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A qui demanderait comment le fétichisme a pu s'implanter en Guinée à côté de la notion d'un être suprême, créateur et ordonnateur de tout ce qui existe, comment le chamanisme peut se concilier chez les populations boréales avec la croyance à ce même Dieu dont Gengis-Khan se faisait une idée si grande et si élevée, je demanderais comment les plus étranges superstitions ont pu être jadis acceptées par toutes les sectes chrétiennes, comment il se fait qu'elles existent encore parmi nous. Certes, parmi nos classes éclairées, ni protestants, ni catholiques n'intenteraient aujourd'hui un de ces procès de sorcellerie si communs il n'y a guère que deux ou trois siècles, et que suivirent si souvent des condamnations et des supplices. Mais, dans nos campagnes un peu reculées, la croyance aux sorciers est restée aussi ferme qu'elle l'était partout au moyen-âge. Les journaux nous révèlent de temps à autre des actes, qui prouvent qu'abandonnées à elles-mêmes, ces populations brûleraient volontiers encore les malheureux soupçonnés d'avoir jeté des sorts; pour se garder contre les maléfices, le mauvais œil, etc., ces mêmes populations ont bien souvent recours à des pratiques fort semblables à celles que les voyageurs signalent comme la preuve de l'infériorité de certaines races. Au fond les amulettes de nos paysans ne sont que les grisgris des Nègres.

Sur tous ces points et sur bien d'autres, tous les chrétiens aryans ont cru ce que nous reprochons fièrement aux Nègres et aux Mongols de croire. Toutes les communions chrétiennes ont sanctionné, parfois sanctifié ces absurdes superstitions.

L'anthropologiste, qui fait de la science et non de la théologie, qui doit rechercher dans les religions inférieures ce qu'elles ont de pur, ne doit pas davantage hésiter à signaler dans les religions supérieures, le singulier alliage dont je viens de citer un exemple vulgaire.

De ce double travail ressortira, je pense, pour tout le monde, un fait général sur lequel j'ai bien des fois appelé l'attention, et qu'on peut formuler dans les termes suivants : grandes ou petites, les religions se rapprochent surtout par ce qu'il y a dans chacune d'elles de plus élevé et de plus infime; elles sont surtout séparées par les formes et les notions intermédiaires.

VIII. A diverses reprises on a signalé ce fait, qu'une religion, remplacée par une autre, laisse dans celle-ci des traces plus ou moins accusées. Bien souvent aussi les divinités de la première, sans disparaître totalement, subissent une singulière déchéance et ne trouvent de place que dans le domaine des superstitions populaires. Qui de nos lecteurs n'a présents à l'esprit les articles à la fois si sérieux et si charmants de H. Heine sur les pauvres dieux de l'Olympe grec et romain, passés à l'état de personnages légendaires? Ces représentants de la mythologie classique sont allés rejoindre, dans le fond des croyances populaires, bon nombre de divinités germaniques et scandinaves; mais les uns et les au res n'avaient-ils pas des prédécesseurs?

Depuis les temps quaternaires jusqu'à nos jours, bien des races ont habité l'Europe. Aucune sans doute n'a complétement péri. Elles se sont successivement refoulées, et plus ou moins absorbées; elles ont mêlé leur sang. Les croyances, même celles de nos ancêtres les plus reculés, ont-elles pu se perdre entièrement? Je ne le pense pas. Sans doute une portion en aura été oubliée, mais bien probablement aussi une bonne part a survécu, plus ou moins altérée par ce qu'apportait chaque immigration nouvelle. Ainsi se sera formée peu à peu cette mythologie populaire, qui a résisté aux doctrines officielles et a su se faire une place à côté d'elles.

Ce qui s'est passé chez nous ne peut que s'être passé ailleurs. Peut-être démontrera-t-on un jour que de là vient principalement ce qu'ont de commun les croyances religieuses de peuples séparés par leurs divers degrés de civilisation, aussi bien que par la géographie.

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IX. La science des religions n'existe pas encore, a dit M. Burnouf. Cela est vrai, surtout en se plaçant au point de vue que je viens d'indiquer. Toute classification générale est donc prématurée. Pour en essayer une, attendons de connaître, au moins d'une manière passable, non pas seulement les grands corps de doctrines étayés d'une métaphysique profonde qu'ont acceptés les nations civilisées, mais aussi les croyances plus simples, plus naïves, qui les ont précédés, dont plusieurs existent encore. Alors seulement on pourra tracer le cadre et les subdivisions renfermant les diverses manifestations de la faculté religieuse commune à tous les êtres humains. Alors aussi on pourra suivre le développement de cette faculté et en marquer les étapes, par un procédé analogue à celui de l'embryogéniste, qui étudie les diverses phases traversées par le même être pour atteindre à son état parfait.

Telle qu'elle est pourtant, ne consistant encore qu'en faits isolés ou reliés simplement par groupes, la science des religions a déjà une importance marquée en anthropologie. Elle met hors de doute un des caractères fondamentaux de l'espèce humaine; elle fournit des faits assez tranchés pour servir à caractériser certains groupes humains; elle révèle des rapports; elle ajoute son témoignage à celui de la linguistique pour éclairer la filiation de certaines races, pour attester d'antiques communications entre des peuples longtemps regardés comme entièrement isolés les uns des autres. A ces titres divers, elle ne saurait être négligée par ceux qui veulent embrasser dans son ensemble l'histoire naturelle de l'Homme.

FIN.

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CHAPITRE II. Doctrines anthropologiques générales; monogénisme
et polygénisme.....

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CHAPITRE III. L'espèce et la race dans les sciences naturelles.....
CHAPITRE IV. Nature des variations dans les races végétales et
animales; application à l'homme..........

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LIVRE IV

CANTONNEMENT PRIMITIF DE L'ESPÈCE HUMAINE.
CHAPITRE XIV. - Théorie d'Agassiz; centres de création..
CHAPITRE XV. Cantonnement progressif des êtres organisés; cen-
tres d'apparition; cantonnement primitif de l'homme....

115

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LIVRE V

PEUPLEMENT DU GLOBE.

Migrations par terre; exode des Kalmouks du Volga.
Migrations par mer; migrations polynésiennes ;

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CHAPITRE XVIII.

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migrations à la Nouvelle-Zélande..

Migrations par mer; migrations en Amérique...

LIVRE VI

ACCLIMATATION DE L'ESPÈCE HUMAINE.

CHAPITRE XIX. Influence du milieu et de la race.

-

133

138

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159

16

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CHAPITRE XXII. Formation des races humaines sous la seule in-

fluence du milieu et de l'hérédité....

183

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-

CHAPITRE XXIII. - Formation des races humaines métisses.
CHAPITRE XXIV. Influence du croisement sur les races humaines
métisses

195

206

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CHAPITRE XXVIII. — Races de Furfooz, de Grenelle et de la Truchere.

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CARACTÈRES PSYCHOLOGIQUES DE L'ESPÈCE HUMAINE.

CHAPITRE XXXIII. Caractères intellectuels.

CHAPITRE XXXIV.

Caractères moraux

CHAPITRE XXXV.

Caractères religieux..

COULOMMIERS. Typographie PAUL BRODARD.

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LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET Cie

108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108

Au coin de la rue Hautefeuille.

JUIN 1879

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