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du roi étant à Saint-Denis, et les Anglais soutenus par les habitants de Paris. Après que les gens du roi eurent été quelque temps à Saint-Denis, comme trois ou quatre jours, le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le comte de Vendôme, le comte de Laval, Jeanne la Pucelle, les seigneurs de Rais et de Boussac, et autres à leurs suite, vinrent se loger en un villagequi est comme à mi-chemin entre Paris et Saint-Denis, et qu'on nomme La Chapelle.

Le lendemain, comme ils étaient plus près, les escarmouches recommencèrent plus âpres que devant, et lesdits seigneurs vinrent aux champs vers la porte saint-Honoré, sur une manière de butte ou de montagne que l'on nommait le marché aux Pourceaux; ils y firent ajuster plusieurs canons et coulevrines pour tirer dans la ville de Paris, et en effet ils en firent partir plusieurs coups.

Les Anglais circulaient et tournoyaient autour des remparts, les étentards déployés, parmi lesquels s'en trouvait un blanc à croix vermeille; ils allaient et venaient par ladite muraille. Quelques-uns des seigneurs qui étaient de l'entreprise voulurent aller jusqu'à la porte Saint-Honoré; entre les autres spécialement un chevalier nommé le seigneur de SaintVallier; lui, ses gens allèrent jusqu'au boulevard, et mirent le feu aux barrières, et malgré le grand nombre d'Anglais et d'habitants de Paris qui le défendaient, le boulevard fut pris d'assaut, et les ennemis rentrèrent par la porte dans la ville.

Les Français s'attendaient à ce que les Anglais vinssent par la porte Saint-Denis fondre sur eux; c'est pourquoi les dues d'Alençon et de Bourbon entourés de leurs gens s'étaient mis comme en embuscade derrière ladite butte ou montagne; et ils ne pouvaient bonnement approcher de plus près par crainte des canons, veuglaires et coulevrines qui tiraient sans cesse de la ville.

Jeanne dit qu'elle voulait assaillir la ville de Paris; mais elle n'était pas bien informée de la profondeur de l'eau qu'il y avait dans les fossés; et il y en avait autour d'elle qui le savaient fort bien; mais ON POUVAIT VOIR QUE PAR ENVIE ILS EUSSENT BIEN VOULU QU'IL LUI ARRIVAT MALE AVENTURE'. Néanmoins elle vint avec grande force, et nombreux hommes d'armes, parmi lesquels le seigneur de Rais, maréchal de France; ils descendirent en l'arrière-fossé avec de nombreux gens de guerre; puis avec sa lance Jeanne monta sur le dos d'âne, et se mit à sonder l'eau qui était bien profonde. Pendant qu'elle y était occupée, un trait lui blessa les deux cuisses, ou l'une tout au moins.

Ce, nonobstant, elle ne voulait pas se retirer, et elle se donnait toute sorte de soins pour faire apporter et jeter fagots et bois dans le second

1. Si en avoit aucuns audict lieu qui le sçavoient bien, et selon ce qu'on pouvoit considérer, eussent bien voulu par envie qu'il fut mescheu à la dicte Jehanne. (Page 283.)

fossé, dans l'espérance de passer jusqu'au mur; ce qui n'était pas possible vu la grande quantité d'eau dont il était rempli. Dès que la nuit commença, on envoya plusieurs fois la querir; mais elle ne voulait EN AUCUNE MANIÈRE NI PARTIR NI SE RETIRER; il fallut que le duc d'Alençon vint la quérir et l'emmenat sous sa tente. Et tous se retirèrent à La Chapelle-Saint-Denis, où ils avaient passé la nuit précédente. Le lendemain, les dues d'Alençon et de Bourbon revinrent à Saint-Denis, où le roi se trouvait avec son armée. Et L'ON DISAIT QUE PAR LACHETÉ DE COURAGE, IL N'AVAIT JAMAIS VOULU PRENDRE PARIS D'ASSAUT, ET QUE SI ON Y FUT RESTÉ JUSQU'AU MATIN IL Y EN EUT EU (dans Paris) QUI SE FUSSENT AVISÉS '.

Il y eut plusieurs blessés, et comme pas un mort.

V

Le douzième jour de septembre, le roi assembla son conseil pour savoir ce qu'il y avait à faire. Vu que les habitants de Paris ne montraient aucun semblant de vouloir se réduire à obéissance, qu'ils n'auraient pas osé se concerter sous l'œil des Anglais et des Bourguignons qui étaient fort puissants, que l'argent manquait pour entretenir l'armée, le conseil fut d'avis de laisser de grosses garnisons dans le pays conquis, sous le commandement de princes du sang, et que le roi s'en allât vers la Loire et au delà.

En exécution de cet avis du conseil, le roi laissa le duc de Bourbon, le comte de Ven lôme, messire de Culan, amiral de France, et d'autres capitaines; il ordonna que le duc serait son lieutenant et il laissa dans Saint-Denis le comte de Vendôme et l'amiral de Culan, avec grande compagnie de gens d'armes; il partit ensuite avec son armée et vint prendre gite à Lagny-sur-Marne. Il partit le lendemain, après avoir ordonné à messire Ambroise de Loré de rester à Lagny, et après lui avoir assigné pour compagnon un vaillant chevalier du Limousin, nommé messire Jean Foucault, ainsi que plusieurs gens de guerre.

Quand les Anglais et les Bourguignons surent que le roi était ainsi parti, ils assemblèrent de toutes parts un grand nombre de leurs gens; et ceux de Saint-Denis, c'est-à-dire le comte de Vendôme et les autres, considérant que la ville était faible, la délaissèrent et vinrent à Senlis.

Cousinot de Montreuil n'a plus qu'une page où il n'est pas question de Jeanne d'Arc. A-t-il arrêté là son travail? la suite en est-elle perdue ? C'est ce que l'on ignore jusqu'à ce jour.

1. Et disoit-on qu'il ne crut oncques de lische couraige de vouloir prendre la ville Paris d'assaut, et que s'ils y eussent esté jusques au matin, il en eust eu qui se seroient advisés.

JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS

ET

HISTOIRE DE LA PUCELLE JUSQU'AU RETOUR A PARIS

REMARQUES CRITIQUES.

En 1576, Saturnin Hotot, imprimeur de la ville d'Orléans, éditait, par suite d'une convention avec la municipalité, un volume sous le titre suivant: Histoire et discours au vrai du siège qui fut mis devant la ville d'Orléans par les Anglois, le mardi 12 octobre 1428, régnant alors Charles VII de ce nom roy de France, contenant toutes les saillies, assaults, escarmouches et autres particularités qui, de jour en jour y furent faictes avec la venue de Jehanne la Pucelle, et comment par grâce divine et force d'armes, elle feist lever le siège de devant aux Anglois, PRISE DE MOT A MOT SANS AUCUN CHANGEMENT DE LANGAGE, D'UN VIEIL EXEMPLAIRE, ESCRIPT A LA MAIN EN PARCHEMIN, ET TROUVÉ DANS LES ARCHIVES DE LA VILLE.

De 1429 à 1576, près d'un siècle et demi s'était écoulé, beaucoup plus qu'il n'en faut pour diminuer fort notablement l'autorité de l'imprimé, qui tire sa valeur du parchemin qu'il reproduit. A quelle année remonte ce parchemin? Est-il bien exactement reproduit? Deux points importants sur lesquels doit porter la critique. Ici encore, comme sur toute la période du siège, les recherches de l'abbé Dubois fournissent des données de grande valeur. Le patient chanoine découvrit dans les manuscrits d'un érudit orléanais du xvm° siècle, Polluche, l'extrait suivant du compte de ville de 1466 « Payé onze sous parisis à M. Soudan, clerc, pour avoir escript en parchemin la manière du siège tenu par les Anglois devant Orléans en 1428-1429 ». Qu'était le clerc Soudan? L'abbé Dubois a encore trouvé la réponse dans les comptes de 1468, où pour d'autres écritures se lit cette mention : « Payé 5s 4a à Soubsdan, notaire en cour d'Église. » Un notaire en cour d'Église était le plus souvent un gradué en droit canonique.

Le parchemin des archives de la ville a disparu; mais nous en avons

des copies. On connaît en effet quatre ou cinq manuscrits du Journal du siège. Deux sont à la Bibliothèque nationale de Paris; l'un (Fonds latin, n° 14665) provient de l'abbaye de Saint-Victor et est du xve siècle, l'autre fait partie du célèbre manuscrit d'Urfé, dont il a été parlé dans le volume précédent il est cousu avant le Double Procès, mais l'écriture accuse une date postérieure; elle est du xvi° siècle. On en trouve un autre exemplaire du xvi siècle à la Bibliothèque de Genève. Le quatrième, écriture du xv siècle, fait partie du manuscrit du Vatican (Fonds de la reine Christine, n° 894). La Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg en possède un cinquième exemplaire.

Le texte de Saturnin Hotot a été collationné avec le texte de la Bibliothèque nationale, et le R. Père Rivière, sur ma demande, a bien voulu vérifier sur le manuscrit du Vatican certains passages que je lui avais signalés. A deux mots près, les variantes sont si peu importantes qu'elles ne méritent pas d'être signalées. Le scribe, auquel Quicherat a confié la transcription qu'il a imprimée, a préféré travailler sur l'imprimé que sur le manuscrit.

C'est donc à tort que l'abbé Dubois a pensé que Saturnin Hotot avait introduit dans le texte du parchemin des archives d'Orléans des changements qui le déparent. La fidélité de l'imprimeur nous est garantie par les manuscrits antérieurs dans lesquels on retrouve ce qui offusque dans le texte imprimé. Pareille conformité ne peut s'expliquer que parce que les manuscrits ont reproduit le texte aujourd'hui perdu, mais gardé dans les archives de la ville en 1576. C'est donc au texte copié en 1466 par le notaire Soudan que manuscrits et imprimé nous ramènent. Fautil faire remonter beaucoup plus haut sa composition? Il ne le paraît pas; tout indique qu'il a été composé à la suite de la réhabilitation, après 1456. De toutes les Chroniques, le Journal du siège est la seule qui énonce carrément que la délivrance d'Orléans et le sacre de Reims constituaient la mission entière de la Pucelle. Dunois, dans sa déposition, avait émis timidement cette assertion démentie par une foule d'autres documents, en opposition avec les paroles maintes fois répétées et les actes de la céleste envoyée.

L'abbé Dubois, qui pourtant était loin d'avoir bien des pièces qui depuis ont confirmé son assertion, reproche justement à l'auteur de n'avoir pas dit toute la vérité, et, par égard pour les capitaines qui commandaient à Orléans, de n'avoir pas rapporté plusieurs faits bien constatés qui ne leur font pas honneur 1.

Même à Orléans, Jeanne a vaincu malgré l'opposition des chefs, forte

1. L'abbé DUBOIS, Histoire du siège d'Orléans, Charpentier et Cuissart, p. 65. Ne pas confondre avec le Journal du siège, édité par les mêmes auteurs.

qu'elle était de l'appui des Orléanais, qui ont fini par entraîner les capitaines à leur suite. Voiler cet aspect de la délivrance, c'est en diminuer le merveilleux et rabaisser l'héroïsme de la patriotique cité. Non seulement les deux Cousinot, mais l'historiographe officiel, Jean Chartier, sont plus véridiques et moins adulateurs des grands.

Le rédacteur inconnu du Journal est partial en faveur des nobles. Il énumère complaisamment les noms de ceux qui ont pris part à la lutte, et son histoire du siège n'est que le récit des incidents particuliers qui le signalèrent, sans vue d'ensemble; au point qu'après l'avoir lu, on se rend médiocrement compte de l'état des choses. D'autres Chroniques en disent, sous ce rapport, plus en quelques lignes que le Journal dans de longues pages.

Il blame les plaintes, pourtant si justes, des Orléanais, lorsque, après la victoire de Patay, Charles VII les frustra d'une visite pour laquelle ils avaient fait des préparatifs, et qui leur était si bien due. Il dissimule que l'héroïne dut entraîner le roi sur le chemin de Reims, en partant de Gien avec une partie de l'armée, pour mettre fin à d'interminables tergiversations. D'après son récit, ce seraient les conseillers du roi qui l'auraient déterminé à reprendre le chemin du Berry par Bray-sur-Seine. D'après les autres chroniqueurs, il était d'accord avec ces conseillers, traîtres ou tout au moins mal avisés. S'il dit que la tentative contre Paris échoua parce que les choses furent mal conduites, il se garde d'insinuer les causes honteuses de ce défaut dans la conduite, et l'on se demande si c'est à l'héroïne qu'il faut l'attribuer, ou à d'autres capitaines mal inspirés. D'après lui, La Trémoille excepté, tous les grands auraient rempli leur devoir et secondé la céleste envoyée; ce qui n'est pas exact.

L'auteur dit que son ouvrage est très compendieux, c'est-à-dire très abrégé. Qu'abrège-t-il ? Seraient-ce des registres de la cité, écrits au fur et à mesure que les faits se passèrent? Si c'est possible, nous n'avons aucune preuve pour l'affirmer. Sûrement, à partir de la campagne de la Loire, il a sous les yeux la Chronique des Cousinot Il ne fait que l'abréger pour la campagne du sacre, et pour celle qui a suivi. Aussi sera-t-il inutile de reproduire cette partie, sauf la dernière page, où il y a quelques détails particuliers. Nous ne reproduirons pas non plus les incidents du siège. L'abbé Dubois a dit à bon droit que ces détails étaient nus, décharnés et peu intéressants'.

La rédaction semble hâtive. Après avoir rapporté que Saint Loup fut enlevé le mercredi 4 mai, ce qui est exact, il dit que les Tourelles furent prises le samedi 6, et que les Anglais partirent le dimanche 7 mai ; cela ne

1. L'abbé DUBOIS, Histoire du siège d'Orléans, p. 75.

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