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Poser ces questions, c'est demander: si une créature humaine peut être suscitée, et par quel pouvoir, pour une œuvre qu'on n'eut pas attendue d'elle; si nos destinées dépendent donc d'une volonté supérieure, occulte; si, sous le souffle de cette même volonté mystérieuse, un peuple peut être soulevé, apaisé ainsi qu'un flot docile?

Dès lors c'est bien l'énigme de la vie que pose l'énigme de Jeanne d'Arc.

C'est pourquoi, sans doute, la vie ayant gardé ses secrets, il n'a été répondu encore que par les affirmations de la foi et les négations du scepticisme. Mais, aujourd'hui, il semble que la science puisse aborder le problème. « La science, nous dit l'un de ses maîtres les plus autorisés, M. E. Perrier, la science a déjà découvert, découvre chaque jour en plus grand nombre, les comment des choses. » Peutêtre, dans les comment découverts, peut-on trouver le comment de l'héroïne; peut-être, si de l'aveu de la science du xve siècle, ce comment n'était pas dans << ses livres », est-il dans les livres de la science contemporaine?

Mais la science contemporaine est retenue à ses conquêtes journalières, dans cette période si fiévreuse et si heureuse de son activité. Si elle est curieuse du passé où est le secret de nos devenirs, c'est dans l'étude de l'être vivant qu'elle entend le surprendre, vivant et agissant, et si, de ses certitudes, elle a le droit de tirer toutes les conséquences qu'elles comportent, elle préfère accroître le nombre de ces certitudes avant de se détourner à la tâche. Nous compulserons donc nous-mêmes ses livres,

nous, profanes, plus habitués à l'action qu'à la pensée; mais nous le ferons en nous couvrant de l'autorité des plus éminents et des plus incontestés des maîtres du jour.

Profanes! nous ne le sommes pas, du moins, de la profession à laquelle Jeanne dût recourir pour son œuvre, et dans l'armée, désormais nationalisée comme le voulait la saine inspirée, les âmes sont naturellement préparées à juger de mobiles qui les animent, de vertus dont elles sont héritières et auxquelles elles s'efforcent.

Compréhensives des mobiles de l'héroïne, zélatrices de ses vertus, les âmes militaires le sont . parce que, en leur intimité, une même vocation, si plus obscure, les prédestina, une même grâce d'état les disposa. Et c'est là leur explication ingénue de l'énigme, dès longtemps tranchée pour elles :

Il y a des prédestinations à un amour plus chaud, à un désintéressement plus facile qui vouent. certaines âmes, comme à la protection des faibles, à la pitié de la patrie, de la vie, de l'honneur de la race. De là, la profession passionnément embrassée; de là, ces suggestions, ces éclairs de génie qui illuminent les intelligences, tendent les volontés, emportent les actes, enflamment des héroïsmes spontanés, chez les moins préparés en apparence, quand la circonstance surgit. Il y a des possibilités, des fonctions dévolues par innéité qui déterminent souverainement les activités, quand l'heure le veut. Il y a des vocations, du mot de la langue courante, qui nous mettent, à demeure, dans notre vie, dans

notre tâche ou, subitement, nous suscitent pour tâche inattendue.

Ayant notre explication professionnelle, affective, du cas de Jeanne d'Arc, nous sommes donc plus désignés qu'on ne pouvait le croire pour demander à la science son explication indépendante, rationnelle et la rapprocher de la nôtre. Peut-être aussi notre profession nous dispose-t-elle à démêler, autant que personne, des faits et des légendes, l'originalité et la génialité des inspirations militaires de la Pucelle.

Mais l'explication que nous a fournie notre profession n'est pas la seule que nous aurons à contrôler par l'explication scientifique. L'histoire a la sienne : << Il régnait, dit Henri Martin, une de ces grandes attentes qui appellent et suscitent le prodige attendu ».

Ce n'est pas prodige qu'eût dù écrire l'historien; c'est phénomène. N'indique-t-il pas, en effet, une cause à l'effet, et une cause à effet constant: l'état harmonique des esprits, la tension puissante des volontés, le vœeu, le besoin unanimes de conditions moins précaires de l'existence nationale, de l'ordre social?

Mais, prodige ou phénomène, l'explication nous ramène à l'explication militaire. Il faut vraisemblablement une possibilité aménagée, une excitabilité particulière développée en un élément prédestiné du corps social pour que l'attente de l'ensemble des éléments, l'excitation des circonstances déterminent la réaction préparée là. Et l'explication historique complète et corrobore l'explication militaire.

La science va-t-elle condamner les deux explica

tions? Nous allons montrer qu'elle les admet, qu'elle les prouve, qu'elle peut les ranger au nombre de ces intuitions, échos de voix profondes ou d'observations accumulées, qui souvent nous révèlent le vrai avant qu'il s'éclaire.

Le comment de nos âmes est un de ces comment que la science nous a déjà découvert, nous découvre chaque jour jusqu'à la quasi certitude. Sans doute, ces âmes, elle ne les a pas tenues encore et isolées sur la table de ses expériences; mais elle pourrait déjà les constituer; elle a démêlé la provenance de leurs éléments; l'embryologie lui a fait voir les ressorts tendus dans le protoplasma des générations antérieures se déclancher successivement de façon automatique; les parties se conditionner les unes par les autres et non sous l'influence mystérieuse d'un ignotum quid, nous dit M. A. Giard.

Il y a certitude que nous sommes composés du passé dans l'énergie qui nous en extrait, du passé, de ses aspirations, de ses besoins. Les besoins de l'espèce, Lamarck nous les a montrés à l'origine des organes, les créant pour leur satisfaction, les développant, les affinant, les multipliant.

Dès lors, à la question d'où, comment Jeanne d'Arc? nous pouvons répondre de la race, de la variété dans l'espèce! de la race, dont nous sommes les fils plus que de nos parents; de ces morts qui ont créé nos idées et nos sentiments et par conséquent tous les mobiles de notre conduite.

Les dons de l'héroïne? dons de la race, suscités par ses besoins et exaltés, ici, à la mesure des nécessités du moment. Son évocation? expression des pre

miers des besoins de l'organisme ethnique : le besoin de vivre, le besoin de poursuivre, de pousser plus loin, toujours plus loin, l'évolution collective.

Jeanne d'Arc est un réflexe de la race, « être permanent, affranchi du temps »; une réaction ici déterminée, parce que dans l'équilibre des besoins généraux de l'espèce que présente tout individu de l'espèce, l'emportaient, dans l'enfant généreuse, les deux besoins primordiaux.

On a comparé une race à l'ensemble des cellules qui constituent un être vivant. Jeanne était la plus vivace de ces cellules qui, dans l'être collectif, ont des fonctions tutélaires, réparant et revivifiant. Jeanne est un phénomène physiologique, ni plus ni moins miraculeux que les phénomènes de même ordre que suit aujourd'hui la Science, qu'elle reproduit et active, dans l'être individuel.

Et ainsi l'explication de l'histoire avait formulé synthétiquement à l'avance l'explication analytique que fournit, maintenant, la science les grands besoins appellent et suscitent les phénomènes exceptionnels qui doivent leur donner satisfaction.

L'explication militaire avait de même anticipé sur la vérité expérimentale. Il est des âmes, il est des cellules prédestinées à des fonctions de salut public. La physiologie ne sait pas d'autres lois, pour régir l'ensemble des cellules qui constituent une race, que celles par lesquelles est régie la société cellulaire qu'est l'être individuel.

Si la continuité de la nature, l'identité physiologique de l'être collectif et de l'être individuel ne

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