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prisons à Rouen. Très envieux de sa vie et de son état, ils la questionnèrent et la firent questionner de toutes les manières qu'ils purent et surent, désirant de tout leur pouvoir savoir trouver en elle et sur elle quelque semblant d'hérésie, soit en ce qu'elle se disait messagère de Dieu, soit en ce qu'elle se tenait en habit désordonné, vêtue en homme, chevauchait armée, et par paroles et par faits se mêlait de tous les faits d'armes que le connétable et les maréchaux pourraient et devraient faire en temps de guerre. Sur ces cas ils la prêchèrent, et en présence de plusieurs évêques, abbés et autres clercs, ils firent lire plusieurs articles contre elle; en la parfin ils émirent leurs avis, et par eux elle fut jugée, et condamnée à être brûlée.

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QUAND LA PUCELLE FUT ARSE. On devine que pour une exécution de si grand cas, les gens de la justice du roi d'Angleterre à Rouen firent préparer un lieu convenable, et ordonnèrent tous les apprêts de justice, pour que cette exécution put être vue de très grand peuple. Ledit XXIV jour de mai, environ l'heure de midi, la Pucelle fut amenée, le visage enveloppé, du château au lieu où le feu était prêt. Certaines choses furent lues en ladite place, et après, elle fut liée au poteau et brûlée. Ainsi l'ont rapporté ceux qui disaient l'avoir vu1.

IV

Perceval de Cagny a continué sa Chronique jusqu'en 1438. Il peut être utile pour l'histoire de la Pucelle de recueillir les passages suivants: << En l'an MCCCCXXXIII, le iv du mois de juin, le sire de La Trémoille qui avoit, SEUL ET POUR LE TOUT, le gouvernement du corps du roy, de toutes ses finances, et des forteresses de son domaine estant en son obéissance, fut pris par nuict au chastel de Chinon, le roi logé dedans. Fit cette prise le sire de Bueil; à ce que l'on dit par l'ordonnance de la reine de Sicile et de Charles d'Anjou, son fils, à l'aide du sire de Gaucourt et d'autres. » A propos du traité d'Arras, Cagny a encore un mot sur la Pucelle. La Pucelle prédisait ce traité lorsque le 17 mars elle répondait aux accusateurs de Rouen « Vous verrez que les Français gagneront bientôt une grande besogne, que Dieu enverra aux Français; et tant qu'il branlera presque tout le royaume ». Le retour du duc de Bourgogne au parti français produisit en effet un ébranlement dans tout le royaume. Les Anglais perdirent leur grand appui; mais le tout-puissant duc mit à sa réconciliation des conditions fort onéreuses et très humiliantes pour

1. Ces derniers mots sont une protestation contre la fausse pucelle, qui faisait parler d'elle au moment où de Cagny écrivait.

le roi. Elles indignent le vieux serviteur des d'Alençon. Il écrit à cette occasion:

<< Depuis que le roy s'en vint de la ville de Sainct-Denys, il montra si petit vouloir de se mettre sur (en campagne) pour conquérir son royaume, que tous ses chevaliers et escuyers et les bonnes villes de son obéissance s'en donnoient très grande merveille. Il sembloit à la plupart que ses plus proches conseillers étoient fort de son vouloir, et qu'il leur suffisoit de passer le tems et de vivre, surtout depuis la prise de la Pucelle, par laquelle le roy avoit reçu et acquis de très grands honneurs, et les biens cy-dessus déclarés, et cela uniquement par son moyen et ses bonnes entreprises. Le roy et ses conseillers, depuis ladite prise, se trouvèrent plus abaissés de bon vouloir que par avant; si bien que pour que le roy put vivre et demeurer en son royaume, et s'y trouver en paix, aucun d'eux ne sut imaginer d'autre moyen que de pouvoir faire des appointemens avec le roy d'Angleterre et le duc de Bourgogne. Le roy montra bien qu'il en avoit très grand vouloir, puisque il aima mieux donner très largement des héritages de la couronne et de ses meubles, que de s'armer et soutenir le faix de la guerre. »>

Il écrit encore à la même date: «< Comme on peut le voir par ce qui est écrit cy-dessus, le roy et les prochains de son conseil n'avaient pas grande volonté de s'armer et de faire la guerre de leur personne. Pour cela les seigneurs du sang du roy par deçà la Seine, les ducs d'Alençon et de Bourbon, et Mes sire Charles d'Anjou, s'en sont passés aisément. Ils ont entièrement laissé démener la guerre au comte de Richemont, connétable de France, et à de simples capitaines de grand courage et bon vouloir, nommés La Hire et Poton de Xaintrailles et autres, qui grandement à leur pouvoir ont soutenu le faix et la guerre du roy.

>>

En interrompant la mission de la Pucelle, le roi et ses conseillers ont attiré sur la France vingt ans de guerre, les humiliations du traité d'Arras avec ses suites, la période dite des « Écorcheurs », et empêché des faveurs qu'elle promettait.

LE GREFFIER DE LA ROCHELLE

REMARQUES CRITIQUES.

C'est près de trente ans après la publication de son grand ouvrage, que J. Quicherat édita la relation qui va suivre, d'abord dans la Revue historique française, et ensuite dans une plaquette tirée à soixante exemplaires. Voici comment le célèbre érudit nous fait connaître le document qu'il a tiré de la poussière des archives.

« C'est un extrait, fait au XVIe siècle, de l'un des registres depuis longtemps détruits de l'hôtel de ville de La Rochelle. Le manuscrit existe à la bibliothèque publique de La Rochelle. Il forme un cahier qui s'annonce sous ce titre : « Extrait de la matricule des maires, échevins de la ville de La Rochelle, contenue au livre Noir estant en parchemin, dans lequel sont insérez les choses qui sont survenues de remarque et dignes de mémoire en chascune mairie, commençant en l'an mil cent quatre-vingtdix-neuf, maire Robert de Montmiral ».

Le texte fut soigneusement copié pour Quicherat par l'archiviste du département, M. de Richemont.

C'est une relation des gestes de la Pucelle, jusqu'à l'attaque contre Paris inclusivement, avec une mention en quelques lignes de la prise de la Pucelle, de sa captivité et de son inique supplice.

Il n'y a pas de doute possible, dit Quicherat, que la relation n'ait été faite par le greffier de l'hôtel de ville, durant le temps si court où Jeanne d'Arc était sur la scène, non pas au jour le jour, mais apparemment après la tentative infructueuse contre Paris. On aura ajouté plus tard le paragraphe sur la fin de l'héroïne.

La Rochelle fut une des villes les plus fidèles au parti national. Rien de plus émouvant que sa résistance au traité de Brétigny qui la livrait à l'Angleterre. Le passage du chroniqueur Froissard a été cité dans le précédent volume'. Charles VII encore dauphin y convoqua une assemblée des notables, où l'accident d'un plancher qui s'écroula sous le poids des assistants faillit le faire périr. La Rochelle envoya des secours pécu

1. La Paysanne et l'Inspirée, p. 254.

niaires aux Orléanais assiégés, et la relation du greffier prouve qu'il y avait des Rochellois dans l'armée suscitée par le nom de la Pucelle. Il n'y a pas jusqu'à l'histoire de l'aventurière connue sous le nom de Catherine de La Rochelle qui ne prouve la patriotique ardeur qu'y suscita la Libératrice. Les séjours de Charles VII et de sa cour à Poitiers, à Chinon, à Bourges, permettaient aux bourgeois d'être particulièrement renseignés; et alors que le chroniqueur n'en fournirait pas la preuve, on serait autorisé à conclure que des relations officielles devaient y porter la connaissance des événements.

Le greffier a indiqué la suite des faits telle qu'elle se lit dans toutes les Chroniques; mais il y a ajouté des particularités que l'on ne trouve que chez lui. Telles sont le costume porté par la Pucelle à son arrivée à Chinon, la couleur de ses cheveux, déjà indiquée dans le roman de Philippe de Bergame, la particularité que Charles de Bourbon simulait d'être le roi lors de la première audience, l'écu de la Pucelle, la sommation faite à Talbot après la prise des Tourelles, la reddition de Suffolk à la Pucelle, le rôle de l'évêque Léguizé et de F. Richard dans la reddition de Troyes; le spectacle merveilleux dont les habitants de cette ville furent, ou crurent être, témoins lors de l'arrivée et du départ de l'armée du roi; la présence des ambassadeurs du duc de Bourgogne à Reims, signalée seulement par le récit de Pie II et la lettre des trois Angevins. Ce qu'il dit du fracas des machines de guerre des Parisiens à l'attaque de leur ville, et de l'innocuité de leurs traits, est curieux, conforme aux assertions de Perceval de Cagny, et réfute par avance ce qu'on lira plus loin dans le récit du Faux Bourgeois. On lit avec intérêt les pieuses réjouissances que firent éclater à la Rochelle les nouvelles de la victoire de Patay.

Il y a d'assez nombreux écarts dans la date des jours où se sont passés les faits. Rien ne fait soupçonner les résistances que la Pucelle une fois mise à l'œuvre a trouvées dans son parti, soit que le rédacteur les ignorât, soit que le respect de la bourgeoisie d'alors pour le roi et la noblesse les lui fasse passer sous silence. Il n'y a pas ombre de la fin de la mission à Reims, conception qui n'est affirmée dans les chroniques que par le Journal du siège, et contre laquelle tout proteste.

Jusqu'à quel point celui qui a fait l'extrait des registres du livre Noir, au XVIe siècle, a-t-il changé les expressions de l'original? n'aurait-il pas retranché quelques phrases? C'est ce qu'il est impossible de dire, mais il n'y a pas le moindre motif de soupçonner qu'il en ait altéré le sens.

CHAPITRE PREMIER

LA PUCELLE JUSQU'A SON ENTRÉE A ORLÉANS.

SOMMAIRE: 1. Arrivée de la Pucelle.

II.

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efforts pour la tromper sur la personne du roi.

son passé.

- L'examen auquel elle est soumise ne révèle rien que de favorable. — Son amour de la confession et de la communion, son incroyable abstinence. — Elle émerveille les docteurs de Poitiers. Gardée auprès de la dame Rabateau. Détails sur l'épée de Fierbois. Armée, elle excelle dans les exercices de la guerre, et spécialement le maniement du cheval. - L'écu de son éténdard. Sa lettre aux Anglais. — Sa

sainte vie.

-

Son zèle à faire confesser la cour.

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L'an de grâce mil quatre cent vingt et neuf fut maire de la La Rochelle honorable homme, sire Hugues Guibert.

Item.Le xxxII° jour dudit mois de février', vient devers le roi notre seigneur, qui était à Chinon, une Pucelle de l'âge de seize à dix-sept ans, née à Vaucouleurs en la duché de Lorraine' laquelle avait nom Jeanne et était en habits d'homme, c'est à savoir pourpoint noir, chausses attachées 2, robe courte de gros gris noir, cheveux (coupés) ronds, et noirs, et un chapeau noir sur la tête. Elle avait en sa compagnie quatre écuyers qui la conduisaient. Quand elle fut arrivé audit lieu de Chinon, où, comme il est dit, le roi était, elle demanda à lui parler. Et alors on lui montra Monsg Charles de Bourbon, en feignant que c'était le roi; mais elle dit aussitôt que ce n'était pas le roi, et qu'elle le connaîtrait bien, si elle le voyait, encore que jamais elle ne l'eût vu‘. Après l'on fit venir un écuyer en feignant que c'était le roi; mais elle connut bien qu'il ne l'était pas; et bientôt après le roi sortit d'une

1. La Pucelle partit de Vaucouleurs le 23 février et n'arriva à Chinon que le 6 mars. Ni Vaucouleurs, ni Domrémy ne relevaient du duché de Lorraine, mais bien, ecclésiastiquement, de l'évêché de Toul qui était comme le cœur des pays compris sous le nom de Lorraine. Le greffier aura confondu le diocèse et le duché. Ceux qui aujourd'hui disent évêque de tel département, ou curé de telle commune, commettent une faute encore plus inexcusable.

2. Estachées.

3. Tantost.

4. Combien que oncques ne l'eust vu.

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