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déloyauté de Jean Labbé, qu'il n'avait pas voulu ajouter foi à ses fausses paroles, et il mandait que justice en fût faite.

Il donne avis des abstinences de guerre prises avec le duc de Bourgogne, de la commission qu'il avait avec Monsieur le Connétable pour traiter de la paix avec ledit duc, et de plusieurs particularités qui se sont passées pendant le temps du pourparler de paix, de ce qui se passait avec l'Anglais, de la journée prise à Arras pour faire la conclusion de ladite. paix, en laquelle se devraient trouver quatre Cardinaux.

Il donne pareillement avis de la prise de Jeanne la Pucelle devant Compiègne, et comme elle ne voulait croire conseil, ains (mais) faisait tout à son plaisir; qu'il était venu vers le roi un jeune pastour gardeur de brebis des montagnes de Gévaudan en l'évêché de Mende, lequel disait ne plus ne moins qu'avait fait Jeanne la Pucelle, et qu'il avait commandement de Dieu d'aller avec les gens du roi, et que sans faute les Anglais et Bourguignons seraient déconfits; et sur ce qu'on lui dit que les Anglais avaient fait mourir Jeanne la Pucelle, il leur répondit que tant plus il leur en mécherrait (arriverait mal); et que Dieu avait souffert prendre (qu'on prît) Jeanne la Pucelle, parce qu'elle s'était constituée en orgueil, et pour les riches habits qu'elle avait pris, et qu'elle n'avait pas fait ce que Dieu lui avait commandé; ains avait fait sa volonté.

Il mandait aussi comme Monsieur le duc d'Orléans, lequel avait été tenu vingt-cinq ans prisonnier en Angleterre, était arrivé à Calais, et de là était allé à Gravelines, etc...

[Voilà avec le contexte le fameux passage sur Jeanne d'Arc. Il est manifeste que, en résumant les quatre-vingt-quinze lettres de l'Archevêque-chancelier aux bourgeois de la ville archiépiscopale, Rogier n'a nullement suivi l'ordre chronologique. Avant de parler des malencontreuses missives de Regnault de Chartres sur celle qu'il avait approuvée à Poitiers, l'Abréviateur rapporte celles qui regardent le congrès d'Arras, qui fut tenu cinq ans après la prise de Jeanne; d'un bond, après avoir narré l'intervention du triste berger du Gévaudan, il en vient au rachat du duc d'Orléans, qui ne fut opéré que dix ans après la sortie de Compiègne. Ce pêle-mêle n'est pas sans diminuer l'autorité d'une pareille analyse. On voudrait avoir le texte même de l'incrimination du prélat sur la mémoire duquel pèsent semblables lignes. Il est manifeste que le chancelier a parlé de la Libératrice dans plusieurs de ses lettres, et la conjecture émise dans la Pucelle devant l'Église de son temps (page 82) devient certitude, quand on lit le passage entier de l'échevin de Reims. Il a été déjà discuté. Les inculpations du malheureux pastour contre celle qu'il prétendait sottement remplacer et continuer n'atteignent pas la Vénérable; elles retombent sur celui qui s'en est fait l'écho. Quand

toutes les pièces auront été produites, il faudra revenir sur le rôle de l'Archevêque-chancelier.

Rogier ne dit rien de la cérémonie du sacre de Charles VII; il a cru sans doute qu'il suffisait du livre où il a raconté d'une manière générale comment les choses devaient se passer. Les détails en sont très intéressants, et le seraient bien plus, s'il n'avait pas semé de grosses et nombreuses fautes de latin les multiples oraisons liturgiques, si propres à donner la juste idée de la royauté chrétienne et de la souveraineté, telle que l'Église la conçoit.

Ce que Rogier ne nous a pas décrit, trois seigneurs angevins vont le mettre sous nos yeux.]

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CHAPITRE X

LETTRES DE TROIS SEIGNEURS ANGEVINS ET DE JACQUES DE BOURBON.

SOMMAIRE: 1. LETTRE DE TROIS

II.

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destinataires de la lettre; ceux qui écrivent. Où et par qui fut trouvée et d'abord publiée cette lettre. Récente découverte d'une autre copie. Solennité du sacre. - Les pairs laïques, les pairs ecclésiastiques. Le cortège de la sainte ampoule apportée et rapportée. Durée de la cérémonie. Enthousiastes acclamations. Attitude de la Pucelle. L'entrée du roi à Troyes, à Châlons, à Reims. Marche directe du roi sur Paris. La présence du duc de Bourgogne à Laon, de ses ambassadeurs à Reims. - Espérance de paix. La Pucelle assurée de mettre le roi dans Paris.

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· LETTRE DE JACQUES DE BOURBON LA MARCHE A L'EVÊQUE DE LAON. Sa découverte dans les mannscrits de Vienne. - Traduite et publiée par Siméon Luce dans la Revue Bleue. Le destinataire. - Il est étrange qu'on lui écrive ce qu'il était en état de mieux savoir que le correspondant. — Jacques de Bourbon. - Inexactitudes, faussetés, impossibilités qui abondent dans cette lettre.

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I

LETTRE DE TROIS SEIGNEURS ANGEVINS A LA REINE MARIE D'ANJOU, ET A SA MÈRE YOLANDE. Nous avons ici le récit du sacre écrit au sortir de la cérémonie. On se rappelle que la reine Marie d'Anjou, mandée à Gien pour être couronnée à Reims avec son époux, avait été ramenée à Bourges, où elle se trouvait avec sa mère, la reine de Sicile, Yolande. On n'a pas de peine à imaginer avec quelle impatience les deux reines devaient attendre des nouvelles de la marche royale, et du couronnement qui devait en être le terme. Si le royaume de Naples et de Sicile était le plus brillant apanage de la maison d'Anjou, le plus solide étant bien celui

dont elle tirait son nom. C'était en Anjou, à Angers ou à Saumur que résidait le plus souvent Yolande, quand elle n'était pas à la cour de son gendre. Elle avait aussi sa cour à elle, et elle était brillante. Les trois gentilshommes qui écrivent étaient probablement des seigneurs de cette cour. D'après Quicherat, le premier signataire en serait le premier personnage, puisqu'il ne serait autre que Pierre de Beauvau, sénéchal d'Anjou et du Poitou.

Le Père Ménétrier publia le premier la lettre des trois gentilshommes dans sa Bibliothèque instructive (t. Ier, p. 90). Il la reproduisit d'après l'original possédé par l'abbaye de la Bénissons-Dieu-en-Forez. Dans ces dernières années, vers 1888, on en a découvert une copie dans les archives de Riom; l'écriture est, dit-on, de la première partie du xve siècle. L'auteur de la découverte, M. Boyer, a publié le texte de Riom; il diffère très peu de celui du Père Menestrier.

Voici, légèrement rajeuni, le texte publié par M. Boyer:

«Nos souveraines et très redoutées Dames, qu'il plaise à vous de savoir que hier le roi arriva en cette ville de Reims, où il trouva toute obéissance plénière, et aujourd'hui il a été sacré et couronné; cela a été moult belle chose à voir le bel mystère; car il a été aussi solennel, toutes choses ont été trouvées appointées aussi bien convenablement pour faire la chose, soit couronne et habits royaux et autres choses à ce nécessaire, comme si on l'eût mandé un an auparavant; et il y a eu tant de gens que c'est chose infinie à écrire, et aussi la grande joie que chacun y avait.

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Messeigneurs les ducs d'Alençon, le comte de Clermont, le comte de Vendôme, les seigneurs de Laval, le seigneur de La Trémoille, y ont été en habits royaux, et Monseigneur d'Alençon a fait le roi chevalier. Les dessusdits représentaient les pairs de France, Monseigneur d'Albret a tenu l'épée devant le roi durant ledit mystère.

<«< Pour les pairs de l'Église, y étaient avec leurs crosses et mitres, Messeigneurs de Reims, de Châlons qui sont pairs; et au lieu des autres les évêques de Séez et d'Orléans, et deux autres prélats'. C'est Monseigneur de Reims qui a fait le mystère et le sacre qui lui appartient2.

1. Les évêques de Laon et de Troyes. Les six évéèchés pairies étaient Reims, Laon, Beauvais, Noyon, Châlons et Soissons. Beauvais et Noyon étaient occupés par des prélats très déclarés pour la cause anglo-bourguignonne; Soissons devait adhérer après le sacre. Des six pairies laïques, il n'en restait plus qu'une elles avaient été réunies à la couronne. La pairie du duché de Bourgogne avait pour titulaire l'auteur de tout le mal, le duc de Bourgogne, alors fort déconcerté.

2. Cela peut vouloir dire : « fonction qui lui revient » ; ou bien : « le sacre qui est le fond de la cérémonie ».

<«< Pour aller querir la sainte ampoule en l'abbaye de Saint-Rémy, et pour l'apporter en la grande église de Notre-Dame, où a été fait le sacre, furent ordonnés le maréchal de Boussac, les seigneurs de Rais, Graville, et l'Amiral, avec leur quatre bannières, que chacun portait en sa main, armés de toutes pièces, à cheval, bien accompagnés, pour conduire l'abbé dudit lieu qui portait ladite ampoule; et ils entrèrent à cheval en ladite grande église, et ils descendirent à l'entrée du chœur. C'est en cet appareil qu'ils l'ont rendue en ladite abbaye après le service, lequel service a duré depuis neuf heures jusqu'à deux heures; et à l'heure que le roi fut sacré, et aussi quand on lui assit la couronne sur la tête, tout homme cria « Noël!» et les trompilles sonnèrent en telle manière qu'il semblait que les voûtes de l'église dussent fendre.

«Et, durant ledit mystère, la Pucelle s'est toujours tenue joignant du roi, tenant son étendard en sa main; et était moult belle chose de voir les belles manières que faisait le roi, et aussi la Pucelle. Dieu sait si vous y avez été bien souhaitées.

« Aujourd'hui ont été faits comtes par le roi le sire de Laval, le sire de Sully, et Rais maréchal.

<«< Vendredi, il y eut huit jours, le roi mit le siège devant Troyes, et il leur fit moult forte guerre. Ils vinrent à obéissance; et il y entra par composition le dimanche suivant. S'ils ne lui eussent pas fait obéissance à son plaisir, il les eut pris de vive force, car c'est une chose moult merveilleuse de voir la grande puissance de gens qui sont en sa compagnie.

<< Le lundi ensuivant, le roi se départit de Troyes, tenant son chemin vers Châlons. Ceux de Châlons ont envoyé devant lui à demi-journée pour lui rendre obéissance. Le roi y entra jeudi et en partit vendredi tenant son chemin vers cette ville (de Reims), et pareillement ceux de cette ville sont venus au-devant du roi lui rendre obéissance; ils sont bien joyeux de sa venue et le montrent à leur pouvoir.

« Le roi doit en partir demain tenant son chemin DROIT A PARIS. On dit en cette ville que le duc de Bourgogne y a été, et s'en est retourné à Laon, où il est à présent. Il a envoyé devers le roi une ambassade qui arriva hier en cette ville. A cette heure, nous espérons que bon traité s'y trouvera (sera fait) avant qu'ils partent.

« LA PUCELLE NE FAIT NUL DOUTE QU'ELLE NE METTE PARIS A L'OBÉISSANCE. «< Audit sacre, le roi a fait plusieurs chevaliers, et aussi les seigneurs pairs en font tant que [c'est] merveilles; et il y en a plus de trois cents nouveaux. « Par deçà le roi n'entend (ne pense) qu'à faire son chemin, et pour ce ne besogne en rien autre chose1.

1. Cette phrase n'est pas dans Quicherat.

<< Nos souveraines et redoutées Dames, nous prions le Benoît SaintEsprit qu'il vous donne bonne vie et longue.

« Écrit à Reims ce dimanche xvn jour de juillet.

« Vos très humbles et obéissants serviteurs,

« BEAUVEAU, MOREAU, LUSSÉ. »

Et au dos est écrit : « A la reine et à la reine de Sicile, nos souveraines et très redoutées Dames. >>

II

LETTRE DE JACQUES DE BOURBON LA MARCHE A L'ÉVÈQUE DE LAON. - Cette lettre est restée ensevelie jusqu'à ces dernières années dans les archives de la Bibliothèque impériale de Vienne, sous le n° 6959 de la section des manuscrits. Quoique signalée dès 1851 par le professeur Guillaume Watenbach, elle a dû attendre plus de quarante ans la pleine lumière de l'impression. M. Bougenot, délégué à Vienne par le ministère pour une mission scientifique, prit copie du texte qui est en latin. Siméon Luce en donna la traduction dans la Revue Bleue, numéro du 13 février 1892. C'est cette traduction, à défaut du texte latin non parvenu entre mes mains, qui va être reproduite, après quelques remarques sur le destinataire, sur celui qui écrit et sur le contenu du document. L'évêque de Laon à cette époque était Guillaume de Champeaux, prélat d'assez peu édifiante mémoire, tout entier à l'administration des. finances publiques, qui fut présent, d'après le Gallia', au couronnement de Charles VII. Il connaissait mieux que Jacques de Bourbon les événements accomplis, en étant informé par ceux qui non seulement y avaient assisté en témoins, mais en acteurs. Jacques de Bourbon ne devait pas l'ignorer.

Jacques de Bourbon, comte de La Marche, frère de Louis de BourbonVendôme, beau-père du seigneur de Pardiac, récemment évadé des prisons de Naples où sa femme Jeanne l'avait renfermé, avait commencé par être Bourguignon, et comme tel avait été durant quelque temps prisonnier des Armagnacs, qui s'étaient emparés de sa personne au Puiset-en-Beauce. Gruel nous a dit que ses services avaient été refusés avec ceux de Richemont, encore qu'il s'offrit à servir le roi avec très belle compagnie. Jacques de La Marche ne parle pas de ce refus, pas plus que de celui qu'essuya Richemont, ainsi que le comte de Pardiac que le correspondant appelle son fils.

1. Gallia, t. IX, col. 551: Adfuit coronationi regis Caroli VII.

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