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paroles semblables; «<et en outre (ils dirent) qu'il y en avait dans cette ville plusieurs autres qui sentaient la persinée »; ne pensant par là donner charge à aucun des bons bourgeois, manants et habitants de notre dite ville. Pour ce cas, et pour d'autres paroles dont ils ont été soupçonnés par le maire et échevins de la ville d'Abbeville, lesdits suppliants et Colin Broyart furent faits prisonniers par lesdits maire et échevins et tenus longuement en étroites et dures prisons, et mis en nos prisons d'Abbeville où ils furent, un certain espace de temps, en grande rigueur par le fait desdits maire et échevins. >>

La lettre de rémission continue à raconter les aventures des suppliants. Ils s'échappèrent de prison, et allèrent servir dans l'armée anglaise à Compiègne et ailleurs. Étant retournés à Abbeville, leurs sentiments politiques leur attirèrent querelle et soulevèrent les esprits contre leurs personnes, au point qu'ils durent s'enfuir secrètement. L'on prononça contre eux la peine de bannissement, et les gens de Montreuil les ayant saisis, lorsqu'ils allaient à Lagny prendre service dans les troupes anglaises, ils furent remis au bailli d'Amiens; c'est des prisons de cette ville qu'ils sollicitent des lettres de grâce qui leur sont accordées.

Pareilles dispositions rendent très vraisemblables les marques de sympathie que, au rapport d'un auteur du xvr siècle, les dames d'Abbeville aimèrent à donner à la Captive, sur le chemin de son calvaire. Cet auteur est le Père Ignace de Jésus-Maria. Dans sa belle Histoire des comtes de Ponthieu et mayeurs (maires) d'Abbeville, il n'a pas su résister au plaisir d'y insérer, en bons termes, l'histoire entière de la Pucelle. La démarche des dames d'Abbeville ne nous étant connue que par lui, le passage va être reproduit. Le Père Ignace de Jésus-Maria éditait son livre en 16571. Quicherat pense qu'il avait en mains des documents perdus aujourd'hui.

IV

LES DAMES D'ABBEVILLE.

LES MOINES ET LES NOTABLES
DE SAINT-RIQUIER.

<< Aussitôt qu'elle (la Pucelle) fut entre les mains de ses ennemis, elle fut menée au château de Beaulieu, et de là à Beaurevoir, dont était seigneur Jean de Luxembourg, chevalier; puis elle fut conduite au château

1. La première partie du xvIIe siècle abonde en pages fort belles sur la Pucelle. Celles du Père Caussin, dans son ouvrage la Cour sainte, sont exquises. Le mouvement se ralentit avec le règne personnel de Louis XIV pour ne reprendre avec pareille intensité qu'au magistral panégyrique de l'abbé Pie, en 1844.

de Drugy, près de Saint-Riquier, où les anciens religieux de l'abbaye la visitèrent par honneur, à savoir Dom Nicolas Bourdon, prévôt, et Dom Chappelin, grand aumônier, avec les principaux de la ville; et tous avaient compassion de la voir persécutée, elle très innocente.

<< Du château de Drugy, qui appartenait alors à l'abbaye de Saint-Riquier et est maintenant ruiné, elle fut menée au château du Crotoy, où, par la Providence divine, elle entendait souvent le saint sacrifice de la messe que célébrait, en la chapelle du château, le chancelier de l'église cathédrale de Notre-Dame d'Amiens, nommé Me Nicolas de Queuville', docteur en droits, homme fort notable, qui pour lors y était détenu prisonnier. Il lui administrait les sacrements de confession et de la très sainte Eucharistie, et disait beaucoup de bien de cette vertueuse et très chaste fille.

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Quelques dames de qualité, des demoiselles et des bourgeoises d'Abbeville, l'allaient voir comme une merveille de leur sexe et comme une âme généreuse, inspirée de Dieu pour le bien de la France. Elles la congratulaient d'avoir eu le bonheur de la voir si constante et si résignée à la volonté de Notre-Seigneur, lui souhaitaient toutes sortes de faveurs du ciel. La Pucelle les remerciait cordialement de leur charitable visite, se recommandait à leurs prières, et les baisant aimablement, leur disait adieu. Ces vénérables personnes jetaient des larmes de tendresse en prenant congé d'elle, et s'en retournaient de compagnie par bateau sur la rivière de Somme, comme elles étaient venues; car il y a cinq lieues d'Abbeville au Crotoy.

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Après que ces honnêtes dames furent parties, la Pucelle, admirant leur franchise, leur candeur et leur naïveté, disait : « Ah! que voici un

« bon peuple, plût à Dieu que je fusse si heureuse, lorsque je finirai mes jours, que je pusse être enterrée en ce pays ».

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« Au commencement de l'année 1430 (anc. st.), le 13 de janvier, l'Anglais envoya un mandement par lequel il ordonnait que la Pucelle fût transférée du Crotoy à Rouen, et qu'elle fut mise ès mains de Frère Jean Magistri, de l'ordre des Frères Prêcheurs, inquisiteur de la foi 2, pour la faire examiner à Me Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, en la juridiction spirituelle duquel elle avait été prise, afin de lui faire son procès.

1. Nicolas de Quiefdeville fut chancelier du chapitre d'Amiens de 1412 à 1438. Il mourut le 1er mai 1438. (Note communiquée par le R. P. Watrigant, d'après le manuscrit 517 de la bibliothèque d'Amiens.) Il était vraisemblablement emprisonné pour motif politique, comme vrai Français.

2. Il semble résulter des premières pièces du procès que Jeanne est arrivée à Rouen vers la fin de décembre 1430. Elle fut remise entre les mains des Anglais, et non pas entre celles de Le Maitre.

Elle dit donc adieu à ceux du château du Crotoy qui regrettaient son départ; car elle les avait grandement consolés. On voit encore la chambre où elle couchait, qui retint depuis ce temps-là quelque respect, quand on y entre (sic).

<«< Au sortir des murailles de la ville du Crotoy, on la mit dans une barque, accompagnée de plusieurs gardes, pour lui faire passer le trajet de la rivière de Somme, qui est fort large en cet endroit, à cause que c'est l'embouchure de la mer Océane, qui contient environ demi-lieue quand le flux est monté, et elle descendit à Saint-Valery qu'elle salua du cœur et des yeux, étant patron du pays de Vimeux, où elle entrait, comme elle avait salué l'église de Saint-Riquier, patron du pays de Ponthieu d'où elle sortait.

<«< Elle ne s'arrêta pas en la ville de Saint-Valery; car ses gardes la conduisirent à la ville d'Eu, et de là à Dieppe, puis enfin à Rouen qui était la ville qu'on avait choisie pour être le dernier théâtre d'honneur où la vertu de notre sainte fille devait paraître. » [Arrêtons ici nos emprunts à l'histoire des maires d'Abbeville.

La Pucelle a séjourné assez longtemps au Crotoy, où elle nous dit avoir été favorisée de l'apparition de saint Michel. Ce que le Père Ignace de Jésus-Maria affirme du chancelier de l'église d'Amiens avait été déjà attesté au procès de réhabilitation par le chevalier Aymond de Macy. Il a déposé avoir entendu de la bouche du savant prêtre l'excellent témoignage rendu à la piété de Jeanne. C'est de la part du haut dignitaire de l'église d'Amiens un témoignage équivalent à celui que le savant Jean de Mâcon lui avait rendu à Orléans, et que lui ont rendu Jean Paquerel, Jean Colin, Guillaume Front, tous ceux qui ont eu la consolation d'être les dépositaires des secrets de son âme.

Ce n'est pas seulement la tradition du pays qui affirme ce que dit ici le Père Ignace de Jésus-Maria, que Jeanne coucha à Drugy, près de SaintRiquier. C'est ce qui est raconté dans une Chronique manuscrite, composée en 1492 par le notaire apostolique Jean Chapelle. Elle est en latin et se trouve à la Bibliothèque nationale, dans le Recueil de Dom Grenier sur la Picardie.

Voici la traduction du texte cité par Quicherat :] « Cette même année, les Anglais voulurent soumettre la ville d'Orléans; et à ce sujet il arriva une chose merveilleuse et bien vraie. Pendant que le roi Charles, encore jeune et depuis peu arrivé au trône, s'occupait de repousser lesdits Anglais, survint une jeune pucelle, du nom de Jeanne, originaire, disait-on, de la Lorraine. Armée, elle dit au roi avec grande assurance: «Ne crains pas; je suis une vierge guerrière que Dieu envoie ta cause, et au secours de ta ville d'Orléans pour la délivrer de ses

« pour

<< ennemis. A l'aide du Très-Haut, je les mettrai en fuite. Je te conduirai à <«< Reims, pour que tu y sois sacré comme roi et pour que tu sois couronné « dans la ville de Saint-Denis. J'accomplirai ces choses; n'en doute pas, car « je suis l'envoyée de Dieu. >>

«De fait, elle l'accomplit. En armes, à la tête de son armée, elle vainquit les Anglais, força leurs bastilles devant Orléans, les défit, et ils prirent la fuite. Elle fit prisonniers le comte de Talbot et d'autres Anglais, en allant à Reims faire sacrer le roi. Elle subjugua et rendit au royaume Auxerre, Sens, Troyes, Châlons, Provins, Reims, Soissons, Laon, Noyon, Compiègne, Senlis, Saint-Denis, et plusieurs autres villes, cités, forteresses et châteaux qui obéissaient aux Anglais.

«Toutes ces choses accomplies, ladite Jeanne la Pucelle fut prise devant Compiègne, retenue en prison, et enfin mise entre les mains des Anglais. Comme on la conduisait à Rouen pour lui couper le cou et la brûler, elle s'arrêta et passa la nuit au château de Drugy. Dans ce château, la virent Dom Nicolas, prévôt, Dom Jean Chapellin, aumônier et plusieurs autres religieux de cette église. Il en sera mémoire dans l'avenir, car la haine que lui avaient vouée les Anglais était inique.

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Le chroniqueur, qui écrit fort mal le latin, n'a d'autorité que pour ce qu'il dit du château de Drugy. Inutile de relever plusieurs inexactitudes. Il confirme d'autant plus le récit d'Ignace de Jésus-Maria, que, d'accord l'un et l'autre sur le nom du prévôt et de l'aumônier, ils diffèrent en ce que l'un leur adjoint d'autres religieux et l'autre les principaux citoyens de Saint-Riquier. Quoiqu'ils puissent avoir raison tous deux, cette divergence semble établir que l'historien des comtes de Ponthieu ne travaillait pas sur la Chronique dont on vient de voir un extrait.

CHAPITRE XII

DIVERS PASSAGES SUR LA PUCELLE, EXTRAITS DES AUTEURS DU XVe SIÈCLE.

SOMMAIRE: I.

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Fragment d'une Chronique d'un auteur inconnu.

II. La Chronique de Normandie.

III.

Passages de divers auteurs du xve siècle : Pierre de Gros, Guy Pape, Simon

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I

Vallet de Viriville a trouvé au British Museum (n° 1542) un manuscrit du xv siècle, renfermant une histoire incomplète de la Normandie. On y lit sur la Pucelle un passage que l'auteur de la découverte a imprimé dans ses Historiens de Charles VII, à la suite de la Chronique de Jean Chartier.

Ce passage ne renferme rien que les chroniqueurs déjà cités ne nous aient dit bien souvent, et d'une manière beaucoup moins inexacte. Qu'il suffise donc d'en citer la fin, à partir de l'attaque contre Paris. Après avoir dit que le roi entra à Saint-Denis sans nul contredit, le chroniqueur continue en ces termes:

« La Pucelle, Mgr d'Alençon, et partie des gens du roi allèrent devant Paris, et incontinent qu'ils furent arrivés, ils firent saillir (descendre) leurs gens ès fossés pour donner l'assaut. A quoi ceux de la place firent grande résistance, en tirant fort de canons et grosses arbalètes, qui firent peu de de mal, fors (si ce n'est) à la Pucelle qui fut blessée d'un vireton à son harnais (armure) des jambes; par quoi elle et ses gens se tirèrent à Saint-Denis devers le roi, lequel bientôt après se partit et vint passer la Seine et se rafraîchir à Tours et à Chinon.

<< L'an mil quatre cent trente, après que le roi fut retourné de son couronnement et arrivé en Touraine, la Pucelle retourna au pays de France', où étaient demeurés grande partie des gens du roi, tant à Compiègne qu'ès places qu'il avait conquises. Et après qu'elle eut tourné et vu une partie du pays, elle se retira audit lieu de Compiègne. Elle étant dedans, les Bourguignons vinrent courir devant, et ils avaient mis plusieurs embûches tout autour. Icelle Pucelle sortit à l'escarmouche avec plusieurs de ses gens, elle se lança si avant qu'elle se trouva entre lesdites embûches, où elle fut prise et amenée par iceux Bourguignons. Et après qu'ils l'eurent longuement gardée ils la vendirent ès Anglais qui l'achetèrent bien chèrement.

« Et après ce, ils la menèrent à la ville de Rouen, où elle fut emprisonnée l'espace de long temps. Elle fut questionnée par les plus grands hommes, sages et plus élevés de leur parti, pour savoir si les victoires qu'elle avait eues sur eux étaient faites par enchantements, par carraulx', ou autrement. Ils la trouvèrent de si belle réponse, et elle leur bailla solutions si raisonnables que par longtemps il n'y eut nul d'entre eux

<«<l'Ile-de-France ».

1. Nouvel exemple que le mot France se prenait couramment pour «
2. Grignours dans le texte. D'après LACURNE, c'est le comparatif de « grand ».
3. Flèche, foudre, d'après LACURNE.

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