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De leur côté la Pucelle, les autres seigneurs et gens d'armes rentrèrent en grande joie dans Orléans, à la très grande exultation de tout le clergé et du peuple. Tous ensemble rendirent à Notre-Seigneur très humbles actions de grâces, et louanges très méritées, pour les grands secours, et grandes victoires qu'il leur avait données et envoyées contre les Anglais, anciens ennemis de ce royaume.

VII

Quand vint l'après-midi, messire Florent d'Illiers prit congé des seigneurs et capitaines, des autres gens d'armes et aussi des bourgeois de la ville; et avec les gens de guerre qu'il avait amenés, retourna à Châteaudun dont il était capitaine, reportant grande estime, louange et renommée, pour les vaillants faits d'armes accomplis par lui et par ses gens à la défense et au secours d'Orléans.

La Pucelle partit pareillement le lendemain, et avec elle le seigneur de Rais, le baron de Colonces et plusieurs autres chevaliers, écuyers et gens de guerre. Elle s'en alla devers le roi lui porter les nouvelles de la noble besogne, et aussi pour le faire mettre en campagne, afin d'être couronné et sacré à Reims.

Mais avant son départ elle prit congé de ceux d'Orléans qui tous pleuraient de joie, et très humblement la remerciaient, et lui offraient leurs personnes et leurs biens pour en faire à sa volonté. Ce dont elles les remercia très bénignement; et elle entreprit son second voyage; car elle avait fait et accompli le premier, qui était de lever le siège d'Orléans. Durant ce siège furent faits plusieurs beaux faits d'armes, escarmouches, assauts, et furent trouvés innumérables engins, nouveautés et subtilités de guerre, plus que long temps auparavant n'eût été fait devant nulle autre cité, ville ou château de ce royaume, ainsi que le disaient toutes les gens en ce connaissant, tant Français qu'Anglais qui les avaient vu accomplir et inventer.

Ce mème jour (le 8), et le lendemain aussi, les gens d'Église, les seigneurs, capitaines, gendarmes et bourgeois qui étaient et demeuraient dans Orléans firent de très belles et solennelles processions, et visitèrent les églises avec très grande dévotion.

Il est vrai qu'au commencement, et avant que le siège fût assis, les bourgeois ne voulaient souffrir l'entrée d'aucun homme d'armes dans la ville, la crainte qu'ils ne voulussent les piller, ou trop fort les maîtriser.

par

1. Mais avant print congié de ceulx d'Orléans, qui tous plouroient de joye, et se offroient eulx et leurs biens à elle et à sa volonté.

Toutefois dans la suite ils laissèrent entrer tous ceux qui voulurent venir, dès qu'ils connurent qu'ils ne voulaient que les défendre, et qu'ils se comportaient si vaillamment contre leurs ennemis. Ils étaient très unis avec eux pour défendre la cité; ils se les partageaient entre eux, dans leurs maisons, et les nourrissaient des biens que Dieu leur donnait, aussi familièrement que s'ils avaient été leurs propres enfants.

CHAPITRE III

CAMPAGNE DE LA LOIRE.

SOMMAIRE: 1.

-

Opposition de la cour.

Expédition inutile contre Jargeau en l'absence de la Pucelle. II. - La Pucelle presse le roi d'aller se faire sacrer à Reims. — La Pucelle interrogée révèle ses entretiens avec les voix. est décidé après la prise de plusieurs places sur la Loire. le titre de lieutenant général du roi, avec ordre d'obéir à la Pucelle. -- Départ pour Orléans.

Le voyage de Reims Le duc d'Alençon reçoit

Ill. Départ pour Jargeau. Fausse alerte. Le siège. Le duc d'Alençon miraculeusement préservé par la Pucelle. L'assaut. Anglais abattu par maitre

--

-

Pillage de

Jean. — Grosse pierre sur la tête de la Pucelle; signe de victoire. Les Anglais forcés sur le pont. Reddition de Suffolk. Prisonniers et tués. Jargeau. Retour à Orléans. IV. — On accourt de toutes parts à l'armée de la Pucelle. En marche pour assiéger Baugency, prise du pont de Meung. -Entrée dans Baugency. - Arrivée du Connétable et conditions imposées à son admission dans l'armée. Capitulation du château et du pont de Baugency. Le secours amené par Fastolf et Talbot dirigé contre le pont de Meung. Retraite à l'arrivée de l'avant-garde française.

V. L'armée française à la poursuite de l'armée anglaise. Victoire de Patay, morts, prisonniers. Reddition de Janville. Terreur des Anglais, confiance des Français. — Le roi frustre l'attente des Orléanais. La Trémoille empêche l'admission dans l'armée du Connétable et de ses gens. Mécontentement.

I

Peu de temps après la levée du siège, sortirent de la ville le bâtard d'Orléans, le maréchal de Sainte-Sévère, le seigneur de Graville, le seigneur de Coarraze, Poton de Xaintrailles, et plusieurs autres chevaliers, écuyers et gens de guerre, parmi lesquels plusieurs portaient des guisarmes, venus qu'ils étaient de Bourges, de Tours, d'Angers, de Blois, et d'autres bonnes villes du royaume. Ils allèrent devant Jargeau, où, durant plus de trois heures, ils firent plusieurs escarmouches pour voir s'ils pourraient l'assiéger.

Ils connurent qu'ils ne pourraient y rien gagner, parce que l'eau était haute et remplissait les fossés. Ils s'en retournèrent donc sains et saufs, mais les Anglais y éprouvèrent de grands dommages; car un vaillant chevalier d'Angleterre, du nom de Henri Biset, alors capitaine de la ville, y fut tué; perte pour laquelle les Anglais menèrent grand deuil.

II

Pendant qu'avaient lieu ces engagements, la Pucelle, poursuivant son chemin, arriva vers le roi. Sitôt qu'elle le vit, elle s'agenouilla très doucement devant lui, et en l'embrassant par les jambes, elle lui dit : « Gentil Dauphin, venez prendre votre sacre à Reims; je suis fort aiguillonnée que vous y alliez; n'ayez aucun doute qu'en cette cité vous recevrez votre digne sacre ». Le roi lui fit très grand accueil; et ainsi le firent tous ceux de sa cour, en considération de son honnête vie, et des grands faits et merveilles d'armes, réalisés sous sa conduite.

Bientôt après le roi manda les seigneurs, les chefs de guerre, les capitaines et les autres sages de sa cour; et il tint plusieurs conseils à Tours pour savoir ce qu'il y avait à faire, touchant la requête de la Pucelle, qui demandait si affectueusement et si instamment qu'il se dirigeât vers Reims, assurant qu'il y serait sacré. Sur quoi les opinions furent diverses. Les uns conseillaient qu'on allât auparavant en Normandie; les autres que l'on commençât par prendre quelques-unes des principales places des rives de la Loire. Enfin le roi, et trois ou quatre de ses conseillers les plus intimes, s'étant tirés à part, devisaient entre eux en grand secret, qu'il serait bon pour plus de sûreté de savoir de la Pucelle ce que la voix lui disait, et d'où lui venait tant de fermeté dans ses assurances; mais ils craignaient de s'enquérir auprès d'elle de la vérité, de peur qu'elle en fut mécontente. Elle le connut par grâce divine: c'est pourquoi elle vint devers eux et dit au roi « En nom de Dieu, je sais ce que vous pensez, et ce que vous voulez dire de la voix que j'ai ouïe, touchant votre sacre. Je vous le dirai; je me suis mise en oraison en ma manière accoutumée, et je me complaignais de ce que l'on ne voulait pas me croire de ce que je disais, et alors la voix me dit : « Fille', va, va, « va; je serai en ton aide »; et quand cette voix me vient, je suis tant

1. Quicherat observe justement que la leçon véritable est «< fille de Dieu », et que la scène se passait à Loches. L'auteur abrège, mais il est inexcusable d'avoir omis un mot aussi touchant et aussi glorieux. Tout en croyant au surnaturel, il était de ceux qui craignent que la manifestation en soit trop fréquente; son récit ici et ailleurs semble le prouver.

réjouie que c'est merveille. » Et en disant ces paroles, elle levait les yeux au ciel, en montrant des signes de grande exultation.

Après cette manifestation, le roi fut de nouveau bien joyeux, et il en conclut qu'il la croirait et qu'il irait à Reims; mais toutefois qu'auparavant il ferait prendre quelques places des bords de la Loire. Pendant le temps qu'on mettrait à les prendre, il assemblerait grande puissance de princes, de seigneurs, de gens de guerre et d'autres, parmi ceux qui lui obéissaient. A cette fin il créa son lieutenant général, Jean, duc d'Alençon, nouvellement délivré des mains des Anglais, dans lesquelles il avait été prisonnier, depuis la bataille de Verneuil jusqu'alors qu'il venait d'en sortir. Il avait payé partie de sa rançon, et avait donné des gages et des otages pour le reste; il s'était acquitté depuis, en peu de temps, en vendant pour cela une partie de ses terres. Il tendait à en recouvrer d'autres en aidant et secourant le roi son souverain seigneur, qui pour ce faire lui donna grand nombre de gens d'armes et beaucoup d'armes de guerre, et mit en sa compagnie la Pucelle, EN LUI COMMANDANT EXPRESSÉMENT DE SE CONDUIRE ET DE FAIRE ENTIÈREMENT PAR SON CONSEIL. ET IL LE FIT AINSI, étant celui qui prenait grand plaisir (le plus de plaisir) à la voir en sa compagnie; et aussi le faisaient les gens d'armes, et encore les hommes du peuple, tous la tenant et la réputant envoyée par NotreSeigneur ; et ainsi était-elle.

C'est pourquoi le duc d'Alençon, la Pucelle et leurs gens d'armes prirent congé du roi, et se mirent aux champs, tenant belle ordonnance. En cet état, ils entrèrent peu de temps après à Orléans, où ils furent reçus à la très grande joie de tous les citoyens, et sur tous les autres la Pucelle, qu'ils ne pouvaient se rassasier de voir 1.

III

Le duc d'Alençon, la Pucelle, le comte de Vendôme, le bâtard d'Orléans, le maréchal de Sainte-Sévère, La Hire, messire Florent d'Illiers, Jamet du Tilloy, un vaillant gentilhomme dès lors très renommé appelé Tudual de Carmoisen, dit Le Bourgeoys, de la nation de Bretagne, avec plusieurs autres gens de guerre, après un court séjour à Orléans, en partirent le samedi, onzième jour de juin, formant tous ensemble environ huit mille combattants, tant à cheval qu'à pied, parmi lesquels quelques-uns portaient des guisarmes, des haches, des arbalètes, et d'autres des maillets de plomb. Menant avec eux une assez grande artillerie, ils

1. De laquelle veoir ne se povoyent saouler.

allèrent mettre le siège devant la ville de Jargeau, occupée par les Anglais; en laquelle se trouvaient messire Guillaume de la Poule, comte de Suffolk; et ses deux frères messire Jean et messire Alexandre de la Poule, avec de six à sept cents combattants anglais, munis de canons et autre artillerie, et bien vaillants en guerre, comme ils le montrèrent bien dnrant les assauts et les escarmouches qu'il eurent à soutenir.

Le siège fut (un moment) à demi levé par les paroles d'épouvante de quelques-uns, qui disaient qu'on devait le suspendre pour aller à l'encontre de messire Jean Fastolf et d'autres chefs du parti ennemi, venant de Paris et amenant des vivres, de l'artillerie, avec bien deux mille combattants anglais dans le but de faire lever le siège, ou tout au moins de ravitailler Jargeau et de lui donner secours. De fait plusieurs se retirèrent, et tous les autres eussent ainsi fait, sans la Pucelle et quelques seigneurs et capitaines qui, par leur belles paroles, les firent demeurer et ramenèrent les autres.

Le siège fut rassis en un moment, et les escarmouches commencèrent contre ceux de la ville, qui répondirent merveilleusement par leurs canons et d'autres traits. Plusieurs Français furent tués ou blessés. Entre les autres, la tête fut ôtée par le coup d'un veuglaire, à un gentilhomme d'Anjou qui s'était mis près de la place. Le duc d'Alençon, sur l'avertissement de la Pucelle lui remontrant qu'il était en péril, s'était retiré en arrière depuis si peu de temps qu'il n'était pas encore à deux toises loin du chevalier frappé. Tout le long du jour et durant la nuit qui suivit, les Français déchargèrent leurs bombardes et canons contre la ville; elle en fut fort battue; trois coups de l'une des bombardes d'Orléans, dite Bergerie ou Bergère, firent tomber la plus haute des tours qui s'y trouvaient.

Aussi le lendemain, un dimanche et le douzième jour de juin, les gens de guerre français descendirent dans les fossés, munis d'échelles et de toutes les autres pièces nécessaires pour un assaut; ils assaillirent merveilleusement ceux du dedans, qui se défendirent très vigoureusement un grand espace de temps. Il y avait spécialement sur les murs, l'un d'eux, très grand et gros, armé de toutes pièces, portant sur la tête un bassinet, qui, s'abandonnait très fort (au dehors), jetait étonnamment de grosses pierres de faix et abattait continuellement les échelles et ceux qui se trouvaient dessus. Le duc d'Alençon le montra à maitre Jean, le coulevrinier, qui pointa contre lui sa coulevrine. Du coup il frappa en pleine poitrine l'Anglais qui se montrait ainsi à découvert, et le précipita mort dans la ville.

D'autre part la Pucelle, pendant l'assaut, descendit dans le fossé avec son étendard, au lieu où la résistance était la plus àpre; et elle

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