Imágenes de páginas
PDF
EPUB

sieurs personnages merveilleux; c'était l'Archange saint Michel, accompagné d'une troupe d'anges; saint Michel avait l'air d'une très vray preud-homme; il avait des ailes aux épaules; Jeanne déclara qu'elle avait vu cette celeste légion de ses yeux corporels. Saint Michel dit à la jeune bergère que Dieu voulait sauver la France, et qu'elle devait aller secourir le roi Charles. Cette apparition de l'archange date de 1423 ou 1424; toutefois l'archange annonce à la jeune bergère que c'est elle qui fera lever le siége d'Orléans et qui rendra au roi Charles son royaume ; la pauvre fille se met à pleurer; elle répond à saint Michel qu'elle ne saurait ni monter à cheval ni commander une armée; l'archange la rassure, et lui ordonne d'aller trouver Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs ; celui-ci doit la conduire ou la faire conduire au roi. Nous voyons dans ses interrogatoires que Jeanne douta d'abord de ces apparitions; elle fist grani double se c'estoit saint Michiel; ce ne fut qu'après avoir entendu cette voix pendant trois fois qu'elle comprit que c'était la voix d'un ange :« A la pre»mière fois, elle estoit jeune enfant et eult » paour de ce deppuis luy enseigna et monstra >> tant, qu'elle creust fermement que c'estoit >> il..... Sur toutes choses il luy disoit qu'elle fust >> bonne enfant, et que Dieu luy aideroit..., et >> lui racontoit l'ange la pitié qui estoit au royaul>> me de France (1). » Saint Michel avait annoncé à la jeune fille la visite de sainte Marguerite et de sainte Catherine; les deux saintes, le front orné de riches couronnes, vinrent la visiter et lui parlèrent de la mission que Dieu lui avait confiée. Ces messagers de la volonté divine lui apparurent souvent, ils lui parlaient en francais; Jeanne a coutume de les appeler ses voix, probablement parce qu'elle les entendait plus qu'elle ne les voyait. Elle a raconté d'une manière touchante le profond respect qu'elle avait pour eux; à leur approche, Jeanne se prosternait, « et si elle ne l'a fait aucunes fois, leur en a >> crié mercy et pardon depuis. » Elle ne pouvait retenir ses larmes chaque fois qu'elle voyait partir les deux saintes et l'archange qui étaient devenus ses amis; elle eût bien voulu que ces habitants du ciel l'eussent emportée avec eux; elle <<baisoit la terre, après leur partement, où ils avoient reposé. »

non.

[ocr errors]

Depuis le voyage de Jeanne à Vaucouleurs jusqu'à son arrivée à la cour de Charles VII à Chi- La situation de la France devenait d'année en année plus grave; la guerre de l'usurpation s'étendait sur le royaume avec des progrès de plus en plus terribles; Jeanne grandissait, et les voix qui avaient coutume de lui parler se montraient pressantes; les voix lui disaient deux ou trois fois par semaine qu'elle partit el vint en France; telle était la pieuse impatience de la jeune fille qu'elle ne pouvoit plus durer où elle

(1) Interrogatoire du 15 mars 1430.

étoil; c'était comme une fièvre sainte. Quelques précautions qu'elle prit pour cacher les apparitions dont elle était favorisée et les projets qu'elle nourrissait en silence, son père avait fini par s'en douter; il en était inquiet et troublé ; « il >> avoit songié que avec les gens d'armes s'en »>iroit la dicte Jehanne sa fille : et en avoient » grant cure ses père et mère de la bien garder, » et la tenoient en grant subjection; et elle obeis» soit à tout. » Il nous est resté quelques mots qui prouvent que Jacques d'Arc était peu disposé à favoriser les projets de sa fille. « Si je cuidoye » que la chose advinsist, disoit un jour Jacques » à ses fils, que j'ai songié d'elle, je vouldroye >> que la noyissiés, et sé vous ne le faisiés, je la >> noieroye moi mesme. » Les habitans de Domremy étaient connus pour leur attachement au roi Charles VII, et souvent les enfants du village se battaient avec les enfants d'un village voisin nommé Marcey, devoué au parti du duc de Bourgogne. Un seul homme de Domremy était Bourguignon; telle était l'aversion de Jeanne pour le parti ennemi du roi de France, qu'elle souhaita un jour la mort de cet habitant de Domremy, pourvu toutefois que cela eût pu être agréable à Dieu. La renommée de fidélité qu'avait conservée le village de Domremy lui valut en 1428 la visite d'une troupe Bourguignonne qui dévasta cruellement le pays; au bruit de la marche de l'ennemi, les habitants avaient pris la fuite avec leurs troupeaux ; ils s'étaient refugiés dans les murailles de Neufchâteau. La famille de Jeanne avait été accueillie dans une humble hôtellerie tenue par une honnête femme qui s'appelait La Rousse.Nous n'entamerons point ici une dissertation pour réfuter l'absurde opinion de quelques auteurs qui ont prétendu que Jeanne servit cinq ans dans celle hôtellerie; disons seulement que Jeanne et sa famille ne passèrent que peu de temps à Neufchâ-, teau et qu'elles retournèrent au vallon de Domremy dont les Bourguignons avaient fait une solitude. Jeanne ne songea plus qu'au voyage de Vaucouleurs; elle eut à se rendre à Toul devant l'official de cette ville, pour se débarrasser d'un jeune homme qui voulait l'épouser et qui avait imaginé d'intenter un procès à la jeune fille, sous le faux prétexte qu'elle lui avait promis sa main. Arrivée à Toul, elle jura devant le juge dire vérité ; elle n'eut pas de peine à gagner son procès, comme ses voix l'en avaient assurée. Revenue à Domremy, la jeune fille s'occupa avec plus d'ardeur, de constance, d'opiniâtreté que jamais, des moyens d'accomplir sa mission. Elle avait un oncle, nommé Durand Laxart ou Lapart, au village de Petit-Burey, situé entre Domremy et Vaucouleurs, et obtint de passer quelques jours chez lui. Elle déclare à son oncle qu'il faut qu'elle aille à Vaucouleurs, pour se rendre de là en France vers le Dauphin qu'elle doit faire couronner à Reims; elle ajoute qu'elle veut aller demander à Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, qu'il la fasse conduire auprès de

Monseigneur le Dauphin. Durand Laxart trouve convenable de se rendre d'abord tout seul à Vaucouleurs; le capitaine lui fait mauvais accueil et l'engage à bien souffleter sa nièce et à la ramener à ses parents. Mais Jeanne n'est point découragée; elle oblige en quelque sorte son oncle à la mener à Vaucouleurs pour qu'elle puisse annoncer elle-même ses projets au capitaine. Trois fois admise en présence de Robert de Baudricourt, Jeanne voit trois fois ses prières et ses promesses repoussées; « lesquelles choses, disent les mé>> moires, messire Robert reputa à une moquerie » et derision, s'imaginant que c'estoit un songe » ou fantaisie, et lui sembla qu'elle seroit bonne » pour ses gens à se divertir et esbattre en pé>> ché; mesme il y eut aucuns qui avoient volonté » d'y essayer. Mais aussitôt qu'ils la voyoient ils >> étoient refroidis, et ne leur en prenoit vo» lonté. » Les jours passés à Vaucouleurs étaient longs et tristes pour la jeune fille; « le temps lui » étoit aussi pesant qu'à une femme enceinte, dit » un témoin, de ce qu'on ne la conduisoit pas au » Dauphin. »> Jeanne parlait d'aller à pied joindre le roi, dût-elle user ses jambes jusqu'aux genoux; elle priait et suppliait qu'on voulût bien la mener devant le gentil Dauphin; elle rappelait une prophétie établie dans le pays, laquelle annonçait qu'une femme (Isabeau de Bavière) perdrait la France et qu'une vierge des Marches de la Lorraine la sauverait. « J'aimerois bien mieux, disait» elle, rester à filer auprès de ma pauvre mère, >> car ce n'est pas là mon ouvrage; mais il faut » que j'aille, parce que mon Seigneur le veut. >> Peu à peu il y eut des esprits que frappèrent les paroles et les naïves convictions de la jeune inspirée, et le capitaine de Vaucouleurs se décida à la faire conduire en disant: advienne que pourra. Jeanne partit sans le consentement de son père et de sa mère. Interrogée là-dessus dans son procès, elle répondit « que à toutes autres choses >> elle avoit bien obey à eulx, excepté de ce par>> tement mais depuis leur en avoit escript, >> et lui avoient pardonné. » Avant de suivre Jeanne à la cour du roi Charles à Chinon et dans sa vie militaire, efforçons-nous d'expliquer le phénomène de cette jeune fille, d'expliquer sa mission.

A l'époque où parut Jeanne d'Arc, la guerre civile agitait profondément toutes les parties du royaume; non seulement les villes, mais encore les bourgades les plus ignorées retentissaient du bruit des discordes politiques; la France entière se trouvait partagée en deux factions ou partis, le parti des Anglais et des Bourguignons qui était celui des étrangers; le parti des Armagnacs qui était celui du roi. Chaque village, chaque canton était en guerre avec ses voisins, et souvent il fallait se défendre contre des bandes qui ravagaient les provinces. Comme tous les coins de la France étaient remués et tous les intérêts en alarmes, nul ne pouvait rester indifférent; il n'y avait personne qui ne fût animé des pas

sions de la guerre, et les femmes et les enfants eux-mêmes y prenaient part; chaque famille étant menacée, la valeur devenait une sorte de vertu domestique; les croyances merveilleuses échauffaient les imaginations villageoises; le hameau avait ses patrons célestes qu'il invoquait contre les ennemis ; on ne rêvait que délivrances et triomphes miraculeux; la guerre était sainte et la prière avait pris quelque chose de belliqueux. On peut donc facilement comprendre que la pensée de sauver la France soit venue dans une humble chaumière; cet esprit d'héroïsme et de dévotion, cette exaltation passionnée enfantée par le malheur des temps, se trouvèrent réunis dans l'ame d'une jeune fille, et amenèrent les prodiges que l'histoire nous a transmis. Jeanne avait un grand amour de la patrie, une imagination vive, une grande simplicité de cœur et un grand caractère; c'étaient les conditions sans lesquelles elle n'aurait jamais pu accomplir d'aussi étonnantes choses. Il lui fallait l'amour de la patrie ou du roi pour que l'invasion du royaume par les troupes étrangères blessât son ame au point de lui faire concevoir l'idée de chasser les Anglais; il lui fallait une imagination vive pour enfanter les apparitions merveilleuses qui l'entretenaient dans son projet; il lui fallait une grande simplicité de cœur pour être parfaitement couvaincue du merveilleux de sa mission, pour croire complètement à ces voix célestes qui lui parlaient et dont elle exécutait les ordres; enfin l'entreprise de Jeanne ne pouvait pas s'achever sans un grand caractère; il était nécessaire qu'elle fût douée d'une énergie intrépide, d'une activité opiniâtre, pour n'être point arrêtée, effrayée par l'immensité du projet, par les difficultés infinies qu'elle allait rencontrer. Ajoutons même que pour une semblable mission il fallait une simple et pauvre bergère. Une femme de la ville, une femme de condition élevée n'aurait pas été écoutée un seul instant; on aurait été plutôt disposé à la prendre pour un instrument de la politique que pour une envoyée de Dieu; et puis, la femme née dans les cités, la femme d'un haut rang ne pouvait avoir cette ignorance naïve qui ne raisonne pas, cette conviction pleine de candeur, nourrie dans la solitude, qualités indispensables pour la conception et l'entreprise d'une pareille œuvre. Jeanue eut une enfance sérieuse; elle ne partageait pas les jeux et les plaisirs innocents de ses compagnes, et souvent on la voyait rêver à l'écart, où elle semblait parler à Dieu. Elle était souvent seule en gardant les brebis de son père, et la solitude, surtout à ce premier âge, amène les idées extraordinaires. Elevée au bruit de la guerre et dans la haine des Anglais et des Bourguignons, Jeanne avec son àme passionnée dut quelquefois rêver d'héroïques exploits; dans son patriotisme de jeune fille, elle pouvait espérer de voir un jour accomplie en elle cette prophétie populaire qui disait qu'une jeune vierge sauverait le royau

me de France livré à la désolation par une femme. Les enfants de Domremy, comme nous l'avons vu, allaient quelquefois combattre les enfants d'un village voisin; il n'est pas impossible que Jeanne ait parfois accompagné ses deux frères dans ces guerres d'enfants où se mêlaient les pensées de la patrie et des factions qui la déchiraient. Qui sait les idées qui passaient dans sa jeune imagination, lorsque la fille de Jacques d'Arc aidait à conduire et à renfermer le bétail de Domremy dans le chateau de l'Ile dont parlent les interrogatoires, pour le mettre à l'abri des bandes éparses dans les campagnes? Qui pourrait dire ce qu'il y avait d'amertume dans le cœur de Jeanne quand il fallut s'enfuir à Neufchâteau à l'approche de l'ennemi ; quand, revenue au village, elle trouva les champs dévastés et l'église brûlée, cette église où tant de fois elle avait prié ! C'est ainsi qu'en étudiant la situation du pays à cette époque et le caractère de Jeanne, on peut suffisamment expliquer la mission que la jeune fille crut recevoir du ciel.

Les démarches qu'elle fit pour partir et pour accréditer sa mission sont véritablement incroyables. Combien il était difficile à une timide jeune fille de faire croire dans son pays, et parmi les gens qui la connaissaient, qu'elle était appelée à sauver le royaume dans les combats! Lorsque le départ fut décidé, les habitants de Vaucouleurs fournirent à Jeanne des habillements d'homme; son oncle Laxart et un autre villageois lui achetèrent un cheval de douze francs; Baudricourt donna une épée à Jeanne. Elle partit avec une escorte de sept personnes, le chevalier Jean de Metz, l'écuyer Bertrand de Poulengy, Pierre d'Arc, troisième frère de la Pucelle; Colet de Vienne, messager du roi, Richard, archer; Julien, valet de Poulengy, et Jean de Bonnecourt, serviteur de Jean de Metz; c'était une bien faible escorte pour traverser une étendue de cent cinquante lieues en pays ennemi. Les gens de Vaucouleurs, qui s'étaient intéressés à la jeune inspirée, lui dirent adieu avec le cœur rempli des dangers qu'elle allait courir. Les hommes qui l'accompagnaient avaient d'abord peu de confiance; ce fut seulement dans le voyage que la pieuse audace de la Pucelle commenca à les rassurer, et qu'ils crurent à quelque chose d'inconnu qui pouvait venir de Dieu et de ses saints. Pour les hommes d'armes qui suivaient Jeanne dans te voyage, le premier miracle fut d'avoir pu faire cent cinquante lieues en onze jours, dans une route de traverse, coupée par un très grand nombre de rivières profondes.

Figurons-nous le spectacle de l'arrivée d'une pauvre jeune villageoise à la cour du roi à Chinon! que de surprise, que d'admiration elle dut causer! Un auteur contemporain (1) dit qu'elle entra dans la salle du roi avec l'aisance et les manières d'une personne nourrie à la cour; nous préferons le té

(1) Jean Chartier.

[ocr errors]

moignage du seigneur de Gaucourt, grand-maitre de la maison du roi, qui dit que Jeanne se présenta avec beaucoup d'humilité et de simplicité, comme une pauvre petite bergerelle. Jeanne reconnut le roi, malgré le déguisement qu'il avait pris pour se cacher à ses yeux en manière d'épreuve ; elle s'avança vers lui, le salua humblement et lui dit en s'agenouillant selon l'usage et en l'embrassant par les jambes : « Dieu vous doint (donne) >> bonne vie, gentil roi! - Ce ne suis-je pas qui >> suis roy, Jehanne, » répondit le prince. « Eh, >> mon Dieu, gentil prince, répliqua Jeanne, >> c'estes vous, et non aultre. » La jeune inspirée dit au roi «< que Dieu l'envoyoit là pour lui >> ayder et le secourir, et qu'il luy baillast >> gens, et elle leveroit le siège d'Orléans, et si le >> meneroit sacrer à Rheims, et que c'estoit le >> plaisir de Dieu que ses ennemis les Anglois >> s'en allassent en leurs pays; que le royaume >> lui devoit demeurer; et que s'ils ne s'en alloient, >> il leur mescherroit (1). » Sala, auteur contemporain, a éclairci le secret qui avoit esté entre le roy et la Pucelle; ce secret fut révélé à N. Sala par le seigneur de Boisi, l'ami, le confident particulier de Charles VII. En parlant de la situation critique de ce roi enclos de tous côtés par ses ennemis, N. Sala ajoute: «Le roy en ceste » extrême pensée, entra ung matin en son ora>>toire tout seul; et là il feit une priere à notre >> Seigneur, dedans son cœur, sans prononciation » de paroles, où il luy requeroit devotement, que » si ainsi estoit qu'il fust vray hoir descendu de la » noble maison de France, et que justement le » royaulme luy deust appartenir, qu'il lui pleust >> le luy garder et deffendre, ou, au pis, luy don>> ner grace d'eschapper, sans mort ou prison, et >> qu'il se peust saulver en Espagne ou en Escosse, >> qui estoient de toute ancienneté freres d'armes, >> amys et alliés des roys de France; et, pour »ce, avoit-il là choisi son refuge.» La Pucelle parla au roi de cette secrette oraison. « Je te dis » de la part de messire, dit ensuite Jeaune au » prince, que tu es vray heritier de France et fils » du roy. » Les habitants de Chinon aimaient et vénéraient la Pucelle; tous ceux qui allaient la voir s'en retournaient en disant que c'étoit une créature de Dieu; « aucuns meme en ploroient à

[ocr errors]

chaudes larmes; y furent dames, damoiselles >> et bourgeoises, et elle leur parloit si douxement » et si gracieusement qu'elle les faisoit plorer. »

Toutefois la cour hésitait à croire à la Pucelle. Jeanne fut interrogée par les princes et les prélats rassemblés; ses réponses excitaient une extrême surprise. « C'estoit chose merveilleuse, dit >> une chronique, comme elle se comportoit et >> conduisoit en son faict, avec ce qu'elle disoit et >> rapportoit lui estre enchargé de la part de Dieu, >> et comme elle parloit grandement et notable» ment, veu qu'en autres choses elle estoit la >> plus simple bergère qu'on veit oncques. » Poi

(2) Mémoires concernant la Pucelle d'Orléans.

tiers était à cette époque le siége du Parlement français; l'Université de cette ville comptait des docteurs renommés. Les hommes sages décidèrent donc de conduire Jeanne à Poitiers pour la soumettre à des épreuves sévères et définitives; le roi lui-même voulut être témoin des derniers examens qu'on devait faire subir à la jeune inspirée. Chemin faisant, Jeanne disait : « Eh! mon » Dieu, je sçay bien que j'aurai beaucoup à faire >> à Poitiers où on me meine; mais messire m'ay» dera. Or, allons de par Dieu ! » Jeanne triom. pha de toutes les objections dans l'assemblée qui se tint à Poitiers, et dans les divers interrogatoires particuliers auxquels elle eut à répondre. On lui demandait des signes de sa mission: «Eh! mon >> Dieu ! répondait-elle, je ne suis pas venue à Poi>> tiers pour faire signes; mais conduisez-moi à » Orléans; je vous y montrerai des signes pour» quoi je suis envoyée. » Le langage de la jeune fille était plein de noblesse et d'assurance; elle s'exprimait magno modo (d'une grande manière), comme disent les dépositions contemporaines, ses réponses renfermaient toute l'habileté qu'on aurait pu trouver dans un bon clerc. Un docteur, bien aigre homme, qui, né dans le Limousin, parlait un fort mauvais français, demanda à la Pucelle quel idiome parlaient les voix célestes: « Un idiome meilleur que le vôtre, répondit-elle vivement. » — Croyez vous en Dieu ? » lui demanda le même docteur. « Mieux que vous, » répliqua-t-elle. Un autre docteur faisant observer à la jeune fille que si Dicu voulait délivrer la France, il n'était pas besoin de gens d'armes :<«< Eh! mon Dieu, répondit Jeanne, les gens d'armes batailleront, et Dieu donnera » la victoire. »> « Je ne sais ni a ni b, disait-elle >> aux théologiens qui l'interrogeaient; je viens » de la part du roi des cieux pour faire lever le » siége d'Orléans et pour faire sacrer le roi à >> Rheims.» On admire et l'on sourit tour à tour en voyant une humble villageoise des bords de la Meuse livrée aux arguments sans fin des docteurs et des magistrats, les confondant, leur imposant silence par ses réponses, échappant sans peine aux pièges que lui dresse une théologie raisonneuse: quand les graves examinateurs multiplient trop les questions, il est beau d'entendre Jeanne d'Arc se plaindre qu'on perde le temps en paroles inutiles au lieu de marcher contre l'ennemi. Le roi Charles, pour s'assurer si la mission de Jeanne n'était point l'œuvre du démon, fit assembler un conseil de matrones, présidé par la reine de Sicile, à l'effet de constater la virginité de la jeune fille; cet examen, où éclata toute la pureté de Jeanne, acheva de convaincre le roi.

Jeanne d'Arc, sortie victorieuse de toutes les épreuves auxquelles elle fut soumise, fut déclarée bonne chrétienne, et vraie catholique, et très bonne personne; on décida qu'il n'y avait rien de mal dans son fait, que sa vie était sainte et ses paroles inspirées. Vu le péril de la ville d'Orléans, on était d'avis que le roi acceptat le secours de la jeune fille. Sans doute le langage si extraordinaire

de la Pucelle dut contribuer à l'accréditer à la cour de Charles VII, mais il est probable que sa mission fut surtout établie par la dure nécessité où on était alors; le temps pressait; Orléans allait succomber et avec Orléans la France; une fille dont la renommée était pure arrivait de la part de Dieu pour sauver le royaume; comment refuser un tel secours? Remarquons aussi que dans les moments de crise et de malheur, les choses merveilleuses trouvent un plus facile crédit ; quand la terreur et le désespoir gagnent les imaginations, on accueille de préférence précisément ce qui n'est pas naturel; on croit tout simple qu'en pareil cas Dieu opère des prodiges. On peut ajouter que la jeune vierge de Domremy ne dut point faire ombrage aux courtisans de Charles VII, et que ceux-ci n'avaient aucun intérêt à l'écarter comme ils écartaient auparavant les hommes de cœur ; Jeanne n'inquiétait personne et n'était sur le chemin de personne; elle venait de son village pour délivrer Orléans et mener le roi à Reims, et, peu soucieuse de recevoir sur la terre le prix de ses exploits, elle ne devait demander qu'à retourner au village pour garder encore ses brebis ou filer auprès de sa mère.

Depuis le départ pour Orléans jusqu'à la prise de la Pucelle devant Compiègne. Jeanne débuta dans la carrière militaire par la conduite d'un convoi de vivres à Orléans; elle se rendit à Tours et à Blois pour surveiller et håter les préparatifs du départ; Charles VII lui avait donné un état comme à un chef de guerre. C'est à Blois que la Pucelle parut pour la première fois sous les armes; l'épée qu'elle portait avait été miraculeusement trouvée derrière l'autel de l'église de Sainte-Catherine de Fierbois; sa bannière, sur un champ blanc semé de fleurs de lis, représentait le Sauveur tenant un globe à la main, et à ses pieds deux anges à genoux, avec ces mots : Jhesus Maria. Quoique l'épée eût été trouvée dans l'église de Sainte-Catherine, Jeanne aimait quarante fois mieux son étendard; elle ne se servit que très rarement de son glaive parce qu'elle répugnait à répandre du sang, mais son étendard ne la quittait jamais. Les voix avaient ordonné à la Pucelle d'inviter les Anglais à abandonner le siége d'Orléans, avant de les attaquer avec les armes; Jeanne adı essa donc aux chefs de l'armée anglaise une sommation en forme de lettre (1), dans laquelle elle leur dit qu'elle est envoyée de par Dieu, le roy du ciel, pour les bouter hors de France; cette lettre, qui fut dictée par Jeanne elle-même, est étonnante d'audace et de conviction. La Pucelle se met en marche à la tête de six mille guerriers, accompagnée de La Hire, d'Ambroise de Lore, des maréchaux de SainteSévère et de Rayz, de l'amiral de Culan, du seigneur de Gaucourt et de quelques autres chefs; la troupe est précédée de prêtres qui chantent le

(1) Voyez cette lettre dans les Mémoires concernant la Pucelle.

Veni, Creator. Le convoi pénètre dans Orléans sans que les Anglais tentent de l'arrêter, et la Pucelle fait son entrée solennelle, montée sur un cheval blanc, et faisant porter devant elle son étendard. Grande fut la joie des habitants d'Orléans; « ils se sentoient jà tous reconfortés et >> comme desassiegez par la vertu divine qu'on >> leur avoit dit estre en ceste simple pucelle, » qu'ils regardoient moult affectueusement, tant >> hommes, femmes que petits enfans, et y avoit >> moult merveilleuse presse à toucher à elle, ou >> au cheval sur quoy elle estoit (1). » Il ne faut pas croire cependant que cet enthousiasme pour la Pucelle fût général, et qu'il fût partagé par tous les chefs; la multitude croyait aux miracles qu'on lui annonçait parce qu'elle avait peur, et qu'elle ne connaissait pas d'autres moyens de salut; quant aux chefs, ils ne pouvaient pas avoir la même crédulité, parce qu'ils avaient naturellement confiance dans leur bravoure et dans leur épée. On n'appelait pas toujours Jeanne aux conseils qui se tenaient, et plus d'une fois il se trouva des chefs qui repoussèrent ses avis avec mépris. La Pucelle, comme on le verra plus tard, eut besoin en plusieurs occasions de déployer tout son caractère pour se faire obéir, et les Français eurent souvent la victoire malgré eux. Toutefois, à force de s'exposer aux périls, elle retrouva son rang dans l'armée, et les miracles de sa valeur finirent par l'accréditer auprès des chefs comme auprès des soldats, comme auprès du peuple.

En racontant la vie de Jeanne d'Arc depuis ses premières années à Domremy jusqu'à son arrivée à la cour du roi à Chinon, nous avons été obligés de multiplier les détails dans notre notice, parce que les mémoires et les documents que nous avons sont fort incomplets pour cette partie de l'histoire de la Pucelle; notre tache était d'y suppléer, et pour remplir ces lacunes, nous avons eu à interroger çà et là les dépositions contemporaines; maintenant, ayant à suivre la vie militaire de la vierge de Domremy, nous serons plus sobres de détails pour ne pas répéter dans la notice les faits, les événemens qui abondent dans les mémoires.

A son arrivée à Orléans, Jeanne apprit que sa sommation aux Anglais datée de Blois avait été accueillie par des outrages; au mépris du droit des gens, l'ennemi avait retenu les héraults de l'armée française; on menaça les Anglais d'user de représailles, et les héraults furent rendus. La présence de la Pucelle dans la ville assiégée électrisa tous les cœurs. « Auparavant qu'elle arrivât, << disent les Mémoires, deux cents Anglois chas<< soient aux escarmouches cinq cents François; «<et, depuis sa venue, deux cents François chas« soient cinq cents Anglois. » La jeune guerrière était entrée à Orléans le 30 avril; le 4 mai, elle commence à combattre, et le 8 mai le siége est

(1) Journal du siége d'Orléans. Voyez notre Indication des Documents.

levé. Ces trois jours de combats sont resplendissants de gloire pour nos armes; il y a là des fails militaires qui sont une des plus merveilleuses choses que l'histoire puisse raconter. Dans l'attaque des boulevards et des bastilles occupés par les Anglais, Jeanne déploie une bravoure, une présence d'esprit, une habileté qui déconcertent les jugements humains; elle devient le principal but des traits de l'ennemi, et l'héroïne semble ne pas même soupçonner le péril; elle commande, elle conseille, elle encourage; l'enthousiasme dont elle est animée passe dans le cœur de tous ceux qui combattent autour d'elle; la victoire ne connaît plus que l'étendard de la vierge de Domremy. Jeanne adresse de temps en temps aux guerriers des paroles qui vont remuer leur âme : « Que chacun ait bon cœur et bonne >> espérance en Dieu, leur dit-elle, car l'heure >> approche où les Angloys seront desconfitz, et >> toutes choses viendront à bonne fin. » Qu'elle est admirable, l'héroïne, dans ce fossé où, la première, saisissant une échelle et l'appliquant contre le boulevard, elle se voit à l'instant même frappée d'un trait entre le cou et l'épaule! Elle est mourante, on veut l'éloigner du champ de bataille; mais elle demande qu'on la laisse dans le fossé; enfin des guerriers ne l'écoutent point, ils l'emportent, la désarment et l'étendent sur l'herbe; la jeune fille pleure, mais tout-à-coup, consolée et ranimée par ses deux amies du Paradis, elle arrache elle-même le fer de sa blessure, et le sang coule de sa plaie. On lui propose de charmer sa blessure avec des paroles magiques ; Jeanne répond qu'elle aimerait mieux mourir que de faire quelque chose qu'elle saurait être un péché. Elle se fait panser avec du lard et de l'huile d'olives. La blessure, toute profonde qu'elle était, n'empêcha pas l'héroïne de monter le jour même à cheval, de rallier les chefs et les soldats que cet accident avait découragés, et de s'emparer du boulevard des Tournelles après d'incroyables faits d'armes. Jeanne n'avait ni bu ni mangé de la journée; rentrée le soir dans la maison où elle était logée, elle ne voulut prendre que quatre ou cinq tranches de pain trempées daus de l'eau mêlée à un peu de vin. Une chose digne de remarque, c'est la pitié de Jeanne, ce sont les larmes qu'elle répand sur les vaincus; elle pleure à la vue de leurs cadavres, elle pleure aussi en songeant à tant de guerriers anglais morts sans confession.

Les relations contemporaines sont curieuses lorsqu'elles nous parlent de la manière dont les assiégeans traitaient la Pucelle, lorsqu'elles nous parlent de la frayeur qu'elle leur inspirait. Dès les premiers jours de l'arrivée de Jeanne à Orléans, les Anglais lui faisaient dire qu'ils la brusleroient et feroient ardoir, qu'elle n'estoit qu'une ribaulde, et, comme telle, s'en retournast garder les vaches. Chaque fois que l'héroïne s'avançait vers eux, ils débitaient contre elle d'horribles injures, et en même temps une crainte involontaire les saisissait à son approche; ils lui répé

« AnteriorContinuar »