Imágenes de páginas
PDF
EPUB

LIVRE IV

PARTI ANGLO-BOURGUIGNON.

CHRONIQUES ET DOCUMENTS PLUS MODÉRÉS,
PEU OU POINT DÉFAVORABLES.

ENGUERRAND DE MONSTRELET

Enguerrand de Monstrelet est de tous les chroniqueurs celui que, jusqu'à notre siècle, les histoires aimaient le plus à citer, pour la période dont il a retracé les annales.

Monstrelet est Picard d'origine, issu, dit-il, de noble famille, quelquesuns croient par voie de bâtardise. Il naquit vers 1390 et mourut en 1453. Du parti bourguignon, il était particulièrement attaché à Jean de Luxembourg. Aussi cherche-t-il à mettre son protecteur particulièrement en scène, et lui fait-il une large place dans sa Chronique. On connaît assez peu les fonctions qu'il exerça durant sa vie. Il nous apprend lui-même qu'il était à Compiègne, lorsque la Vénérable y fut prise.

Sa Chronique s'étend de 1400 à 1444. Elle fut imprimée de bonne heure, vers la fin du xv siècle. Les éditions en ont été multipliées dans la suite. Dans notre siècle, Buchon l'a fait entrer dans sa collection; M. Douet d'Arc en a donné une édition sous le patronage de la Société de l'Histoire de France. On possède de nombreux manuscrits de la Chronique de Monstrelet.

Ses pages sur la Libératrice, malgré quelques inexactitudes de détail, sont, à deux points près, réservées, assez complètes et enchâssées dans le cadre des événements. Elles renferment de précieux aveux. Il a eu le tort de recueillir, sur le séjour de la Vierge à Neufchâteau, l'impure fable qui avait cours à la cour de Bourgogne, fable par laquelle on prétendait expliquer les merveilles de la guerrière. Jeanne, servante d'auberge à Neufchâteau, y aurait pris les allures de la libre cavalière. Le conte a passé de confiance de la Chronique de Monstrelet dans une foule d'écrits, même émanés de plumes catholiques.

L'on n'a pas observé que le procès de réhabitation réduit à néant cett e injurieuse invention. En racontant la prise de la Libératrice à Compiègne, Monstrelet promet de donner la suite de l'histoire de la prisonnière. Il se contente de reproduire le récit menteur envoyé par la cour anglaise au duc de Bourgogne et aux princes de la chrétienté. Il est permis d'y voir un calcul de sa part.

Ce ne sont pas seulement les pages qui regardent directement la Pucelle qui vont être insérées, mais toutes celles qui aident à mieux connaître son histoire, et notamment les désastreuses trêves qui interrompirent sa céleste mission.

SOMMAIRE: 1.

II.

[ocr errors]

CHAPITRE PREMIER

LE SIÈGE D'ORLÉANS.

Armée d'élite levée en Angleterre par Salisbury et menée en France. La conquête d'Orléans décidée dans les conseils tenus à Paris. L'armée de Salisbury renforcée par les contingents levés en Normandie. — Grands capitaines. - Conquête de places de médiocre importance. Préparatifs de défense des Orléanais. Les faubourgs et leurs églises rasés. Vaillante attaque et vaillante défense. Salisbury maître de la tête du pont. Mortellement blessé lorsqu'il contemple la ville. Ses recommandations avant de mourir.

Le siège continué par les Anglais sous la conduite de Suffolk: efforts de Charles VII pour défendre Orléans. Noms de quelques défenseurs. — Détresse

de Charles VII. Abandon dont il est l'objet. Sa confiance en Dieu.

III. Journée des Harengs. -- Dispositions prises par les Anglais. - Présomption des Français, désordre dans leur attaque. Leur ignominieuse défaite; leurs pertes. -Désespoir de Charles VII.

IV.

[ocr errors]

-

- Le duc de Bourgogne à Paris dans les premiers jours d'avril. — Ambassade des Orléanais demandant que leur ville soit remise entre ses mains, comme ville neutre. Délibération du conseil anglais, et refus plein de mépris. Orléans doit se rendre aux Anglais. — Les Orléanais disposés à tout souffrir plutôt que de devenir Anglais. Le duc de Bourgogne content de la proposition des Orléanais, froissé des multiples refus des Anglais.

CHAPITRE LII.

I

Comment le comte de Salseberi vint en France à tout grand gent, en l'aide du duc de Bethefort.

Au mois de mai, le comte de Salisbury, homme expert et très renommé en armes, convoqua, par l'ordre du roi Henri et de son grand conseil, jusqu'à six mille combattants ou environ, gens d'élite et éprouvés en armes pour la plupart, dans le but de les amener en France à l'aide

du duc de Bedford qui se disait régent. Il en envoya d'abord trois mille à Calais, d'où ils allèrent à Paris pour toujours continuer la guerre contre les Français.

Environ la Saint-Jean, le même comte de Salisbury passa la mer avec le surplus de ses gens, vint à Calais, et par Saint-Pol, Dourlens et Amiens, arriva à Paris, où il fut joyeusement reçu par le comte (sic) de Bedford, et tout le conseil de France, du roi Henri.

Après l'arrivée de Salisbury, de grands conseils furent tenus durant plusieurs jours sur le fait de la guerre. Il fut conclu qu'icelui comte, après qu'ils auraient mis sous l'obéissance du roi Henri quelques méchantes places occupées par ses adversaires, irait mettre le siège devant la cité d'Orléans, qui, à ce qu'ils disaient, leur était fort nuisible.

Ce plan arrêté, l'on convoqua de toutes parts et l'on manda de par le roi Henri et de par le régent les Normands et ceux qui tenaient le parti de l'Angleterre. L'on y mit une telle diligence que peu de temps. après, Salisbury eut sous ses ordres jusqu'à dix mille combattants, parmi lesquels le comte de Suffolk, le seigneur de Scales, le seigneur de Talbot, le seigneur de Lille, Anglais, Chassedoch (Glasdal) et plusieurs autres vaillants et très experts hommes d'armes, qui après avoir été durant quelques jours reçus au milieu des fêtes et des honneurs à Paris, ainsi qu'il a été dit, quittèrent cette ville et ses alentours avec le comte de Salisbury... [Monstrelet raconte la prise de Nogent-le-Roi, Janville, Jargeau, etc., et en vient au siège d'Orléans.]

[ocr errors]

CHAPITRE LIII. Comment le comte de Salsebery assiégea la cité d'Orléans, où il fut occis.

Après que le comte de Salisbury eut conquis et mis en l'obéissance du roi Henri de Lancastre, Janville, Meung et plusieurs autres villes et forteresses des pays environnants, il se disposa très diligemment pour aller assiéger la noble cité d'Orléans, et de fait, durant le mois d'octobre, il arriva avec toute sa puissance devant ladite cité. Ceux qu'elle renfermait dans ses murailles, attendant depuis longtemps sa venue, avaient disposé leurs fortifications, fait provision d'armements de guerre, de vivres, choisi des hommes exercés aux armes et belliqueux pour résister et se défendre. Et même pour qu'il ne pût pas aisément s'établir avec ses gens autour de la ville, ni se fortifier, les habitants d'Orléans avaient fait abattre et démolir de tous côtés en leurs faubourgs de bons et notables édifices, parmi lesquels furent renversées jusqu'à douze églises

et plus, dont quatre des ordres mendiants; et avec ces églises beaucoup de belles et riches maisons de plaisance, qu'y possédaient les bourgeois. Ils poussèrent si loin cette œuvre de destruction qu'on pouvait voir tout à découvert les faubourgs et les environs, et décharger comme en plaine les canons et les autres instruments de guerre.

Toutefois ledit comte de Salisbury ne tarda pas longtemps à s'établir avec ses Anglais près de la ville, encore que ceux du dedans se défendissent vigoureusement de tout leur pouvoir, faisant plusieurs sorties, déchargeant canons, coulevrines, et autres artilleries qui tuaient ou mettaient hors de combat plusieurs Anglais. Cependant les Anglais les repoussèrent si vaillamment et si promptement, qu'ils s'approchèrent plusieurs fois des remparts au point d'étonner les Orléanais par leur hardiesse et leur courage. Dans une de ces attaques hardies, le comte de Salisbury fit assaillir la tour du bout du pont jeté sur la Loire, qu'il prit et conquit en assez brief de temps, avec un petit boulevard qui était fort près, malgré la résistance des Français. Il établit plusieurs de ses gens dans la tour, pour que ceux de la ville ne pussent pas tomber par ce côté sur son armée. D'autre part, lui, ses capitaines et tous les siens se logèrent fort près de la ville dans des décombres, dans lesquels, ainsi que c'est la coutume des Anglais, il fit creuser plusieurs logements dans la terre, des taudis, et autres appareils de siège pour éviter les traits dont ceux de la ville les servaient très largement1.

Cependant le comte de Salisbury, le troisième jour après son arrivée devant la cité, entra dans la tour du Pont où il avait logé ses gens, et monta au second étage; là il se mit à une fenêtre donnant sur la ville, regardant très attentivement ses alentours, pour mieux voir et imaginer comment et par quelle manière il pourrait la prendre et la subjuguer. Comme il était à cette fenêtre, soudainement, de la ville, la pierre d'un veuglaire fend l'air, et va frapper contre la fenêtre où se trouvait le comte qui, au bruit du coup, se retirait de l'ouverture; mais il fut atteint très grièvement, mortellement, des éclats de la fenêtre, eut une grande partie du visage entièrement emportée, tandis qu'un gentilhomme qui était à ses côtés tomba sur-le-champ raide mort. Cette blessure porta au cœur de tous ses gens grande tristesse; car il en était fort craint et aimé; et on le tenait pour le plus habile, le plus expert et le plus heureux dans les combats de tous les princes et capitaines du royaume d'Angleterre. Toutefois il vécut encore huit jours dans cet état de

1. Se loga luy et ses capitaines avec tous les siens assez près de la ville en aucunes vièses masures là estant, èsquelles comme ont accoutumé iceulx Anglois, firent plusieurs logis dedens terre, taudis et autres habillemens de guerre, pour eschever le trait de ceulx de la ville dont ilz estoient très largement servis.

blessure. Ayant mandé tous ses capitaines, il leur commanda de par le roi d'Angleterre de continuer à réduire sans retard' cette ville à son obéissance, se fit porter à Meung, et y mourut au bout de huit jours des suites de sa blessure.

III

Le comte de Suffolk devint capitaine général des Anglais en son lieu et place, ayant sous lui les seigneurs de Scales, de Talbot, Lancelot de Lille, Glacidas et plusieurs autres. Malgré la perte qu'ils venaient de faire de leur chef et souverain Connétable, ils reprirent confiance en euxmèmes, et, d'un commun accord, ils se disposèrent en toute diligence à continuer l'œuvre commencée, par toutes les voies et manières possibles; ils firent construire en plusieurs lieux des bastilles et des fortifications à l'intérieur desquelles ils se logèrent, pour éviter les surprises et les envahissements de leurs ennemis.

De son côté, le roi Charles de France, sachant que les Anglais, ses anciens ennemis et adversaires, voulaient subjuguer et mettre en leur obéissance la très noble cité d'Orléans, avait déterminé, avant leur arrivée, au sein de son conseil, qu'il la défendrait de tout son pouvoir, dans la persuasion que si elle tombait entre les mains de ses ennemis, ce serait la destruction totale de ses frontières, de son pays, et sa propre ruine. Il envoya donc à son secours une grande partie de ses meilleurs et plus fidèles capitaines, Boussac et le seigneur d'Eu, et avec eux le båtard d'Orléans, chevalier, les seigneurs de Gaucourt et de Graville, le seigneur de Villars, Poton de Xaintrailles, La Hire, Messire Théodore de Valpergue, Messire Louis de Gaucourt, et plusieurs autres très vaillants hommes, fort renommés en armes et de grande autorité. Ils avaient journellement avec eux de douze à quatorze cents combattants, gens d'élite, bien éprouvés aux armes, tantôt plus, tantôt moins, car le siège ne fut jamais si fermé que les assiégés ne pussent se rafraîchir de gens et de vivres, et aller à leurs besognes, quand bon leur semblait, et qu'ils avaient la volonté de le faire. Durant ce siège, les assiégés firent plusieurs sorties sur les assiégeants... Mais, d'après les rapports que nous ont faits quelques notables des deux partis, je n'ai point su qu'ils aient fait grand dommage à leurs ennemis, sinon par les canons et autres engins qu'ils tiraient de la ville...

CHAPITRE LV.

...

Durant le temps que les Anglais tenaient leur siège devant la noble cité, le roi Charles, comme il a été dit, était fort

1. Sans dissimulation, retard, un des sens du mot « dissimulation », d'après LACURNE.

« AnteriorContinuar »