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traint de vendre à la France des marchandises brutes qu'il n'avait pu manipuler, il en tirait en échange toutes ses marchandises ouvrées, comme étoffe, linge, cuirs tannés, et une foule d'objets consommables; et comme le commerce entraîne journellement des contestations entre le vendeur et l'acheteur, au lieu d'être terminées avec cette rapidité qui n'arrête pas le cours des échanges, la disparité de gouvernement, la différence de lois, la multiplicité de tribunaux occasionnaient des difficultés interminables, qui, en harcelant le consommateur, étaient funestes à la chose publique.

» L'unité de gouvernement et de lois va remédier à ces inconvéniens: sous le régime de la liberté l'industrie renaîtra dans un pays qui possède les eaux les plus favorables à la tannerie, aux papeteries, à la draperic; un travail éclairé saignera les marais, fertilisera les campagnes, ran mera le commerce, sera suivi de l'abondance; et sous l'égide de la Franca cette contrée recevra de sa nouvelle manière d'être une impulsion morale qui bientôt la rendra florissante. Les Savoisiens étaient les ilotes du Piémont; toutes les branches d'administration et presque toutes les places, confiées à des mains étrangères, aggravaient leur joug; ils étouffaient des plaintes que l'on eût traitées comme des cris de rébellion dans leur réunion à la France ils trouveront l'avantage d'être jugés et administrés par les dépositaires de leur confiance, leurs amis, leurs concitoyens.

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» Trente mille Savoisiens se répandent annuellement en divers pays, mais surtout en France; là, par l'économie la plus rigoureuse et les travaux les plus pénibles, ils recueillent les deniers nécessaires au paiement de leurs contributions : sur l'impôt brut, d'environ trois millions et demi, deux millions passaient en Piémont pour n'en revenir jamais. L'extraction du numéraire était encore augmentée par l'émigration des étudians, qui allaient prendre leurs grades à Turin; des militaires, qui allaient y passer leur temps de congé; des nobles, qui allaient y ramper le Piémont pompait tout, et desséchait tous les canaux de la prospérité publique. Cette source d'abus sera tarie par l'effet de la réunion proposée : alors une plus grande masse de numéraire, circulant dans le pays, facilitera

es échanges; on n'y verra plus une caste privilégiée porter sa bassesse à la cour de Sardaigne, et rapporter ses vices en échange; des instituts nationaux dispenseront les hommes à talens de franchir les Alpes pour moissonner la science, car la Savoie partagera les moyens d'instruction qui seront communs à tous les départemens.

» Jusqu'ici l'impôt territorial grevait en Savoie ces bons cultivateurs qui sont les nourriciers de l'État; les maisons de ville, conservant la franchise qu'elles avaient obtenue dans les siècles de la féodalité, n'étaient point imposées : désormais la justice répartira les contributions de manière que le citadin n'échappe pas à l'acquittement des charges publiques.

» Ne dites pas que la part contributive de la Savoie sera plus considérable que si elle fût restée isolée : la suppression de la dîme et de la féodalité, l'accroissement de son industri e, de ses richesses, lui rendraient moins onéreuse une imposition plus forte; mais dans l'hypothèse de la non réunion elle succomberait nécessairement sous la masse des impôts on peut d'abord porter en compte les droits d'importation auxquels le voisinage de la France la soumettrait; mais à quelles dépenses énormes né serait-elle pas réduite pour la conservation d'une liberté qu'à la fin elle verrait encore lui échapper? Car si la Savoie n'est point réunie à la France quel parti lui reste? Elle ne peut retourner sous la verge de la tyrannie piémontaise; par la nature même de ses principes elle ne peut s'unir à Berne, qui n'a de république que le nom, et dont les dominateurs sont coalisés avec les despotes de l'Europe: dès lors elle reste forcément abandonnée à elle-même.

» Deux mille hommes en temps de guerre suffisent pour garder la Savoie devenue française; dix mille suffiraient à peine pour garder la Savoie formant un état à part.

» La nécessité d'accroître sa force publique, d'élever des forteresses, de payer tous les agens de son gouvernement, la condamnerait ou à quadrupler la masse de l'impôt, ou, ce qui est la même chose sous une autre forme, à un emprunt énorme, dont la rente la greverait également, et produirait les mêmes effets: trouverait-elle d'ailleurs les fonds de cet emprunt? Ainsi, commençant par un déficit, sa dissolution politique serait pro

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chaine; car malgré ses efforts bientôt elle serait engloutie par l'invasion de quelques despotes concertés, qui aggraveraient son joug en raison de la fureur de leur orgueil humilié, et le souvenir de la liberté, dont elle aurait goûté les prémices, ajouterait pour elle au malheur de l'avoir perdue.

En confondant ses intérêts politiques avec les nôtres c'est la partie faible qui s'unit à la partie forte : une nation pauvre s'associe à une nation riche; elle s'agrandit de toute notre puissance, et dès lors la générosité commande de lui ouvrir notre

sein.

»Ne craignons pas que cette incorporation devienne une nouvelle pomme de discorde : elle n'ajoute rien à la haine des oppresseurs contre la révolution française; elle ajoute aux moyens de puissance par lesquels nous romprons leur ligue : d'ailleurs le sort en est jeté; nous sommes lancés dans la carrière; tous les gouvernemens sont nos ennemis, tous les peaples sont nos amis; nous serons détruits, ou ils seront libres!... Ils le seront, et la hache de la liberté, après avoir brisé les trônes, s'abaissera sur la tête de quiconque youdrait en rassembler les débris !

>> A l'instant où vous prononcerez la réunion il n'y aura plus de Savoie; dès lors, sous une autre dénomination, elle forme un quatre-vingt-quatrième département: la France, reculant sa frontière, la porte au Saint-Bernard, et le code des lois de la République étend son empire sur cette contrée dès lors les citoyens de cette section de l'empire doivent nommer des mandataires, qui, siégeant au milieu de vous, travailleront de concert à fonder la félicité et la gloire de la République sur la base éternelle de la justice. Vos comités, n'ayant pu réunir tous les élémens qui règlent d'après la triple base le nombre des députés de ce département, se sont fixés, d'après un calcul approximatif, sur un nombre de dix.

» Nous vous proposerons une mesure que vous avez suivie avec succès dans une foule de circonstances, celle d'envoyer des commissaires pris dans votre sein, qui se transporteront dans cette partie de la République pour procéder à la division provisoire et à l'organisation de ce département en districts et en cantons. Les citoyens s'attendent à recevoir ces commis

saires; ils aspirent au moment d'embrasser la France en leurs personnes.

» La réunion de ces deux contrées forme une époque unique dans l'histoire du monde ; elle se consoinme au moment où les trônes s'ébranlent de toute part, et où les peuples se réveillent.

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» Braves descendans des Allobroges, pendant trois siècles vous fûtes Français : vous le fûtes toujours par l'énergie de votre caractère depuis mille ans le despotisme vous avait arrachés du sein de la patrie, et vous en tenait éloignés ; sous le règne de plusieurs dynasties abhorrées vos ancêtres et les nôtres ont traîné leur pénible existence; ils ont versé des larmes brûlantes de désespoir; elles sont à peine séchées, et leurs gémissemens retentissent encore dans nos cœurs! Mais ils sont vengés; leurs descendans ont brisé leurs fers, et si jamais ils repassent la cîme des Alpes ce sera pour aller renverser le trône du despote de Turin. Ils sont vengés! la liberté embrasse les siècles futurs; à sa suite elle conduit les vertus et le bonheur, et ils vous béniront ces hommes de l'avenir qui n'arriveront à l'existence que quand vous dormirez dans la poussière.

» Généreux Savoisiens, en vous nous chérirons des Français, des amis et des frères; nos intérêts communs vont se confondre; vous rentrez dans la famille pour n'en sortir jamais, et notre union, notre liberté et la souveraineté des peuples seront durables comme vos montagnes, immuables comme le ciel qui nous entend! »

Le décret de réunion, lu par Grégoire après son rapport, fut accueilli avec enthousiasme. De toute part on criait aux voix un seul membre, Pénières, se présente pour le combattre; il se fondait sur les obstacles qu'une trop grande extension de population et de territoire oppose à la force d'un gouvernement on l'écoute avec impatience. Tous les autres orateurs s'étant fait inscrire pour, et l'Assemblée manifestant son vœu par une acclamation réitérée, le décret est mis aux voix : Pénières seul se lève contre. La réunion de la Savoie à la France fut proclamée au bruit d'applaudissemens unanimes et prolongés.

DÉCRET. Du 27 novembre 1792, an 1or de la République française.

«La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses eomités de constitution et diplomatique, et avoir reconnu que le vœu libre et universel du peuple souverain de la Savoie, émis dans les assemblées des communes est de s'incorporer à la République française; considérant que la nature, les rapports et les intérêts respectifs rendent cette union avantageuse aux deux peuples, déclare qu'elle accepte la réunion proposée, et que dès ce moment la Savoie fait partie intégrante de la République française.

» Art. 1. La Convention nationale décrète que la Savoie formera provisoirement un quatre-vingt-quatrième département, sous le nom de département du Mont-Blanc.

» 2. Les assemblées primaires et électorales se formeront incessamment, suivant la forme des lois établies, pour nommer leurs députés à la Convention nationale.

» 3. Ce département aura provisoirement une représentation de dix députés à la Convention nationale.

» 4. Il sera envoyé dans le département du Mont-Blanc quatre commissaires pris dans le sein de la Convention nationale pour procéder à la division provisoire et à l'organisation de ce département en districts et en cantons. Ces commissaires seront nommés par la voie du scrutin.

>> 5. Les bureaux de douanes établis sur les frontières de la France et de la Savoie sout supprimés; ceux sur les confins du Piémont, de la Suisse et de Genève seront conservés provisoirement, et le ministre des contributions publiques sera chargé de faire parvenir sur le champ les lois et tarifs relatifs à la perception des droits sur les objets exportés ou importés.

>> 6. Il sera établi dans les chefs-lieux de districts ou dans les bureaux de douanes aux frontières, après l'organisation des autorités, des commissaires pour la vérification des assignats.

» 7. Sur la proposition d'insérer dans le décret de réunion de la Savoie les mots au nom du peuple français, la Convention nationale passe à l'ordre du jour, motivé sur la déclaration solennelle qu'elle a faite qu'il n'y aura de Constitution que celle qui aura été acceptée par le peuple français. »

Ce décret rendu, les députés Savoisiens exprimèrent en quelques mots la joie vive et reconnaissante qu'ils éprouvaient au succès de leur mission. Le président (Hérault) leur répondit :

Citoyens français, témoins des acclamations touchantes.

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