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Quand il plut à Dieu d'intervenir pour réconforter le royaume de France, ladite Jeanne, vers l'entrée du carême de l'an dessus dit (v. st.), comparut devant le roi alors à Chinon, en habit d'écuyer. Elle déclara être vierge, envoyée par Dieu pour mettre sous les pieds et expulser par les armes les Anglais, s'ils ne voulaient pas volontairement sortir du royaume, et dans peu de temps le mener sacrer et couronner à Reims, malgré tous ses haineux et mortels ennemis.

Le roi, entendant les paroles et les promesses d'une jeune fille qui n'avait pas les habits de son sexe, les tint pour vaines et sans portée, et n'y ajouta pas foi. Jeanne maintint ses paroles, observant que l'aide de Dieu dont elle était l'envoyée ne doit pas être refusée, mais joyeusement acceptée. Le roi alors, en prince sage et prudent, qui espérait toujours quelque secours de la grâce de Dieu, se remémorant qu'anciennement des femmes, telles que Judith et d'autres, avaient fait des merveilles, assembla son conseil et d'autres clercs, afin que la chose étant discutée et débattue dans de bonnes et mûres délibérations, il pût savoir si l'on pouvait conjecturer et avoir quelque espérance que l'aide de Dieu arrivait par cette femme. Les clercs et le conseil discutèrent la matière par plusieurs et diverses journées; et considérant, sachant que les œuvres de Dieu surpassent notre science, que plusieurs fois il avait envoyé aux siens de merveilleux et miraculeux secours, tirèrent leurs conclusions, et répondirent au roi, en cette manière:

« Très cher Sire, la matière qu'il vous a plu de nous déclarer et de soumettre à nos délibérations, passe l'entendement humain; il n'est personne qui puisse en juger et en décider, car les œuvres de l'unique et souverain Seigneur se diversifient et sont insondables; mais attendu la nécessité de votre très digne et excellente personne, et aussi la nécessité de votre royaume; considéré les prières continues de votre peuple espérant en Dieu, et les prières de tous les autres amants de la paix et de la justice, répétant que l'on ne sait la volonté du Seigneur, il nous semble être bon que vous ne rejetiez pas et ne dédaigniez pas la Pucelle, qui se dit envoyée de Dieu pour vous aider et vous secourir, encore que ses promesses dépassent œuvre humaine. Mais point ne dirons, ni n'entendons que vous croyiez légèrement en elle; car le diable est subtil, habile à décevoir, et tendant à tirer tout à lui. C'est

1. Nonobstant que ses œuvres soient sups (super) œuvres humaines. Ce sens, d'accord avec le texte de Thomassin, corrige le texte qui, d'après Quicherat, a été donné aux pages 14 et 685 de la Pucelle devant l'Église de son temps. Le chroniqueur de Tournay avait sous les yeux une copie du résumé de la sentence de Poitiers, répandue au loin par Charles VII et sa cour. La Libératrice n'était pas seulement en règle avec l'autorité ecclésiastique; l'autorisation était promulguée au loin quand elle entrait en scène.

pourquoi il est juste et raisonnable que, selon la Sainte Écriture, vous la fassiez éprouver en deux manières, à savoir: par prudence humaine, vous enquérant de sa vie, de ses mœurs et de son intention, ainsi que le dit saint Paul: Probate spiritus si ex Deo sunt; et par dévotes oraisons, en demandant le signe de quelque œuvre ou manifestation divine, par laquelle on puisse juger qu'elle est venue de par Dieu. C'est ce qui fut dit au roi Achaz, quand Dieu, lui promettant la victoire, lui ordonna de demander un signe: Pete tibi signum à Domino Deo tuo. Semblablement fit Gédéon qui demanda un signe ; semblablement firent plusieurs autres. >> Le roi, d'après son conseil, observa ces deux manières vis-à-vis de la Pucelle, à savoir: probation par prudence humaine, et inquisition de signe par oraison.

Pour la première, il fit rester la Pucelle avec lui dans sa cour pendant plus de six semaines, il la fit communiquer avec toutes gens, et examiner subtilement par les seigneurs d'Église et d'autres clercs; elle vécut toujours en la compagnie de personnes de dévotion, dames, demoiselles, veuves et pucelles; et quelquefois fut en la présence du roi, en compagnie d'hommes d'armes et d'autres. Mais en quelque manière que ce fût, en particulier et en public, on ne vit et on n'observa rien en elle, si ce n'est du bien humilité, patience, virginité, dévotion et honnête simplicité. SUR SA NAISSANCE ET SUR SA VIE, PLUSIEURS CHOSES MERVEILLEUSES FURENT APPRISES ÈTRE CONFORMES A LA VÉRITÉ.

Quant à la seconde manière d'inquisition, ou d'obtention de signe par oraison, la Pucelle, interrogée sur ce point, répondit qu'elle le montrerait devant Orléans et non ailleurs; car cela lui était ainsi ordonné par Dieu.

Le roi, après avoir fait, autant que cela lui était possible, ladite probation de la Pucelle, considérant qu'elle lui avait promis de montrer un signe de sa mission, voyant sa requête constante, persévérante, instante, d'aller à Orléans pour y démontrer un signe du divin secours, ne voulut plus empêcher ce voyage. Mettant son espérance en Dieu, il assembla ses gens d'armes, épars dans le pays, les fit apprêter pour conduire la Pucelle à Orléans, sans vouloir se montrer répugner au SaintEsprit, ou ingrat envers la bonté et miséricorde de Dieu et indigne d'en être secouru, selon qu'il avait été exposé en la délibération de son conseil.

III

La Pucelle, voyant les préparatifs qui se faisaient pour le secours d'Orléans, fit, avec la permission du roi, écrire une lettre aux capitaines Anglais qui y tenaient le siège, en la teneur qui suit:

<«< Jhesus, Maria! toi, roi d'Angleterre, et toi, duc de Bedford, qui te dis régent de France, vous, Guillaume de la Poule, comte de Suffolk, Jean, sire de Talbot, et Thomas, sire de Scales, qui te dis lieutenant du duc de Bedford, faites raison au roi du Ciel, de son sang royal; rendez à la Pucelle envoyée de Dieu le roi du Ciel, les clés de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France; car elle est venue ici de par Dieu réclamer tout le sang et droit royal; elle est prête de faire paix, si raison voulez lui faire, en partant de France, et en payant le roi de ce que vous l'avez tenue.

<< Et vous, archers et compagnons de guerre, nobles et autres qui êtes devant la ville d'Orléans, partez de par Dieu, et allez-vous-en votre pays; et si ainsi ne le faites, attendez les nouvelles de la Pucelle, qui bientôt vous visitera à votre grand dommage.

<«< Et toi, roi d'Angleterre, fais ce que je viens de t'écrire. Si tu ne le fais, je suis chef de guerre ayant puissance et commission de Dieu de chasser et de poursuivre par force tes gens, partout où je les atteindrai ès-parties de France. S'ils veulent obéir, je les aurai à merci ; sinon, je les ferai mettre à mort.

<«< Je suis venue de par Dieu le roi du Ciel pour vous expulser du France, ainsi que tous ceux qui voudraient faire trahison, malengin, ou dommage, au royaume Très-Chrétien.

<< N'allez pas croire que vous tiendrez ledit royaume, de Dieu, le roi du Ciel, le fils de la Vierge Marie; car Charles, qui en est le vrai héritier, le tiendra, que vous le vouliez, ou non; c'est la volonté du roi du Ciel et de la terre. Cela lui est révélé par moi qui suis pucelle; et qu'il entrera à Paris, en bonne compagnie.

« Si vous ne voulez croire les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, quel que soit le lieu où nous vous trouverons, nous vous percerons du fer à coups redoublés, et ferons un tel carnage que, passé mille ans, il n'en fût pas de si grand en France.

<< Faites donc raison, et croyez la Pucelle. Que si vous ne le faites, le roi du Ciel lui enverra et lui donnera, à elle et à ses bonnes gens d'armes, plus de force que vous ne pourrez lui livrer d'assauts; et aux horions, l'on verra qui a le meilleur droit aux yeux du Dieu du Ciel.

((

Toi, donc, roi d'Angleterre, et toi, duc de Bedford, la Pucelle vous prie que vous sortiez du pays; car elle ne veut pas vous détruire, si vous lui faites raison; mais si vous ne la croyez pas, tel coup pourra venir que les Français en sa compagnie feront le plus beau fait qui jamais fut vu en Chrétienté.

((

Envoyez réponse, si vous voulez faire la paix, et partir d'Orléans. Si vous ne le faites, attendez-moi pour votre grand dommage et dans peu.

« Écrit le mardi de cette semaine sainte, et le pénultième de mars mil IIII XXVIII (v. st.) 1. »

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SOMMAIRE: I.

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Attente à Blois et départ. L'étendard de la Pucelle. L'escorte, le convoi. Jeanne trompée sur la route à suivre, son mécontentement. - Ordre de retourner à Blois et de revenir par la Beauce. Retour; second convoi introduit sans obstacle malgré les Anglais rassemblés.

II. Attaque de Saint-Loup. - Dispositions prises par la Pucelle. La victoire, le butin.

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III. - Attaque du côté de la Sologne. Retraite simulée. bastille. Trois bastilles évacuées par les Anglais.

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Préparatifs de nuit pour assaillir les Tourelles.

Combat d'un jour entier.

- Assaut victorieux. Les pertes des Français. V. Fuite des Anglais. poursuite. Butin.

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Combien elles sont fortes.-
Sa prière.
Rentrée à Orléans.

Blessure de la Pucelle. Son traitement.
Les Anglais tués et noyés, butin.

Double prodige.

-

Leurs derrières inquiétés. La Pucelle fait cesser la

I

Ces choses ainsi faites, l'armée de France assemblée, les préparatifs achevés, la Pucelle partit de Chinon (de Tours), se dirigeant vers Orléans, le jeudi xx1 avril mil IIII XXIX. Elle alla à Blois, où elle attendit jusqu'au jeudi suivant les vivres et les renforts, qui devaient être introduits dans Orléans. Elle partit donc de Blois, ayant son étendard de satin blanc, où était représenté Jésus-Christ assis sur les nues, montrant ses plaies, ayant à chacun des côtés un ange tenant une fleur de lis.

Étaient en sa compagnie, M. le maréchal de Boussac, M. de Gaucourt, M. de Rais, La Hire, et plusieurs autres grands seigneurs ; le nombre des combattants, tant à pied qu'à cheval, s'élevait à environ trois mille. Ils menaient par le côté de la Sologne soixante chariots pleins de toute sorte de vivres, et quatre cent trente-cinq bêtes de somme chargées. Le lendemain ils arrivèrent à Orléans, près de la rivière, où ceux de la ville vinrent les chercher en bateau, malgré les Anglais qui n'osèrent pas sortir de leurs tranchées et de leurs bastilles, ni opposer quelque empêchement.

1. Le mardi de la semaine sainte était le 22 mars et non pas le 30.

La Pucelle voyant qu'on l'avait menée du côté de la Sologne, et qu'elle n'avait pas trouvé les Anglais, fut très courroucée contre les chefs, et se mit à pleurer. Incontinent elle donna ordre aux hommes de sa compagnie de retourner à Blois pour querir les vivres qu'ils y avaient laissés. Elle leur prescrivit de les amener par la Beauce, leur promettant d'aller à leur rencontre avec une partie des combattants d'Orléans, leur affirmant avec assurance de n'avoir pas de crainte, qu'ils ne trouveraient aucun empêchement.

La Pucelle entra donc à Orléans, et ses gens, obéissants et exécutant son ordre, retournèrent à Blois. Ils en repartirent le mardi 3o de mai avec le surplus des vivres et une grande quantité de bétail, tels que bœufs, porcs et moutons. Le lendemain, veille de l'Ascension, ils arrivèrent à Orléans, par le côté de la Beauce, sans aucun empêchement ni à l'aller ni au retour, sans qu'on lançât un trait contre eux, ni qu'on les molestat en aucune manière. Les Anglais cependant se rassemblèrent au nombre d'environ quatorze cents combattants pour les attaquer au retour, mais ils n'osèrent, car la Pucelle, avec un gros renfort de ceux de la ville, alla au-devant d'eux, les joignit malgré les ennemis, et les conduisit dans la cité.

II

Sitôt que les vivres furent introduits, la Pucelle, son étendard en main, et disposant de ses forces, alla assaillir la bastille Saint-Loup qui était forte et bien défendue. Elle ordonna qu'une partie de ses gens à cheval garderaient que les Anglais des autres bastilles ne vinssent au secours de Saint-Loup; elle-même et ceux de sa troupe, arrivés à Saint-Loup, firent tant par l'aide et la volonté de Dieu, que la bastille fut prise d'assaut par vive force. Cent soixante Anglais environ y furent tués, et quatorze faits prisonniers. On y conquit beaucoup de vivres, plusieurs pièces d'artillerie, et d'autre butin. Les vainqueurs se retirèrent, en amenant le tout en ville.

III

Le lendemain de la fête de l'Ascension de Jesus-Christ, la Pucelle, son étendard en main, sortit de la ville avec ses combattants, et passa du côté de la Sologne; elle fit semblant de vouloir assaillir les bastilles. A la suite d'une feinte retraite qu'elle commanda, les Anglais en saillirent avec de grandes forces pour courir après les fuyards. Alors la Pucelle et La Hire, les voyant hors de leurs forts, retournèrent vigoureusement

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