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que je ne consentirai jamais à devenir la femme d'un autre et que je n'aurai qu'un époux comme je n'ai qu'une âme. »

» Mais M. Tao lui dit :

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Madame, ne jurez point cela.

Oh! monsieur Tao, monsieur Tao! laissez-moi jurer du moins que de cinq ans entiers je ne me remarierai.

» Mais M. Tao lui dit :

Madame, ne jurez point cela. Jurez seulement de garder fidèlement ma mémoire tant que la terre n'aura pas séché sur mon tombeau.

» Madame Lu en fit un grand serment. Et le bon M. Tao ferma les yeux pour ne les plus rouvrir. Le désespoir de madame Lu passa tout ce qu'on peut imaginer. Ses yeux étaient dévorés de larmes ardentes. Elle égratignait, avec les petits couteaux de ses ongles, ses joues de porcelaine. Mais tout passe, et le torrent de cette douleur s'écoula. Trois jours après la mort de M. Tao, la tristesse de madame Lu était devenue plus humaine. Elle apprit qu'un jeune disciple de M. Tao désirait lui témoigner la part qu'il prenait à son deuil. Elle jugea avec raison qu'elle ne pouvait se dispenser de le recevoir. Elle le reçut en soupirant. Ce jeune homme était très élégant et d'une belle figure; il lui parla un peu de M. Tao et beaucoup d'elle; il lui dit qu'elle était charmante et qu'il sentait bien qu'il l'aimait; elle le lui laissa dire. Il promit de revenir. En l'attendant, madame Lu, assise auprès du tertre de son

mari, où vous l'avez vue, passe tout le jour à sécher la terre de la tombe.au souffle de son éventail. »

Quand la vieille eut terminé son récit, le sage Tchouang-Tsen songea :

-La jeunesse est courte; l'aiguillon du désir donne. des ailes aux jeunes femmes et aux jeunes hommes. Après tout, madame Lu est une honnête personne qui ne veut pas trahir son serment.

C'est un exemple à proposer aux femmes blanches de l'Europe.

CHANSONS POPULAIRES

DE L'ANCIENNE FRANCE1

I

CHANSONS D'AMOUR

Beaucoup de curieux vont aujourd'hui à la découverte des sources cachées de la tradition. Les plus humbles monuments de la poésie et des croyances populaires sont soigneusement recueillis. Une société fondée sur l'initiative de M. Paul Sébillot, deux revues spéciales et de nombreuses publications, parmi lesquelles il faut citer les légendes de la Meuse colligées par M. Henry de Nimal, et, tout récemment, l'Histoire de la chanson populaire, par M. Julien Tiersot, attestent l'ingénieuse

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1. Histoire de la chanson populaire en France, par Julien Thiersot, ouvrage couronné par l'Institut, in-8°. Société des traditions populaires, au Musée d'ethnographie du Trocadéro. Revue des traditions populaires (dirigée par M. Paul Sébillot); 4° année, in-8°. La Tradition, revue générale des contes, légendes, chants, usages, traditions et arts populaires, direction: MM. Emile Blémont et Henry Carnoy; 3° année, in-8°.

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activité de nos traditionnistes français. Ce ne sont point là des peines perdues. Les témoignages de la vie de nos aïeux rustiques nous sont doux et chers. Avec leurs assiettes peintes, leurs armoires de mariage où sont sculptées des colombes, avec l'écuelle d'étain où l'on servait la rôtie de la mariée, ils nous ont laissé des chansons, et ce sont là leurs plus douces reliques. Avouonsle humblement le peuple, le vieux peuple des campagnes est l'artisan de notre langue et notre maître en poésie. Il ne cherche point la rime riche et se contente de la simple assonnance; son vers, qui n'est point fait pour les yeux, est plein d'élisions contraires à la grammaire; mais il faut considérer que si la grammaire, comme on dit et ce dont je doute est l'art de parler, elle n'est point assurément l'art de chanter. D'ailleurs, le vers de la chanson populaire est juste pour l'oreille; il est limpide et clair, d'une brièveté que l'art le plus savant recherche sans pouvoir la retrouver; l'image en jaillit soudaine et pure enfin, il a de l'alouette, qu'il célèbre si volontiers, le vol léger et le chant matinal.

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Les pieux antiquaires qu'anime la poétique folie du folk lore, les Maurice Bouchor, les Gabriel Vicaire, les Paul Sébillot, les Charles de Sivry, les Henry Carnoy, les Albert Meyrac, les Jean-François Bladé, qui vont par les campagnes recueillant sur les lèvres des bergers et des vieilles filandières les secrets de la muse rustique, ont transcrit et noté plus d'un petit poème exquis, plus d'une suave mélodie qui s'allaient perdre

sans écho dans les bois et les champs, car la chanson populaire est près de s'éteindre. C'est grand dommage; et pourtant ces présages d'une fin prochaine apportent un attrait puissant: il n'y a de cher que ce qu'on craint de perdre; il n'y a de poétique, hélas! que ce qui n'est plus.

Ces chansons expirantes qu'on recueille aujourd'hui dans nos villages sont vieilles sans doute, plus vieilles que nos grand'mères; mais dans leur forme actuelle, les plus anciennes ne remontent guère plus haut que le XVIIe siècle. Plusieurs sont du joli temps du rococo, et cela se sent à je ne sais quoi.

C'est tout un monde que ces chansons, et tout un monde charmant. On le retrouve du nord au sud, de l'est à l'ouest. Le fils du roi, le capitaine, le seigneur, le galant meunier, le pauvre soldat, le beau prisonnier, et Cathos, et Marion, et Madelon, et les filles sages qui vont par trois, et les filles amoureuses qui content leur chagrin au rossignol, près de la fontaine.

Dans ces petits poèmes rustiques, il y a beaucoup de rossignols; beaucoup de fleurs mêmement des roses, des lilas et surtout des marjolaines. La jolie plante, qu'on a nommée aussi l'origan parce qu'elle se plaît sur les coteaux, où elle dresse parmi les buissons ses grappes de petites fleurs roses, serties délicatement de bractées brunes, apparaît dans les chansons de la glèbe, grâce, sans doute, à son nom musical, à ses tendres couleurs et à son doux parfum, comme l'emblème du désir et de la volupté, comme l'image des ardeurs secrètes, des

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