Imágenes de páginas
PDF
EPUB

I

CONVENTION DU 20 MARS 1883, POUR LA PROTECTION
DE LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE.

Notice par M. A. CHAUMAT, docteur en droit, avocat à la Cour d'appel de Paris.

Dans sa notice générale sur les travaux du Parlement français pendant l'année 1884 (1), notre collègue, M. Jules Challamel, a fait mention d'une convention signée le 20 mars 1883 entre la France, la Belgique, le Brésil, l'Espagne, le Guatemala, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Salvador, la Serbie et la Suisse, et constituant une union internationale pour la propriété industrielle.

Cette convention, à laquelle ont adhéré depuis : la Turquie, la République de l'Equateur, celle de Saint-Domingue, la Grande-Bretagne, la Suède et la Norvège, a été approuvée par une loi du 25 janvier 1884 et elle est entrée en vigueur un mois après l'échange des ratifications qui a eu lieu à Paris le 6 juin 1884. Elle a une très grande importance tant par elle-même que par les discussions auxquelles elle a donné lieu avant et depuis son adoption.

Le but poursuivi par les États contractants a été, ainsi que cela est expliqué dans le préambule de la convention, d'assurer une complète et efficace protection à l'industrie et au commerce de leurs nationaux respectifs et de contribuer à la garantie des droits des inventeurs et de la loyauté des transactions commerciales.

On s'est généralement accordé pour reconnaître que les articles 6 et 7 relatifs aux marques de fabrique et de commerce; 8, au nom commercial; 11, à la protection, dont les inventions brevetables, les dessins ou les modèles industriels, les marques de fabrique ou de commerce doivent être l'objet lors des expositions universelles, constituent un très réel avantage et un heureux progrès au point de vue des intérêts commerciaux et industriels français.

Parmi les autres articles importants, l'article 12, relatif à l'établissement d'un service spécial et d'un dépôt central de la propriété industrielle, l'article 13 qui décide l'organisation d'un bureau international de l'union, et l'article 14 qui soumet la convention à des revisions périodiques, sont aussi généralement approuvés.

Mais deux critiques principales ont été et sont encore dirigées contre la convention, la première est relative aux délais de priorité; la seconde,

(1) Annuaire de législation française, 4o année, p. 5. (2) J. Off. du 8 juillet 1884.

à l'introduction par le breveté, dans le pays où le brevet a ét délivré, d'objets fabriqués dans l'un ou l'autre des États de l'Union.

En ce qui touche les délais de priorité, voici quel est l'objet de la critique :

Avant la convention, les inventeurs, les créateurs de dessins et de modèles, ainsi que les propriétaires de marques qui voulaient se faire protéger dans plusieurs pays, étaient exposés, s'ils prenaient, par exemple un premier brevet dans leur pays d'origine à se trouver devancés ensuite dans d'autres pays, par des faits de publicité, résultant de la communication au public des dessins, descriptions, échantillons ou modèles ou de toute autre cause. La nouveauté de l'invention étant une condition essentielle de la protection, l'inventeur pouvait se trouver, par suite de la publicité même empruntée à son premier brevet, dans l'impossibilité de se faire ensuite breveter utilement dans d'autres pays, et on n'avait trouvé d'autre moyen de remédier à cet état de choses que d'autoriser le dépôt simultané des demandes de brevets, de dessins, de modèles et de marques, à l'autorité locale compétente et aux consulats des diverses nations étrangères.

Pour établir une règle fixe et pour donner en même temps une protection plus efficace aux inventeurs, aux créateurs de dessins et de modèles, aux propriétaires de marques, l'article 4 de la convention a réservé à celui qui aura régulièrement fait le dépôt d'une demande de brevet d'invention, d'un dessin ou modèle industriel, d'une marque de fabrique ou de commerce, dans l'un des États contractants, un délai de six mois pour les brevets d'invention et de trois mois pour les dessins ou modèles industriels ainsi que pour les marques de fabrique et de commerce, délai pendant lequel il jouira d'un droit de priorité pour effectuer le dépôt dans les autres États contractants.

C'est ce droit de priorité qui a été critiqué en ce qu'il aurait pour résultat de bouleverser notre législation sur les brevets, de donner trop d'extension aux droits du breveté et d'empiéter d'une manière excessive sur le domaine public. Le droit exclusif d'exploitation réservé par la loi au breveté est, dit-on, un droit exceptionnel dont on ne conteste ni le principe ni la justesse, mais pourvu qu'il soit sagement règlementé et limité. Or son point de départ doit être nécessairement le brevet d'invention, la manifestation extérieure et authentique de l'invention, la prise de possession apparente de ce droit spécial consacré par la loi, dans chacun des pays dans lesquels l'inventeur veut s'assurer ce droit exclusif. En l'absence de cette manifestation extérieure il n'y a aucune raison pour empêcher le domaine public, c'est-à-dire tout le monde, de profiter des progrès et des découvertes de l'industrie et du commerce; d'autres inventeurs, d'autres industriels de s'assurer, s'ils ont fait une découverte, adopté une marque identique ou analogue, la propriété de cette découverte ou de cette marque.

Nous n'avons pas à prendre parti dans cette controverse; il nous suffit de la signaler en ajoutant qu'elle pourra se faire jour et s'accentuer

d'une manière plus nette et plus pratique dans l'œuvre de revision qui doit avoir lieu à Rome, cette année même, dans les termes de l'article 14 de la convention.

On a critiqué et on critique avec plus de vivacité encore la disposition de l'article 5 de la convention, aux termes duquel «< l'introduction par le breveté, dans le pays où le brevet a été délivré, d'objets fabriqués dans l'un ou l'autre des États de l'Union, n'entraînera pas la déchéance».

La loi française du 5 juillet 1844 a en effet, dans le but fort légitime de protéger le travail national, déclaré déchu de tous ses droits le breveté qui introduit en France des objets fabriqués en pays étranger et semblables à ceux qui sont garantis par son brevet, et on reproche à la convention du 20 mars 1883 de faire échec à cette disposition, de l'abroger partiellement, de sacrifier dans une large mesure le travail national.

La considération est assurément grave et on conçoit qu'elle ait pu troubler et diviser une partie du commerce et de l'industrie. Comme sur la disposition de l'article 4 nous n'avons ni à défendre ni à combattre en totalité ou en partie la convention de 1883. Nous devons seulement faire remarquer pour bien préciser la portée et le caractère du premier paragraphe de l'article 5 qu'il est suivi d'un paragraphe 2 qui en diminue considérablement les effets possibles au point de vue précisément de cette question de la protection du travail national.

L'article se termine en effet ainsi : « Toutefois le breveté restera soumis à l'obligation d'exploiter son brevet conformément aux lois du pays où il introduit les objets brevetables.

Il résulte de ce second paragraphe que l'inventeur tout en ayant le droit de faire fabriquer à l'étranger les objets pour lesquels il a pris un brevet reste cependant tenu, conformément à la loi du 5 juillet 1844, d'exploiter son invention en France, d'en faire profiter dans une mesure quelconque le travail national et ce à peine de perdre en France le bénéfice de son brevet.

Le correctif est assurément important et les partisans de la conven tion ne manquent pas d'en tirer argument pour défendre l'article 5; il ne nous appartient pas de rechercher ou de dire s'il est suffisant.

Art. 1er. Les gouvernements de la Belgique, du Brésil, de l'Espagne, de la France, du Guatemala, de l'Italie, des Pays-Bas, du Portugal, du Salvador, de la Serbie et de la Suisse sont constitués à l'état d'Union pour la protection de la propriété industrielle. Art. 2. Les sujets ou citoyens de chacun des Etats contractants jouiront, dans tous les autres Etats de l'Union, en ce qui concerne les brevets d'invention, les dessins ou modèles industriels, les marques de fabrique ou de commerce et le nom commercial, des avantages que les lois respectives accordent actuellement ou accordront par la suite aux nationaux.

En conséquence, ils auront la même protection que ceux-ci et le

même recours légal contre toute atteinte portée à leurs droits, sous réserve de l'accomplissement des formalités et des conditions imposées aux nationaux par la législation intérieure de chaque État.

Art. 3. Sont assimilés aux sujets ou citoyens des États contractants les sujets ou citoyens des États ne faisant pas partie de l'Union qui sont domiciliés ou ont des établissements industriels ou commerciaux sur le territoire de l'un des États de l'Union.

Art. 4. Celui qui aura régulièrement fait le dépôt d'une demande de brevet d'invention, d'un dessin ou modèle industriel, d'une marque de fabrique ou de commerce, dans l'un des États contractants, jouira, pour effectuer le dépôt dans les autres États, et sous réserve des droits des tiers, d'un droit de priorité pendant les délais déterminés ci-après.

En conséquence, le dépôt ultérieurement opéré dans l'un des autres États de l'Union avant l'expiration de ces délais ne pourra être invalidé par des faits accomplis dans l'intervalle, soit, notamment, par un autre dépôt, par la publication de l'invention ou son exploitation par un tiers, par la mise en vente d'exemplaires du dessin ou du modèle, par l'emploi de la marque.

Les délais de priorité mentionnés ci-dessus seront de six mois pour les brevets d'invention et de trois mois pour les dessins ou modèles industriels, ainsi que pour les marques de fabrique ou de commerce. Ils seront augmentés d'un mois pour les pays d'outre

mer.

[ocr errors]

Art. 5. L'introduction, par le breveté, dans le pays où le brevet a été délivré, d'objets fabriqués dans l'un ou l'autre des États de l'Union, n'entraînera pas la déchéance.

Toutefois, le breveté restera soumis à l'obligation d'exploiter son brevet conformément aux lois du pays où il introduit les objets brevetés.

Art. 6. Toute marque de fabrique ou de commerce régulièrement déposée dans le pays d'origine sera admise au dépôt et protégée telle quelle dans tous les autres pays de l'Union.

Sera considéré comme pays d'origine le pays où le déposant a son principal établissement.

Si ce principal établissement n'est point situé dans un des pays de l'Union, sera considéré comme pays d'origine celui auquel appartient le déposant.

Le dépôt pourra être refusé si l'objet pour lequel il est demandé est considéré comme contraire à la morale ou à l'ordre public. Art. 7. La nature du produit sur lequel la marque de fabrique

ou de commerce doit être apposée ne peut, dans aucun cas, faire obstacle au dépôt de la marque.

Art. 8. Le nom commercial sera protégé dans tous les pays de l'Union sans obligation de dépôt, qu'il fasse ou non partie d'une marque de fabrique ou de commerce.

Art. 9. Tout produit portant illicitement une marque de fabrique ou de commerce, ou un nom commercial, pourra être saisi à l'importation dans ceux des États de l'Union dans lesquels cette marque ou ce nom commercial ont droit à la protection légale.

La saisie aura lieu à la requête soit du ministère public, soit de la partie intéressée, conformément à la législation intérieure de chaque Etat.

Art. 10. Les dispositions de l'article précédent seront applicables à tout produit portant faussement, comme indication de provenance, le nom d'une localité déterminée, lorsque cette indication sera jointe à un nom commercial fictif ou emprunté dans une intention frauduleuse.

Est réputé partie intéressée tout fabricant ou commerçant engagé dans la fabrication ou le commerce de ce produit, et établi dans la localité faussement indiquée comme provenance.

[ocr errors]

Art. 11. Les hautes parties contractantes s'engagent à accorder une protection temporaire aux inventions brevetables, aux dessins ou modèles industriels, ainsi qu'aux marques de fabrique ou de commerce, pour les produits qui figureront aux expositions internationales officielles ou officiellement reconnues.

Art. 12. Chacune des hautes parties contractantes s'engage à établir un service spécial de la propriété industrielle et un dépôt central pour la communication au public des brevets d'invention, des dessins ou modèles industriels et des marques de fabrique ou de commerce.

Art. 13. Un office international sera organisé sous le titre de <«< bureau international de l'Union pour la protection de la propriété industrielle ».

Ce bureau, dont les frais seront supportés par les administrations de tous les États contractants, sera placé sous la haute autorité de l'administration supérieure de la Confédération suisse et fonctionnera sous sa surveillance. Les attributions en seront déterminées d'un commun accord entre les États de l'Union.

Art. 14. La présente convention sera soumise à des revisions périodiques, en vue d'y introduire les améliorations de nature à perfectionner le système de l'Union.

« AnteriorContinuar »