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raient amener en Angleterre. En dépit du droit des gens et des devoirs de l'hospitalité et du bon voisinage, en dépit d'un traité solennel conclu en 1786, et qui avait été une source de prospérité pour l'Angleterre et un moyen de rapprochement entre les deux peuples, le ministère britannique proposa et fit passer une loi qui soumet à des dispositions rigoureuses et arbitraires les Français qui voyageat en Angleterre. Le conseil exécutif ordonna au citoyen Chauvelin de réclamer contre cette infraction de l'article 4 du traité. Voici ce que lui écrivit à ce sujet le ministre des affaires étrangères.

Extrait d'une lettre du ministre des affaires étrangères au citoyen Chauvelin, en date du 1er janvier 1793.

« Vous verrez par le rapport dont je joins une copie à cette dépêche que le conseil exige de vous une démarche près du ministère britannique au sujet du bill concernant les étrangers. Cette démarche dans cette circonstance doit être décisive; elle doit faire cesser entièrement l'état d'incertitude dans lequel le gouvernement anglais a si longtemps cherché à nous tenir sur ses intentions véritables. Lorsque dans sa conduite tout annonce la volonté de rompre avec la nation française, pourquoi ne le dit-il pas hautement? Peut-être n'ose-t-il point nous déclarer la guerre; peut-être ce ministère veut-il, par un de ces ménagemens insidieux dont sa politique tortueuse a contracté l'habitude, nous réduire à force d'insultes à la lui déclarer nousmêmes, afin de détourner s'il est possible de dessus sa tête l'affreuse responsabilité qui le menace. Ne lui laissons pas même ce ridicule avantage: opposer toujours la franchise à la ruse telle a sans cesse été, telle doit être surtout aujourd'hui la politique du conseil. Dans la note que vous devez présenter sans délai au ministère britannique prenez une attitude forme, généreuse et fière qui réponde à nos vues : le soin de la dignité nationale vous est confié. Parlez avec le calme de la raison, la modération et la sécurité de la justice; exposez nettement notre conduite; mettez-la dans un tel jour qu'il soit évident que nous ferons consister notre dignité tout entière dans une équité rigoureuse, qui ne connaît ni les calculs de l'intérêt ni les misérables combinaisons de l'orgueil. »

Le rapport dont il est question dans cette lettre a été présenté à la Convention nationale par le ministre des affaires étrangères, et est conçu en ces termes :

Rapport du ministre des affaires étrangères sur les dispositions d'un bill du parlement d'Angleterre relatif aux étrangers qui sont dans ce royaume. (Séance du 31 décembre 1792.)

Je profite de la séance extraordinaire que la Convention

accorde aux petitionnaires pour ramener son attention sur des objets qui sont d'une importance majeure, puisqu'ils intéressent essentiellement nos rapports politiques et commerciaux avec l'Angleterre.

» Ce n'est pas, citoyens législateurs, que je puisse aujourd'hui vous apprendre le résultat des dernières démarches que le conseil exécutif a tentées auprès du gouvernement britannique; des vents contraires, de gros temps n'ont point permis cette célérité. Un courrier parti de Londres le 27 vient de m'informer que le ministre de la République française avait écrit à M. Pitt pour lui demander une entrevue; que déjà il avait fait passer à lord Grenville une note conçue dans l'esprit des ins tructions du conseil. Sans doute les réponses me parviendront d'ici au 6 janvier, jour fixé pour le rapport général de notre situation intérieure et extérieure, et je pourrai alors lui faire connaître la résolution définitive du cabinet de Saint-James : je réserve pour cette époque à entrer dans tous les détails des préparatifs hostiles ordonnés par le ministère britannique, et consentis par le parlement; préparatifs dont l'accroissement a été plus rapide à mesure que ce ministère réussissait à égarer ou à intimider l'opinion et les sentimens du peuple anglais; préparatifs qui toutefois ne sont pas encore effrayans si nous considérons les ordres que l'armement de treize vaisseaux de pour ligne n'ont été donnés que depuis quinze jours, et si nous songeons à la grande difficulté de compléter l'équipage de ces gros vaisseaux par le manque de matelots, dont le déficit est estimé de huit mille; si surtout nous savons de notre côté prendre des mesures promptes et vigoureuses : je réserve enfin pour la même époque à vous entretenir des autres mesures, de la malveillance du ministère britannique, des indécentes diatribes proférées dans les deux chambres du parlement contre la nation française et son gouvernement, de l'arrestation des navires chargés de subsistances et destinés pour la France, qui n'étaient pas sujets à l'embargo, des manoeuvres employées pour altérer notre crédit, enfin d'un bill, proposé à la chambre des communes, tendant à empêcher la circulation de tout billet à ordre, notes, rescriptions ou obligations promissoires faites sous l'autorité d'un pouvoir quelconque en France.

» Mais je ne puis différer plus longtemps à vous informer que le 26 décembre les deux chambres ont passé une nouvelle loi ou bill concernant les étrangers en Angleterre; qu'entre autres dispositions vexatoires que renferme ce bill il y est dit :

«< 8. Toutes les fois que le roi ordonnera à un étranger » de quitter le royaume il désobéis→ être arrêté pourra pour

sance sur le warrant d'un juge de paix ou d'un secrétaire » d'état, et mis dans la prison du comté sans être admis à

>> caution.

>>

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» 10. Dans le cas où l'on pourrait prévoir qu'un étranger ne » voudrait pas obéir sur le champ à un pareil ordre, un des premiers secrétaires d'état pourra expédier un warrant » pour mettre un tel étranger entre les mains d'un messager d'état, qui le conduira hors du royaume d'une manière con» venable à son (his or her) rang et à sa position; et si l'étranger alléguait quelque excuse pour ne point se soumettre à un pareil ordre, les lords du conseil privé jugeront la validité. » 11. Le roi pourra envoyer à tous les étrangers, arrivés depuis » le premier janvier 1792 (excepté négocians et domestiques), un ordre de résider dans tel district qu'il plaira à S. M. d'assi»gner. Ceux qui désobéiront pourront être arrêtés et con» damnés à un mois de prison.

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>> 12.

Tous les étrangers compris dans l'article 11, et tous >> ceux qui arriveront, déclareront au principal magistrat ou au juge de paix de l'endroit leur nom, rang, profession, » état, demeure, le temps de leur séjour dans le pays, le lieu » de leur résidence principale. En cas de refus ils pourront être » arrêtés sans être admis à bail. Les fausses déclarations seront punies, la première fois d'un mois de prison, la seconde du » bannissement. Trouvés en Angleterre après un temps déterminé, ils seront transportés pour la vie.

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>>

» 17. Toutes les maisons où résident des étrangers, excepté » des négocians et ceux qui ont continuellement résidé en Angleterre deux ans avant le jour de.... 1790, pourront être » visitées sur un ordre du secrétaire d'état pour voir s'il n'y a point d'arines cachées. »

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»

>> Ces mesures ne sont pas seulement rigoureuses, injustes, inusitées, contraires à tous les usages reçus entre nations; elles sont encore par rapport à nous en contradiction mauifeste avec les égards et la protection des lois que les Français voyageant en Angleterre sont en droit d'exiger en vertu du traité de commerce et de navigation conclu en 1786 entre la France et l'Angleterre. Ce traité porte :

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«Art. 4. Il sera libre aux sujets et habitans des états respectifs des deux souverains d'entrer et d'aller librement et » sûrement, sans permission ni saufconduit général et spécial, soit par terre ou par mer, enfin par quelque cheinin » que ce soit, dans les royaumes, états, provinces, terres, îles, villes, bourgs, places murées ou non murées, fortifiées ou non fortifiées, ports et domaines, de l'un, et de l'autre

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» souverain, situés en Europe, quels qu'ils puissent être, et » d'en revenir, d'y séjourner ou d'y passer, et d'y acheter aussi » et acquérir à leur choix toutes les choses nécessaires pour » leur subsistance et pour leur usage; et ils seront traités réciproquement avec toute sorte de bienveillance et de faveur, » bien entendu, etc. »

>>

» Il suffit sans doute d'avoir rapporté des clauses du bill nouvellement adopté par le parlement britannique pour vous convaincre que leur exécution à l'égard des Français serait une infraction évidente au traité de commerce.

» Ce traité a été cependant religieusement observé par les Français, malgré qu'il s'en faut de beaucoup que les avantages en soient réciproques, malgré les plaintes universelles du commerce français, dont les intérêts y sont lésés: même dans ces momens d'orage et de crise violente, qui auraient pu justifier des précautions extraordinaires, nous avons usé envers les Anglais résidant en France de ménagemens extrêmes, que quelques-uns d'entre eux n'ont pas toujours mérités. Ainsi ce ne sera point à la nation française que les Anglais devront s'en prendre s'il arrive que nous soyons forcés à regarder comme non avenu un traité qui n'a pas peu servi à accroître la prospérité de leur commerce.

>> Le conseil exécutif a cru devoir user encore d'une dernière précaution pour mettre mieux en évidence la conduite du cabinet de Saint-James à notre égard, et donner aux Anglais une nouvelle preuve des regrets que nous éprouvons en voyant s'affaiblir les liaisons d'amitié qui ont subsisté jusqu'à présent entre les deux peuples. Il s'est borné en conséquence à arrêter :

» 1°. Que le ministre de la République française à Londres serait chargé de présenter une note au ministère britannique par laquelle il demanderait à ce ministère, au nom de la République française, une réponse claire, prompte et catégorique pour savoir si, sous la dénomination générique d'étrangers que porte le nouveau bill, le parlement et le gouvernement de la Grande-Bretagne entendaient aussi comprendre les Français.

» 2°. Que dans le cas d'une réponse affirmative, ou si, dans le terme de trois jours, il n'en recevait aucune, il serait autorisé à déclarer que la République française ne peut considérer cette conduite que comme une infraction manifeste au traité de commerce conclu en 1786; qu'en conséquence elle cesse de se croire elle-même obligée par ce traité, et qu'elle le regarde dès lors comme rompu et annulé. »

Conformément à ses instructions, le citoyen Chauvelin remit à lord Grenville le 7 janvier la note suivante :

Note remise par le citoyen Chauvelin à lord Grenville.

lui a

Le soussigné, ministre plénipotentiaire de la République française, a fait passer au conseil exécutif la réponse que adressée lord Grenville à sa note du 27 décembre. Il a cru ne devoir pas attendre les instructions qui en seront le résultat nécessaire pour transmettre à ce ministre les nouveaux ordres qu'il a reçus du conseil exécutif. La déclaration que lord Grenville lui a faite que sa majesté britannique ne le reconnaissait pas comme ministre plénipotentiaire de la République française ne lui a point paru devoir l'arrêter; cette déclaration ne peut sous aucun rapport altérer ou effacer la qualité de délégué du gouvernement français dont le soussigné est notoirement revêtu, et l'empêcher, surtout dans des circonstances aussi décisives, d'adresser aux ministres de sa majesté britannique, au nom du peuple français, dont il est l'organe, la note sui

vante :

» Le conseil exécutif de la République française a été informé que le parlement britannique s'occupe d'une loi relative aux étrangers, dont les dispositions rigoureuses doivent les soumettre à des mesures d'autant plus arbitraires qu'il sera libre aux secrétaires d'état de sa majesté britannique de les resserrer ou de les étendre selon leurs vues et leur volonté. Le conseil exécutif, connaissant la fidélité religieuse du peuple anglais à remplir ses engagemens, a dû croire que les Français seraient positivement exceptés de cette loi le traité de navigation et de commerce conclu en 1786 entre les deux nations devait formellement les en garantir; ce traité porte, article 4 : Il sera libre, etc. (Voyez cet article dans le rapport qui précède.)

par

» Mais au lieu de trouver dans le bill proposé une juste exception en faveur de la France, le conseil exécutif a été convaincu par des déclarations positives dans les deux chambres du lement, par des explications et des interprétations ministé rielles, que ce projet de loi, sous une acception générale, était principalement dirigé contre les Français.

» Lorsque le ministère britannique à proposé une loi qui violerait aussi positivement le traité de commerce, lorsqu'il a hautement annoncé l'intention de la faire exécuter contre les Français seuls, son premier soin a dû être sans doute d'essayer de couvrir cette mesure extraordinaire d'une apparence de nécessité, et de préparer à l'avance une justification toột ou tard nécessaire en accablant la nation française de reproches, en la présentant au peuple anglais comme une ennemie de sa constitution et de son repos, en l'accusant, sans pouvoir fournir

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