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taient qu'ils la feroient ardoir si elle tombait entre leurs mains, et manquaient rarement de fuir à son aspect. Ces menaces de faire ardoir la jeune guerrière, menaces qui ne furent que trop accomplies, révèlent tout ce qu'il y avait d'humiliation et de rage dans les troupes anglaises mises en déroute par une bergère. Les compagnons de Talbot, de Glacidas et de Suffolck finirent par perdre la tête; leur imagination troublée crut voir saint Michel et de blanches légions d'anges dans les rangs des guerriers français; les armes leur tombaient des mains à l'aspect de la flamboyante épée de l'archange; telle était leur contenance au milieu des efforts d'une bravoure inutile, qu'on eût pu croire qu'ils se débattaient sous le pouvoir de Dieu.

Dans des pages précédentes, en étudiant le caractère de Jeanne et la situation où se trouvait alors le pays, nous avons expliqué suffisamment la mission que la fille de Jacques d'Arc croyait avoir reçue du ciel. Maintenant, si on nous demande comment une jeune villageoise, qui jusque-là n'avait été occupée que de filer, de coudre et de garder les brebis, a pu se montrer tout à coup sur un champ de bataille, diriger des manœuvres et des attaques de manière à étonner les chefs les plus habiles, nous ne saurons que répondre. Nous n'examinerons pas ici jusqu'à quel point on doit ajouter foi à diverses prédictions de la Pucelle touchant le siége d'Orléans, dont l'accomplissement est consigné dans les récits contemporains; nous consentons à séparer de l'histoire ce qui appartient trop évidemment à la région des miracles; nous prenons les événements tels qu'ils sont reconnus par tout le monde. Il y avait sept mois que la ville d'Orléans était assiégée; toutes les forces de la France n'avaient pu suffire pour repousser les Anglais; une jeune bergère arrive, se met à la tête d'une troupe bien inférieure en nombre aux troupes ennemies, et emporte dans trois jours les bastilles et les boulevards élevés par les assiégeants. Des chefs tels que Dunois, Xaintrailles et La Hire obéissent à la jeune fille comme à un général qui aurait vieilli sur les champs de bataille, et ne peuvent expliquer que par un miracle la supériorité de Jeanne dans la tactique militaire. Le duc d'Alençon, qui n'avoit pu prendre part à ces combats, mais qui avait visité les débris des redoutes anglaises peu de temps après la levée du siége, dépose « qu'il croit qu'elles ont été prises >> plutôt miraculeusement que par force d'armes, >> principalement la bastille des Tournelles, au >> bout du pont, et la bastille des Augustins, dans » lesquelles il eût bien osé se défendre, pendant >> six ou sept jours, contre toute puissance d'hom>> mes d'armes ; et lui semble qu'il n'eût pas été » pris. Et selon qu'il l'entendit rapporter par les

(1) Déposition du duc d'Alençon. Histoire de Jeanne d'Arc, par M. Le Brun des Charmettes, tome II, pages 124 et 125.

»> gens d'armes et capitaines qui s'y trouvèrent, >> presque tout ce qui fut fait alors à Orléans ils >> l'attribuoient à un miracle de Dieu, et que ces >> choses n'avoient pas été faites par œuvre hu>> maine, mais provenoient d'en haut. Et il l'enten» dit dire, entre autres, plusieurs fois, à messire » Ambroise de Lore, qui fut depuis prévôt de » Paris (1). » Quant à nous, nous n'avons pas de meilleures explications à donner que celles des plus grands capitaines de cette époque.

La première partie de la mission de Jeanne était accomplie; le siége d'Orléans était levé; il restait encore à la Pucelle à mener le roi à Reims. Cette entreprise était au moins aussi difficile que la première; le souvenir des merveilles d'Orléans ne pouvait suffire pour décider le roi et les chefs de l'armée à faire le voyage de Reims. << Noble Dauphin, disait Jeanne au prince, ne >> tenez plus tant et de si longs conseils, mais ve>> nez au plutôt à Rheims prendre votre digne >> couronne. >> Charles, ne pouvant résister à l'impatience et aux promesses de la Pucelle, lui ré– pond qu'il prendra le chemin de Reims dès qu'on aura enlevé aux Anglais les places occupées par eux aux bords de la Loire. Aussitôt la Pucelle veut qu'on marche contre la ville de Jargeau; quelques chefs de guerre, qui s'obstinaient à raisouner d'après les règles de la prudence hu| maine, trouvent que le nombre de leurs troupes est trop petit pour oser attaquer une place comme Jargeau. « Ne craignez, dit Jeanne, aucune mul>> titude, et ne faites point difficulté de donner as>> saut à ces Anglois; car Dieu conduit votre œu» vre. Croyez que si je n'étois pas sûre que Dieu >> même conduit ce grand ouvrage, je préférerois >> garder les brebis à m'exposer à tant de contra>> dictions et de périls (2). » L'enthousiasme gagne tous les chefs, on se dirige sur la ville de Jargeau, et la place, quoique défendue par Suffolck et par les plus valeureux capitaines d'Angleterre, ne tarde pas être emportée d'assaut. Le duc d'Alençon, qui marchait à côté de la Pucelle, paraissait hésiter à livrer une attaque générale comme l'avait résolu la jeune amazone : « Ah! >> gentil duc, as-tu peur? lui dit Jeanne, ne sais» tu pas que j'ai promis à ton épouse de te rame» ner sain et sauf? » Jeanne d'Arc se trouvant, comme de coutume, au premier poste du danger, fut frappée à la tête d'une pierre énorme lancée par un guerrier anglais; son casque la préserva; toutefois elle avoit reçu un trop rude coup pour ne pas en être étourdie; elle tomba et resta comme prosternée au pied de la muraille. « Amys, >> amys, sus, sus! s'écria bientôt la Pucelle en so >> relevant avec une ardeur nouvelle, ayez bon >> courage; notre sire a coudempné les Angloys; >> à cette heure ils sont tous nostres! » Ces paroles furent le signal de la dernière ruine des dé

(2) Déposition du duc d'Alençon. Histoire de Jeanne d'Arc, par M. Le Brun des Charmettes, t. II, p. 166.

fenseurs de Jargeau. La prise de cette ville fut suivie de la prise d'autres places des bords de la Loire, telles que Meun et Baugency; puis vient cette bataille de Patay où se montre avec tant d'éclat le merveilleux génie de Jeanne d'Arc, cette bataille qui détruisit les restes de la formidable armée destinée par le comte de Salisbury à consommer l'invasion. Ce ne fut point sans difficulté que la Pucelle entraîna les troupes françaises dans les plaines de Patay; ies guerriers français, effrayés par le souvenir de tant de défaites en bataille rangée, n'osaient pas attaquer les Anglais en rase campagne; pour vaincre leurs hésitations, il fallut l'irrésistible ascendant de la jeune héroïne: « Qu'on aille hardyment contre » les Anglois, disoit-elle, sans faille ils seront >> vaincus; s'ils estoient pendus aux nues, nous >> les aurons; car Dieu nous a envoyés pour les >> punir. Le gentil roy aura aujourd'huy la plus >>grant victoire qu'il eut pieçà; et m'a dit mon >> conseil qu'ils sont tous nostres. >>

Chose remarquable! malgré tant de succès inespérés, tant de promesses accomplies, le roi et la plupart des chefs n'avaient pas une entière et ferme confiance dans la mission de Jeanne d'Arc; après chaque triomphe, Jeanne était la vierge inspirée, mais on paraissait douter de son pouvoir toutes les fois qu'elle conseillait de nouvelles entreprises. Comme les hésitations se renouvelaient chaque jour, il fallait que Jeanne répondit chaque jour par des prodiges; l'héroïne de Domremy se trouvait donc dans la nécessité d'opérer de continuels miracles. Après la bataille de Patay, Jeanne ne manqua pas de contradicteurs pour le voyage de Reims; il est vrai qu'en la jugeant d'après les prévisions humaines, cette entreprise était fort imprudente, car la petite armée française avait quatre-vingts lieues de pays à traverser et devait rencontrer plusieurs places fortes; mais les projets de Jeanne n'étaient pas de ceux qu'ont pût apprécier avec des jugements ordinaires; la mission de Jeanne une fois accréditée par d'incroyables victoires, il fallait laisser faire l'héroïne, et suivre aveuglément son étendard : c'était la seule et la meilleure politique du moment. Grâce à la fermeté de Jeanne, l'armée française se met en route pour Reims; partie de Gien vers la fin de juin 1429, elle arrive d'abord devant Auxerre à qui on permet, moyennant une fourniture de vivres, de garder provisoirement la neutralité, et qui, pour faire obéissance au roi, attend quel sera le sort de Troyes, de Châlons et de Reims. La ville de Troyes, défendue par de bonnes murailles et des fossés profonds, refuse d'ouvrir ses portes; c'est à Troyes qu'avait été signé ce fameux traité qui excluait à jamais Charles VII du trône, et cette place était celle dont le gouvernement du roi avait le plus à se plaindre. Les princes et les chefs de l'armée furent partagés en diverses opinions sur la conduite à tenir à l'égard de la ville de Troyes; les uns voulaient passer outre et marcher droit sur

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Reims, les autres étaient d'avis de retourner à Gien; ceux qui voulaient attaquer la place étaient en bien petit nombre. Il se tint à ce sujet une assemblée où la Pucelle ne fut point appelée. Un vieillard nommé Jean-le-Masson, seigneur de Trèves, qui avait été autrefois chancelier, interrogé à son tour par le président de l'assemblée, dit : « Qu'on debvoit parler expressément à la Pucelle, » par le conseil de laquelle avoit été entreprins >> celluy véage; et que, par adventure, elle y » bailleroit les moyens.... Quant le roy est parti » et qu'il a entreprins ce véage, il ne l'a pas faict » pour la grant puissance de gens d'armes qu'il >> eust, ne pour le grand argent de quoy il » fust garny pour payer son ost, ne parce que le» dit véage lui fust et semblast estre bien possi» ble; mais a seulement entreprins ledit véage >> par l'admonstrement de ladite Jehanne, laquelle >> lui disoit toujours qu'il tirast en avant, pour aller » à son couronnement à Rheims, et qu'il y trou>> veroit bien peu de résistance, car c'estoit plaisir >> et voulonté de Dieu. » Ce langage était celui du bon sens. A peine venoit-on d'entendre ce vieillard que Jeanne frappe à la porte de l'assemblée; elle entre, elle parle, toutes les opinions lui obéissent, et le siége de la ville est décidé. Jeanne d'Arc, rayonnante d'inspiration et de bravoure, commande tous les préparatifs d'un assaut, et, le 9 juillet, les trompettes donnent le signal; une grande terreur s'empare des assiégés à la vue de la Pucelle; on sollicite à genoux la grâce d'une capitulation; Charles VII traite avec les habitants. Une chronique dit que les Anglais et les Bourguignons, du haut de leurs murailles, furent si épouvantés de l'aspect de Jeanne, qu'ils crurent voir dans leur trouble une nuée de papillons blancs voltiger autour de son étendard; plus tard, au siége de Château-Thierry, on parlait aussi de papillons blancs trouvés dans l'étendard de Jeanne. D'après les croyances du temps, ces papillons signifiaient que la bannière de Jeanne était enchantée et qu'une multitude de génies invincibles combattaient avec elle. Cette vision était de nature à jeter l'effroi ; les habitants de Troyes, qui ne savaient de Jeanne que ce que les Anglais leur avaient dit, regardaient la jeune héroïne comme une sorcière ou une fée. La population de Châlons, précédée de son évêque, accourut au devant de Charles VII; le bruit de ses prodiges devançait la Pucelle. Jeanne se trouvait tout près de Domremy; elle reçut la visite de quatre habitants de son village, dont l'un était son parrain Jean Morel. Combien cette entrevue dut être touchante ! Quelle douce joie pour Jeanne! Il est probable que des larmes s'échappèrent des yeux de la jeune fille, quand les images de son enfance obscure et les souvenirs de la chaumière vinrent se mêler ainsi tout à coup aux images de la guerre et de la victoire, aux préoccupations d'une entreprise qui allait décider du destin du royaume. Les bons villageois demandèrent à Jeanne si elle ne craignait point

la la mort dans les batailles : « Je ne crains que » trahison,» répondit-elle. N'y avait-il pas dans ces mots de Jeanne un triste pressentiment!

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Enfin Charles VII arrive sous les murs de Reims; les habitants n'osent pas tenter une résistance; ils déposent aux pieds du roi les clés de leur cité; Charles entra solennellement dans la ville « avec grand nombre de chevalerie et son >> armée entièrement, là où estoit Jehanne la >> Pucelle qui fut moult regardée de tous. » La cérémonie du sacre fut fixée au lendemain 17 juillet. Toujours préoccupée des intérêts du royaume, la Pucelle dicte dans la matinée une lettre au duc de Bourgogne pour l'engager à faire la paix avec Charles VII. L'huile sainte coula sur le front du roi au milieu de la pompe la plus solennelle. Tous ceux qui avaient accompagné le monarque dans le belliqueux voyage de Reims, assistaient au couronnement. Jeanne, qui voyait ainsi s'accomplir les promesses du ciel; Jeanne, qui avait mené le roi à Reims à travers tant de périls et tant de prodiges, était placée près de l'autel, tenant en main son étendard. Quel moment pour elle! Si son âme eût été moins naïve et moins sainte, quel légitime orgueil elle eût pu montrer dans cette touchante fête ! Mais Jeanne l'héroïne gardait dans son triomphe l'humilité de Jeanne la bergère, et ce n'est qu'à son étendard qu'on reconnaissait la libératrice du royaume. Aussitôt que la dernière cérémonie du couronnement fut terminée, Jeanne d'Arc s'avança vers le roi, s'agenouilla devant lui et l'embrassa par les jambes plorant à cauldes larmes. « Gentil roy, » lui dit-elle, ores (maintenant) est exécuté le >> plaisir de Dieu, qui vouloit que levasse le siége » d'Orléans, et que vous amenasse en cette cité » de Rheims recepvoir votre Saint-Sacre, en >> montrant que vous estes vray roy, et celluy » auquel le royaulme de France doibt apparte>>nir.» Jeanne conjura ensuite le roi de la laisser regagner son village de Domremy, puisque sa mission était finie: « Moult faisoit grant pitié, >> dit un vieil historien, à tous ceulx qui la regardoient. » Le spectacle de la jeune bergère qui, après avoir sauvé le royaume et dans le moment même de son triomphe, supplie le roi de lui permettre de retourner au village auprès de sa mère, auprès de ses brebis, est peut-être le plus sublime spectacle que l'histoire ait pu jamais offrir. Jeanne avait été suivie dans cette expédition de Reims par deux de ses frères, Pierre et Jean; elle trouva dans cette ville son père Jacques d'Arc et son oncle Durand Laxart; ce dut être une joie bien vive pour la jeune fille; elle dut sentir un bonheur bien plus grand que tout ce que pouvaient lui donner les jouissances de la victoire. D'ailleurs la victoire n'avait jamais eu rien d'enivrant pour Jeanne; l'héroïne n'attribuait rien à elle-même, et ne se considérait que | comme l'instrument du sire Dieu. Quelqu'un lui ayant dit qu'on ne lisait dans aucun livre rien de semblable à son fait; « Monseigneur (Dicu), ré

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>>pondit-elle, a un livre dans lequel oncques >> aucun clerc ne lit, tant soit-il parfait en cléri>> cature. >>

Nous allons entrer dans une serie d'événements où l'intérêt le plus triste se mèle à notre admiration pour la Pucelle. Après le sacre de Reims, Jeanne veut se retirer parce que sa mission est accomplie; elle veut retourner aux champs, parce qu'elle n'a plus rien à faire à la guerre, et ses supplications ne sont pas écoutées; Charles VII ne veut point se séparer d'un tel appui. Jeanne obéit au roi. Elle se montrera de nouveau sur les champs de bataille; ce sera toujours la même bravoure, le même dévouement, mais ce ne sera plus le même enthousiasme, la même confiance; il lui semble que Dieu ne la mène plus par la main. Comme son étendard opérera moins de prodiges, elle verra augmenter le nombre de ceux qui ne croient point en elle. Jeanne aura beau dire que son rôle est fini; elle aura beau annoncer qu'elle ne répond plus des évenements; s'il y a des revers, c'est sur elle que tomberont les murmures. Disons aussi que Jeanne souffrira de la jalousie et de l'ingratitude des chefs; il s'en trouvera plusieurs qui ne lui pardonneront point sa gloire. Nous nous bornerons ici à l'indication des événements. Après le sacre de Charles VII à Reims, diverses places voisines se soumettent au roi, telles que Vailly à 4 lieues de Soissons, Laon, Neufchatel, Crespy, Compiègne, La Ferté - Milon, Château-Thierry d'où sont datées les lettres-patentes qui exemptent les villages de Domremy et de Greux de toutes tailles, aydes el subventions à cause de la Pucelle : viennent ensuite la journée de Mont-Piloer près de Senlis où les Français et les Anglais ne purent engager entre eux que de vives escarmouches, et l'occupation de Saint-Denis où Jeanne d'Arc reçut les hommages de la multitude. « Venoient les pauvres gens Voulentiers à elle, » pour ce qu'elle ne leur faisoit point de des» plaisir, mais les supportoit à son pouvoir. >> La Pucelle suspendit pieusement ses armes devant la chasse de l'apôtre protecteur du royaume. Il était beau de voir la libératrice de la France faire ainsi hommage de sa bravoure au saint patron de nos rois. On place à l'époque du passage de Jeanne à Saint-Denis un accident auquel les esprits superstitieux attachèrent une signification importante. La vierge de Domremy, qui montra toujours la plus grande horreur pour les femmes de mauvaise vie, frappant un jour du plat de son épée une de ces femmes qu'elle avait surprise au milieu des soldats, rompit son épée en deux; c'était la célèbre épée trouvée miraculeusement dans l'église de Sainte-Catherine de Fierbois. On vit dans cet accident un fatal présage. Le roi lui-même en fut bien desplaisant; il dit à Jeanne qu'elle aurait mieux fait de prendre ung bon baston et frapper dessus. C'est au siège de Paris que Jeanne d'Arc rencontra le premier échec; jamais elle ne déploya plus de courage; mais ce n'est point le

capitale du royaume et un Te Deum fut chanté à Notre-Dame; Paris tenait encore pour les Anglais et les Bourguignons: exemple frappant qui révèle tout ce qu'il y a de misérable dans les partis, qui montre combien il y a loin de l'esprit de faction au véritable patriotisme.

En parlant des derniers événements de la vie militaire de Jeanne d'Arc, nous avons eu occasion d'observer que les exploits de la jeune fille lui avaient attiré la jalousie et même la haine de plusieurs de ses compagnons de guerre. Abandonnée sous les murs de Compiègne, et obligée de lutter avec un grand nombre d'assaillants, elle était parvenue, à force de bravoure, à gagner le pied du boulevard du pont, et les renseignements les plus probables nous disent que la Pucelle trouva la barrière fermée. Les habitants de Compiègne, qui ne connaissaient pas les mauvaises passions et ne songeaient qu'au salut de la libératrice du royaume, sonnèrent les cloches; mais les chefs restèrent sourds au tocsin d'alarme, personne ne se présenta pour défendre Jeanne. On a accusé Guillaume de Flavy, gouverneur de Compiègne, d'avoir fait fermer la barrière. Ce que l'histoire nous apprend du caractère et des mœurs de Guillaume de Flavy ne fait que donner du poids à cette odieuse accusation (2): c'était un homme d'un cœur peu élevé; il pouvait craindre que Jeanne ne lui ravît la gloire de la défense de Compiègne; c'était un homme de mauvaise vie, et Jeanne, qui se montra toujours si sévère en matière de mœurs, avait peut-être reproché parfois sa conduite à Guillaume de Flavy; ce double motif avait bien pu faire naître dans son àme une idée de vengeance. Guillaume de Flavy périt tragiquement son barbier lui coupa la gorge par l'ordre de sa femme, et celle-ci l'acheva en l'étouffant; un des griefs que cette dame reprochait à son mari était la captivité de la Pucelle. Cette prise de la jeune héroïne, qui causa plus de joie aux Anglais que les victoires de Crécy et d'Azincourt, peut donc être imputée avec quelque vérité à une trahison des chefs français : c'est là une honteuse page que nous voudrions effacer de l'histoire de cette époque. Tombée entre les mains de Lionel, bâtard de Vendôme, la Pucelle fut confiée à la garde de Jean de Luxembourg, qui commandait le siége.

conseil de ses voix qui l'avait poussée là. Cruel- | France, des feux de joie furent allumés dans la lement blessée sous les murs de la ville, Jeanne voulut rester au poste du péril; elle « ne s'en >> vouloit retourner ne retraire en aucune manière, » pour priere et requeste que luy feissent plu>> sieurs. Par diverses fois l'allèrent querir de soy >> en partir, et lui remontrèrent qu'elle devoit >> laisser celle entreprise. » Il fallut que le duc d'Anjou l'allast querir et la ramenast luy-même. Il y a dans cette obstination de Jeanne à vouloir mourir sous les murs de Paris quelque chose qui révèle de l'amertume et du desespoir; la Pucelle avait à se plaindre des chefs et de l'armée, et de sinistres pensées remplissaient son ame. Les troupes françaises repassent la Loire ; on arrive à Meun-sur-Yèvre; c'est là que « pour rendre » gloire à la haute et divine sagesse de grâces >> nombreuses et éclatantes dont il avoit plu à >> Dieu de le combler par le célèbre ministère de » sa chère et bien aimée la Pucelle Jeanne » d'Arc de Domremy, » Charles VII accorda des lettres de noblesse à la jeune guerrière et à toute sa famille; par une exception qui n'est pas difficile à expliquer, la postérité féminine était comprise dans ces lettres. La prise de Saint-Pierre-le-Moutier, à 4 lieues du confluent de l'Allier et de la Loire, et la victoire sur le célèbre Franquet d'Arras dans les environs de Lagny, peuvent être comptées au nombre des journées les plus glorieuses de Jeanne d'Arc. Que dironsnous de la défense de Compiègne où d'admirables faits d'armes ne purent sauver Jeanne de la captivité? Les deux saintes ses amies avaient annoncé à la jeune guerrière, sur les fossés de Mefun, qu'elle tomberait entre les mains de l'ennemi avant la Saint-Jean, et la Pucelle avait répondu à ses voix qu'elle aimerait mieux mourir que d'être prise par les Anglais. On s'étonne qu'avec la certitude de sa captivité prochaine, Jeanne ait pu montrer encore tant d'élan, tant de valeur dans les derniers combats où elle a figuré; on s'étonne que cette prédiction, dont l'accomplissement n'était point douteux pour la jeune fille, ne l'ait point jetée dans un profond découragement; mais la force de caractère est un des miracles de son histoire. Au moment du grand péril de la Pucelle sous les murs de Compiègne, on sonna les cloches de la ville pour appeler tous les guerriers de la garnison au secours de l'héroïne; inutile et dernier hommage à la libératrice de la France. Nous savons avec précision le lieu où Jeanne fut faite prisonnière; c'est elle qui nous l'a appris : « Près du boulevart fut prinse, et >> estoit la rivière entre Compiègne et le lieu où » elle fut prinse, et n'y avoit seulement entre le » lieu où elle fut prinse, que la rivière, le bou>> levart et le fossé dudit boulevart (1). » Une des

Les prisons de la Pucelle. Jeanne fut d'abord conduite, avec une nombreuse escorte, au château de Beaulieu ses voix lui disaient que sa captivité ne serait que passagère, et qu'elle retourne rait à Compiègne; aussi ne s'occupait-elle que des moyens de s'évader; étant un jour parvenue à passer entre deux poutres placées dans une cloison, elle sortit de la chambre où elle était enferbizarres et des tristes particularités de cette épo-mée, et se disposait à sortir du château, lorsque que, c'est qu'à la nouvelle de la prise de la Pule concierge l'aperçut et jeta un cri d'alarme ; celle, de la jeune guerrière qui avait sauvé la ramenée par ses gardes, elle entra dans sa pri

(1) Interrogatoire du 10 mars 1430.

(2) Voyez les Mémoires de Duclerq.

son,

en disant qu'il ne plaisoit pas à Dieu qu'elle | échappât pour cette fois.

Après cette tentative, Jeanne d'Arc fut conduite au château de Beaurevoir, à quatre lieues de Cambrai. Ce château était habité par l'épouse et la sœur de Jean de Luxembourg. Quand on n'a- | vait point vu Jeanne d'Arc, on pouvait avoir des préventions contre elle, surtout lorsqu'on vivait parmi les Bourguignons et les Anglais; mais, pour ceux qui la voyaient, ces préventions ne manquaient pas de faire place à des sentiments affectueux. Enfermée dans un donjon, elle y reçut toutes les consolations que pouvaient lui donner les dames du château; toutefois ces dames, si pleines de charité, ne pouvaient voir sans une espèce de scrupule la jeune captive avec les vêtements d'un autre sexe; elles lui offrirent plusieurs fois des habits de femme, et la pressèrent de s'en revêtir; Jeanne, persuadée que le vêtement qu'elle portait tenait à la mission toute guerrière que Dieu lui avait donnée, refusa de se rendre à leurs instances, et rien ne fut plus douloureux pour elle que ce refus, car elle disait dans la suite, que si elle avait eu à reprendre l'habit de femme, elle l'eust plutost fait à la requête de ces deux dames, que d'autres dames qui fussent en France, excepté sa royne.

Cependant les Anglais, auxquels Jeanne avait fait tant de mal, n'étaient pas rassurés par sa captivité ; ils pouvaient craindre à tout moment qu'elle ne fût échangée, ou qu'on ne la délivràt en payant sa rançon: il importait à la politique anglaise de perdre Jeanne dans l'opinion des peuples et de la faire juger et condamner comme un instrument des mauvais esprits, ou comme une ennemie de l'Eglise. Le roi d'Angleterre et son conseil avaient envoyé plusieurs fois vers le duc de Bourgogne et vers Jean de Luxembourg; ils demandaient que la prisonnière leur fût livrée, à quoi icelui Luxembourg ne vouloit entendre, et ne la vouloit bailler à nulle fin, dont ledit roi d'Angleterre estoit bien mal content. Dans le même temps, un frère Martin, maître en théologie et vicaire-général de l'Inquisition au royaume de France, écrivit au duc de Bourgogne et au comte de Luxembourg, pour les inviter à remettre en son pouvoir la jeune captive; il demandait au nom de la foi catholique qu'on amenat par devers lui ladite Jeanne, soupçonnée véhémentement de plusieurs crimes sentant l'hérésie. On engagea sans doute aussi l'Université de Paris à se mettre en avant dans cette affaire, et celle-ci se laissa facilement aller à des démarches qui s'accordaient d'ailleurs avec les passions dont elle était dominée; elle écrivit au duc de Bourgogne, et lui demanda au nom de l'église que Jeanne fût traduite devant un tribunal ecclésiastique, comme suspecte de magie et de sortilége. Le duc de Bourgogne ne répondit point à la lettre de l'Université.

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Les Bourguignons n'avaient pas pour Jeanne d'Arc la même aversion que les Anglais. Jean de Luxembourg et le bâtard de Vendôme se montraient peu disposés à livrer Jeanne à des enne

mis qui annonçaient trop ouvertement l'intention de la persécuter. Une seule chose aurait pu étouffer dans leur cœur la voix de l'humanité et les sentiments de la chevalerie: ils espéraient tirer de leur prisonnière une grosse rançon ; et dans les lettres de l'inquisiteur comme dans celles de l'Université de Paris, on ne parlait que des dangers de la foi, que des dangers du royaume; on n'y disait pas un mot du prix qu'on pouvait mettre à la rançon de Jeanne.

Les ennemis de la Pucelle jugèrent donc à propos d'employer de nouveaux moyens, et de mettre en avant d'autres raisons que celles qu'on avait fait valoir jusque là. Ce fut alors qu'on s'adressa à l'évêque de Beauvais. La Pucelle, disait-on, avait été prise dans son diocèse; on lui représenta qu'il était de son devoir de la poursuivre, et de s'associer pour cela avec le vicaire de l'Inquisition. L'évêque de Beauvais ne fut point, comme on l'a dit, celui qui commença cette affaire odieuse, et c'est bien assez pour lui de la honte qui s'est attachée à son nom pour la conduite qu'il tint plus tard dans le procès de Jeanne : « Le roi d'Angleterre (nous >> copions ici le manuscrit d'Orléans) fut conseillé » de mander l'évêque de Beauvais, auquel il fit >> remonstrer que ladite Pucelle usoit d'art ma» gique et diabolique, et qu'elle estoit hérétique; » qu'elle avoit été prise en son diocèse, et qu'elle >> y estoit prisonnière; que c'estoit à lui à en pren>>dre connoissance et en faire justice, et qu'il de>> voit sommer ledit duc de Bourgogne et ledit « Luxembourg de lui rendre ladite Pucelle, pour >> faire son procès. » On ajoutait à ces représentations qu'il seroit payé telle somme raisonnable qu'il seroit trouvé qu'on devroit payer pour sa rançon après plusieurs remontrances, ledit évêque consentit à ce que les Anglais voulaient, si on trouvait qu'il le deust et peust faire, et promit de prendre conseil de messieurs de l'Université de Paris.

L'Université ne fit attendre ni ses avis ni ses démarches; elle s'adressa une seconde fois au duc de Bourgogne, et lui représenta que la foi catholique, la France, toute la chrétienté serait en très-grand péril, si la Pucelle sortait de sa captivité sans convenable réparation; la gloire de Dieu et le salut du royaume exigeaient que Jeanne d'Arc fût livrée au pouvoir ecclésiastique, et remise à l'évêque de Beauvais, son juge naturel. L'Université, écrivant en même temps à Jean de Luxembourg, lui parlait des maux que la Pucelle avait faits à la religion, au royaume très-chrétien; des méfaits innumérables de Jeanne, de l'offense par icelle femme perpétrée envers notre doux Créateur et sa foi. Ne serait-ce pas, ajoutait-elle, un intolérable outrage fait à la majesté divine, s'il arrivait que cette femme fut délivrée? Peu de temps après que ces lettres eurent été écrites, l'évêque de Beauvais fit présenter par des notaires apostoliques une réquisition au duc de Bourgogne et à Jean de Luxembourg. Dans cette réquisition, Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, a bien soin

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