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Pucelle qui disait que c'était la volonté de Dieu que le roi allât à Reims se faire sacrer et couronner; car encore qu'il fût appelé roi, il n'était pas encore couronné. Malgré les difficultés et les craintes manifestées par le roi et son conseil, Jeanne la Pucelle, par ses pressantes demandes, fit décider que le roi manderait ce qu'il pourrait trouver de gens pour entreprendre le voyage de son couronnement à Reims, encore que cette ville fût occupée par les Anglais, ainsi que toutes les villes et forteresses de Picardie, de Champagne, de l'Ile-de-France, de la Brie, du Gâtinais, de l'Auxerrois, de la Bourgogne, et généralement tout le pays entre la Loire et la mer.

Le roi convoqua son assemblée à Gien-sur-Loire. Il y avait en sa compagnie le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le comte de Vendôme, Jeanne la Pucelle, le sire de Laval, le sire de Rais, le sire d'Albret, le sire de Lohéac, frère du sire de Laval, et plusieurs autres grands seigneurs et capitaines. De toutes parts les gens d'armes venaient au service du roi et chacun avait grande attente que, par le moyen de Jeanne la Pucelle, beaucoup de biens arriveraient au royaume de France. Chacun désirait fort la voir et connaître ses faits comme chose venue par la grâce et volonté de Dieu.

Jeanne la Pucelle chevauchait toujours avec les gens d'armes et les capitaines, armée et équipée en guerre comme tous les autres de sa compagnie. Elle parlait de la guerre d'une manière aussi entendue qu'eût su le faire un capitaine. Quant le cas advenait, qu'on poussait un cri d'armes ou d'effroi, elle accourait soit à pied, soit à cheval, aussi vaillamment que capitaine de la compagnie, donnant cœur et hardiesse à tous les hommes de la compagnie, les admonestant de faire bon guet et bonne garde, ainsi qu'il était expédient de le faire. Et en toutes les autres choses, elle était une bien simple personne. Elle menait une vie belle et honnête, se confessait bien souvent, et recevait le corps de Notre-Seigneur presque toutes les semaines; elle était toujours en habits d'armes ou en habits d'homme. Et disait-on aussi que c'était fort étrange chose que de voir chevaucher une femme en telle compagnie, et bien d'autres raisons l'on disait; et il n'y avait ni docteur, ni clerc, ni autre personne qui ne fût émerveillé de son fait.

A cette époque le sire de La Trémoille était auprès du roi de France, et l'on disait qu'il entrait trop avant dans le gouvernement du roi. Cela avait été cause qu'un grand différend et débat s'était ému entre ledit de La Trémoille et le connétable de France, comte de Richemont; et il fallut que ledit Connétable, qui avait bien en sa compagnie douze cents bons combattants, s'en retournât. Pareillement firent plusieurs autres seigneurs et capitaines que le sire de La Trémoille redoutait; ce qui fut un très

grand dommage pour le roi et la chose publique; car, par le moyen de Jeanne la Pucelle, tant de gens venaient de toutes parts pour servir le roi, et à leurs dépens, que de La Trémoille et d'autres seigneurs du conseil étaient bien courroucés d'une telle multitude, par crainte pour leurs personnes, et plusieurs disaient que si le susdit de La Trémoille et d'autres du conseil avaient voulu recevoir tous ceux qui venaient au service du roi, ON AURAIT PU AISÉMENT RECOUVRER TOUT CE QUE LES ANGLAIS OCCUPAIENT AU ROYAUME DE FRANCE; mais on n'osait pas alors parler contre ledit de La Trémoille, quoique chacun vît clairement que de lui venait la faute 1.

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En ce lieu de Gien-sur-Loire fut fait aux gens de guerre un payement tel quel; car il ne se montait pas à plus de deux ou trois francs pour chaque homme d'armes. De ce même lieu de Gien-sur-Loire partit Jeanne la Pucelle, ayant plusieurs autres capitaines en sa compagnie; elle alla camper à environ quatre lieues de distance, sur le chemin de Reims par

Auxerre.

Le roi de France partit le lendemain en suivant la même route, et avant la fin du jour toute l'armée se trouva réunie.

Il faut savoir qu'il y avait dans l'armée plusieurs femmes diffamées qui empêchaient quelques hommes d'armes de suivre diligemment le roi. Ce que voyant Jeanne la Pucelle, après le cri d'ordre d'aller en avant, elle tira son épée, et en battit si bien deux ou trois qu'elle rompit son épée 2; ce dont le roi fut fort marri; il dit qu'elle aurait dû prendre un bâton pour frapper de tels coups, sans employer une épée qui lui était venue divinement, ainsi qu'elle le disait.

1. Texte pur: « Et pour celle heure estoit le sire de La Trimoille avecques le roy de France et disoit-on qu'il entreprenoit trop fort le gouvernement du roy, pour laquelle cause estoit grand question et débat meu entre ledit de La Trimoille et le connestable de France comte de Richemont; pourquoy fallut que ledit connestable qui avoit bien en sa compagnie x cens bons combatans, s'en retournast, et pareillement firent plusieurs aultres seigneurs et cappitaines, desquels le sire de La Trémoille se doubtoit, dont ung très grant dommage fust pour le roy et pour la chose publique; car par le moyen de ladicte Jehanne la Pucelle venoient tant de gens de toutes parts devers le roy pour le servir et à leurs despens que on disoit que iceulx de La Trimoille et aultres du conseil du roy estoient bien couroucés que tant y en venoit pour la doubte de leurs personnes; et disoient plusieurs que se ledit de La Trimoille et aultres du conseil du roy eussent voulu recevoir tous ceulx qui venoient au service du roy, quilz eussent peu légierement recouvrer tout ce que les Angloys occupoient au royaulme de France. Et n'osoit-on parler lors contre ledit de La Trimoille, combien que chacun vist clerement que la faulte venoit de luy. »

2. C'est à Saint-Denis que le fait arriva, d'après la déposition du duc d'Alençon.

Ce jour, le roi chevaucha tellement qu'il vint devant la cité d'Auxerre, qui ne lui fit pas pleine obéissance. Quelques bourgeois vinrent à sa rencontre, après avoir, disait-on, donné de l'argent à La Trémoille afin d'obtenir pour cette fois de demeurer en trêve et abstinence de guerre; ce dont furent très mécontents quelques capitaines de l'armée, qui s'en plaignaient fort et accusaient le sire de La Trémoille et quelques conseillers du roi. Jeanne maintenait constamment qu'il fallait donner assaut à la ville; on finit cependant par accorder l'abstinence demandée. Toutefois les habitants d'Auxerre donnèrent pour de l'argent des vivres à l'armée, qui en sentait une très grande nécessité et besoin.

Dans toute la suite, jusqu'au siège de Paris, Chartier suit pas à pas la Chronique de la Pucelle; il lui emprunte jusqu'à la phrase, il ne dit rien que l'on ne trouve dans l'œuvre des deux Cousinot. Il retranche parfois. C'est ainsi qu'il ne rapporte pas que Jeanne se serait jetée aux pieds du roi après le sacre, et aurait prononcé les paroles rapportées par la Chronique de la Pucelle et le Journal du siège. On lit à la place : « Là était Jeanne La Pucelle, laquelle tenait son étendard en mains; car elle était cause principale du couronnement et de toute l'assemblée qui se trouvait ainsi réunie, ainsi qu'il a été dit ».

Il ne rapporte pas non plus la scène qui se serait passée à Crépy-en-Valois. Voici son récit à partir des escarmouches de Montépilloy.

III

Le jour suivant, le roi avec son armée alla droit à Compiègne qui lui fit obéissance; il y établit comme capitaine un nommé Guillaume de Flavy, originaire de ce pays. Les bourgeois de Beauvais vinrent l'y trouver pour lui faire acte de soumission de la part de leur ville.

Semblablement se mirent en mouvement l'évêque et les bourgeois de Senlis, et vinrent aussi à Compiègne pour mettre leur ville en l'obéissance du roi, qui sortit de Compiègne pour venir à Senlis.

La même année, sur la fin du mois d'août, le duc de Bedford sortit de Paris, gagna la Normandie, amenant son armée, qu'il dissémina en divers lieux de ce pays et d'ailleurs, pour garder les places confiées à son gouvernement et lui rendant obéissance. Il laissa à Paris messire Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, soi-disant chancelier de France, un chevalier anglais nommé messire Jean Radley; un autre, natif de France, du nom de messire Simon Morhier, pour lors prévôt de Paris. Pour la garde et la défense de Paris, ils avaient environ deux mille Anglais.

A la fin du même mois d'août, le roi de France, quittant Senlis, s'en vint avec son armée à Saint-Denis en France; les habitants lui rendirent obéissance et il y entra avec ses troupes. Après leur entrée, de grandes escarmouches commencèrent entre les Français et les Anglais de Paris. Trois ou quatre jours après son arrivée, le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le comte de Laval, le sire d'Albret, Jeanne la Pucelle, les sires de Rais et de Boussac, maréchaux de France, et autres en leur compagnie, se logèrent comme à mi-chemin entre Saint-Denis et Paris, en village nommé La Chapelle.

Le lendemain les dues nommés et d'autres seigneurs français se mirent aux champs près de la porte Saint-Honoré, sur une butte' qu'on appelle le marché aux pourceaux; et ils firent ajuster plusieurs canons et coulevrines afin de tirer dans la ville de Paris. Les Anglais tournoyaient à l'intérieur le long des murailles, leurs enseignes déployées, parmi lesquelles l'on remarquait une bannière blanche traversée d'une grande croix vermeille. A leur arrivée les Français prirent d'assaut le boulevard Saint-Honoré. A cette prise se trouvait un chevalier nommé le sire de Saint-Vallier, qui, avec ses gens, fit grandement son devoir.

Les Français pensaient que les Anglais et les autres défenseurs de Paris sortiraient par la porte Saint-Denis, ou par toute autre porte pour tomber sur eux voilà pourquoi les ducs d'Alençon et de Bourbon, le sire de Montmorency, d'autres encore, se tenaient toujours avec de grandes forces derrière cette grande butte, prêts à combattre. Le sire de Montmorency fut fait chevalier ce jour-là 2. Ils ne pouvaient pas se tenir plus près du combat, à cause des canons et des coulevrines qu'on tirait sans cesse de Paris.

Jeanne la Pucelle dit qu'elle voulait donner l'assaut à Paris; elle n'était pas bien informée de la grande profondeur de l'eau dans les fossés. Elle s'avança néanmoins avec une grande suite d'hommes d'armes, parmi lesquels le sire de Rais, maréchal de France; ils descendirent dans l'arrière-fossé, où ils se postèrent, Jeanne, le maréchal de Rais et d'autres en grand nombre. Ils y restèrent tout le jour. La Pucelle y fut blessée à la jambe par un vireton 3; elle ne voulut cependant pas sortir de l'arrièrefossé; et elle se donnait grand mouvement pour faire jeter des fascines et d'autres bois dans le principal fossé, dans l'espérance de passer; ce qui n'était pas possible à cause de la grande quantité d'eau.

La nuit survenue, les ducs d'Alençon et de Bourbon envoyèrent plusieurs fois la querir, et pour rien elle ne voulut se retirer. Il fallut que

1. Butte, petite élévation.

2. D'après d'autres chroniques, il ne sortit de Paris que le lendemain. 3. Vireton, trait d'arbalète.

III.

11

le duc d'Alençon vînt la chercher et la ramener. L'armée se replia sur La Chapelle, où elle avait passé la nuit précédente.

Le lendemain les ducs d'Alençon et de Bourbon, Jeanne la Pucelle et d'autres retournèrent à Saint-Denis, où était le roi. Les jours suivants Jeanne la Pucelle suspendit ses armures devait le précieux corps de Monseigneur saint Denis et de ses compagnons, et elle les offrit par grande dévotion 1.

CHAPITRE V

RETRAITE AU DELA DE LA LOIRE. CE QUE JEAN CHARTIER DIT ENCORE

DE LA PUCELLE.

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SOMMAIRE I. Lagny fait soumission au roi. Loré en est fait capitaine. - Capitaines nommés à la garde des villes récemment soumises. Le roi quitte Saint

Denis. L'armure complète de Jeanne suspendue dans la basilique. - Itinéraire du retour. Saint-Denis repris par les Anglais; ils enlèvent l'armure de la Pucelle. Universel brigandage. Le pays appauvri. Secours envoyés par le roi. II. La Pucelle reprend Saint-Pierre-le-Moustier, échoue devant La Charité.

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III.

IV.

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-

Efforts des Anglais contre Lagny.

les Anglais. Victoire de la Pucelle.

--

Siège de Compiègne. différentes sur sa prise.

Variante.

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Jeanne se jette dans la place assiégée.
Indication sommaire des étapes de son martyre.

Appendice tiré de la Chronique latine.

Versions

I

La Pucelle ne paraît plus désormais dans le récit de l'historiographe que par intervalles. Voici les extraits où il en est question, et même ceux qui peuvent mieux servir à se rendre compte des faits.

Le vingt-neuvième jour du mois d'août, en l'an susdit, le prieur de l'abbaye de Lagny et Arthur de Saint-Marry avec quelques habitants de la ville vinrent à Saint-Denis mettre Lagny en l'obéissance du roi. Le roi chargea le duc d'Alençon d'y envoyer quelqu'un; et le duc députa messire Ambroise de Loré auquel la ville fut remise par les bourgeois

1. Ce récit de l'échec contre Paris et du départ de l'armée est écourté dans l'historiographe officiel. Il sera discuté dans la suite d'après ce qu'en disent les diverses Chroniques, et tout particulièrement Perceval de Cagny, et la Chronique dite des Cordeliers.

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