Imágenes de páginas
PDF
EPUB

alla si près du mur qu'un Anglais lui jeta une grosse pierre de faix1 sur la tête et l'atteignit de manière à la contraindre de s'affaisser à terre. La pierre, quoique d'un caillot très dur, s'émietta par pièces sans guère faire de mal à la Pucelle; elle se releva tout incontinent; et montrant un énergique courage, elle se mit à exhorter ses gens de plus fort, leur disant de n'avoir nulle crainte, car les Anglais n'avaient plus de force de se défendre contre eux; en quoi elle leur dit la vérité, puisque, incontinent après ces paroles, les Français, tout pleins d'assurance, se prirent à monter contre les murs avec une telle hardiesse qu'ils entrèrent dans la ville et la prirent d'assaut.

Quand le comte de Suffolk, ses deux frères, et plusieurs seigneurs d'Angleterre virent qu'ils ne pourraient plus défendre les remparts, ils se retirèrent sur le pont; mais, dans la retraite, messire Alexandre, frère du comte, fut tué, et aussitôt après le pont fut rendu par les Anglais qui le reconnurent trop faible pour tenir, et se voyaient pris par-dessus. Plusieurs vaillants gens de guerre poursuivirent les Anglais; et il y avait en particulier un gentilhomme français, nommé Guillaume Regnault, qui faisait de grands efforts pour prendre le comte de Suffolk. Celui-ci lui demanda s'il était gentilhomme; à quoi il répondit que oui, et, de nouveau, s'il était chevalier, et il répondit que non. Le comte le fit chevalier et se rendit à lui. Furent semblablement pris et faits prisonniers messire Jean de La Poule, frère du comte, et plusieurs autres seigneurs et gens de guerre, parmi lesquels quelques-uns furent le soir conduits par eau et de nuit à Orléans, dans la crainte qu'ils ne fussent tués; plusieurs autres, en effet, furent tués en chemin, par suite d'un débat que le partage des prisonniers fit surgir entre les Français. Au regard de la ville de Jargeau, tout y fut pillé, même l'église où l'on avait déposé foison de biens.

Cette même nuit, le duc d'Alençon, la Pucelle avec plusieurs seigneurs et gens d'armes, retournèrent à Orléans, où ils furent reçus à très grande joie. De là ils firent savoir au roi la prise de Jargeau, et comment l'assaut avait duré quatre heures, durant lesquelles eurent lieu grand nombre de beaux faits d'armes.

De quatre à cinq cents Anglais y furent tués, sans compter les prisonniers qui étaient de grand renom, tant en noblesse qu'en faits de guerre.

1. Pierre de faix, pierre qu'on jetait par le moyen des balistes ou des mangonneaux, de la grosseur d'un fardeau (Glossaire de LACURNE).

IV

Le duc d'Alençon et la Pucelle, après cette conquête, firent un court séjour à Orléans, où il y avait déjà de six à sept mille combattants, et où l'armée fut renforcée par l'arrivée de plusieurs seigneurs, chevaliers, écuyers, capitaines et vaillants hommes d'armes, et entre les autres, la venue du seigneur de Laval, et du seigneur de Lohéac, son frère, du seigneur de Chauvigny du Berry, du seigneur de La Tour d'Auvergne, du vidame de Chartres.

par

Vers ces jours le roi vint à Sully-sur-Loire. A la vérité son armée croissait beaucoup; de jour en jour on y voyait des gens de toutes les parties du royaume soumises à son obéissance.

Le mercredi quinzième jour du même mois de juin, le duc d'Alençon, en sa qualité de lieutenant général de l'armée du roi, accompagné de la Pucelle, de messire Louis de Bourbon comte de Vendôme, et d'autres seigneurs, capitaines et gens d'armes en grand nombre, tant à pied qu'à cheval, partit d'Orléans avec une grande quantité de vivres, de charrois et d'artillerie, pour aller mettre le siège devant Baugency, et en chemin assaillir le pont de Meung, quoiqu'il fut fortifié par les Anglais, et bien garni de vaillantes gens, qui s'efforçaient de bien le défendre. Mais, malgré leur défense, il fut pris de plein assaut sans guère arrêter l'armée.

De là, conservant bien leur ordonnance, ils partirent le lendemain bien matin, et firent tant qu'ils arrivèrent devant Baugency, et y entrèrent. Les Anglais l'avaient abandonné pour se retirer au château et sur le pont qu'ils avaient fortifié; cependant les Français ne se logèrent nullement à l'aise. Quelques Anglais s'étaient embusqués secrètement dans des maisons et des masures; ils en saillirent soudainement pour tomber sur les Français pendant qu'ils prenaient leur logis; il s'ensuivit une très forte escarmouche, durant laquelle il y eut de part et d'autre des tués et des blessés. Les Anglais furent enfin contraints de se retirer sur le pont ou au château, que les Français se mirent à assiéger du côté de la Beauce, disposant à cet effet leurs bombardes et leurs

canons.

A ce siège arriva Arthur, comte de Richemont, connétable de France et frère (beau-frère) du duc de Bourgogne, et avec lui se trouvait Jacques de Dinan, seigneur de Beaumanoir, frère du seigneur de Chateaubriand. A son arrivée le Connétable pria la Pucelle, et par amour pour lui les autres seigneurs la prièrent avec lui, qu'elle voulût bien faire sa paix avec le roi; elle le lui octroya, à la condition qu'il jurerait devant

elle et les seigneurs de servir loyalement le roi. La Pucelle voulut plus encore; elle exigea que le duc d'Alençon et les autres seigneurs se portassent garants de sa fidélité, et en donnassent leurs lettres scellées; ce qu'ils firent. Par ce moyen le Connétable demeura au siège avec les autres seigneurs.

Tous ensemble conclurent qu'ils mettraient une partie de leurs gens du côté de la Sologne, pour que les Anglais fussent assiégés de toutes parts; mais le chef des assiégés fit demander à la Pucelle de parlementer afin de traiter; ce qu'on lui accorda. A la fin du pourparler, qui eut lieu sur le milieu de la nuit de cette journée (vendredi 17), il fut octroyé que les Anglais, après avoir rendu le château et le pont, pourraient s'en aller le lendemain, emmener leurs chevaux et leurs harnais, et emporter chacun quelque chose de leurs biens meubles; mais pas au delà de la valeur d'un marc d'argent ; et de plus ils jurèrent de ne s'armer qu'après dix jours passés. A ces conditions, ils s'en allèrent le lendemain, dix-huitième jour de juin, et se retirèrent dans Meung. Les Français entrèrent dans le château et y mirent des gens pour le garder.

D'une autre part, la nuit même qu'avait lieu la composition pour rendre le château et le pont de Baugency, arrivèrent les seigneurs de Talbot et de Scales, et messire Jean Fastolf. Ayant su la prise de la ville de Jargeau, ils avaient laissé à Étampes les vivres et l'artillerie qu'ils amenaient de Paris pour la secourir; et ils s'étaient en grande hâte portés au secours de Baugency, espérant faire lever le siège; mais ils ne purent pas y entrer, encore qu'ils fussent quatre mille combattants; ils trouvèrent les Français en telle ordonnance qu'ils délaissèrent leur entreprise. Ils retournèrent au pont de Meung et l'assaillirent très âprement; mais nécessité leur fut de tout laisser et d'entrer dans la ville. L'avant-garde des Français était arrivée le matin de ce jour, partie qu'elle était très hâtivement après la prise de Baugency, et se disposait à fondre sur eux. Aussi, ce même jour, ils quittèrent Meung entièrement, et ils se mirent. aux champs en belle ordonnance, avec le dessein d'aller à Janville.

V

Lorsque le duc d'Alençon et les autres seigneurs français, qui venaient après leur avant-garde, surent la retraite des Anglais, ils se hâtèrent le plus qu'ils purent, tout en gardant belle ordonnance, si bien que les Anglais n'eurent pas le loisir d'aller jusqu'à Janville, mais seulement jusqu'à un village de la Beauce, du nom de Patay.

Parce que la Pucelle et plusieurs seigneurs ne voulurent pas que le

gros de l'armée changeât son pas, l'on fit choix de La Hire, de Poton, de Jamet du Tilloy, de messire Ambroise de Loré, de Thibaud de Thermes, et d'autres vaillants hommes d'armes à cheval, pris soit parmi les gens du seigneur de Beaumanoir, soit parmi d'autres qui se mirent en leur compagnie, et on leur donna la charge d'aller courir et escarmoucher autour des Anglais pour les retenir et les empêcher de s'établir en forte position. C'est ce qu'ils firent, et plus encore; car ils fondirent sur les rangs ennemis avec une telle impétuosité, qu'encore qu'ils ne fussent que de quatorze à quinze cents, ils les mirent en désarroi et en déconfiture, quoique ces ennemis fussent au nombre de plus de quatre mille hommes de combat. Environ deux mille deux cents Anglais ou faux Français restèrent morts sur place; les autres se mirent à fuir, espérant se sauver à Janville: les habitants leur fermèrent les porte de la ville; par suite ils durent fuir ailleurs, à l'aventure. Plusieurs furent encore tués et pris, surtout par le gros de l'armée, qui, au moment de la déroute, avait rejoint les premiers coureurs.

Les Français firent à cette journée un gain considérable, car le seigneur de Talbot, le seigneur de Scales, messire Thomas Rameston, un autre capitaine appelé Hungerfort, y furent pris avec plusieurs autres seigneurs et vaillants hommes d'Angleterre. Les habitants de Janville n'y perdirent pas non plus, nombre d'Anglais ayant donné en garde à plusieurs d'entre eux la plus grande partie de leur argent, lorsqu'ils étaient passés pour aller, pensaient-ils, secourir Baugency.

Les habitants de Janville se rendirent ce jour-là même au roi et à ses gens; ainsi fit encore un gentilhomme, lieutenant du capitaine; il mit les Français dans la grosse tour, et leur fit serment d'être dorénavant bon et loyal envers le roi.

Le bruit de cette déconfiture, d'où plusieurs s'échappèrent par la fuite, entre autres messire Jean Fastolf qui se sauva dans Corbeil, jeta une si grande épouvante parmi les gens des garnisons anglaises de la Beauce, telles que les garnisons de Mont-Pipeau, Saint-Sigismond, et autres places fortes et fortifiées, que les Anglais y mirent le feu et s'enfuirent en toute hâte.

Au contraire le cœur crût aux Français. De toutes parts ils s'assemblèrent à Orléans dans la pensée que le roi y viendrait pour ordonner le voyage de son sacre, ce qu'il ne fit pas; et ce dont les habitants qui avaient fait tendre les rues et parer la ville furent mal contents, ne considérant pas les affaires du roi, qui pour disposer de son etat se tenait à Sully-sur-Loire.

C'est donc là qu'allèrent le rejoindre le duc d'Alençon et tous les seigneurs et gens de guerre qui de la journée de Patay s'étaient retirés

à Orléans; plus spécialement la Pucelle qui lui parla du Connétable. Elle lui remontra le bon vouloir qu'il professait avoir pour sa personne, les nobles seigneurs et vaillants gens de guerre, bien quinze cents combattants, qu'il lui amenait, et le pria de vouloir bien lui pardonner son mal talent. Le roi le fit à sa requête, mais par amour pour La Trémoille, qui avait la plus grande autorité autour de lui, il ne voulut pas souffrir qu'il se trouvât avec lui au voyage de son sacre. La Pucelle en fut très déplaisante; et aussi le furent plusieurs grands seigneurs, capitaines et autres gens du conseil, qui voyaient que par là il renvoyait beaucoup de gens de bien et de vaillants hommes. Toutefois ils n'en osaient parler, parce qu'ils voyaient que le roi faisait du tout en tout ce qu'il plaisait à ce seigneur de La Trémoille. Ce fut pour lui plaire qu'il ne voulut pas souffrir que le Connétable vint devers lui...

Le chroniqueur raconte par quels moyens déloyaux les AngloBourguignons de Marchenoir éludèrent l'engagement qu'ils avaient pris de rendre la place, et continue son récit...

Le dimanche après la fête de Saint-Jean-Baptiste, en ce même an mil quatre cent vingt-neuf, Bonny fut rendu à messire Louis de Culan, amiral de France, qui, par ordre du roi, était allé l'assiéger avec de grandes forces.

SOMMAIRE : 1.

CHAPITRE IV

CAMPAGNE AVANT ET APRÈS LE SACRE.

[ocr errors]

La reine amenée de Bourges à Gien. Ramenée à Bourges. — Départ Seigneurs à sa suite. L'armée devant Auxerre. — Composition. II. Tout ce qui est dans le Journal du siège est dans la Chronique de la Pucelle, mais

du roi.

pas réciproquement.

III.

- Le roi à Saint-Denis.

La Pucelle dans les fossés.

les fossés.

[ocr errors]

La Pucelle à La Chapelle.

Attaque contre Paris. — Elle est blessée sans cesser d'ordonner qu'on comble Emportée de force. Éloges donnés à son courage. On aurait pu

prendre Paris. Il est arrêté qu'on reviendra sur la Loire.

lieutenant général.

IV. — Le chemin du roi dans sa retraite.

[merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

de Bourgogne. Rentrée à Bourges. Les prédictions de la Pucelle. Conclu

[ocr errors]

sion du chroniqueur.

I

Le roi avait envoyé chercher la reine Marie, sa femme, fille de feu Louis, roi de Sicile, second du nom, parce que plusieurs étaient d'avis

« AnteriorContinuar »