Imágenes de páginas
PDF
EPUB

I

L'expédition et l'échec contre La Charité sont sans contredit le point. le plus obscur de l'histoire de la Libératrice. On sait par ses réponses à Rouen que ce n'est pas par son conseil qu'eut lieu cette tentative. Les très nombreuses pièces sur Perrinet Gressart que renferment plusieurs dépôts d'archives, quand elles seront mises au jour, jetteront peut-être quelque lumière sur ce malheureux événement. En attendant, voici quelques documents empruntés la plupart au recueil de Quicherat. Le 9 novembre, Jeanne écrivait de Moulins aux habitants de Riom une lettre qui sera donnée en sonlieu. Le même jour, le généralissime de l'expédition, le sire d'Albret, envoyait aux mêmes habitants, probablement par un seul et même courrier, la lettre suivante, que je rajeunis légèrement. M. Tailhand, président à la cour royale de Riom, la découvrit en 1844 parmi les papiers de l'hôtel de ville, et la publia dans un journal de la localité, la Presse judiciaire (10 août 1844). C'est Quicherat qui fait précéder de ces indications la lettre qui lui est empruntée.

Lettre du sire d'Albret aux habitants de Riom.

<«< Très chers et grands amis, vous avez bien pu savoir comment la ville de Saint-Pierre-le-Moustier a été prise d'assaut; à laquelle prise nous avons fait grande dépenses de poudres, traits et autres habillemens (provisions) de guerre; par quoi du présent nous en sommes petitement pourvus. Et pour ce que notre intention est, à l'aide de Dieu, de poursuivre la besogne de la délivrance et évacuation de ce qui reste de places contraires et ennemies de Monseigneur le roi, et de ses pays et sujets, et principalement de La Charité, Cosne et autres villes, il nous est besoin et nécessité d'avoir présentement grande quantité de poudres, traits et autres approvisionnements de guerre; lesquelles choses nous procurer, ou avoir l'argent qui à cela conviendrait, nous ne pourrions pas présentement l'espérer, autant que besoin il est, sans l'aide de vous et des autres bonnes villes et des loyaux sujets de Monseigneur le roi. C'est pourquoi vous, qui désirez, comme nous le croyons fermement, l'évacuation et délivrance desdites places; vous surtout, qui par les adversaires et ennemis de Monseigneur le roi qui détiennent et occupent ces places, êtes plus oppressés; vous et les autres sujets de mondit seigneur qui sont grandement oppressés et endommagés, en sorte qu'il n'est ni prudhomme ni bon marchand qui, à cause de la crainte des ennemis, ose aller et négocier par le pays, nous vous prions et requérons très instamment, et

par l'ardent désir que vous avez de voir lesdites places vidées et délivrées, et pour votre bien et le bien des pays voisins de ces places, nous vous prions de nous aider; veuillez par notre aimé Jean Merle, que pour cette cause nous envoyons par devers vous, nous envoyer présentement le plus largement que vous pourrez et saurez en ce moment, secours de poudres à canon, salpêtre, soufre, arbalètes et autres provisions de guerre, pour que notre entreprise ne soit pas longue, et que, par faute de poudres et des autres choses dessus dites, le fait ne soit nullement empêché ni retardé.

Et de ce que touchant ledit fait, vous dira de par nous le porteur des présentes, veuillez le croire et lui donner pleine foi et créance; et incontinent délivrez-lui, lui baillez et lui faites bailler et délivrer ce qui sera nécessaire pour amener et conduire devant la ville de La Charité, où Jeanne la Pucelle, Mgr de Montpensier et nous, allons présentement mettre le siège. Et de quoi vous voudrez nous aider, de vos volontés et intention sur ce qui vient d'être dit, faites-nous-le savoir par ledit Jean Merle; et avec cela (dites-nous) si vous voulez chose que faire puissions, nous le ferons; il le sait Notre-Seigneur, qui vous ait en sa garde. Écrit à Moulins le neuvième jour de novembre.

[merged small][ocr errors][merged small]

«< A mes très chers et grands amis, les gens d'Église, bourgeois et habitants de la ville de Riom. »>

Les comptes de la ville de Clermont et de Riom prouveront qu'il fut fait quelque envoi, mais bien inférieur aux besoins, ainsi que cela résulte de la pièce suivante, que La Thaumassière a imprimée dans son Histoire du Berry, et que Quicherat a reproduite.

Contribution de la ville de Bourges pour le siège de La Charité.

«A tous ceux qui ces présentes lettres verront, Guillaume Bastard, licencié en droit canon et civil, lieutenant de Monseigneur le bailli de Berry, salut.

<«< Savoir faisons qu'aujourd'hui nous séant en jugement, illec (là) assistant plusieurs des plus notables bourgeois et gens de conseil de ladite ville, est venu par-devant nous Pierre de Beaumont, procureur desdits bourgeois et habitants de ladite ville de Bourges, disant que promptement

et sans délai, il devait être envoyé par iceux bourgeois et habitants, à haut et puissant seigneur, Mgr d'Aldret, comte de Dreux et de Gaure, lieutenant du roi en son pays de Berry sur le fait de la guerre, et à Jeanne la Pucelle, étant au siège devant La Charité-sur-Loire, par l'ordonnance et commandement du roi notredit seigneur, la somme de treize cents écus d'or courans à présent, pour entretenir leurs gens; ou autrement il conviendrait à eux et à leurs dites gens de partir de devant ladite ville, et de lever ledit siège; ce qui serait plus grand dommage pour ladite ville de Bourges et pour tout le pays de Berry, si ledit siège était levé pour défaut de payement de pareille somme; que l'on trouverait quelques bourgeois, simples particuliers de ladite ville, qui prêteraient cette somme, en mettant à prix aux enchères la ferme du treizième du vin vendu en détail en ladite ville de Bourges pour un an commencé le onzième jour de novembre, etc., en nous requérant que nous fassions crier aux enchères ladite ferme. Lesdites requêtes ainsi à nous faites, nous avons demandé l'opinion desdits bourgeois et gens de conseil aussi assistants, comme dessus est dit, l'un après l'autre, si nous pouvions faire les choses dessus dites; lesquels nous ont répondu que, pour obvier à plus grand dommage, licet et faire le pouvions, et qu'ils y donnaient leur consentement.

<«< C'est pourquoi, nous, ouï les requêtes, opinions et consentement dessus dits, nous avons donné aux quatre commis et élus au gouvernement de cette ville, licence et autorité de par le roi de mettre ou faire mettre sus ladite ferme, etc., et incontinent nous avons fait crier à l'enchère ladite ferme, etc., laquelle, après plusieurs cris, est demeurée à l'enchère en notre présence, comme au plus offrant et au dernier enchérisseur, à Jean de La Loé, bourgeois de Bourges aux prix et somme de deux mille livres tournois, lequel Jean a promis de bailler et fournir incontinent les treize cents écus.

« Et ce à tous à qui il appartiendra, le certifions par ces présentes lettres comme fait en ce jour tenu à Bourges, par nous lieutenant dessus dit, lettres données sous le scel des causes dudit bailliage, le xxiv jour de novembre de l'an MCCCCXXIX.

Signé « CHASTEAUFORT. >>

Il est très vraisemblable qu'à la date du 24 novembre la Pucelle était devant La Charité depuis une quinzaine de jours. De La Loé n'aura-t-il pas tardé d'apporter la somme, si tant est qu'il l'ait fournie? Il n'est nullement impossible qu'elle soit arrivée trop tard.

La Trémoille, voyant qu'il ne pouvait pas chasser Perrinet de son repaire, n'aura-t-il pas essayé de traiter, et n'est-ce pas à ces démarches que se rapporte une lettre, en date du 22 décembre, mais sans indication

de l'année, écrite par les comtes de Nevers et de Rethel aux conseillers

du duc de Bourgogne?

Dans cette lettre, que nous avons eue entre les mains aux archives de la Côte-d'Or, les deux seigneurs disent qu'il n'y a aucun fonds à faire sur les assurances de paix données par La Trémoille; bien plus, tous ceux de l'adverse partie qui sont sur les frontières sont des étrangers; ils ne sont ni paiés, ni soldoyés, ils n'ont de quoi vivre et se soutenir que par le moyen de la guerre qu'incessamment ils font et feront sur les pays des jeunes comtes. Nous répétons qu'une monographie sur pièces de Perrinet Gressart contribuerait à faire la lumière sur ce triste événement de l'histoire de la Libératrice.

II

Plusieurs chroniqueurs nous ont parlé de la prise de la Vierge guerrière à Compiègne. Leurs récits peu concordants le sont encore moins avec ceux du parti antinational. Après la production de tous les documents, il faudra les discuter.

Grande fut la consternation du parti français. M. Maignen, actuellement bibliothécaire de la ville de Grenoble, a le premier découvert dans un Évangéliaire de Grenoble renfermant des pièces bien bigarrées, les trois oraisons composés pour solliciter, au saint sacrifice de la messe, la délivrance de la Captive. Elles ont été reproduites dans la Pucelle devant l'Eglise de son temps. On y trouve aussi la substance de la lettre écrite à Charles VII par Jacques Gelu, archevêque d'Embrun, pour lui recommander, s'il ne veut pas encourir le blâme ineffaçable d'une noire ingratitude, de n'épargner ni argent, ni quelque prix que ce soit, pour le rachat de la Pucelle. Le Père Marcellin Fornier, de la Compagnie de Jésus, nous a conservé ce très précieux détail, et d'autres encore, dans son Histoire des Alpes Maritimes ou Cottiennes. L'ouvrage était inédit lorsque s'imprimait notre volume. Nous devions cette primeur à la complaisance de M. l'abbé Guillaume, archiviste de Gap, qui depuis a tiré l'œuvre du Jésuite de la poussière de l'inédit, où elle était restée plongée durant plus de deux siècles. C'est de la part de l'auteur et de l'éditeur un des innombrables monuments du zèle et du savoir du clergé, qu'il faut d'autant plus signaler que les efforts de la science laïque tendent à les faire oublier, tout en se parant des dépouilles. Le clergé de Tours fit des processions nu-pieds pour obtenir la délivrance de l'Envoyée du Ciel'. Il est 1. Voir dans la Pucelle devant l'Église de son temps, p. 76, le chapitre: la Pucelle et le Clergé du parti français.

vraisemblable que des recherches ultérieures nous révéleront encore d'autres touchants détails sur ce point.

III

LES SYMPATHIES D'ABBEVILLE POUR LA LIBÉRATRICE.

Monstrelet nous dira qu'Abbeville ne demandait qu'à se donner à Charles VII, lorsque le malheureux roi interrompit le cours de conquêtes qui ne lui coûtaient rien. Les dispositions du maire et des échevins nous sont révélées par une curieuse pièce tirée par Quicherat du Trésor des chartes (J, 175, pièce 125). C'est une lettre de rémission accordée par Henri VI, à la date du 6 juillet 1432, à deux habitants de la ville, auxquels il en avait pris mal, pour avoir parlé outrageusement de la Pucelle, et de ses partisans. Quoique la ville fût soumise à l'Anglais, les partisans français y étaient assez nombreux pour tenir loin d'eux les insulteurs de la Libératrice, et même, par une suite de curieuses circonstances, les faire garder en prison à Amiens par ceux dont ces faux Français soutenaient la cause. Voici la partie de la pièce qui démontre les sentiments patriotiques des échevins d'Abbeville. Le style en est rajeuni:

<«<Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et d'Angleterre, savoir faisons à tous présents et à venir, que, de la part de Colin Gouye, dit le Sourd, et de Jeannin Daix, dit Petit, natifs de la ville d'Abbeville, nous a été exposé ce qui suit: Dans tout leur temps, ils se sont maintenus et gouvernés en notre service: Après que nos ennemis et adversaires ayant en leur compagnie la femme vulgairement appelée la Pucelle furent venus en notre royaume et pays de France et par spécial devant notre ville de Paris, un certain jour lesdits suppliants étant en la compagnie d'un nommé Colin Broyart, devant et assez près de l'hôtel d'un maréchal nommé Guillaume Dupont, en notre ville d'Abbeville, ils entendirent que quelques-uns parlaient des faits et abusions (tromperies) de ladite nommée vulgairement la Pucelle, et par spécial un héraut, auquel héraut Petit dit : « Bran, bran; quelque chose qu'ait fait et dit cette femme, ce n'est qu'abusion »; ce que dirent pareillement Colin et autres des assistants; « que l'on ne devait pas ajouter foi à cette femme; que ceux qui avaient créance en elle étaient fols et sentaient la persinée1», ou en substance

1. Lieu planté de persil. Le persil croit sur les tombes dans les campagnes; c'est une plante funéraire; c'était dire que ceux qui avaient créance en la Pucelle seraient mis ou devaient être mis à mort.

« AnteriorContinuar »