtre, ouverte en face de nous, et que tra

verse la croix symbolique nettement découpée dans la pierre, éclairait pleinement la région inférieure de cette enceinte, tandis que l'oeil se perdait dans l'ombre incertaine des hautes voûtes effondrées. Au bruit de nos pas, une troupe d'oiseaux invisibles s'envola de cette obscurité et secoua sur nos têtes la poussière des siècles. En montant sur les bancs de granit qui sont disposés de chaque côté du mur en forme de gradins, dans l'embrasure de la fenêtre, nous pûmes jeter un coup d'œil au dehors sur la profondeur des fossés et sur les parties ruinées de la forteresse; mais nous avions remarqué dès notre entrée les premiers degrés d'un escalier pratiqué dans l'épaisseur de la muraille, et nous éprouvions une hâte enfantine de pousser plus avant nos découvertes. Nous entreprimes l'ascension; j'ouvris la marche et Mile Marguerite me suivit bravement, se tirant de ses longues jupes comme elle pouvait. Du haut de la plateforme, la vue est immense et délicieuse. Les douces teintes du crépuscule estompaient en ce moment même l'océan de feuillage à demi doré par l'automne, les sombres marais, les pelouses verdoyantes, les horizons aux pentes entrecroisées, qui se mêlaient et se succédaient sous nos yeux jusqu'à l'extrême lointain. En face de ce paysage gracieux, triste et infini, nous sentions la paix de la solitude, le silence du soir, la mélancolie des temps passés, descendre à la fois, comme un charme puissant, dans nos esprits et dans nos cœurs. Cette heure de contemplation commune, d'émotions partagées, de profonde et pure volupté, était sans doute la dernière qu'il dût m'être donné de vivre près d'elle et avec elle, et je m'y attachais avec une violence de sensibilité presque douloureuse. Pour Marguerite, je ne sais ce qui se passait en elle; elle s'était assise sur le rebord du parapet, elle regardait au loin et se taisait. Je n'entendais que le souffle un peu précipité de son haleine.

Je ne pourrais dire combien d'instants s'écoulèrent ainsi. Quand les vapeurs s'épaissirent au-dessus des forêts basses et que les derniers horizons commencèrent à s'effacer dans l'ombre croissante, Marguerite se leva.

Allons, dit-elle à demi-voix et comme si un rideau fût tombé sur quelque spectacle regretté, c'est fini !

Puis elle commença à descendre l'escalier et je la suivis. Quand nous voulûmes sortir du donjon, grande fut notre surprise d'en trouver la porte fermée. Apparemment, le jeune gardien, ignorant notre présence, avait tourné la clef pendant que nous étions sur la plateforme. Notre première impression fut celle de la gaieté. La tour était définitivement une tour enchantée. Je fis quelques efforts vigou

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