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il demeura à Saint-Denis jusqu'au mardi xn jour de septembre, tendant toujours à revenir sur la Loire, au grand déplaisir de la Pucelle. COMME LE ROY PARTIT DE SAINCT-DENYS. Le mardi xi, le roi, d'après l'avis de quelques-uns de son conseil et de quelques seigneurs de son sang, enclins à accomplir son vouloir, partit après dîner dudit lieu de Saint-Denis. Quand la Pucelle vit qu'elle ne pouvait trouver aucun remède à son départ, elle donna et déposa tout son harnois complet. devant l'image de Notre-Dame et devant les reliques de l'abbaye de SaintDenis; et A SON TRÈS GRAND REGRET, elle se mit en la compagnie du roi, qui s'en revint le plus rapidement qu'il put, et parfois en faisant son chemin d'une manière désordonnée et sans cause. Le mercredi xX1o, dudit mois, il fut à dîner à Gien-sur-Loire.

AINSY FUT ROMPU LE VOULOIR DE LA PUCELLE, ET FUT AUSSI ROMPUE L'ARMÉE

DU ROY.

CHAPITRE V

LA SUITE DE L'HISTOIRE DE LA PUCELLE JUSQU'A SON SUPPLICE.

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SOMMAIRE: I. La faveur dont le duc d'Alençon jouissait auprès de la Pucelle. demande en vain de l'amener à la conquête de la Normandie. Combien il fut peu sensé d'arrêter les conquêtes de la Pucelle. Ses incroyables exploits, ce qu'elle a fait en quatre mois. - Inaction du roi. Il retient la Pucelle auprès de lui. Tristesse de l'héroïne. Conquête de quelques places. Échec devant

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II. — La Pucelle mécontente quitte le roi sans prendre congé de la cour. Son arrivée à Lagny. — Elle taille en pièces une compagnie d'ennemis. Effroi dans Paris. Les villes dans lesquelles elle séjourne. Le siège de Compiègne. La Pucelle se jette dans la ville, le 24 mai. — Engagement, embuscade : comment elle est prise.

III. Prison de la Pucelle.

- Elle est vendue aux Anglais.

Ce qu'elle dit des villes qu'elle a rendues au roi. Prisonnière à Rouen. Combien les Anglais désirent Leurs incriminations. - La sentence et l'exécution.

IV.

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la trouver coupable. Toute-puissance de La Trémoille. Comment et par qui il est renversé. Inaction du roi à partir de Saint-Denis et surtout du supplice de la Pucelle. Elle seule a fait les conquètes. Ce que, par pusillanimité, il sacrifie au traité d'Arras. - Le roi et les princes du sang étant inactifs, la défense revient à de simples chevaliers.

I

COMME LE DUC D'ALENÇON SE PARTIT DU ROY. Le duc d'Alençon avait toujours été en la compagnie de la Pucelle : c'était lui qui l'avait toujours conduite sur le chemin du couronnement du roi à Reims, et de Reims

III.

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jusqu'à Paris. Quand le roi fut arrivé à Gien, ledit d'Alençon s'en alla vers sa femme en sa vicomté de Beaumont, et les autres capitaines chacun en sa frontière; la Pucelle resta près du roi, TRÈS ENNUYÉE DE PAREIL DÉPART, et surtout de celui du duc d'Alençon qu'elle aimait très fort, faisant pour lui ce qu'elle n'eût pas fait pour un autre.

Peu de temps après, ledit d'Alençon assembla des gens pour entrer au pays de Normandie, vers les marches de Bretagne et du Maine. A cette fin il requit et fit requérir le roi pour qu'il lui plût de lui envoyer la Pucelle, et que, par son moyen, plusieurs se mettraient en sa compagnie qui ne bougeraient pas, si elle ne se mettait pas elle-même en campagne. Messire Regnault de Chartres, le seigneur de La Trémoille, le sire de Gaucourt, qui gouvernaient alors la personne du roi et le fait de sa guerre, ne voulurent jamais y consentir; ils ne voulurent ni faire, ni consentir que la Pucelle et le duc d'Alençon fussent ensemble; et il ne put depuis la recouvrer.

COMME LE ROY DEMOURA A (cessa de) PARSUIVRE LA GUERRE. Quand le roi fut arrivé audit lieu de Gien, lui et ceux qui le gouvernaient firent semblant de penser que c'était assez du voyage qu'il avait fait; et de longtemps après, le roi n'entreprit sur ses ennemis aucun dessein où il voulût être en personne. On pourrait bien dire que c'était par fol conseil', si lui et eux eussent voulu considérer la très grande grâce que Dieu lui avait faite, et avait faite à son royaume, par l'entreprise de la Pucelle, messagère de Dieu sur ce point, comme on pouvait le reconnaître par ses faits.

Elle fit des choses incroyables à ceux qui ne les avaient pas vues, et l'on peut dire qu'elle en aurait fait encore, si le roi et ses conseillers se fussent bien conduits et bien maintenus envers elle. C'est en tout point manifeste, car en moins de quatre mois, elle délivra et mit en l'obéissance du roi sept cités, à savoir Orléans, Troyes-en-Champagne, Châlons, Reims, Laon, Soissons et Senlis, et plusieurs villes et châteaux; elle gagna la bataille de Patay; par son moyen le roi fut sacré et couronné à Reims, et tous, chevaliers, écuyers et autres gens de guerre, furent très bien contents de servir le roi en sa compagnie, encore qu'ils fussent petitement soldés.

A la suite de ce qui vient d'être rapporté, le roi passa son temps aux pays de Touraine, de Poitou et de Berry. La Pucelle fut la plupart du

1. Et depuis de long-tems après, le roy n'entreprint nulle chose à faire sur ses ennemys où il vousist estre en personne. On pourroit bien dire que ce estoit par son conseil, se lui et eulx eussent voulu regarder la très grant grâce que Dieu avoit faite à lui et à son royaulme par l'entreprise de la Pucelle, message de Dieu en ceste partie, comme par ses faiz povoit estre aperceu. Quicherat propose de lire « fol conseil », au lieu de son conseil, ce qui semble fondé.

temps auprès de lui, TRÈS MARRIE de ce qu'il n'entreprenait pas de conquérir de ses places sur ses ennemis.

Le roi étant en sa ville de Bourges, elle prit quelques capitaines et conquit trois ou quatre places sur la rivière de la Loire, dans les environs de la ville de La Charité, qui était tenue par les Bourguignons. Après ces succès, le maréchal de Boussac et d'autres capitaines se joignirent à elle, et bientôt après elle mit le siège devant ledit lieu de La Charité. Elle y resta un certain espace de temps, mais parce que le roi n'en vint pas1 à lui envoyer des vivres et de l'argent, pour entretenir sa compagnie, elle dut lever son siège et se retirer à sa grande déplaisance.

L'alinéa qui suit est une interpolation, comme l'observe justement Quicherat. Non seulement il fait double emploi avec ce qui suit, mais il place à la fin d'avril un départ qu'immédiatement après il place à la fin de mars.

En l'an MCCCCXXX, vers la fin du mois d'avril, la Pucelle, très mécontente des gens du conseil du roi sur le fait de la guerre, partit d'auprès du roi, et s'en alla en la ville de Compiègne, sur la rivière de l'Oise.

II

COMME LA PUCELLE SE PARTIT DU ROY. En l'an MCCCCXXX (v. st.) le jour de mars, le roi étant en la ville de Sully sur-Loire, la Pucelle qui, pour l'avoir vu et entendu, savait tout le fait, et la manière que le roi et son conseil tenaient pour le recouvrement du royaume, ET EN ÉTAIT TRÈS MAL CONTENTE, trouva moyen de se retirer d'auprès d'eux. Sans que le roi le sût et sans prendre congé de lui, elle fit semblant d'aller se récreer, et, au lieu de retourner, elle alla à la ville de Lagny-sur-Marne, parce que ceux de la place faisaient bonne guerre aux Anglais de Paris et d'ailleurs.

Elle n'y fut guère sans que les Anglais se réunissent pour faire une course devant ladite place. Elle sut leur venue, fit monter ses gens à cheval, et alla à leur rencontre malgré leur nombre supérieur, entre la dite place et....., elle ordonna à ses gens de se jeter sur leurs rangs; ils trouvèrent peu de résistance, et de trois à quatre cents Anglais restèrent sur le terrain. La venue de la Pucelle fit grande rumeur et grand bruit à Paris, et dans d'autres places opposées au roi. Après cet exploit, la

1. « Pour ce que le roy ne fist finance de lui envoyer vivres ne argent pour entretenir sa compaignie. »

2. « Sans le sceu du roy, ne prendre congé de lui, elle fist semblant d'aller en aucun esbat. >>

Pucelle passa le reste de son temps jusqu'au mois de mai, à Senlis, à Crépy-en-Valois, à Compiègne et à Soissons.

COMME ELLE VINT A COMPIÈGNE, ET LA FUT PRISE. En l'an MCCCCXXX, le XXIV jour dudit mois de mai, la Pucelle informée à Crépy où elle était, que le duc de Bourgogne avec grand nombre de gens d'armes et d'autres, et le comte d'A rondel, étaient venus assiéger Compiègne, partit de Crépy sur le minuit, à la tête de trois à quatre cents combattants. Comme on lui observait qu'elle avait peu de gens pour passer au milieu de l'armée des Bourguignons et des Anglais, elle répondit : « Par mon Martin, nous sommes assez, j'irai voir mes bons amis de Compiègne ». Elle arriva vers le soleil levant; et sans perte ni empêchement, soit pour elle, soit pour ses gens, elle entra dans la cité. Ce même jour les Bourguignons et les Anglais vinrent à l'escarmouche, en la prairie, devant la ville. Il fut fait de grands faits d'armes d'un côté et de l'autre.

Les Bourguignons et les Anglais, sachant que la Pucelle était dans la ville, pensèrent bien que ceux de dedans sailliraient à grand effort, et pour cela les Bourguignons mirent une grosse troupe de leurs gens en embuscade derrière une grande montagne voisine, appelée le Mont de Clairoy. Sur les neuf heures du matin, la Pucelle apprit que l'escarmouche était forte et grande en la prairie devant la ville. Elle s'arma, fit armer ses gens, les fit monter à cheval, et vint se jeter dans la mêlée. Aussitôt après sa venue les ennemis reculèrent et furent mis en chasse. La Pucelle chargea fort du côté des Bourguignons. Ceux qui étaient en embuscade, voyant leurs gens revenir en grand désarroi, sortirent du lieu où ils étaient cachés, et à coups d'éperons vinrent se mettre entre le pont de la ville, la Pucelle et sa compagnie. Une partie d'entre eux tournèrent droit à la Pucelle; ils étaient si nombreux que ceux de sa compagnie ne purent en réalité soutenir l'attaque, et dirent à la Pucelle: « Songez à rentrer dans la ville, ou, vous et nous, sommes perdus ! »>

LA PRINSE DE LA PUCELLE. Quand la Pucelle les eut ouï ainsi parler, elle leur dit très marrie : « Taisez-vous, il ne tiendra qu'à vous qu'ils soient déconfits. Ne pensez qu'à frapper sur eux. » Pour chose qu'elle dit, ses gens ne voulurent point la croire, et de force la firent retourner vers le pont. Quand les Bourguignons et les Anglais virent qu'elle revenait sur ses pas pour regagner la ville, ils se postèrent en grand nombre au bout du pont. Là se firent de grandes armes (grands exploits). Le capitaine de la place, voyant la grande multitude d'Anglais et de Bourguignons prêts à entrer sur son pont, dans la crainte de perdre la place à lui confiée, fit lever le pont de la ville et fermer la porte. La Pucelle demeura ainsi fermée dehors, n'ayant que peu de gens avec elle.

Quand les ennemis la virent en cet état, tous s'efforcèrent de la pren

dre; elle résista très fort contre eux, et en la parfin elle fut prise par cinq ou six ensemble, les uns mettant la main sur elle, les autres sur son cheval, chacun d'eux disant : « Rendez-vous à moi, et baillez la foi! » Elle répondit : « J'ai juré et baillé ma foi à autre qu'à vous, et je lui tiendrai mon serment » ; et en disant ces mots, elle fut menée au logis de Messire Jean de Luxembourg.

III

COMME LA PUCELLE FUT MISE EN PRISON. - Messire Jean de Luxembourg la fit garder en son logis trois ou quatre jours, et après cela, tandis qu'il restait au siège devant la ville, il fit mener la Pucelle en un château nommé Beaulieu, en Vermandois. Elle y fut détenue prisonnière l'espace de quatre mois ou environ'. Ensuite ledit de Luxembourg, par l'entremise de l'évêque de Thérouanne, son frère, chancelier de France pour le roi anglais, la livra, pour le prix de quinze ou seize mille saluts, comptés au même Luxembourg, au duc de Bedford, lieutenant en France du roi d'Angleterre, son neveu. La Pucelle fut ainsi mise entre les mains des Anglais, et menée au château de Rouen, où ledit Bedford faisait pour lors sa demeure.

Comme elle était en prison au château de Beaulieu, celui qui avait été son maître d'hôtel avant sa prise, et qui la servit en prison, lui dit un jour : « Cette pauvre ville de Compiègne que vous avez tant aimée, sera cette fois remise ès mains et en la subjection des ennemis de France », et elle lui répondit : « NON SERA, CAR TOUTES LES PLACES QUE le roi du Ciel a RÉDUITES ET REMISES EN LA MAIN ET OBÉISSANCE DU GENTIL ROI CHARLÉS, PAR MON MOYEN, NE SERONT POINT REPRISES PAR SES ENNEMIS EN TANT QU'IL FERA DILIGENCE DE LES GARDER. >>

COMME LA PUCELLE FUT JUGÉE A MORT EN L'AN MCCCCXXXI, LE XXIV JOUR DU MOIS DE MAY2. Le duc de Bedford, l'évêque de Thérouanne et plusieurs autres du conseil du roi d'Angleterre, avaient vu et connu les très grandes merveilles advenues à l'honneur et au profit du roi, par l'arrivée et les entreprises de la Pucelle. Ainsi que je l'ai déclaré ci-dessus, ses paroles et ses faits semblaient miraculeux à tous ceux qui avaient été en sa compagnie. Donc Bedford et les dessus nommés la tinrent en leurs

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1. Le chroniqueur comprend sans doute dans ces quatre mois la captivité au château de Beaurevoir, dont il ne parle pas.

2. Perceval de Cagny vivait loin du drame de Rouen, qu'on prit tant de soin de dénaturer. Le 24 mai eut lieu au cimetière de Saint-Ouen la scène de la prétendue abjuration. Ce fut le 30 mai que la sentence fut intimée à la Martyre, et qu'elle fut exécutée. Toute la phrase du chroniqueur, fort longue, est embrouillée et peu française. Le manuscrit primitif doit être mal reproduit.

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