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Par malheur, Schnoudi les rencontra ensemble. « Suffoqué par l'odeur de l'adultère, il se rappela les terribles jugements que, sur le mont Sinaï, le Seigneur avait ordonné à Moïse d'exécuter; de son bâton, il frappa la terre, qui s'entr'ouvrit, et les deux criminels furent engloutis vivants. »

Ainsi s'exprime le saint homme Visa. En fait, Schinoudi avait commis un horrible assassinat.

Malgré les progrès du monachisme, il se trouvait encore en Égypte des hommes en grand nombre et même des prêtres qui aimaient les créatures de Dieu ». Ils se rendirent près du duc d'Antinoé et accusèrent l'abbé d'Athribis d'avoir tué un homme et une femme. Le duc rendit bonne justice. Il s'empara de Schnoudi, le fit juger et condamner à mort. On raconte que deux anges enlevèrent le saint homme sous le sabre du bourreau. Il est plus croyable que les moines d'Athribis arrachérent leur abbé au supplice. Ils formaient une armée nombreuse et disciplinée, contre laquelle les pouvoirs publics ne pouvaient lutter en ces temps de troubles et d'anarchie.

Tels sont, en résumé, les faits aujourd'hui connus de la vie de Schnoudi. M. Amélineau a le double mérite de les avoir découverts dans des manuscrits coptes et d'en avoir composé un récit suivi, d'un intérêt très vif et lisible pour tout le monde. Schnoudi mourut dans sa cent dix-neuvième année, le 2 juillet 451. Cette date nous est donnée pour certaine, et il faut convenir que les vies des pères du désert fournissent plus d'un exemple d'une semblable longévité.

«

Après lui, dit M. Amélineau, la nuit se fait sur l'histoire de ce monastère de Schnoudi, qui eut un moment tant de célébrité; on ne connaît pas le nom d'un seul des successeurs de Visa. L'oeuvre était condamnée à périr; le monastère seul est resté debout, mais combien déchu de son antique splendeur! Où les pieds de tant de saints, du Messie lui-même, s'étaient posés si souvent, le pied impur de la femme se pose aujourd'hui; les derniers enfants de Schnoudi se sont mariés et ont ainsi introduit dans le sanctuaire de Dieu une abomination de la désolation à laquelle n'avait sans doute point songé le prophète Daniel. Ces pauvres ménages vivent des maigres revenus de rares feddans, pêle-mêle avec les bestiaux qui leur appartiennent. Ils ont toutefois conservé le souvenir de l'homme terrible dont ils croient que l'ombre hante toujours leur demeure. »

C'était un grand et effroyable saint. En Égypte, le christianisme se colore de teintes ardentes dont nous n'avons point l'idée dans nos climats tempérés. Le brillant fanatisme de l'islam y éclate par avance. Il y a déjà du marabout et du mahdi dans les vieux moines chrétiens de la vallée du Nil.

LÉON HENNIQUE1

Pendant que les spirites tenaient au Grand-Orient de France leur congrès international ou, pour mieux dire, leur premier concile œcuménique, je lisais un roman spirite que M. Léon Hennique a publié récemment sous ce titre un Caractère.

M. Léon Hennique a grandi et s'est formé dans le naturalisme. Il est un des conteurs des Soirées de Médan, et ses premiers livres trahissent le souci du « document humain. Mais, par le tourment ingénieux du style et la curiosité fine de la pensée, il procède des Goncourt plutôt que de M. Zola. Il a, comme les deux frères, la vision colorée des temps évanouis, l'amour du rocaille et du rococo, le goût maladif du précieux et du rare. Comme eux, il met de l'apprêt et de la coquetterie dans la brutalité. Mais il est original et singulier par un certain don de rêve, par un certain sentiment de l'idéal,

1. Un Caractère, par Léon Hennique, 1 vo!.

par je ne sais quoi d'héroïque et de fier. Ceux qui ont vu jouer son Duc d'Enghien au Théâtre Libre savent ce que M. Léon Hennique cache de nobles émotions sous l'enveloppe hérissée et contournée de sa forme littéraire. Le roman que je viens de lire, un Caractère, est certes une œuvre peu commune. J'en pourrais dire beaucoup de mal. Je pourrais me plaindre amèrement d'un écrivain qui veut m'éblouir par les scintillements perpétuels d'un style à facettes et qui m'agace les nerfs en voulant me procurer sans trêve ni repos des sensations neuves, d'une excessive ténuité. Je pourrais me venger de toutes les phrases en spirale dont il m'a fatigué et lui demander compte de ces « inanes chimères », de ces « médians soirs », de ces oculaires galas » et autres raretés chez lui trop communes. Mais à quoi bon? Ces artifices de langue et de pensée, ces subtilités violentes, il les a voulus. Cette folie du singulier et de l'exquis le possède tout entier. Il est artiste. Il aime son mal. Ce style couronné d'épines, plus farouche et plus étincelant qu'un Christ espagnol, il l'adore à deux genoux. La foi d'un artiste doit inspirer du respect « à tous les cœurs amis de la forme et des dieux ». Ce que je reproche en somme à M. Hennique, c'est de tendre sous nos pieds, comme la reine d'Argos, un tapis trop riche et d'une splendeur inquiétante. A l'exemple du roi du vieil Eschyle, j'aime mieux l'herbe et la terre natale. Je n'entends pas à la façon de M. Hennique l'art et l'économie du style. Du moins que ce dissentiment ne me rende ni injuste ni amer. Il aime l'art à sa manière, je l'aime à ma façon.

N'est-ce pas une raison pour nous accorder et pour tourner notre commun mépris sur les malheureux qui vivent dans d'éternelles laideurs? « Quand je songe qu'il se fait à cette heure des Docteur Rameau, des Comtesse Sarah et des Dernier Amour, il me prend envie de crier à M. Léon Hennique : Quoi! vous savez la valeur des mots, le prix du style, la noblesse de l'art, et je vous querelle parce que vous êtes trop recherché, trop inquiet, trop précieux, parce que vous vous égarez dans des obscurités étincelantes. Je devrais dire au contraire que tout cela est beau, que tout cela est bien. Car vos pires défauts sont infiniment préférables à la vulgarité des auteurs que chérit la foule. Si pourtant je dois vous faire de nouveaux reproches, qu'il soit entendu que je ne vous attaquerai qu'avec quelque respect. »

Ne serait-il pas juste de parler ainsi? Et ne faut-il pas reconnaître encore que, dans cette forme littéraire d'un artifice parfois irritant, l'auteur de un Caractère a su renfermer une idée morale d'une vraie beauté?

Ce roman, que je viens de lire, m'a profondément touché; et je suis encore sous l'empire de la noble émotion qu'il m'a causée. C'est, avons-nous dit, un roman spirite. A première vue, les tables tournantes, les esprits frappeurs, les médiums typtologues ne semblent pas fournir un sujet bien intéressant d'étude. Ce que j'en ai vu, pour ma part, serait tout au plus la matière d'un petit conte satirique. J'ai amusé, de temps à autre, ma curiosité chez d'excellentes gens adonnées aux sciences psychiques : c'est le nom qu'ils donnent à leurs

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