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Le mercredi, x du mois, le roi et sa compagnie vinrent prendre gite en la ville de La Ferté-Milon.

Le lendemain jeudi, ce fut à Crépy-en-Valois, et le lendemain vendredi à Lagny-le-Sec.

Le lendemain, samedi, le roi tint les champs tout le jour près de Dammartin-en-Gouelle, pensant que les Anglais viendraient le combattre; mais ils ne vinrent pas.

Pendant le temps que le roi mit à faire son chemin de Reims à Dammartin-en-Gouelle, la Pucelle fit grande diligence pour réduire plusieurs places et les mettre en l'obéissance du roi. Il en fut ainsi; par elle, à la suite de ses démarches, plusieurs furent faites françaises.

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II

(Comment) LE ROY ET LE DUC DE Betfort furent l'un devant l'autRE PRÈS DE SENLIS. Le dimanche xiv jour d'août, la Pucelle, le duc d'Alençon, le comte de Vendôme, les maréchaux et autres capitaines, à la tête de vi à vii mille combattants, à l'heure de vêpres, vinrent s'échelonner en un seul rang' près de Montépilloy, à deux lieues environ de la cité de Senlis. Le duc de Bedford, et les capitaines anglais, commandant de VIII à Ix mille Anglais, étaient campés à demi-lieue, près de Senlis, entre nos gens et la ville, sur une petite rivière, en un village nommé La Victoire. Ce soir, nos gens allèrent escarmoucher avec les Anglais près de leur campement; et à cette escarmouche, il fut fait des prisonniers de part et d'autre; du côté des Anglais, le capitaine d'Orbec et x ou x autres y trouvèrent la mort; il y eut des blessés des deux côtés. La nuit vint, et chacun se retira dans son camp.

Le lundi xv jour d'août MCCCCXXIX, dans la pensée qu'on aurait la bataille ce jour-là même, la Pucelle, le duc d'Alençon, la compagnie, chacun de ceux qui composaient l'armée, se mirent, à part soi, dans le meilleur état de conscience que faire se peut; ils ouïrent la messe le plus matin possible; et après ce, à cheval.

Ils vinrent mettre l'armée près de l'armée des Anglais. Ceux-ci

1. C'est le sens que nous donnons au texte : furent logiés à une haye, aux champs, près Montpillouer. C'est, d'après Lacurne, une des significations du mot rangés en haie, en termes militaires, et l'on conçoit assez difficilement six ou sept mille hommes derrière une haie.

2. C'est par suite de cette préparation si chrétienne que le seigneur d'Ourches déposait à Vaucouleurs: « J'ai vu Jeanne se confesser à Frère Richard devant la ville de Senlis, et recevoir durant deux jours (le dimanche et le jour de l'Assomption) le corps du Christ avec les ducs de Clermont et d'Alençon ». (La Paysanne et l'Inspirée, p. 228.)

n'avaient pas bougé du lieu où ils avaient couché. Toute la nuit ils s'étaient fortifiés avec des pieux, en creusant des fossés, en mettant leurs charrois devant eux; la rivière protégeait leurs derrières. Il y eut tout le jour de grandes escarmouches, sans que les Anglais fissent jamais quelque semblant de vouloir sortir de leur position, sinon pour combat d'escarmouche. Quand la Pucelle vit qu'ils ne sortaient pas, elle vint son étendard en main se mettre à l'avant-garde, et s'avança assez pour venir frapper aux fortifications des Anglais. En cette attaque il y eut des morts de côté et d'autre. Les Anglais ne donnant aucun signe de vouloir sortir avec leurs grandes forces, la Pucelle fit retirer tout son monde jusqu'au gros de l'armée; et il leur fut mandé de sa part, de la part du duc d'Alençon, des capitaines, que s'ils voulaient sortir de leur parc pour donner la bataille, nos gens se reculeraient, et les laisseraient se mettre en leur ordonnance de combat. Ils ne voulurent pas accepter, et ils se tinrent tout le jour sans sortir de leurs fortifications, sinon pour de légers engagements. La nuit venue, nos gens revinrent à leur campement.

Le roi fut tout ce jour à Montépilloy. Étaient en sa compagnie le duc de Bar qui l'avait rejoint à Provins, le comte de Clermont et d'autres capitaines. Quand le roi vit qu'on ne pouvait faire sortir les Anglais de leur position et que la nuit approchait, il retourna prendre gîte à Crépy.

La Pucelle, le duc d'Alençon et leur compagnie, se tinrent toute la nuit en leur lieu de campement. Pour savoir si les Anglais ne se mettraient pas à leur poursuite, le mardi bien matin, ils se reculèrent à Montépilloy, et ils se tinrent jusques environ l'heure de midi, que des nouvelles leur vinrent que les Anglais retournaient à Senlis et droit à Paris. Nos gens rejoignirent alors le roi à Crépy.

Le mercredi xvire jour du même mois, les clefs de la ville de Compiègne furent apportées au roi, et le lendemain, jeudi, le roi et sa compagnie allèrent prendre gîte en cette cité.

COMME LE ROY VINT A COMPIENGNE QUAND IL OT LESSÉ LE DUC DE BETHFORD. Avant que le roi partit de Crépy, il disposa que le comte de Vendôme, les maréchaux de Boussac et de Rais et d'autres capitaines en leur compa gnie iraient devant la cité de Senlis. Après leur arrivée devant la place, ceux du dedans considérèrent les grandes conquêtes que le roi avait faites en peu de temps par l'aide de Dieu et le moyen de la Pucelle, et qu'ils avaient vu le duc de Bedford avec toutes ses forces, qui près de leur ville, n'avait pas osé combattre le roi et ses fidèles, mais que chefs et soldats s'étaient reculés à Paris et ailleurs aux autres places; et ils se rendirent au roi et à la Pucelle. Le comte de Vendôme demeura gouverneur et gardien de la place, et il y acquit honneur et chevanche.

Quand le roi se trouva audit lieu de Compiègne, la Pucelle fut très marrie du séjour qu'il y voulait faire. Il semblait à sa manière qu'à cette heure il fût content de la grâce que Dieu lui avait faite, sans vouloir autre chose entreprendre. La Pucelle appela le duc d'Alençon et lui dit: « Mon beau duc, faites apprêter vos gens et ceux des autres capitaines, et elle ajouta: par mon Martin, je veux aller voir Paris de plus près que je ne

l'ai vu. »

Le mardi xx jour d'août, la Pucelle et le duc d'Alençon partirent de Compiègne d'auprès du roi avec une belle compagnie de gens. En faisant leur chemin, ils vinrent recueillir une partie de ceux qui avaient été au recouvrement de Senlis, et le vendredi suivant xxvi jour du même mois, la Pucelle, le duc d'Alençon et leur compagnie étaient logés en la ville de Saint-Denis. Quand le roi sut qu'ils étaient ainsi logés à Saint-Denis, il vint à son grand regret en la ville de Senlis. Il semblait qu'il fût conseillé dans le sens contraire au vouloir de la Pucelle, du duc d'Alençon, et de ceux de leur compagnie.

COMME LE DUc de BethforD ABANDONNA Paris. · Quand le duc de Bedford vit que la cité de Senlis était française, il laissa Paris au gouvernement des bourgeois, du sire de l'Isle-Adam et des Bourguignons de sa compagnie, et n'y laissa guère d'Anglais. Il s'en alla à Rouen très marri, et en grande crainte que la Pucelle ne remît le roi en sa seigneurie.

III

Depuis que la Pucelle fut arrivée à Saint-Denis, deux ou trois fois par jour, nos gens étaient à l'escarmouche aux portes de Paris, tantôt en un lieu, tantôt à un autre, parfois au moulin à vent devers (entre) la porte Saint-Denis et La Chapelle. Il ne se passait pas de jour que la Pucelle ne vînt faire les escarmouches; elle se plaisait beaucoup à considérer la situation de la ville, et par quel endroit il lui semblerait plus convenable de donner un assaut. Le duc d'Alençon était le plus souvent avec elle. Mais parce que le roi n'était pas venu à Saint-Denis, quelque message que la Pucelle et le duc d'Alençon lui eussent envoyé, ledit duc d'Alençon alla vers lui le premier jour de septembre. Il lui fut

1. C'est là, en effet, qu'il mit la dernière main à la trêve désastreuse par laquelle il se laissa berner par le duc de Bourgogne.

2. Ce n'était que trop réel, mais le fallacieux traité avec le duc de Bourgogne était tenu secret. Il semble avoir même échappé aux historiens jusqu'à la dernière partie de ce siècle, que plusieurs exemplaires sont sortis de la poussière des archives. De là l'embarras des chroniqueurs les plus sincères, et les réticences semées dans leurs récits.

dit que le roi partirait le 2, et le duc revint à sa compagnie, et parce que le roi ne venait pas, le duc d'Alençon retourna vers lui le lundi suivant, ve du mois. Il fit tant que le roi se mit en chemin, et le mercredi il fut à diner à Saint-Denis; ce dont la Pucelle et toute la compagnie furent très réjouis. Et il n'y avait personne, de quelque état qu'il fût, qui ne dit: «Elle mettra le roi dans Paris, si à lui ne tient » (s'il ne l'empêche pas).

COMME LA PUCELLE DONNA L'ASSAULT A LA VILLE DE PARIS. Le jeudi MCCCCXXIX, jour de Notre-Dame, vi jour de septembre, la Pucelle, le duc d'Alençon, les maréchaux de Boussac et de Rais, d'autres capi-taines avec grand nombre de gens d'armes et d'hommes de trait, partirent, sur les vi heures, de La Chapelle, près de Paris, en belle ordonnance, les uns pour livrer la bataille, les autres pour garder de surprise ceux qui donneraient l'assaut.

La Pucelle, le maréchal de Rais, le sire de Gaucourt, et par l'ordonnance de la Pucelle ceux que bon lui sembla', allèrent donner l'assaut à la porte Saint-Honoré. La Pucelle prit son étendard en main, et entra avec les premiers dans les fossés, en face du marché aux pourceaux. L'assaut fut dur et long. C'était merveille d'ouïr le bruit et le fracas des canons et des coulevrines que ceux du dedans jetaient à ceux du dehors; et le sifflement de toute espèce d'armes de trait, en si grand nombre qu'elles étaient comme innombrables'. Et quoique la Pucelle et grand nombre de chevaliers, d'écuyers et d'autres gens de guerre, fussent descendus dans les fossés, que d'autres se tinssent sur le bord et aux environs, très peu furent atteints et portés à terre de coups de pierres de canon; mais par la grâce de Dieu et l'heur de la Pucelle, nul homme n'en mourut, ni ne fut blessé au point de ne pouvoir revenir à son aise et sans aide à son logis.

L'assaut dura depuis l'heure de midi jusqu'à environ l'heure du jour faillant, et après le soleil couchant la Pucelle fut frappée à la cuisse d'un trait d'arbalète à hausse pied'. Et après qu'elle eut été atteinte, elle s'efforçait plus fort de dire que chacun s'approchât des murs et que la place serait prise. Mais parce qu'il était nuit, qu'elle était blessée, et que les gens était lassés du long assaut qu'ils avaient fait, le sire de Gau

1. « La Pucelle, le maréchal de Rais, le sire de Gaucourt, appelé ce qui bon lui sembla, allèrent », etc.

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2. « Estoit merveille à ouyr le brut et la noise des canons et coulevrines que ceulx de dedens gectoient à ceulx de dehors, et de toutes manières de traict à si grand planté comme innombrable. »

3. La Pucelle fut férue d'un trait de hausse pié d'arbalète par une cuisse. Probablement du trait d'une arbalète qu'on tendait avec le pied, par opposition à celles qui exigeaient

un tour.

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court et d'autres vinrent prendre la Pucelle, et, contre son vouloir, l'emmenèrent hors des fossés. Et ainsi faillit l'assaut.

Elle avait très grand regret d'ainsi se départir, et disait : « Par mon Martin, la place eût été prise! » Ils la mirent à cheval, et la ramenèrent à son logis audit lieu de La Chapelle, où rentrèrent tous les autres de la compagnie du roi, le duc de Bar, le comte de Clermont, qui ce jour étaient venus de Saint-Denis 1.

COMME LA PUCELLE PARTIT DE DEVANT PARIS OULTRE SON VOULOIR. Le vendredi, Ix jour du même mois, la Pucelle, quoiqu'elle eût été blessée le jour précédent à l'assaut de Paris, se leva bien matin, et fit venir son beau duc d'Alençon par lequel elle. donnait ses ordres; et elle le pria de faire sonner les trompilles et de monter à cheval pour retourner devant Paris; et affirma par son Martin que jamais elle n'en partirait sans avoir la ville. Le duc d'Alençon et d'autres capitaines avaient bien le vouloir de seconder son entreprise et de retourner; mais quelques-uns ne le voulaient pas.

Tandis qu'ils étaient en ces pourparlers, le baron de Montmorency, qui avait toujours tenu le parti contraire au roi, vint de l'intérieur de la ville accompagné de L ou LX gentilshommes se mettre en la compagnie de la Pucelle; ce qui donna plus de cœur et accrut le courage de ceux qui avaient la bonne volonté de retourner devant la ville.

Tandis que se faisait le rapprochement, arrivèrent, de la part du roi qui était à Saint-Denis, le duc de Bar et le comte de Clermont. Ils prièrent la Pucelle que, sans aller plus loin, elle retournât auprès du roi à Saint-Denis. De la part du roi, ils prièrent aussi d'Alençon, et commandèrent à tous les autres capitaines, de venir et d'amener la Pucelle vers lui.

La Pucelle et la plupart de ceux de la compagnie en furent très marris; néanmoins ils obéirent à la volonté du roi, dans l'espérance qu'ils trouveraient entrée pour prendre Paris par l'autre côté, en passant la Seine sur un pont que le duc d'Alençon avait fait jeter sur la rivière vis-à-vis de Saint-Denis; et ils vinrent ainsi vers le roi.

Le lendemain, samedi, une partie de ceux qui avaient été devant Paris pensèrent aller bien matin passer la Seine sur ledit pont, mais ils ne le purent, parce que le roi, ayant su l'intention de la Pucelle, du duc d'Alençon et des autres de bon vouloir, avait fait passer toute la nuit à le mettre en pièces. Et ils furent ainsi empêchés de passer.

Ce jour, le roi tint son conseil auquel plusieurs opinions furent émises;

1. «<llz la mirent à cheval et la ramenèrent à son logis audit lieu de La Chapelle, et touz les autres de la compaignie le roy, le duc de Bar, le comte de Clermont qui ce jour estoient venus de Sainct-Denys. »

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