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GENS D'ARMES; ce qui contraignit la Pucelle à se retirer elle aussi, à SaintDenis, où le roi se tenait.

Trois jours après, le roi, donnant créance à quelques-uns de son conseil, s'en alla, CONTRE LE GRÉ DE LA PUCELLE, l'emmenant avec lui au delà de la Loire.

Il se tint là tout l'hiver, sans guère s'adonner aux affaires de la guerre. CE DONT LA PUCELLE ÉTAIT TRÈS MAL CONTENTE; mais elle ne pouvait pas y remédier.

IV

L'an mil IIII et XXX (1430), aussitôt après Pâques, Philippe, duc de Bourgogne, le sire Jean de Luxembourg, comte de Ligny, avec plusieurs capitaines anglais, et un très grand nombre de gens d'armes, Anglais, Bourguignons, Picards et Portugais, vinrent en France', et conquirent quelques-unes des villes et forteresses, qui, comme il a été dit, s'étaient rendues au roi, lors de son voyage vers Paris. Les seigneurs susdits vinrent avec leur armée devant Compiègne, l'assiégèrent, et pour l'affamer s'abritèrent derrière les boulevards et bastilles qu'ils y construisirent. Le duc de Bourgogne avait avec lui grand nombre de Portugais, parce qu'il avait épousé la fille du roi du Portugal; ses noces avaient été célébrées le mois de janvier précédent en la ville de Bruges... [Ici le chroniqueur raconte les magnificences et les profusions du duc de Bourgogne pour la célébration de son hymen... Il continue ensuite :

Le duc de Bourgogne donc, avec ses alliés et son armée, avait construit des forts devant la ville de Compiègne pour l'affamer. Dans la place était un bon capitaine, du nom de Guillaume de Flavy, qui la défendait bien, aidé qu'il était par les manants et par les habitants. Le roi, sur l'avis d'un de ses conseillers, envoya la Pucelle à leur secours avec deux cents hommes. Arrivée dans la ville, la Pucelle était sortie avec ceux de la cité et les Italiens pour harceler les ennemis. Après une longue escarmouche, pensant rentrer dans la ville, ils furent serrés de si près que la Pucelle fut retenue prisonnière, et livrée entre les mains de messire Jean de Luxembourg. Celui-ci l'envoya au château de Beaulieu, en commandant de l'emprisonner dans une tour.

Le duc de Bourgogne, après la prise de la Pucelle, appelé par ses affaires de Brabant et de Liège, quitta le siège, en y laissant ses gens,

1. Un des mille exemples où, dans la langue du temps, le mot France est pris dans une signification restreinte. Bien plus, d'après ce qui m'a été affirmé sur les lieux, les gens du Cambrésis disent encore aller en France quand ils vont à Beaurevoir ou à Saint-Quentin; ceux de la Brie quand ils vont dans l'ancienne Ile-de-France.

qui y demeurèrent avec le reste de l'armée, jusqu'aux approches de la Toussaint... [Le chroniqueur raconte la délivrance de Compiègne, et consacre ensuite à la Pucelle les lignes suivantes.]

V

Durant ce siège, Jeanne la Pucelle était enfermée et tenue prisonnière en une tour du château de Beaulieu. Espérant s'en échapper, elle se jeta du haut en bas, et fut tellement blessée dans sa chute qu'elle ne put s'enfuir. Elle fut reprise, et menée à Beaurevoir, où elle fut captive jusqu'à ce que le siège de Compiègne fût levé. Alors messire Jean de Luxembourg la livra aux Anglais, qui la menèrent à Rouen, où longtemps elle fut tenue prisonnière.

Plusieurs ont dit et affirmé depuis que, à cause de la jalousie des capitaines de France, que secondait la faveur dont quelques-uns du conseil du roi jouissaient auprès de Philippe de Bourgogne et de messire Jean de Luxembourg', on trouva couleur de la faire mourir par le feu, à Rouen. On ne put relever contre elle aucun motif de condamnation, aucune faute, si ce n'est que, durant toutes les conquêtes ci-dessus racontées, elle avait porté un vêtement qui n'était pas celui de son sexe.

1. Ces accusations si graves du chroniqueur seront discutées lorsque toutes les pièces auront été produites.

THOMAS BASIN

ET

SES CHAPITRES SUR LA PUCELLE

Une notice sur Thomas Basin, évêque de Lisieux, a été donnée dans le volume la Pucelle devant l'Eglise de son temps1, à propos du Mémoire que ce prélat a composé pour la réhabilitation.

Les chapitres qui vont être reproduits sont tirés de son Histoire de Charles VII. Cette histoire a été écrite à Utrecht, cinquante ans après les événements, dans le long exil auquel Louis XI condamna Basin. N'ayant pas été signée par son auteur, elle a été longtemps attribuée à un certain Amelgard, dont, d'ailleurs, l'on ne sait rien. Quicherat a eu l'honneur de la restituer à son véritable père; il a donné une édition en quatre volumes des œuvres de Thomas Basin; c'est là qu'est pris le texte dont on va lire la traduction.

L'évêque de Lisieux a dù écrire son Histoire d'après ses souvenirs personnels. Quoique contemporain des faits, s'il en connaît la substance, il est peu exact dans les détails, du moins pour l'histoire de Jeanne d'Arc. A ce point de vue, loin de dire comme Siméon Luce, qu'il est, avec Pie II, celui qui a écrit avec plus de justesse sur la Pucelle, il est vrai d'affirmer qu'il n'y a pas de chroniqueur contemporain de l'héroïne qui ait commis autant d'erreurs sur le matériel des faits.

Ainsi il fait conduire Jeanne à Chinon par Baudricourt; elle aurait attendu trois mois avant d'être admise en présence du roi; la première bastille emportée à Orléans aurait été le fort des Tourelles; c'est de Charles VII que serait venue l'initiative du voyage pour le sacre à Reims et le couronnement à Saint-Denis; Basin place après l'attaque contre Paris, la campagne dans l'Ile-de-France et la soumission de Compiègne, de Senlis, de Beauvais; il n'a pas l'air de soupçonner ce qui a fait échouer cette attaque qu'il insinue avoir été imprudente.

Toujours attaché de cœur à la cause nationale, ayant beaucoup contribué à la conquête de Normandie, le prélat normand fut assez réservé et assez

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prudent pour vivre honoré sous la domination anglaise, puisqu'il fut d'abord professeur à l'Université de Caen fondée par Bedford, et élevé ensuite sur le siège de Lisieux. On s'explique par là qu'il n'ait connu, et surtout qu'il ne se soit rappelé, lorsqu'il écrivait, que le gros des faits. Quoique après le recouvrement de Rouen il ait eu en mains le procès de condamnation, il n'avait cependant sous les yeux que le questionnaire de Pontanus, lorsqu'il composait son Mémoire pour la réhabilitation; c'est ce qu'il déclare lui-même. Il ne connaissait pas les informations faites à Domrémy et à Orléans, qui sont postérieures à son écrit.

Malgré les nombreuses inexactitudes des détails, les pages de Basin sur la Pucelle ont de la valeur pour des points plus importants. Il tenait de Dunois la révélation des secrets la source est excellente; Basin insiste sur ce point et donne de précieux développements sur la durée du premier entretien et l'impression du roi; il insiste encore sur la terreur que la Pucelle ne cessa d'inspirer aux Anglais. Vivant parmi eux, il avait été bien en état de la constater. L'on n'a rien de meilleur dans les Chroniques sur l'inique procès. La passion des juges, l'admiration provoquée par les réponses de l'accusée, le tableau de sa vie angélique, l'injustice de la condamnation, sont autant de témoignages précieux à recueillir de la part d'un personnage aussi grave que Thomas Basin.

Son appréciation de la vie de la Pucelle, modérée de forme, entourée des restrictions nécessaires pour ne pas blesser les susceptibilités toujours vivantes des Anglais et plus encore des Bourguignons, ne laisse pas de doute sur la conviction où était l'évêque de la divinité de la mission de la Pucelle, alors surtout qu'on rapproche son appréciation de celle qu'il émet dans son Mémoire, où il déclare qu'elle lui paraît presque évidente. Parmi les multiples réponses qu'il donne à ceux qui se scandaliseraient de la fin de la céleste envoyée, il faut noter celle qu'il tire de l'ingratitude du roi et de la nation, et de la corruption des mœurs de l'époque.

Basin, qui avait vécu en Italie, était dans le mouvement de la Renaissance. Il vise dans son style à la période cicéronienne, qui en histoire ne favorise pas l'exactitude, pas plus qu'elle n'est un signe de sincérité, quoique celle de Basin nous semble à l'abri du soupçon.

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Ce qui le fait

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son nom. - Mépris de ses ouvertures par le capitaine Baudricourt. changer de sentiment; il conduit la Pucelle au roi. Durant trois mois, d'après le chroniqueur, le roi refuse de lui parler. Entretiens avec l'entourage du prince; instances, promesses et menaces. L'état désespéré des affaires, motif de ne pas la rejeter sans l'entendre. Entretien secret de deux heures avec le roi. Révélation de profonds secrets. Convocation de la milice; la Pucelle mise à la tête de l'armée. Sa bannière.

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A cette époque vivait une pucelle du nom de Jeanne, entrant à peine dans l'âge de puberté, vierge cependant, ainsi qu'elle a été réputée par tous. Elle était née sur les confins de la Champagne1 et du Barrois, dans une ville du nom de Vaucouleurs. Quoique gardant le troupeau de son père, elle était cependant instruite des mystères de la foi chrétienne, et avait une extraordinaire ferveur de dévotion envers le Christ, sa glorieuse Mère, et envers les saintes vierges Catherine, Marguerite, Agnès, et quelques autres. Un jour vint où elle se mit à affirmer avec une grande énergie qu'elle avait eu de divines révélations; que lorsqu'elle paissait le troupeau dans les champs, les saintes Vierges qui viennent d'être mentionnées lui avaient apparu, et intimé des ordres du Ciel; elle disait - qu'il lui était commandé d'aller trouver le roi Charles, et de lui apporter certains messages publics et secrets. Quels étaient ces derniers? C'est ce que sait le roi, et ce que savent ceux auxquels le roi l'a peut-être révélé. Il y eut en effet des messages secrets; d'autres sont devenus manifestes à tous, ainsi qu'on le verra bientôt.

A la suite de ces visions et révélations, Jeanne, qui fut connue dans toute la France sous le nom de la Pucelle, alla trouver un chevalier, seigneur temporel de sa ville d'origine, où elle habitait avec ses parents. Elle lui disait que la volonté de Dieu était qu'il la conduisît au roi des Français; qu'elle avait, pour le tenir de révélations divines, à lui manifester certains commandements qui, s'ils étaient exécutés, seraient pour son plus grand bien personnel, et le bien du royaume de France tout entier. Le chevalier, considérant la simplicité de la jeune fille, connaissant ses parents dont les occupations étaient le travail des champs et l'élève des troupeaux et du bétail, ne fit aucun cas de ses paroles et ne tint d'abord aucun compte de ses demandes : cela lui paraissait paroles de femmelette idiote et hors du bon sens. Cependant, comme elle persévérait dans son dire, qu'elle le menaçait, s'il méprisait les ordres divins, de ne pas échapper à un châtiment; ayant, comme on peut le croire en toute vérité, donné quelque signe de la divinité de sa mission, le chevalier finit par se

1. Parmi tant d'écrivains contemporains qui parlent du lieu d'origine de Jeanne, Basin seul laisse échapper le mot de Champagne: Orta in finibus Campaniae et terrae Barrensis.

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