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CULTE DE LA RAISON

PENDANT LA TERREUR '

1.

Le vote de la constitution civile du clergé avait été le premier pas de la Révolution dans la voie de la persécution religieuse. Alors qu'elle proclamait la liberté de conscience et permettait en conséquence aux protestants et aux juifs d'exercer librement leur culte, elle déclarait, par un singulier déni de justice, la guerre au catholicisme en portant gravement atteinte à sa discipline. Alors que, par la sécularisation de l'État, elle séparait le pouvoir laïque d'avec la société spirituelle, elle s'erigeait, flagrante contradiction, en concile et introduisait brutalement dans le sanctuaire ce même État sécularisé. Désormais, ce n'était plus le pontife romain qui avait à connaître du choix des évêques, ni ceux-ci de la nomination des curés, c'était le peuple souverain, et non pas un peuple foncièrement chrétien, dont ni l'hérésie ni l'incrédulité n'avaient entamé la foi, tel qu'était celui qui, dans ies premiers siècles du christianisme, élisait les pasteurs, mais un peuple où ne régnait plus l'unité de croyances. Pour saisir l'anomalie de l'innovation décrétée par l'Assemblée constituante, qu'on se représente les dignitaires de l'Église catholique choisis par une collectivité dans laquelle entraient des dissidents, des adeptes de l'Encyclopédie ou de parfaits indifférents, anomalie n'existant pas sous le régime des concordats où le dernier mot

1 Documents et ouvrages consultés Archives nationales. Le Moniteur. Les Révolutions de Paris, par Prudhomme. Le Père Duchesne, d'Hébert. L'Histoire des sectes, par Grégoire. Le Nouveau Paris, par Mercier. L'Histoire de la Convention, par Durand-Maillane. La Terreur, études critiques sur l'histoire de la Révolution française, par Wallon. Études sur l'histoire religieuse de la Révolution française, par Gazier. Le culte de la Raison et le culte de l'Etre suprême, par Aulard.

appartient toujours au pape, qui peut refuser l'institution canonique à un sujet douteux. Ici, rien de semblable, puisque celleci était conférée non par le Saint-Siège, mais par le métropolitain contraint de la donner.

Mais la Révolution ne s'en était pas tenue à cette mesure, et, après avoir rendu obligatoire le serment de soumission à la constitution civile, elle priva de leurs fonctions les ecclésiastiques qui ne consentirent pas à le prèter, puis leur enleva leur pension, dette sacrée et imprescriptible, puis encore leur interdit l'exercice, même privé, de leur ministère, et finalement ordonna aux directoires départementaux de prononcer contre eux la déportation si vingt citoyens le demandaient. En somme, elle fit subir à ces malheureux tant de vexations qu'un grand nombre furent absolument forcés de quitter le territoire français. Étrange façon, on l'avouera, de pratiquer la liberté de conscience si pompeusement prônée dans la déclaration des droits de l'homme! Aussi, en recourant à ce monstrueux arbitraire, les législateurs révolutionnaires avaient-ils soin d'affirmer qu'ils ne poursuivaient pas les prètres réfractaires en tant que ministres du culte, mais uniquement comme rebelles, ennemis des lois, fauteurs de désordre, agents de l'émigration; et ils invoquaient bien haut, à l'appui de leurs affirmations, la situation du clergé constitutionnel libre d'officier dans ses temples, protégé et encouragé même par le pouvoir légal du fait seul qu'il avait adhéré à cette fameuse constitution civile, dont la promulgation avait déchaîné immédiatement la guerre religieuse dans toute la France. En réalité, ce prétendu libéralisme n'était que pure hypocrisie; car, si la Révolution défendait et exaltait les assermentés à chaque décret d'ostracisme qui atteignait les réfractaires, elle n'agissait ainsi que par calcul, pour frapper plus sûrement les clercs fidèles, en obtenant contre eux le concours, nécessaire au début, des constitutionnels. Ne fallait-il pas égarer la nation, lui dissimuler la perversité de ses intentions? En eût il été autrement et les gouvernants eussent-ils été sincères, quand ils protestaient de leur respect des croyances, qu'ils auraient dù, après la disparition des insermentés, continuer à épargner les jureurs, sinon à les flatter. Or c'est précisément à partir du moment où il n'y eut plus guère que ceux-ci à exister, les autres ayant été proscrits, ou massacrés dans les prisons, ou étant

obligés de se cacher s'ils voulaient célébrer les mystères, qu'ils commencèrent à les inquiéter.

La question du mariage des prêtres fut l'origine des hostilités. Des curés assermentés ayant pris femme, il y eut des évêques assez osés aux yeux des autorités pour les censurer. Pouvait-on pousser à ce point le fanatisme, lorsqu'on avait été appelé à un siège épiscopal de par la volonté du peuple, de tourmenter des pasteurs patriotes qui n'avaient fait qu'écouter la voix de la nature? C'est, en effet, avec des arguments de ce genre que les fonctionnaires de la Révolution et les Français se piquant de civisme plaidaient la cause des intéressés. Mais les évêques incriminés, loin de se laisser intimider, avaient à cœur de remplir leur devoir, et ni les railleries ni les menaces ne venaient à bout de leurs résolutions. Parmi eux se distinguaient notamment Fauchet, évêque du Calvados, Philbert, évêque des Ardennes, Thuin, évêque de la Seine-et-Marne, et Gratien, évêque de la Seine-Inférieure. Cette résistance ne manqua pas d'exaspérer les fortes têtes qui sommèrent la Convention de sévir. Un débat eut lieu alors sur ce sujet, débat où Danton et d'autres énergumènes attaquèrent, en termes virulents, la conduite des prélats el réclamèrent contre eux des chàtiments draconiens. Cet appel à la violence fut entendu. N'était-on pas entré dans la période troublée où toute motion, si tyrannique et si déraisonnable qu'elle fût, devait rencontrer de nombreux approbateurs? C'est pourquoi l'Assemblée décida, le 19 juillet 1793, de déporter tout évèque qui, soit directement, soit indirectement, s'opposerait au mariage de ses prètres. Remarquez qu'il était impossible, cette fois, de dire qu'on voulait réprimer les menées de conspirateurs ou de révoltés comme quand on avait eu affaire aux insermentés. C'était donc le fait de rappeler à leur clergé les prescriptions fondamentales de la discipline ecclésiastique et de s'efforcer d'en imposer l'observation qu'on imputait à crime aux chefs des diocèses. Il était logique, étant donné pareil esprit sectaire, que la Convention, impitoyable envers les prélats défenseurs du célibat, réserval sa bienveillance aux curés empressés à s'en affranchir. Aussi, complétant son premier décret, en adopta-t-elle un second le 12 août suivant, lequel annulait la destitution des ministres du culte catholique prononcée en raison de leur union matrimoniale. Et comme, en dépit de ces dispositions législatives, il y

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avait des communes très républicaines et en même temps très attachées à la religion qui, ne se souciant pas d'être desservies par des pasteurs mariés, les chassaient de chez elles, elle ordonna, le 17 septembre, que ces communes seraient tenues de pourvoir sur leur budget aux besoins des prêtres renvoyés. Enfin, pour couronner cette belle politique, elle acclama l'évèque constitutionnel de Périgueux qui, le 22 septembre, présenta à sa barre l'épouse qu'il avait choisie, déclarait-il, pauvre de fortune, mais riche de vertus, parmi la classe des sans-culottes. » S'il était interdit à l'épiscopat de frapper de peines canoniques les lévites violateurs de leurs voeux, il ne lui était pas davantage permis d'enseigner à ses ouailles les préceptes de l'Évangile; et lorsque, après le vote de la loi du divorce, il eut, dans ses mandements, insisté sur le caractère indissoluble du mariage, vite il fut dénoncé au pouvoir et traité de contre-révolutionnaire. Ainsi, pour qu'un membre du clergé désarmât les colères de la Révolution, il ne lui suffisait pas d'avoir prêté le serment, il fallait encore qu'il ne fût plus prêtre que de nom. Et ceux-là seuls qui se coiffaient du bonnet rouge dans les églises, lisaient en chaire les arrêtés de l'Assemblée, s'enrôlaient dans les rangs de la garde nationale, et surtout se mariaient avec éclat, étaient assurés de recueillir les applaudissements de la tourbe jacobine qui, au fond, cependant méprisait leur lâcheté.

Néanmoins, malgré ces persécutions incessantes, il y avait toujours des traditions chrétiennes auxquelles restait fidèle la nation, et, au milieu de toutes les destructions, le dimanche continuait universellement à subsister. Les croyants qui ce jourlà emplissaient les temples, les travailleurs qui se reposaient au sein de leur famille du rude labeur de la semaine, les marchands qui fermaient leurs magasins pour aller respirer l'air des champs, le monde officiel et administratif lui-même qui s'abstenait de vaquer à ses occupations, reconnaissaient tous explicitement ou implicitement l'institution du chômage dominical établie par le christianisme. Or, un tel scandale ne pouvait plus longtemps durer. La République française une et indivisible devait suppri mer de suite le calendrier grégorien, œuvre d'un pape, qui insultait à la raison par l'éponymie des saints et qu'avaient adopté la plupart des monarchies d'Europe. Les révolutionnaires n'eurent d'ailleurs pas à beaucoup chercher afin d'inventer

une excentricité nouvelle. Comme le principal était d'abolir le dimanche, ils eurent l'idée de mettre en pratique l'Almanach des honnêtes gens, qu'avait publié en 1788 le littérateur Sylvain Maréchal, où le mois était divisé en décades et d'où ces pauvres saints étaient exclus; ce qui avait valu à l'auteur une condamnation à l'emprisonnement pour cause d'impiété. Et voilà comment le fameux calendrier républicain, proposé le 20 septembre 1793 et adopté le 5 octobre, auquel Fabre d'Églantine et Romme sont redevables d'une partie de leur célébrité, n'est autre chose que la démarcation d'un ouvrage d'un publiciste bien oublié aujourd'hui, qui ne se doutait guère sur le moment avoir travaillé pour le compte de la Révolution. Désormais le décadi remplaçant le dimanche, les usages séculaires de la France étaient complètement bouleversés; on se trouvait en présence d'une transformation radicale, dont le caractère antichrétien était manifeste. Aussi, M. Aulard, dans un livre où au demeurant abondent les incohérences, a très judicieusement écrit en jugeant cette réforme que c'était arracher au catholicisme sa parure et son prestige, c'était l'expulser violemment de l'habitude natio« nale 1. » Un tel aveu d'un grand admirateur de la Convention n'est-il pas à retenir?

Si les catholiques gémissaient de cette folie, ils n'étaient pas ébranlés dans leur ferveur et persistaient à fréquenter les offices le dimanche, considérant le décadi comme non avenu. Or cela allait à l'encontre des intentions du jacobinisme; car, pour les révolutionnaires, le changement de calendrier était le prélude indiqué de l'abolition du christianisme. Au nom de la liberté, qu'on ne manqua jamais d'invoquer à cette époque sinistre où fleurit la tyrannie la plus révoltante, la superstition était condamnée à disparaitre. Les journaux, à cette occasion, redoublaient de fureur, et, d'accord avec les clubs, préconisaient les pires mesures. A propos de la confession, Prudhomme, dans les Révolutions de Paris, imprimait en propres termes que la peine de mort ne serait pas de trop contre ceux qui confessent et ceux qui se confessent. Songez à l'effet produit par de telles excitations qui seront écoutées à la lettre, puisque le temps est proche où le seul fait de se dire catholique suffira à

»

Aulard: Le culle de la Raison et le culte de l'Être suprême p. 32.

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